Pensées diverses I – Fragment n° 28 / 37 – Papier original : RO 142-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 100 p. 341 v°  / C2 : p. 295

Éditions savantes : Faugère I, 247, III / Havet XXIV.87 bis / Brunschvicg 26 / Tourneur p. 81-1 / Le Guern 495 / Lafuma 578 (série XXIII) / Sellier 481

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Bibliographie

 

 

MARIN Louis, La critique du discours. Sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, Paris, Minuit, 1975.

MARIN Louis, Le portrait du roi, Paris, Minuit, 1981.

MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

POMMIER Édouard, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998.

 

 

Éclaircissements

 

L’éloquence est une peinture de la pensée. Et ainsi ceux qui, après avoir peint ajoutent encore, font un tableau au lieu d’un portrait.

 

La comparaison de la pensée et du discours avec l’art pictural est traditionnelle.

Méré, Discours, De la conversation, éd. Boudhors, Paris, éd. Roches, 1930, p. 105 sq. L’éloquence de la conversation comparée à la peinture (avec avantage donné au tableau).

Lamy Bernard, La rhétorique ou l’art de parler, I, II, La parole est un tableau de nos pensées. Avant que de parler il faut former dans son esprit le dessein de ce tableau, éd. C. Noille-Clauzade, Paris, Champion, 1998, p. 112-113. « Notre discours est la copie de l’original qui est en notre tête ». « C’est donc à cet original qu’il faut d’abord travailler » ; avant de parler, « il faut savoir ce qu’on veut dire et le disposer d’une manière réglée ; de sorte que dans le discours qui exprimera nos pensées, les lecteurs voient un tableau bien ordonné de ce que nous avons voulu leur représenter » : p. 112. Voir I, III, La fin et la perfection de l’art de parler consistent à représenter avec jugement ce tableau qu’on a formé dans son esprit, p. 113 sq.

Pascal précise l’idée de manière originale à l’aide de la distinction du portrait et du tableau.

Le portrait est une simple image de la personne. Il vise à la ressemblance. Comme il est principalement centré sur le modèle, il ne comporte pas nécessairement de mise en scène, soit du décor, soit dans la représentation d’une histoire. Il n’enferme donc pas nécessairement de composition dans l’image. Le portrait jouit donc d’un préjugé de véracité.

Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Un portrait porte absence et présence, plaisir et déplaisir. La réalité exclut absence et déplaisir. Le portrait porte présence parce qu’il ressemble à l’original et le rend comme réel, ce qui cause le plaisir de voir l’objet lui-même ; mais il porte absence parce qu’en réalité il ne fait que se substituer à l’objet réel, et apporte le déplaisir de ne pouvoir en jouir réellement.

La Logique de Port-Royal, II, XIV (1683), insiste beaucoup sur le fait que le portrait (notamment dans le cas des bustes, par exemple) peut d’une certaine manière se substituer à son modèle, de sorte que l’on dit du portrait de César que c’est César.

Teyssèdre Bernard, L’art au siècle de Louis XIV, Paris, Livre de poche, 1976, p. 333 sq., signale la vérité sans fard de Champaigne dans la composition de son ex-voto, par opposition aux « galanteries de cour » qui s’appliquent à donner aux dames un « air avantageux et une belle disposition d’habits et de coiffures », et cherchent à flatter.

Sur la théorie et la pratique du portrait, voir Pommier Édouard, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières.

Ce problème a été traité par Louis Marin dans Le portrait du roi. On peut aussi lire Marin Louis, Pascal et Port-Royal, et Marin Louis, La critique du discours. Sur la Logique de Port-Royal et les Pensées de Pascal, p. 66 sq.

Contrairement au portrait, le tableau comporte toujours une composition des éléments picturaux qui vise à établir une harmonie d’ensemble. A fortiori, lorsqu’il prétend représenter une histoire, une légende ou une scène de genre, le peintre est conduit à construire une mise en scène, à disposer les uns par rapport aux autres les différents personnages, les éléments du décor, et à composer un équilibre d’ensemble de ces éléments. L’auteur d’un tableau se guide alors sur le rapport interne des parties du tableau ; dans ces conditions, la tentation vient naturellement d’ajouter des éléments supplémentaires pour créer un équilibre global des figures, quitte, comme dit Pascal, à ajouter des fausses fenêtres.

La même idée est présentée sous une autre forme dans le fragment Laf. 559, Sel. 466 : Langage. Ceux qui font les antithèses en forçant les mots sont comme ceux qui font de fausses fenêtres pour la symétrie. Leur règle n’est pas de parler juste mais de faire des figures justes.

Ces remarques expliquent en partie le jugement formulé dans le fragment. Le problème de la vérité de la représentation picturale est approfondi dans le fragment Vanité 27 (Laf. 40, Sel. 74) : Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses, dont on n’admire point les originaux ! L’équivalent dans l’ordre littéraire est évoqué dans le fragment Laf. 586, Sel. 486, Beauté poétique.

Il ne s’agit pas là d’une critique sans nuance. Sa connaissance des coniques a permis à Pascal de comprendre que la composition est nécessaire dans un tableau, car il doit obéir aux lois de la perspective, qui n’ont rien d’arbitraire ni de superflu :

Vanité 9 (Laf. 21, Sel. 55). Les tableaux vus de trop loin et de trop près. Et il n’y a qu’un point indivisible qui soit le véritable lieu. Les autres sont trop près, trop loin, trop haut ou trop bas. La perspective l’assigne dans l’art de la peinture. Mais dans la vérité et dans la morale, qui l’assignera ?

La symétrie des parties elle-même n’est pas nécessairement d’une volonté arbitraire de surcharge : elle est aussi liée à la nature et à la figure de l’homme (c’est-à-dire à la station verticale et à la disposition des yeux) :

Laf. 580, Sel. 482. Symétrie. En ce qu’on voit d’une vue. Fondée sur ce qu’il n’y a pas de raison de faire autrement. Et fondée aussi sur la figure de l’homme. D’où il arrive qu’on ne veut la symétrie qu’en largeur, non en hauteur, ni profondeur.

La symétrie qui n’est pas engendrée par la surcharge d’éléments inutiles, mais fondée sur ce qu’il n’y a pas de raison de faire autrement plaît naturellement.

Le mot tableau (tabella) a aussi dans le vocabulaire de la Generatio conisectionum un sens perspectif géométrique ; voir OC II, éd. J. Mesnard, Corollaire, p. 1112-1113.