Preuves par discours II - Fragment n° 5 / 7 – Le papier original est perdu
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 35’ p. 221-221 v° / C2 : p. 433 v°-435
Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 119-121 / 1678 n° 7 p. 119-120
Éditions savantes : Faugère II, 318, XIV / Havet XVIII.12 / Brunschvicg 783 / Le Guern 404 / Lafuma 433 (série IV) / Sellier 685
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Bibliographie ✍
CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, 2, Paris, Champion, 2013. MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Genève, Slatkine, 1998 (rééd. de Paris, Presses Universitaires de France, 1966). SELLIER Philippe, “Le fondement prophétique”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 461-470. THIROUIN Laurent, “Pascal et la superstition”, in Lopez Denis, Mazouer Charles et Suire Éric, La religion des élites au XVIIe siècle, Biblio 17, 175, Tübingen, Gunter Narr Verlag, 2008, p. 237-256. |
✧ Éclaircissements
Philippe Sellier, Pascal et saint Augustin, p. 584 sq., compare ce texte avec un passage du Contre Fauste, XIII, 7, de saint Augustin, qui, pour convertir les païens, propose de recourir aux arguments suivants : l’autorité des prophètes, la réalisation de leurs prédictions, les persécutions, la conversion des peuples et des rois, la destruction de l’idolâtrie.
« Proinde constituite vobis aliquem catechizandum gentilem [...]. Si [...] dixerimus homini gentili, crede Christo, quia Deus est ; et responderit, Unde credo ? prolataque auctoritate Prophetarum, eis se non credere dixerit, quod illi Hebraei sint, ipse paganus ; ostendimus fidem Prophetarum ex iis quae ventura cecinerunt et venisse cernuntur. Credo enim quod eum non lateret, quantas a regibus huius saeculi persecutiones prius pertulerit christiana religio : aut si lateret, per ipsam historiam gentium et imperiales leges litteris memoriaeque mandatas, ei facile probaretur : quod cum tanto ante praedictum ex propheta cognosceret dicente : Utquid fremuerunt gentes, et populi meditati sunt inania ? Astiterunt reges terrae, et principes convenerunt in unum, adversus Dominum et adversum Christum ejus [...]. Dominus dixit ad me : Filius meus es tu, ego hodie genui te ; postula a me, et dabo tibi gentes haereditatem tuam, et possessionem tuam terminos terrae : quod genti Judaeorum in qua regnavit David, non esse concessum, Christi autem nomine longe lateque omnes gentes occupante, nemo dubitat esse completum. Credo moveretur, cum hinc et alia multa ex prophetis audiret, quae nunc persequi longum est. Videret etiam ipsos reges terrae Christi imperio iam salubriter subjugatos, omnesque gentes eidem servientes : et legeretur ei de psalmo tanto ante praedictum, Adorabunt eum omnes reges terrae, omnes gentes servient ei : totumque psalmum ipsum, qui figurate tamquam in Salomonem dicitur, si legere vellet, inveniret Christum vere regem pacificum ; hoc enim Salomonis nomen interpretatur [...]. Illum itidem psalmum, ubi Deus unctus a Deo dicitur, et utique Christus ipsa unctione declaratur, idemque Christus Deus apertissime ostenditur, cum Deus unctus insinuatur : si considerare vellet quae ibi de Christo, quae de ipsa Ecclesia dicta sunt, quae ibi quidem praedicta legeret, in orbe autem terrarum impleta conspiceret ; videret quoque ipsa simulacra gentium per Christi nomen sic perire de orbe terrarum idque ipsum a prophetis praedictum esse disceret [...]. Haec audiens de Scriptura prophetica, et cernens in universa terra, quid dicam quemadmodum moveretur ad fidem, quando et hoc rebus ipsis probamus, cum per prophetiam ante tempora conscriptam, et his temporibus impletam, corda fidelium sic firmari cognoscimus. »
Mais le présent fragment insiste surtout sur l’union des puissances hostiles à Jésus-Christ qui se sont liguées contre le christianisme. L’autre versant de l’argumentation d’Augustin est esquissé ou développé dans d’autres passages, comme Prophéties 1 (Laf. 323, Sel. 354) :
Ruine des Juifs et des païens par Jésus‑Christ.
Omnes gentes venient et adorabunt eum.
Parum est ut, etc. Is.
Postula a me...
Adorabunt eum omnes reges.
Alors Jésus‑Christ vient dire aux hommes qu’ils n’ont point d’autres ennemis qu’eux‑mêmes,
Une forme originale de l’idée que le moi est haïssable (Laf. 597, Sel. 494). La concupiscence qui domine le cœur de l’homme est le pire ennemi de l’homme.
Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des [ennemis], ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. Ceux qui croient que le bien de l’homme est en la chair et le mal en ce qui le détourne des plaisirs des sens qu’ils s’en soûlent et qu’ils y meurent.
Laf. 564, Sel. 471. La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes.
que ce sont leurs passions qui les séparent de Dieu,
Écho de A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). La véritable religion doit enseigner que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes.
Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680). Apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Jésus-Christ et les apôtres [...] ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit. Ils nous ont appris pour cela que les ennemis de l’homme sont ses passions, que le rédempteur serait spirituel et son règne spirituel, qu’il y aurait deux avènements, l’un de misère pour abaisser l’homme superbe, l’autre de gloire pour élever l’homme humilié, que Jésus-Christ serait Dieu et homme.
qu’il vient pour les détruire et pour leur donner sa grâce afin de faire d’eux tous une Église sainte.
Voir les Écrits sur la grâce et les premières Provinciales, qui exposent les idées de Pascal sur la grâce.
Qu’il vient ramener dans cette Église les païens et les Juifs, qu’il vient détruire les idoles des uns
Les païens adorent des idoles.
Voir Boulenger Abbé A., La doctrine catholique, IIe partie, La morale, § 178 sq., Paris et Lyon, Vitte, 1941, p. 40 sq. ; Bouyer L., Dictionnaire théologique, art. Idolâtrie, p. 311-313. Littéralement, le terme d’idolâtrie désigne un service cultuel et l’adoration rendues à des images : le terme est venu à désigner tout culte d’adoration rendu à la créature et non au créateur, auquel seul il est dû.
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, art. Idolâtrie, p. 544-545. Le fait d’honorer des « images gravées » dans le bois, la pierre ou quelque autre matière est interdit constamment dans l’Ancien Testament. C’est notamment le deuxième commandement reçu par Moïse. L’idolâtrie est considérée par les Juifs, avec l’inceste et le meurtre, comme l’un des trois péchés cardinaux, c’est-à-dire une action interdite même si la vie en dépend. Les Juifs ont transgressé ce commandement en différentes circonstances, dont la plus connue est l’épisode du veau d’or. L’interdiction de l’idolâtrie est prononcée en plusieurs endroits de l’Ancien Testament.
Le combat contre les idoles est porté par les prophètes d’Israël.
Exode, XX, 3-5. « Vous n’aurez point de dieux étrangers devant moi. 4. Vous ne ferez point d’image taillée, ni aucune figure de tout ce qui est en-haut dans le ciel, et en-bas sur la terre, ni de tout ce qui est dans les eaux et sous la terre. 5. Vous ne les adorerez point, et vous ne leur rendrez point le souverain culte, car je suis le Seigneur votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération, dans tous ceux qui me haïssent. »
Osée, IV, 12, compare l’idolâtrie à un adultère : « ils se sont prostitués aux idoles en quittant leur Dieu ».
Ézéchiel, XXX, 13. « Haec dicit Dominus Deus : Et disperdam simulacra, et cessare faciam idola de Memphis ; et dux de terra Aegypti non erit amplius ; et dabo terrorem in terra Aegypti » ; « Voici ce que dit le Seigneur notre Dieu : J’exterminerai les statues, et j’anéantirai les idoles de Memphis. Il n’y aura plus à l’avenir de prince du pays d’Égypte, et je répandrai la terreur dans toutes ses terres ».
Isaïe, II, 18. « Et idola penitus conterentur » ; « Et les idoles seront toutes réduites en poudre ».
Prophéties 2 (Laf. 324, Sel. 355). Qu’alors l’idolâtrie serait renversée, que ce Messie abattrait toutes les idoles et ferait entrer les hommes dans le culte du vrai Dieu. Que les temples des idoles seraient abattus et que parmi toutes les nations et en tous les lieux du monde lui serait offerte une hostie pure, non point des animaux.
Prophéties 4 (Laf. 324, Sel. 357). Qu’il serait roi des Juifs et des Gentils, et voilà ce roi des Juifs et des gentils opprimé par les uns et les autres qui conspirent à sa mort dominant des uns et des autres, et détruisant et le culte de Moïse dans Jérusalem, qui en était le centre, dont il fait sa première Église et le culte des idoles dans Rome qui en était le centre et dont il fait sa principale Église.
L’idolâtrie s’est répandue dans le peuple juif à certaines époques, notamment lors du schisme qui a séparé le royaume de Juda du royaume d’Israël, où le roi Jéroboam avait placé dans le sanctuaire des idoles représentant des taureaux. La tragédie de Racine Athalie pose le problème de la fidélité des Juifs à leur Dieu dans une période où Jérusalem est dominée par une reine étrangère.
L’extension du christianisme au monde païen est présentée comme un établissement « au centre de l’idolâtrie ». Voir (Laf. 609, Sel. 504). Prophéties. Transfixerunt. Zach. 12. 10. Qu’il devait venir un libérateur qui écraserait la tête au démon, qui devait délivrer son peuple de ses péchés, ex omnibus iniquitatibus. Qu’il devait y avoir un nouveau testament qui serait éternel, qu’il devait y avoir une autre prêtrise selon l’ordre de Melchisédech, que celle‑là serait éternelle, que le Christ devait être glorieux, puissant, fort, et néanmoins si misérable, qu’il ne serait point reconnu, qu’on ne le prendrait point pour ce qu’il est, qu’on le rebuterait, qu’on le tuerait, que son peuple qui l’aurait renié ne serait plus son peuple, que les idolâtres le recevraient et auraient recours à lui, qu’il quitterait Sion pour régner au centre de l’idolâtrie, que néanmoins les Juifs subsisteraient toujours, qu’il devait être de Juda quand il n’y aurait plus de roi.
Sur la conception pascalienne de l’idolâtrie, voir Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 160 sq.
Lettre de Blaise et Jacqueline à Gilberte du 1er avril 1648, OC II, p. 582-583. Caractère horrible de l’idolâtrie, qui consiste à rendre à la créature l’honneur qui n’est dû qu’au créateur : « il n’y a point de crime qui lui soit plus injurieux ni plus détestable que d’aimer souverainement les créatures, quoiqu’elles le représentent ».
Voir la Pensée n° 12M (Laf. 926, Sel. 755),. On se fait une idole de la vérité même, car la vérité hors de la charité n’est pas Dieu, et est son image et une idole qu’il ne faut point aimer ni adorer, et encore moins faut‑il aimer ou adorer son contraire, qui est le mensonge.
Ferreyrolles Gérard, Les reines du monde, p. 181 sq., sur l’imagination et la construction des idoles. ✍
et la superstition des autres.
Il faut ainsi rattacher l’idolâtrie à ce que Pascal écrit de la superstition dans la liasse Soumission et usage de la raison, notamment dans le fragment Soumission 22 (Laf. 187, Sel. 219). La soumission aux idoles est une forme d’asservissement de l’homme à ce qui lui est inférieur en nature.
Plus fondamentalement que l’idolâtrie, à laquelle le peuple Juif est censé n’avoir cédé qu’à certaines époques de son histoire, la superstition est un vice qui affecte sa mentalité même. Dans le cas présent, il ne s’agit pas seulement de la superstition en général, mais de celle qui est spécifique aux Juifs, c’est-à-dire le caractère formaliste de leur religion et leur attachement aux cérémonies.
Sur la superstition, voir Soumission 15 (Laf. 181, Sel. 212).
Thirouin Laurent, “Pascal et la superstition”, in Lopez Denis, Mazouer Charles et Suire Éric, La religion des élites au XVIIe siècle, p. 237-256.
À cela s’opposent tous les hommes, non seulement par l’opposition naturelle de la concupiscence, mais par‑dessus tout les rois de la terre s’unissent pour abolir cette religion naissante comme cela avait été prédit.
Texte directement inspiré par le Psaume II cité en marge.
Prophétie : Quare fremuerunt gentes... Reges terrae... adversus Christum.
Sur l’usage que Pascal fait des Psaumes, voir Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 53 sq.
Pascal cite le Psaume II en même sens dans le fragment Prophéties V (Laf. 488, Sel. 734) : que les rois s’armeraient contre lui. Psaume 2.
Proph[étie] : Quare fremuerunt gentes. Reges terrae adversus Christum : tout cela est écrit en marge de gauche ; les différentes parties sont séparées par des traits. Psaume II, 1 sq. Ces citations sont liées à l’idée que les rois de la terre se sont unis pour abolir la religion naissante. La note correspond au second paragraphe, pour lequel elle fournit la référence biblique.
Psaumes, II. 1. « Quare fremuerunt gentes et populi meditati sunt inania 2. adstiterunt reges terrae et principes convenerunt in unum adversus Dominum et adversus christum eius. » Tr : « Pourquoi ce tumulte parmi les nations, Ces vaines pensées parmi les peuples ? 2. Pourquoi les rois de la terre se soulèvent-ils Et les princes se liguent-ils avec eux Contre l’Éternel et contre son oint ? »
Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Après que saint Pierre et saint Jean eurent été emprisonnés pour avoir prêché avec grande force la gloire de Jésus-Christ et la résurrection des morts [Act. c. 4], et qu’ayant ensuite été mis en liberté, ils eurent raconté à leurs frères tout ce que les princes des prêtres et les sénateurs leur avaient dit, il est marqué dans les Actes, qu’élevant alors tous ensemble leur voix à Dieu dans l’union d’un même esprit, ils lui dirent : C’est vous, Seigneur, qui avez dit par le Saint-Esprit parlant par la bouche de notre père David votre serviteur : Pourquoi les nations se sont-elles soulevées avec un grand bruit, et les peuples ont-ils formé de vains desseins ? Les rois de la terre se sont élevés, et les princes se sont assemblés contre le Seigneur, et contre son Christ et son Oint. Car nous voyons véritablement qu’Hérode et Ponce Pilate avec les Gentils et le peuple d’Israël, se sont unis ensemble contre votre saint Fils Jésus que vous avez consacré par votre sainte onction. On vit donc au commencement de l’Église l’accomplissement de cette prophétie du roi David, à qui l’esprit saint fit voir si longtemps devant ce qui arriva alors. Les peuples conspirèrent avec les princes contre Jésus-Christ. Ils formèrent de vains projets pour empêcher l’établissement de son royaume, de sa vérité et de sa justice. Ils voulurent rompre les liens sacrés par lesquels il les voulait attacher à son service. Et ce qu’on vit arriver alors arrive encore tous les jours. On veut souvent s’opposer aux desseins de Dieu. On s’efforce de se soustraire à ses lois divines ; et on voudrait même quelquefois étouffer sa vérité, pour ne pas entendre une voix qui nous condamne, et qui paraît trop sévère ».
Le commentaire du chapitre IV des Actes des apôtres explique l’état d’esprit des apôtres à l’égard de la réalisation de cette prophétie : 25. « Qui Spiritu Sancto per os patris nostri David, pueri tui, dixisti : Quare fremuerunt gentes, et populi meditati sunt inania ? 26. Adstiterunt reges terrae, et principes convenerunt in unum, adversus Dominum et adversus Christum ejus 27. Convenerunt enim vere in civitate ista adversus sanctum puerum tuum Jesum quem unxisti, Herodes et Pontius Pilatus, cum Gentibus et populis Israel. » Trad. : « [C’est vous] qui avez dit par le saint Esprit, parlant par la bouche de notre père David votre serviteur : Pourquoi les nations se sont-elles soulevées avec un grand bruit, et les peuples ont-ils formé de vains desseins ? 26. Les rois de la terre se sont élevés, et les princes se sont unis ensemble contre le Seigneur et contre son Christ » (tr. de Port-Royal). Les versets 27-28 font l’application : « Car Hérode et Ponce Pilate avec les Gentils et le peuple d’Israël, se sont vraiment unis ensemble contre votre saint Fils Jésus, que vous avez consacré par votre onction 28. pour faire tout ce que votre puissance et votre conseil avaient ordonné devoir être fait. » La référence aux Psaumes est donnée en marge.
Tout ce qu’il y a de grand sur la terre s’unit : les savants, les sages, les rois. Les uns écrivent, les autres condamnent, les autres tuent.
La référence aux Actes des apôtres permet de comprendre le sens précis de la formule sur les rois et les grands.
Savants et sages sont des ajouts par rapport aux textes scripturaires auxquels Pascal se réfère : seuls les rois y sont mentionnés. Pascal passe en revanche les Romains sous silence.
Savants, sages et rois semblent correspondre aux trois ordres de Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), esprit, sagesse et corps. Mais l’identification n’est pas évidente dans le détail. Ces sages sont dotés d’une fausse sagesse ; les savants sont attachés à la connaissance de la Loi d’une manière purement érudite, mais sans qu’ils en sentent l’esprit ; enfin les rois qui usent de leur puissance pour tuer contreviennent au principe formulé par saint Thomas, que Pascal cite dans le fragment (Laf. 797, Sel. 650) : Le propre de la puissance est de protéger. Voir sur ce point les Trois discours sur la condition des Grands.
Les savants sont définis par le fait qu’ils écrivent. Pour Israël, ce sont les scribes. Voir le Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, articles Scribes, Paris, Cerf, 1993, p. 1034 sq. Les scribes sont experts du texte de la Bible, dont ils ont pour mission d’assurer une transmission exacte, et de la tradition orale. Leur autorité s’est surtout manifestée dans la période du retour d’exil à Babylone. Les sages du Talmud ont souligné l’importance de leurs travaux.
Migne (éd.), Dictionnaire de théologie dogmatique, t. 4, Encyclopédie théologique, t. 35, 2e partie. Article Scribe : nom commun dans l’Écriture, qui a différentes significations. Il se prend pour un écrivain ou un secrétaire, emploi considérable dans la cour des rois de Juda. Il désigne parfois un commissaire d’armée, chargé de faire la revue et le dénombrement des troupes. Le plus souvent, il signifie un homme habile, docteur de la loi, dont le ministère était de copier et d’expliquer les livres saints. Quelques-uns placent l’origine de ces scribes sous Moïse, d’autres sous David. Ces docteurs étaient fort estimés des Juifs ; ils tenaient le même rang que les prêtres et les sacrificateurs, quoique leurs fonctions fussent différentes. Les Juifs en distinguaient trois espèces : les scribes de la loi, dont les décisions étaient reçues avec le plus grand respect ; les scribes du peuple, qui étaient des magistrats ; enfin les scribes communs, qui étaient des notaires publics ou des secrétaires du sanhédrin. Ils ne formaient pas une secte, mais il semble que, comme à l’époque du Christ, toute la science consistait principalement dans les traditions pharisiennes et dans leur usage pour expliquer l’Écriture, le plus grand nombre des scribes étaient des pharisiens. On les voit presque toujours associés dans les Évangiles.
Les sages sont définis par le fait qu’ils condamnent. Au sens propre, sages est le titre donné à l’origine aux docteurs de la Bible, pendant les périodes antérieure et contemporaine de la Mischna puis du Talmud. Les sages assurèrent la direction spirituelle du peuple juif à l’époque où la nation passa du fondement d’un pouvoir temporel à un foyer spirituel, après la perte de la souveraineté et la destruction du Temple. Le mot n’est pas à prendre dans ce sens strict. Dans le cas de la condamnation du Christ, qui est antérieure à la destruction du Temple, le mot doit s’entendre plus largement des docteurs de la loi, des autorités religieuses, c’est-à-dire des prêtres.
Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, articles Prêtres et Prêtrise, Paris, Cerf, 1993, p. 898 sq. et 904 sq., qui exposent l’évolution des attributions politiques des grands prêtres, notamment p. 905 sq., dans la période qui va de l’époque hellénistique à la chute du Temple.
Les rois sont définis par le fait qu’ils tuent. Les rois qui usent de leur puissance pour tuer contreviennent au principe formulé par Pascal dans le fragment (Laf. 797, Sel. 650) : Le propre de la puissance est de protéger. Voir sur ce point les Trois discours sur la condition des Grands.
Et nonobstant toutes ces oppositions, ces gens simples et sans force résistent à toutes ces puissances et se soumettent même ces rois, ces savants, ces sages, et ôtent l’idolâtrie de toute la terre. Et tout cela se fait par la force qui l’avait prédit.
Gens simples : les faiblesses des apôtres sont soulignées dans la préface des Actes des apôtres dans le Nouveau Testament de Mons. « Qui aurait jamais pu s’imaginer que les apôtres qui étaient si faibles et si imparfaits seraient devenus tels qu’ils nous sont ici dépeints ? Peut-on dire que ce soient les mêmes hommes que l’Évangile et les Actes nous représentent ? Jésus-Christ les avait pris à sa suite tels qu’il avait voulu les choisir ; c’étaient de pauvres pécheurs et de pauvres artisans qui gagnaient leur vie du travail de leurs mains ; il avait supporté leur rudesse et leur grossièreté pendant trois ans avec beaucoup de patience, en les instruisant peu à peu des mystères de la religion ; il leur répétait souvent les mêmes choses sans qu’ils les comprissent bien : il leur prédit sa mort plusieurs fois, et cependant ils ne le comprirent point. Ce discours était caché pour eux et ils n’entendaient point ce qu’il leur disait, dit l’évangéliste. Il témoigne lui-même qu’il avait bien des choses à leur dire qu’ils n’étaient pas encore capables de concevoir, et l’on voit assez par les demandes et les réponses qu’ils faisaient à notre Seigneur même dans son dernier discours après la Cène qu’ils ne comprenaient guère les choses dont il les entretenait ». D’autre part, « les apôtres n’étaient pas seulement grossiers et ignorants, ils étaient encore faibles et timides ». C’est « quand ils eurent reçu le Saint-Esprit », qu’ils « parurent tout d’un coup remplis de lumière et de connaissance, ce qui causa un si grand étonnement parmi tous ceux qui les entendaient parler qu’ils en étaient tout hors d’eux-mêmes et ne pouvaient comprendre ce qu’ils voyaient, sachant d’ailleurs que c’étaient des hommes sans lettres, et du commun du peuple ». La suite de ce passage insiste sur le surprenant mélange de force et de douceur qui caractérise les apôtres face aux autorités religieuses et politiques qui les menaçaient. Voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique au siècle de Louis XIV. La Bible de Port-Royal, 2, p. 711-712.
Prophéties 17 (Laf. 338, Sel. 370). Prédictions. [...] Ce que Platon n’a pu persuader à quelque peu d’hommes choisis et si instruits une force secrète le persuade à cent milliers d’hommes ignorants, par la vertu de peu de paroles.
Par la force : Port-Royal donne par la force de cette parole. Selon Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 25, Pascal veut dire en général la force de Dieu. Il semble qu’il traduise ces mots du chapitre d’Ézéchiel XVII, Ego Dominus locutus sum et feci.
Havet, éd. Pensées, II, Delagrave, 1866, p. 34, remarque que la merveille de l’établissement du christianisme a été exposée par Balzac dans le Socrate chrétien, Discours I, De Jésus Christ, et de sa doctrine, et III, De la religion chrétienne, et de ses premiers commencements, mais avec moins de vigueur et de passion. En fait, Pascal s’inspire plutôt d’auteurs moins profanes ; voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 594 sq.
Voir Simon M. et Benoit A., Le judaïsme et le christianisme antique, Paris, P. U. F., 1968, IIe partie, ch. III, L’expansion chrétienne, et les ch. IV et V sur les oppositions qu’elle a rencontrées.