Fragment Perpétuité n° 3 / 11  – Papier original : RO 218

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Perpétuité n° 322 p. 145 à 147 / C2 : p. 175 à 177

Éditions de Port-Royal : Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 21-25  / 1678 n° 8 p. 20-23

Éditions savantes : Faugère II, 199, XX / Havet XI.5 bis / Brunschvicg 613 / Tourneur p. 271-2 / Le Guern 264 / Lafuma 281 / Sellier 313

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Bibliographie

 

 

CAZELLES Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973.

FONTAINE Nicolas (avec la collaboration probable de Le Maistre de Sacy), Histoire du vieux et du nouveau testament, Paris, 1670.

KIRCHER Athanase, Oedipus egyptiacus, tome I, Rome, V. Mascardi, 1652.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931.

PONTAS, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 27-28.

SELLIER Philippe, “Sur les fleuves de Babylone : la fluidité du mode et la recherche de la permanence”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 411-423.

SELLIER Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Perpétuité.

 

M. Le Guern, dans son édition des Œuvres complètes de Pascal, II, Pléiade, p. 1422-1423, propose plusieurs sources possibles pour ce fragment. Il cite Havet, Pensées, I, Delagrave, 1866, p. 179 sq., dont une note sur ce fragment, qui renvoie à Guez de Balzac, Œuvres diverses, Les passages défendus, Quatrième défense, ou De l’antiquité de la religion chrétienne, éd. de 1664, p. 364-368 (p. 377 sq. de l’édition de 1658). L’éd. Le Guern, Pléiade, II, p. 1422-1423, qui propose d’autres sources, Jean-Pierre Camus, lettre dédicatoire au pape Paul V, Diversités, t. III, et Jean de Sponde, Déclaration des principaux motifs qui induisent le sieur de Sponde à l’unir à l’Église catholique, apostolique et romaine, Lyon, Guichard Jullieron, 1594, p. 79, entre autres. Plus intéressant semble le renvoi à l’Épître aux Hébreux, XI, qui soutient bien que c’est « par la foi » que Noé, Abraham, Isaac et Jacob, Joseph, Moïse et d’autres ont accompli ce qu’en rapporte la Bible. Le verset 12 paraît justifier le rapprochement : « Tous ces saints sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre » ; mais l’idée n’est pas rapportée à Moïse en particulier, comme c’est le cas chez Pascal.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 502. « Tout le fragment 281 [...] n’est qu’une magnifique opposition entre les désordres des hommes, y compris ceux du peuple juif, et ces « saints… qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde ». Voir p. 508 sq., sur le peuple. Le peuple est composé de charnels et de grossiers ; autant les saints sont peu nombreux, autant ils sont légion : Pascal en parle souvent en employant le mot multitude. Alors que les saints sont mus par l’amour de Dieu, le peuple n’adore Dieu que par cupidité, désirant en fait les biens de la terre.

 

Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé et celle‑là a subsisté pour laquelle sont toutes choses.

 

L’essentiel de ce paragraphe est une addition, qui développe une rédaction initiale relative au seul Messie, qui ne faisait pas allusion à la corruption de la nature humaine. Pascal l’a remplacée par un condensé de toute la doctrine du péché, de la corruption et de la rédemption, qui résume tout le christianisme.

L’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu : voir dans les Écrits sur la grâce, le dernier état du Traité de la prédestination, OC III, éd. J. Mesnard, p. 792 sq., sur la manière dont Pascal conçoit le changement de condition de l’homme du fait du péché originel.

État de gloire : Pensées, éd. Havet, I, Delagrave, 1866, p. 149, indique à propos du fragment Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), que la gloire, en langage chrétien, signifie l’état glorieux des élus dans le ciel. Voir aussi Lhermet J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 298 sq. : Par gloire, Pascal entend la vision béatifique dont les élus, contemplant la face de Dieu dans le ciel, jouissent avec un bonheur éternel et parfait. Ce n’est évidemment pas le cas ici. Mais la condition prélapsaire d’Adam le mettait en présence constante de Dieu et en communication avec Dieu, de sorte que le mot de gloire convient ici par dérivation.

Après cette vie nous serons rétablis par un Messie qui devait venir : entendre que les élus seront rétablis dans l’état de communication avec Dieu qui a été celui d’Adam avant la chute.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 502. « Tout le fragment 281 [...] n’est qu’une magnifique opposition entre les désordres des hommes, y compris ceux du peuple juif, et ces « saints… qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde ». La perpétuité de la religion est mise en contraste avec l’écoulement éternel des choses humaines. Voir sur ce sujet Sellier Philippe, “Sur les fleuves de Babylone : la fluidité du mode et la recherche de la permanence”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 411-423.

La stabilité de la loi juive est soulignée dans le fragment Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Avantages du peuple juif. [...] Cette famille ou ce peuple est le plus ancien qui soit en la connaissance des hommes, ce qui me semble lui attirer une vénération particulière. Et principalement dans la recherche que nous faisons, puisque si Dieu s’est de tout temps communiqué aux hommes, c’est à ceux-ci qu’il faut recourir pour en savoir la tradition.

Ce peuple n’est pas seulement considérable par son antiquité mais il est encore singulier en sa durée, qui a toujours continué depuis son origine jusqu’à maintenant, car au lieu que les peuples de Grèce et d’Italie, de Lacédémone, d’Athènes, de Rome et les autres qui sont venus si longtemps après soient péris il y a si longtemps, ceux-ci subsistent toujours et malgré les entreprises des tant de puissants rois qui ont cent fois essayé de les faire périr, comme leurs historiens le témoignent, et comme il est aisé de le juger par l’ordre naturel des choses pendant un si long espace d’années. Ils ont toujours été conservés néanmoins, et cette conservation a été prédite. Et s’étendant depuis les premiers temps jusques aux derniers, leur histoire enferme dans sa durée, celle de toutes nos histoires.

La loi par laquelle ce peuple est gouverné est tout ensemble, la plus ancienne loi du monde, la plus parfaite et la seule qui ait toujours été gardée sans interruption dans un État. C’est ce que Josèphe montre admirablement contre Apion, et Philon juif, en divers lieux où ils font voir qu’elle est si ancienne que le nom même de loi n’a été connu des plus anciens que plus de mille ans après, en sorte que Homère qui a écrit l’histoire de tant d’États ne s’en est jamais servi. Et il est aisé de juger de sa perfection par la simple lecture, où l’on voit qu’on a pourvu à toutes choses, avec tant de sagesse, tant d’équité et tant de jugement que les plus anciens législateurs grecs et romains en ayant eu quelque lumière en ont emprunté leurs principales lois, ce qui paraît par celle qu’ils appellent des 12 Tables, et par les autres preuves que Josèphe en donne.

Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9). Perpétuité. Qu’on considère que depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption, qu’il s’est trouvé des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé, qu’il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple. [...] Qu’ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie, que jusques là elle serait perpétuelle, mais que l’autre durerait éternellement, qu’ainsi leur loi ou celle du Messie dont elle était la promesse serait toujours sur la terre, qu’en effet elle a toujours duré, qu’enfin est venu J.-C. dans toutes les circonstances prédites. Cela est admirable.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 22-26, avec la référence aux Psaumes 101 et 136, sur les fleuves de Babylone.

Ordre 2 (Laf. 3, Sel. 38). Toutes choses changent et se succèdent. Vous vous trompez, il y a...

Pensée n° 5E (Laf. 918, Sel. 748). Les fleuves de Babylone coulent et tombent, et entraînent.

Ô sainte Sion, où tout est stable et où rien ne tombe.

Sur le thème général de l’inconstance, voir Misère 2 (Laf. 54, Sel. 87). Perpétuité 3 fait, sous cet aspect, écho aux liasses Misère et Vanité.

Sur la thèse héraclitéenne du changement universel, voir Les penseurs grecs avant Socrate de Thalès de Milet à Prodicos, éd. Voilquin, p. 71 sq.

Celle-là : la religion.

Par laquelle sont toutes choses : voir Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Sans Jésus-Christ, le monde ne subsisterait pas ; car il faudrait, ou qu’il fût détruit, ou qu’il fût comme un enfer. Si le monde subsistait pour instruire l’homme de Dieu, sa divinité y reluirait de toutes parts d’une manière incontestable ; mais comme il ne subsiste que par Jésus-Christ et pour Jésus-Christ et pour instruire les hommes et de leur corruption et de leur rédemption, tout y éclate des preuves de ces deux vérités.

 

Les hommes dans le premier âge du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avait cependant des saints comme Énoch, Lamech et d’autres qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde.

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 502. Les saints se confondent parfois, chez saint Augustin comme chez Pascal, avec les prophètes, ce qui est logique, puisque tous les justes voyaient le Christ à venir et parlaient de lui. Pascal a exprimé avec force la solitude des premiers saints en mettant en relief le règne universel de l’idolâtrie, et la persécution que subissent les justes. Les saints, pour Pascal comme pour Augustin, étaient peu nombreux : p. 504. Les trois plus grands sont Abraham, Moïse et David. Ces anciens justes étaient déjà membres de Jésus-Christ, et Pascal les appelle les chrétiens de la loi ancienne (Perpétuité 8 - Laf. 286, Sel. 318). Seuls ils entrevoyaient les mystères de Dieu et le Messie à venir.

Ces saints ont enseigné les fondements de la religion chrétienne. Voir sur ce point

Preuves de Jésus-Christ 17 (Laf. 315, Sel. 346). Moïse d’abord enseigne la Trinité, le péché originel, le Messie.

David grand témoin. Roi, bon, pardonnant, belle âme, bon esprit, puissant. Il prophétise et son miracle arrive. Cela est infini. Il n’avait qu’à dire qu’il était le Messie s’il eût eu de la vanité, car les prophéties sont plus claires de lui que de J.-C.

Et saint Jean de même.

Les hommes, dans ce passage, ne sont pas seulement les païens, mais, comme le montre la suite du texte, une grande part des Hébreux. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 508 sq., sur le peuple. Le peuple est composé de charnels et de grossiers ; autant les saints sont peu nombreux, autant ils sont légion : Pascal en parle souvent en employant le mot multitude. Alors que les saints sont mus par l’amour de Dieu, le peuple n’adore Dieu que par cupidité, désirant en fait les biens de la terre.

Sur les différents âges du monde, voir le fragment Perpétuité 5 (Laf. 283, Sel. 315). Cet âge va d’Adam à Noé. Selon la division proposée par Nicolas Fontaine (avec la collaboration probable de Le Maistre de Sacy), Histoire du vieux et du nouveau testament, Paris, 1670. Voir l’Abrégé de la chronologie sainte, Chapitre premier, De la division des âges du monde : « Le premier âge a commencé avec le monde, et s’est terminé au déluge ; et il comprend 1 656 ans, un mois et 26 jours. » Cet âge compte 10 générations.

Le chapitre VI de la Genèse est intitulé Mariage des enfants de Dieu avec les filles des hommes. Corruption générale des hommes. Dieu prend la résolution de tout exterminer sur la terre. Noé trouve grâce devant les yeux du Seigneur, qui lui ordonne de bâtir une arche. Cette corruption commença comme suit : « 1. Après que les hommes eurent commencé à se multiplier sur la terre, et qu’ils eurent engendré des filles, 2. Les enfants de Dieu voyant que les filles des hommes étaient belles, prirent pour leurs femmes celles d’entre elles qui leur avaient plu. 3. Et Dieu dit : Mon esprit ne demeurera pas pour toujours avec l’homme, parce qu’il n’est que chair ; et le temps de l’homme ne sera plus que de cent vingt ans. 4. Or il y avait des géants sur la terre en ce temps-là. Car depuis que les enfants de Dieu eurent épousé les filles des hommes, il en sortit des enfants qui furent des hommes puissants et fameux dans le siècle. 5. Mais Dieu voyant que la malice des hommes qui vivaient sur la terre était extrême, et que toutes les pensées de leur cœur étaient en tout temps appliquées au mal, 6. Il se repentit d’avoir fait l’homme sur la terre. Et étant touché de douleur jusqu’au fond du cœur, 7. Il dit : J’exterminerai de dessus la terre l’homme que j’ai créé ; j’exterminerai tout, depuis l’homme jusqu’aux animaux, depuis tout ce qui rampe sur la terre jusqu’aux oiseaux du ciel car je me repens de les avoir faits » (tr. Sacy).

 

Enoch (Hénoc)

 

Genèse V, 22-24, voir la note de Le Maistre de Sacy sur Enoch.

Genèse, V, 21. « Hénoc, âgé de soixante-cinq ans, engendra Metuschélah. 22. Hénoc, après la naissance de Metuschélah, marcha avec Dieu trois cents ans ; et il engendra des fils et des filles. 23. Tous les jours d’Hénoc furent de trois cent soixante-cinq ans. 24. Hénoc marcha avec Dieu ; puis il ne fut plus, parce que Dieu le prit.”

Patriarche, fils de Jarel et père de Mathusalem ; il vécut 365 ans, obéissant à Dieu, mais « ne parut plus, parce que Dieu le prit ». Cette fin mystérieuse est rappelée dans quelques passages des Livres saints ; l’Ecclésiaste dit qu’Enoch a été transporté pour servir aux nations d’exemple de repentir ; saint Paul affirme que par la foi il fut emporté pour ne pas passer par la mort ; la tradition catholique indique qu’il a quitté la terre sans passer par la mort. Cyrano le rencontre dans la Lune.

Lemaître de Saci, dans son commentaire sur la Genèse, indique que la plupart des saints Pères, et saint Augustin entre autres, « croient qu’Enoch a été transféré dans le paradis terrestre, où Dieu le conserve d’une manière miraculeuse, vivant dans un corps qui n’est sujet à aucune des conditions de la faiblesse et de la fragilité de la nature mortelle, et le réserve pour l’opposer à la fureur de l’Antéchrist, afin qu’il prêche la pénitence aux nations, comme Élie, que Dieu lui doit joindre dans le même ministère, la doit prêcher aux Juifs, en la manière que saint Jean le décrit dans l’Apocalypse ».

Les premiers chrétiens lisaient un livre intitulé Livre d’Enoch, qui n’a toutefois pas été retenu dans le canon des Livres saints ; c’est une sorte d’Apocalypse en cinq livres ; le premier raconte la chute des anges et leur union avec des filles des hommes ; le second renferme des paraboles messianiques, et le troisième de fables ; le quatrième résume en deux visions l’histoire du peuple juif ; le cinquième contient des exhortations morales. C’est un agrégat d’éléments hétérogènes dont les plus récents datent du premier siècle de l’ère chrétienne ; on le croyait perdu, mais il a été retrouvé en 1769 par l’anglais J. Bruce.

 

Lamech

 

Lamech est le père de Noé ; il meurt à l’âge de 777 ans. Voir Genèse IV et V. Tout saint qu’il ait été, Lamech n’en a pas moins tué un jeune homme.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 504. Pascal retient le nom de Lamech (alors qu’il a exclu Loth de sa liste), pour montrer la continuité de la tradition. Voir Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327).

 

Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré et il a mérité de sauver le monde en sa personne par l’espérance du Messie, dont il a été la figure.

 

La malice des hommes au plus haut degré : voir Genèse, VI, v. 5 : « Videns autem Deus quod multa malitia hominum esset in terra, et cuncta cogitatio cordis intenta eset ad malum omni tempore, paenituit eum quod hominem fecisset in terra… » ; « Mais Dieu voyant que la malice des hommes qui vivaient sur la terre était extrême, et que toutes les pensées de leur cœur étaient en tout temps appliquées au mal, il se repentit d’avoir fait l’homme… » (tr. Sacy).

 

Noé

 

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Noé, p. 816-817. Héros de l’histoire du déluge, dixième des patriarches antédiluviens, il vécut 950 ans, et eut trois fils, Sem, Cham et Japhet. À une époque où le monde était corrompu, Noé était la seule personne « qui marchait avec Dieu ». Il lui fut commandé de construire une arche et d’y faire entre sept couples de chaque espèce de bêtes pures et un de toutes les autres espèces de créatures vivantes. Le déluge dura 40 jours et 40 nuits, entraînant la destruction de tout ce qui ne se trouvait pas dans l’arche. L’arche se trouva sur le mont Ararat à la fin du déluge. L’histoire de Cham, après que Noé se soit enivré, n’est pas bien claire : voir p  816 B.

Genèse, VI-IX ; voir les notes de Le Maistre de Sacy, p. 288-361, qui relèvent plusieurs figures dans le récit de l’histoire de Noé. La colombe lâchée par Noé, par exemple, « selon les Saints, peut figurer les âmes justes et innocentes, qui étant engagées dans des occupations extérieures, et dans le commerce des hommes, ne rencontrent aucun lieu où elles puissent asseoir leur pied, c’est-à-dire, où leur cœur puisse trouver un vrai repos. Et comme elle fuient la contagion du siècle, et qu’elles laissent aux morts le soin d’ensevelir leurs morts, elles sont dans une sainte impatience de retourner dans l’arche, et de se remettre entre les mains du véritable Noé, c’est-à-dire, du vrai Consolateur, qui est Jésus-Christ. Mais en s’arrêtant moins à la suite de la lettre, et considérant la colombe en un sens plus général, elle peut être, selon saint Ambroise [Amb. de Noé et Arc. cap. 19.], une image des vrais pénitents à qui Dieu donne un dégoût des choses de la terre, et qui s’étant rendu eux-mêmes durant quelque temps comme des corbeaux qui se repaissaient de la pourriture, sont changés par la vertu toute-puissante du Saint-Esprit, en des colombes qui reviennent dans l’arche, et que Jésus-Christ, figuré par Noé, prend dans sa main, et fait rentrer dans la société spirituelle des membres vivants de son corps » : voir la note du ch. VIII, v. 6-9.

Voir la note sur le ch. VI, v. 9, Sens spirituel : « Noé est loué comme ami de Dieu, lorsque toute la terre est devenue l’objet de son indignation et de sa haine. Il est dit dans son Évangile, qu’à la fin des temps la charité de plusieurs se refroidira, parce que l’iniquité alors sera à son comble. Mais lorsqu’il est dit ici, que toute la terre était pleine d’iniquité, c’est alors que le cœur de Noé en est d’autant plus rempli de l’amour de Dieu, et que l’ardeur de sa charité est semblable au feu naturel, qui durant l’hiver redouble son activité et sa force, par l’opposition du froid qui l’environne et qui le combat.

C’est pourquoi l’Écriture dit de Noé, qu’il était juste, c’est-à-dire, qu’il était juste de cette justice qui enferme toutes les vertus, et sur toute l’humilité qui en est la mère et la gardienne. Elle ajoute qu’il était parfait : Et elle veut que nous concevions une grande idée de cette perfection, puisqu’elle marque qu’il était parfait dans toute la conduite de sa vie. Car il y a des personnes qui semblent parfaites en une chose, et qui sont imparfaites en une autre. Mais Noé était parfait en tout. Sa vie était toute égale et toute uniforme.

Et afin que l’Écriture nous apprît combien était divine la source d’une vertu si pure et si consommée, elle ajoute : Il marcha avec Dieu. Comme si elle disait : Noé était juste, parce qu’il savait que toute sa justice venait de Dieu. Il était parfait en toute sa vie, parce qu’il marchait avec Dieu ; c’est-à-dire, qu’il se conduisait par l’Esprit de Dieu en toute chose ; qu’il mettait sa joie à dépendre toujours de lui ; et qu’il ne voulait plaire qu’à lui seul.

Le Saint-Esprit confirme encore par le témoignage du Sage, les louanges qu’il donne ici à Noé par la bouche de Moïse. Car dans cet éloge des Patriarches, par lequel l’Ecclésiastique finit son livre, il est parlé ainsi de Noé : Noé a été trouvé parfait et juste, et il est devenu le réconciliateur des hommes avec Dieu, lorsque que Dieu était le plus en colère contr’eux. C’est en sa faveur que Dieu a réservé les restes du monde, quand il a envoyé le déluge sur la terre. Et il a été le dépositaire de l’alliance que Dieu a faite avec les hommes, afin qu’ils ne fussent pas tous exterminés par le déluge [Eccli. 44. 17. 18].

Tel a été et tel devait être celui que Dieu destinait pour être le témoin de la ruine du monde des méchants, selon l’expression de saint Pierre, et comme le père d’un monde nouveau ; et en cela même une vive image du Sauveur du monde. »

Sur le Déluge et l’arche de Noé, voir Preuves de Moïse 6 (Laf. 296, Sel. 327).

 

 Abraham était environné d’idolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin.

 

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Abraham, p. 4-5.

Goyet Thérèse, L’humanisme de Bossuet, II, p. 284. L’époque d’Abraham.

Cazelles Henri, Introduction critique à la Bible, I, Introduction critique à l’ancien Testament, Paris, Desclée, 1973, p. 185 sq. Abraham, patriarche type avec ses vertus, sa fermeté et sa réussite. Il vit en étranger au milieu de princes puissants, capables même de lui prendre sa femme, mais il prospère avec l’appui de son Dieu. Les promesses divines sur sa postérité : p. 186. Le sacrifice d’Isaac : p. 186.

Sur Abraham, les notes de la Genèse traduite par Sacy contiennent de nombreuses indications. Voir Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Abraham, p. 4-5.

Sellier Philippe, “Après qu’Abraham parut : Pascal et le prophétisme”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 471-483. Abraham prophète : p. 473. L’Abraham de Pascal n’est pas celui de la justification par la foi, cher à saint Paul. Pascal est muet sur l’épisode de Sodome, sur la bigamie d’Abraham, sur les mensonges du patriarche à Pharaon et à Abimelech, et surtout sur le sacrifice d’Isaac. Comment Abraham illustre la définition pascalienne du prophétisme, de parler de Dieu par sentiment intérieur et immédiat : p. 476.

Les promesses de Dieu à Abraham : voir Genèse, XII, 1-3 : « 1. Le Seigneur dit ensuite à Abram : Sortez de votre pays, de votre parenté et de la maison de votre père, et venez en la terre que je vous montrerai. 2. Je ferai sortir de vous un grand peuple ; je vous bénirai ; je rendrai votre nom célèbre, et vous serez béni. 3. Je bénirai ceux qui vous béniront, et je maudirai ceux qui vous maudiront ; et tous les peuples de la terre seront bénis en vous. » Sur ces promesses, voir Saint Augustin, Cité de Dieu, XVI, Bibliothèque augustinienne, p. 245. Double promesses temporelle et spirituelle ; que Dieu donnera une terre en Canaan, qu’il sera le père de toutes les nations qui imitent sa foi. Développement des promesses divines : p. 249. La promesse spirituelle : p. 254. L’alliance, sa portée spirituelle : p. 259. Confirmation de la promesse faite à Isaac, p. 305.

Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). Dieu voulant faire paraître qu’il pouvait former un peuple saint d’une sainteté invisible et le remplir d’une gloire éternelle a fait des choses visibles. Comme la nature est une image de la grâce il a fait dans les biens de la nature ce qu’il devait faire dans ceux de la grâce, afin qu’on jugeât qu’il pouvait faire l’invisible puisqu’il faisait bien le visible. Il a donc sauvé le peuple du déluge ; il l’a fait naître d’Abraham, il l’a racheté d’entre ses ennemis et l’a mis dans le repos. L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Preuves par les Juifs III (Laf. 453, Sel. 693). Pour montrer que les vrais juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion.

La religion des juifs semblait consister essentiellement en la paternité d’Abraham, , en la circoncision, aux sacrifices, aux cérémonies , en l’arche, au temple, en Jérusalem, et enfin en la loi et en l’alliance de Moïse.

Je dis qu’elle ne consistait en aucune de ces choses, mais seulement en l’amour de Dieu et que Dieu réprouvait, toutes les autres choses.

Que Dieu n’acceptait point la postérité d’Abraham

[...] Que les vrais Juifs ne considéraient leur mérite que de Dieu et non d’Abraham.

Is. 63. 16. Vous êtes véritablement notre père, et Abraham ne nous a pas connus et Israël n’a point eu de connaissance de nous, mais c’est vous qui êtes notre père et notre rédempteur.

Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9). Perpétuité. Qu’on considère que depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption, qu’il s’est trouvé des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé, qu’il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple. Qu’Abraham est venu ensuite dire qu’il avait eu révélation qu’il naîtrait de lui par un fils qu’il aurait, que Jacob a déclaré que de ses douze enfants il naîtrait de Juda, que Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue.

Le mystère du Messie qu’il a salué de loin : voir Épître aux Hébreux, XI, qui soutient bien que c’est « par la foi » qu’ils ont accompli ce qu’en rapporte la Bible. Le verset 12 paraît justifier le rapprochement : « Tous ces saints », Noé, Abraham, Isaac et Jacob, Joseph, Moïse et d’autres, « sont morts dans la foi, n’ayant point reçu les biens que Dieu leur avait promis, mais les voyant et comme les saluant de loin, et confessant qu’ils étaient étrangers et voyageurs sur la terre ».

 

Au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi,

 

Sur Isaac, voir Genèse, XXI-XXXV, et les notes correspondantes de la Bible de Port-Royal.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Isaac, p. 548-549. Le deuxième des trois patriarches fils d’Abraham, et le moins pittoresque des patriarches. C’est lui que Dieu demanda en victime à Abraham. Il épousa Rébecca. À la fin de sa vie il fut aveugle. C’est alors que Jacob, à l’instigation de Rébecca, se fit passer pour Esaü et reçut la bénédiction de son père en tant que fils premier-né.

Abomination, abominable : voir Pensée n° 6F (Laf. 919, Sel. 749). Abominable : horrible, détestable en son genre, exécrable. Néron était un monstre abominable. Le parricide est un crime abominable (Furetière). Abomination : horreur et exécration. Il se commet dans le Sabbat de grandes abominations.

Voir sur ces termes Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 27-28. Abomination. « Avoir en abomination, c’est éprouver, soit pour une personne, soit pour une chose, le plus vif sentiment d’horreur. Les théologiens distinguent une haine d’inimitié par laquelle nous voulons du mal à ceux qui nous déplaisent, en tant que c’est un mal pour eux ; cette haine est de sa nature péché mortel ; et la haine d’abomination, par laquelle nous détestons les personnes qui nous déplaisent à cause du mal qu’elles nous font. L’abomination considérée comme action est tantôt morale, tantôt religieuse. »

Voir Encyclopédie théologique, Migne, XXXIII, Dictionnaire théologique, 1850. Abomination : il est dit dans l’histoire sainte que les pasteurs de brebis étaient en abomination aux Égyptiens. Moïse répond à Pharaon, leur roi, que les Hébreux doivent immoler au Seigneur les abominations des Égyptiens, c’est-à-dire leurs animaux sacrés, bœufs, boucs, agneaux, béliers, dont le sacrifice devait paraître abominable aux Égyptiens. L’Écriture donne ordinairement le nom d’abomination à l’idolâtrie et aux idoles, tant à cause que le culte des idoles est en lui-même une chose abominable, que parce qu’il était presque toujours accompagné de dissolutions et d’actions infâmes. Moïse donne aussi le nom d’abominables aux animaux dont il interdit l’usage aux Hébreux. L’abomination de la désolation, ou plutôt l’abomination désolante prédite par Daniel, ch. IX, v. 27, marque selon plusieurs interprètes l’idole de Jupiter Olympien qu’Antiochus Épiphane fit placer dans le temple de Jérusalem.

 

 et Jacob mourant et bénissant ses enfants s’écrie par un transport qui lui fait interrompre son discours : J’attends, ô mon Dieu, le sauveur que vous avez promis, salutare tuum expectabo domine.

 

Sur Jacob, voir Genèse, XXV-XLIX et les notes de la Bible de Port-Royal correspondantes.

Patriarche biblique, selon Genèse, XXV-XLIX. Fils d’Isaac et de Rebecca, frère d’Ésaü à qui il a racheté son droit d’aînesse ; époux de Léa et de Rachel. Isaac étant devenu aveugle à la fin de sa vie, Jacob, à l’instigation de Rébecca, se fit passer pour Esaü et reçut la bénédiction de son père en tant que fils premier-né. Il a eu douze fils, souches des douze tribus d’Israël. C’est lui qui, à l’appel de Joseph, a fait descendre les Juifs en Égypte.

Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Isaac, p. 548-549.

Salutare tuum expectabo domine : Genèse, XLIX, 18. Traduction de la Bible de Sacy : « Seigneur, j’attendrai le salut que vous devez envoyer ».

 

Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple.

 

L’Exode rapporte bien que les Juifs étaient opprimés par les Égyptiens, mais ne dit pas qu’ils étaient entraînés par leur exemple. Voir Exode, I, 7-14 : 7. « Les enfants d’Israël s’accrurent et se multiplièrent extraordinairement ; et étant devenus extrêmement forts par leur nombre et par leurs richesses, ils remplirent le pays ou ils étaient.

8. Cependant il s’éleva dans l’Égypte un roi nouveau à qui Joseph était inconnu ;

9. Et il dit à son peuple : Vous voyez que le peuple des enfants d’Israël est devenu très nombreux, et qu’il est plus fort que nous ;

10. Opprimons-le donc avec sagesse, de peur qu’il ne se multiplie encore davantage ; et que, si nous nous trouvions surpris de quelque guerre, ne se joigne à nos ennemis, et qu’après nous avoir vaincus, il ne sorte de l’Égypte.

11. Il établit donc des intendants des ouvrages, afin qu’ils accablassent les Hébreux de fardeaux insupportables ; et ils bâtirent à Pharaon des villes pour servir de magasins ; savoir, Phithom et Ramessès.

12. Mais plus on les opprimait, plus leur nombre se multipliait, et croissait visiblement.

13. Les Égyptiens haïssaient les enfants d’Israël ; et ils les affligeaient en les insultant ;

14. Et ils leur rendaient la vie ennuyeuse, en les employant à des travaux pénibles de mortier et de briques, et à toutes sortes d’ouvrages de terre, dont ils étaient accablés. »

Cependant, une tradition veut qu’en effet les Hébreux aient imité les Égyptiens dans leur idolâtrie, ou du moins en aient été profondément marqués.

Voir Kircher Athanase, Oedipus egyptiacus, tome I, Rome, V. Mascardi, 1652, p. 245 sq. Kircher, après avoir présenté les divinités et les cérémonies des Égyptiens dans le Syntagma III, vient dans le Syntagma IV, ch. I, à la manière dont les Hébreux, notamment la descendance de Cham, d’après Clément d’Alexandrie, Stromates, Livre V, ont imité leurs mystères, leurs rites, leurs cérémonies, et se sont trouvés contaminés par leurs superstitions. Le chapitre II, p. 251 sq., compare les idoles des Hébreux avec celles des Égyptiens, dont elles provenaient (Baal, Belphegor, Belzebuth, le Moloch des Ammonites). Le veau d’or, que les Israélites forgèrent pendant l’absence de Moïse, est rapporté au bœuf Apis des Égyptiens. La séduction qu’exerçaient les Baals sur le peuple une fois qu’il a été installé sur le Terre promise est aussi un élément du drame évoqué par Racine dans Athalie. Pascal ne cède donc pas à son imagination dans ce passage.

 

 

 Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

 

Sur le personnage de Moïse, voir la liasse Preuves de Moïse, et la Préface de la Genèse et de l’Exode dans la Bible de Port-Royal.

Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9). Perpétuité. Qu’on considère que depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption, qu’il s’est trouvé des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé, qu’il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple. Qu’Abraham est venu ensuite dire qu’il avait eu révélation qu’il naîtrait de lui par un fils qu’il aurait, que Jacob a déclaré que de ses douze enfants il naîtrait de Juda, que Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue. Qu’ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie, que jusques là elle serait perpétuelle, mais que l’autre durerait éternellement, qu’ainsi leur loi ou celle du Messie dont elle était la promesse serait toujours sur la terre, qu’en effet elle a toujours duré, qu’enfin est venu J.-C. dans toutes les circonstances prédites. Cela est admirable.

Le fragment Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291) indiquait déjà que, pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. [...] Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent. Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc.

 

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent diverses théologies, les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes.

 

Déité : voir Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal, p. 65. Archaïsme. Port-Royal donne divinités.

Gheeraert Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, p. 101 sq. Rôle des poètes dans l’invention des fausses religions selon Pascal et Port-Royal.

Pascal fait allusion à la Théogonie de Hésiode, dont le rôle a été fondamental dans la genèse de la mythologie grecque. Hésiode est mentionné, avec Homère, bon connaisseur lui aussi des divinités de l’Olympe, dans le fragment Preuves par les Juifs I (Laf. 451, Sel. 691). Avantages du peuple juif. [...] Le livre qui contient cette loi la première de toutes, est lui-même le plus ancien livre du monde, ceux d’Homère, d’Hésiode et les autres n’étant que six ou sept cents ans depuis. Pour les Latins, Pascal songe sans doute à Virgile et Ovide.

Sur les philosophes, voir Dossier de travail (Laf. 408, Sel. 27).

 

Et cependant, il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps,

 

Consommation : dissipation qui se fait des vivres, de denrées qui servent à l’entretien de la vie. On dit aussi jusqu’à la consommation des siècles, pour dire jusqu’à la fin du monde, jusqu’à ce que tout soit détruit. Consommation signifie aussi la fin d’un ouvrage, sa perfection. L’Incarnation fait la consommation de toutes les prophéties (Furetière). Dans le cas présent, il faut entendre que Jésus-Christ est venu lorsque le temps d’attente annoncé par les prophètes a été épuisé.

Perpétuité 9 (Laf. 287, Sel. 319). Qui jugera de la religion des Juifs par les grossiers la connaîtra mal. Elle est visible dans les saints livres et dans la tradition des prophètes qui ont assez fait entendre qu’ils n’entendaient pas la loi à la lettre. Ainsi notre religion est divine dans l’Évangile, les apôtres et la tradition, mais elle est ridicule dans ceux qui la traitent mal.

Le Messie selon les Juifs charnels doit être un grand prince temporel. J.-C. selon les chrétiens charnels est venu nous dispenser d’aimer Dieu, et nous donner des sacrements qui opèrent tout sans nous ; ni l’un ni l’autre n’est la religion chrétienne, ni juive.

Les vrais juifs et les vrais chrétiens ont toujours attendu un Messie qui les ferait aimer Dieu et par cet amour triompher de leurs ennemis.

Dossier de travail (Laf. 390, Sel. 9). Perpétuité. Qu’on considère que depuis le commencement du monde, l’attente ou l’adoration du Messie subsiste sans interruption, qu’il s’est trouvé des hommes qui ont dit que Dieu leur avait révélé, qu’il devait naître un Rédempteur qui sauverait son peuple. Qu’Abraham est venu ensuite dire qu’il avait eu révélation qu’il naîtrait de lui par un fils qu’il aurait, que Jacob a déclaré que de ses douze enfants il naîtrait de Juda, que Moïse et les prophètes sont venus ensuite déclarer le temps et la manière de sa venue. Qu’ils ont dit que la loi qu’ils avaient n’était qu’en attendant celle du Messie, que jusques là elle serait perpétuelle, mais que l’autre durerait éternellement, qu’ainsi leur loi ou celle du Messie dont elle était la promesse serait toujours sur la terre, qu’en effet elle a toujours duré, qu’enfin est venu J.-C. dans toutes les circonstances prédites. Cela est admirable.

 

et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption, et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue.

 

Bossuet, Discours sur l’histoire universelle, éd. Pléiade, p. 765. Il y a une différence entre l’argument de perpétuité et l’argument d’antiquité. L’antiquité n’affecte que la durée ; la perpétuité consiste en ce que la religion a subsisté sur les mêmes fondements depuis le commencement du monde. Argument connexe : l’Église jouit de la perpétuité sans que tout ce qui devait détruire la religion (hérésies, tyrannies, etc.) puisse y arriver.

 

Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance.

 

C’est de telles actions extraordinaires que Racine fera la matière de ses deux dernières pièces, Esther et Athalie. Esther montre comment une faible femme a réussi à empêcher le génocide des Juifs préparé par un ministre malfaisant. Athalie montre comment toute la lignée de David, à laquelle Dieu avait accordé ses promesses, a été sauvée par un faible enfant.

 

Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité.

 

Perpétuité 2 (Laf. 280, Sel. 312). Les états périraient si on ne faisait ployer souvent les lois à la nécessité, mais jamais la religion n’a souffert cela et n’en a usé. Aussi il faut ces accommodements ou des miracles. Il n’est pas étrange qu’on se conserve en ployant, et ce n’est pas proprement se maintenir, et encore périssent-ils enfin entièrement. Il n’y en a point qui ait duré 1 000 ans. Mais que cette religion se soit toujours maintenue et inflexible... Cela est divin.

Voir cependant notre commentaire sur la liasse Perpétuité, sur les précisions et les nuances qu’il faut apporter à l’affirmation de cette stabilité de la religion chrétienne.

 

Mais que...

 

Interruption du texte. Ces derniers mots sont apparemment ce qu’Emmanuel Martineau appelle une ligature, c’est-à-dire une formule abrégée qui assure une liaison logique avec d’autres fragments, que Pascal connaît assez bien pour ne pas la noter de façon explicite.

 

Voyez le rond dans Montaigne.

 

Sans doute un renvoi à une marque faite par Pascal dans son exemplaire des Essais. Voir Essais, I, XXII, éd. Balsamo et alii, Pléiade, p. 126. « Si est-ce que la fortune réservant toujours son autorité au-dessus de nos discours, nous présente aucune fois la nécessité si urgente, qu’il est besoin que les lois lui fassent quelque place : Et quand on résiste à l’accroissance d’une innovation qui vient par violence à s’introduire, de se tenir en tout et par tout en bride et en règle contre ceux qui ont la clef des champs, auxquels tout cela est loisible qui peut avancer leur dessein, qui n’ont ni loi ni ordre que de suivre leur avantage, c’est une dangereuse obligation et inégalité. »

Rond : c’est le mot que Pascal enfant employait pour désigner le cercle.