Pensées diverses IV – Fragment n° 5 / 23 – Papier original : RO 193-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 154 p. 389-389 v° / C2 : p. 355-355 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janvier 1670 p. 233-234 /

1678 n° 16 p. 225-226

Éditions savantes : Faugère II, 236, XXXI / Michaut 422 / Brunschvicg 818 / Tourneur p. 115-1 / Le Guern 626 / Lafuma 735 (série XXVI) / Sellier 616

 

 

 

Ayant considéré d’où vient qu’il y a tant de faux miracles, de fausses révélations, sortilèges, etc., il m’a paru que la véritable cause est qu’il [y] en a de vrais. Car il ne serait pas possible qu’il y eût tant de faux miracles s’il n’y en avait de vrais, ni tant de fausses révélations s’il n’y en avait de vraies, ni tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. Car s’il n’y avait jamais eu de tout cela, il est comme impossible que les hommes se le fussent imaginé, et encore plus impossible que tant d’autres l’eussent cru. Mais comme il y a eu de très grandes choses véritables et qu’ainsi elles ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que presque tout le monde s’est rendu capable de croire aussi les fausses. Et ainsi, au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’y en a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais, et qu’il n’y a de même de fausses religions que parce qu’il y en a une vraie. L’objection à cela : que les sauvages ont une religion. Mais c’est qu’ils ont ouï parler de la véritable, comme il paraît par la croix de saint André, le Déluge, la circoncision, etc. Cela vient de ce que l’esprit de l’homme, se trouvant plié de ce côté‑là par la vérité, devient susceptible par là de toutes les faussetés de cette...

 

 

Le présent fragment est une ébauche du précédent (Laf. 734, Sel. 615). La comparaison des deux textes montre que lorsqu’il l’a composé, Pascal n’avait pas encore discerné tous les éléments, ni certaines étapes de sa démonstration.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Pensées diverses (Laf. 734, Sel. 615). D’où vient qu’on croit tant de menteurs qui disent qu’ils ont vu des miracles et qu’on ne croit aucun de ceux qui disent qu’ils ont des secrets pour rendre l’homme immortel ou pour rajeunir ? Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il y en a de vrais. Car il ne serait pas possible qu’il y en eût tant de faux et qu’on y donnât tant de créance s’il n’y en avait de véritables. Si jamais il n’y eût eu remède à aucun mal et que tous les maux eussent été incurables, il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner, et encore plus que tant d’autres eussent donné créance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir. De même que si un homme se vantait d’empêcher de mourir, personne ne le croirait parce qu’il n’y a aucun exemple de cela. Mais comme il y [a] eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables par la connaissance même des plus grands hommes, la créance des hommes s’est pliée par là. Et cela s’étant connu possible, on a conclu de là que cela était, car le peuple raisonne ordinairement ainsi : une chose est possible, donc elle est. Parce que la chose ne pouvant être niée en général puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple, qui ne peut pas discerner quels d’entre ces effets particuliers sont les véritables, les croit tous. De même ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer. Il en est de même des prophéties, des miracles, des divinations par les songes, des sortilèges, etc. Car si de tout cela il n’y avait jamais eu rien de véritable, on n’en aurait jamais rien cru et ainsi, au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles parce qu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a certainement de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’y en a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais. Il faut raisonner de la même sorte pour la religion car il ne serait pas possible que les hommes se fussent imaginé tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. L’objection à cela c’est que les sauvages ont une religion, mais on répond à cela que c’est qu’ils en ont ouï parler comme il paraît par le déluge, la circoncision, la croix de saint André, etc.

Pensées diverses (Laf. 744, Sel. 618). Lorsqu’on ne sait pas la vérité d’une chose il est bon qu’il y ait une erreur commune qui fixe l’esprit des hommes comme par exemple la lune à qui on attribue le changement des saisons, le progrès des maladies, etc., car la maladie principale de l’homme est la curiosité inquiète des choses qu’il ne peut savoir et il ne lui est pas si mauvais d’être dans l’erreur que dans cette curiosité inutile.

 

Mots-clés : Circoncision – Croix – Déluge – HommeImpossibleImpressionMiracleObjectionProphétieReligion – Sauvage – Sortilège – Vrai.