Fragment Loi figurative n° 27 / 31 – Papier original : RO 31-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 313 p. 137 / C2 : p. 164-165
Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la Loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 102-103 / 1678 n° 15 p. 103
Éditions savantes : Faugère II, 258, XXIII / Havet XVI.12 / Brunschvicg 687 / Tourneur p. 265-2 / Le Guern 255 / Lafuma 272 / Sellier 303
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989. IFRAH Georges, Histoire universelle des chiffres, coll. Bouquins, I, Paris, Robert Laffont, 1994. JUNGO Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie, Paris, D’Artrey, sd. MERSENNE Marin, Correspondance du P. Marin Mersenne, I, Paris, Presses Universitaires de France, 1945. MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 426-453. MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 165 sq. RICŒUR Paul, La métaphore vive, Paris, Seuil, 1975. SCHOLEM Gershom G., La kabbale et sa symbolique, Paris, Payot, 1975. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 390 sq. |
✧ Éclaircissements
Figures.
Voir sur les figures notre commentaire sur la liasse Loi figurative.
Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989. ✍
Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 615 sq. ✍
Quand la parole de Dieu, qui est véritable, est fausse littéralement, elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement.
Psaume 109, 1. « Le Seigneur a dit à mon Seigneur : Asseyez-vous à ma droite ». Voir plus bas l’usage qu’Étienne Pascal fait de cette formule dans sa lettre au P. Noël, OC II, éd. J. Mesnard, p. 595.
Suivant Ph. Sellier, la préface du Pugio fidei porte que saint Augustin, dans son livre Contra mendacium, 10, observe que, ce qui dans la sainte Écriture est faux littéralement, est très vrai en tant que figure des mystères. On y trouve en effet une formule comme celle-ci : « Cum enim quae significantur, non utique non sunt in veritate, sed sunt seu praeterita, seu praesentia, seu futura ; procul dubio vera significatio est, nullumque mendacium ». Mais la perspective est assez différente de celle de Pascal, qui parle de fausseté, et non de mendacium (mensonge).
Chez Pascal, l’idée prend la forme d’un raisonnement quasi géométrique :
La parole de Dieu est parfois fausse littéralement
Or Dieu ne dit jamais le faux.
Donc la parole de Dieu est vraie.
Pour lever la contradiction, on introduit la différence entre littéral et spirituel, étant entendu qu’il n’y a pas de terme tiers.
La parole de Dieu peut être littérale ou figurative.
La parole de Dieu est parfois fausse littéralement.
Or elle est par définition vraie.
Donc elle est alors vraie spirituellement.
Noter que Pascal considère implicitement comme équivalents littéral et charnel, et figuré et spirituel.
En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite, Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.
Ce passage fait écho à la Lettre d’Étienne Pascal au P. Noël, d’avril 1648, OC II, p. 595, sur la nécessité des figures. L’Écriture est « toute remplie » d’expressions métaphoriques, « parce que les divins mystères nous étant tellement inconnus que nous n’en savons pas seulement les véritables noms, nous sommes obligés d’user de termes métaphoriques pour les exprimer ; c’est ainsi que l’Église dit que le Fils est assis à la dextre de son Père ; que l’Écriture se sert si souvent du mot de Royaume des cieux ; [...] mais en toutes ces métaphores ; il est très certain que tous ces termes métaphoriques sont les symboles et les images des choses que nous voulons signifier, et dont nous ignorons les véritables noms ». Blaise utilise dans Loi figurative 27 l’exemple du sede a dextris meis, invoqué par son père dix ans plus tôt.
L’idée repose sur le principe que l’on trouve formulé par exemple chez François de Sales, Traité de l’amour de Dieu, II, 1, Œuvres, Pléiade, p. 410 sq. Seul Dieu peut se donner un nom qui lui soit proportionné. Il est donc nécessaire de substituer aux termes qui pourraient désigner proprement les choses de Dieu des termes figuratifs. L’idée que l’on recourt à la métaphore pour combler un vide sémantique se trouve déjà chez Aristote : voir Ricœur Paul, La métaphore vive, p. 25 et 29.
Nicole Pierre, La perpétuité de la foi de l’Église catholique touchant l’eucharistie, Paris, Savreux, 1672, p. 191. Le recours aux figures. « Quand une même chose se peut aussi facilement exprimer naturellement que métaphoriquement, les expressions naturelles et simples sont pour l’ordinaire infiniment plus fréquentes que celles qui sont métaphoriques : d’où il arrive que les expressions simples formant l’idée distincte de la vérité, servent à y réduire les métaphoriques. Je dis quand elle se peut aussi facilement exprimer. Car il y a des choses qui sont tellement au-dessus de l’esprit humain, qu’on ne peut guère faire entendre qu’en se servant de métaphores prises de choses plus basses et plus proportionnées à l’esprit humain ».
D’autre part, l’existence des figures s’explique, selon Pascal, par la volonté de Dieu de n’être accessible qu’aux cœurs purs. Voir Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”. Raisons de l’expression figurative : l’indignité du peuple juif (Loi figurative 25 - Laf. 270, Sel. 301), le fait que Dieu voulait réserver ces connaissances à ceux qui ont le cœur pur, qui percent d’eux-mêmes le voile de la lettre (Prophéties VIII - Laf. 502, Sel. 738).
Pour comparer l’inspiration et la méthode de Pascal à celle de saint Augustin, voir les analyses très claires de Philippe Sellier, Pascal et saint Augustin, p. 390 sq.
Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Bibliothèque augustinienne, Œuvres, t. 48, p. 40. Les mots et les concepts tirés de notre expérience ne peuvent s’appliquer à Dieu exactement : « les Écritures ont coutume », selon saint Augustin, « de transférer aux choses divines les mots dont nous nous servons pour les choses humaines ». Il faut donc, pour retrouver le sens de l’Écriture, purifier le langage de ce qu’il a d’inévitablement anthropologique. Chercher le sens littéral, c’est opérer cet effort de réflexion qui préserve de dire de Dieu des choses qui en sont indignes ou qui risquent de faire méconnaître son mystère. Voir IV, VIII, 15, p. 299 sq. Il faut écarter l’anthropomorphisme dans l’interprétation du texte de la Genèse, à propos du repos de Dieu au septième jour. « N’est-il pas en effet inacceptable de dire ou de croire que Dieu s’est fatigué au travail, lors des créations [...], quand il lui suffit de dire pour que les choses soient ? » Voir aussi p. 639 sq., la note sur le repos du septième jour. Augustin ne se contente pas d’une interprétation indirecte et figurée : il recherche ce que peut signifier un repos de Dieu en lui-même, d’abord par rapport à la créature, (Dieu se repose de ses œuvres parce qu’il ne crée pas de genres nouveaux, mais continue d’agir en gouvernant le développement des genres créés durant les six jours), puis en lui-même (si le Seigneur sanctifie le jour de son repos et ne sanctifie aucun des autres jours, c’est comme pour signifier que, même en lui, le repos vaut plus que l’action) : p. 640-641. Cela conduit Augustin à rechercher ce qu’est le repos en Dieu en suivant la voie de l’analogie à partir de l’expérience humaine ; le repos en Dieu est son essence même, son absolvité, comme souverain bien ; par suite, l’homme est censé comprendre qu’il ne peut pas, lui, trouver son repos en lui-même, mais qu’il ne peut le trouver qu’en Dieu, qui est le Bien immuable : p. 642. L’intérêt de cette démarche consiste en ce qu’elle tente de comprendre en notions propres à Dieu ce que disent des paroles où il est parlé de Dieu à la manière des hommes.
De cette thèse, que, les choses de Dieu étant inaccessibles aux hommes, les figures servent à les désigner en comblant le vide sémantique, Pascal donne la théorie dans le fragment sur les trois ordres, Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), dans lequel il montre que les réalités des ordres supérieurs peuvent être figurées par celles des ordres inférieurs, qui en donnent ainsi une idée aux esprits incapables de saisir des réalités qui les dépassent :
Les grands génies ont leur empire, leur éclat, leur grandeur, leur victoire et leur lustre, et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles où elles n’ont pas de rapport. Ils sont vus, non des yeux mais des esprits. C’est assez.
Les saints ont leur empire, leur éclat, leur victoire, leur lustre et n’ont nul besoin des grandeurs charnelles ou spirituelles, où elles n’ont nul rapport, car elles n’y ajoutent ni ôtent. Ils sont vus de Dieu et des anges et non des corps ni des esprits curieux. Dieu leur suffit.
Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal” : On trouve une esquisse chez Jean Boucher, Les triomphes de la religion chrétienne, sur le double sens des Écritures, de la nécessité d’accorder les passages contraires. Boucher admet que certaines expressions ne conviennent pas à Dieu, mais que si l’on sépare « l’impur et le défaut » qui entache les mots humains, pour en « reconnaître la seule pureté en sa majesté divine », on peut « attribuer à Dieu les perfections humaines ». « Si nous voulons lui attribuer la science, retranchons le discours, et la ratiocination qui sont des marques de notre imperfection, et lui rendons l’honneur d’une pure et simple connaissance. Lui attribuant la miséricorde, retranchons cette mollesse efféminée, et attendrissement du cœur qui sont des défauts très notables, et reconnaissons en lui une grande clémence et pure volonté de nous secourir puissamment en nos calamités et misères. Voulez-vous lui attribuer la justice vengeresse qu’on appelle ire ou colère ? Levez de là ce transport d’esprit, ce trouble de raison, cette agitation violente qui tyrannise les âmes de ceux qui sont esclaves de cette passion furieuse, et reconnaissez seulement en Dieu un jugement tranquille, par lequel il taxe et ordonne les supplices et les châtiments aux criminels selon leurs démérites, et cela s’appellera sa justice ou son ire [...]. C’est donc à faire à un homme très ignorant et très fol de confondre les choses divines avec les humaines, s’imaginant que les passions que l’Écriture sainte attribue à Dieu métaphoriquement, se trouvent en lui en la même forme, et posture qu’elles sont dans la condition corruptible de l’homme. Il faut distinguer les substances et natures de Dieu et de l’homme, et leur attribuer des propriétés et qualités différentes selon la diversité de leurs propriétés naturelles, encore que plusieurs noms, épithètes et titre soient communs à l’un et à l’autre. Or il y a autant de différence entre l’Esprit de Dieu et celui de l’homme, et entre les actions spirituelles de l’un et de l’autre ». Boucher termine sur l’idée que la connaissance de Dieu par l’homme est relative aux facultés de l’homme : « par la connaissance que nous avons de Dieu, nous ne lui donnons pas les manières par lesquelles nous le connaissons : c’est-à-dire, nous ne le connaissons pas tel qu’il est, mais tel que notre esprit le peut connaître : et partant si nous le connaissons par le moyen de diverses passions, et par les membres corporels, il ne s’ensuit pas qu’il soit en effet corporel, ni qu’il soit sujet aux passions des hommes ».
Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, p. 102. Comparaison de la pensée de Pascal avec celle de saint Thomas sur la nature du symbolisme figuratif. L’ambiguïté constitutive de ce système est résolue chez saint Thomas par la généralisation du symbolisme propositionnel, et chez Pascal par la généralisation du symbolisme lexical.
Meyer Louis, La philosophie interprète de l’Écriture sainte, éd. J. Lagrée et P.-F. Moreau, Paris, Intertextes, 1988, p. 118 sq. L’usage d’expressions anthropomorphiques implique la nécessité de trouver un sens theoprepos, digne de Dieu : p. 119. C’est selon Meyer la Nature et la Philosophie qui enseignent ce qui est tel.
Pascal a esquissé un argument analogue, mais dans un esprit tout différent, car ce n’est évidemment pas pour lui la philosophie qui permet de savoir ce qu’est un sens theoprepos : voir Prophéties VIII (Laf. 501, Sel. 737). Figures. Pour montrer que l’Ancien Testament est - n’est que - figuratif et que les prophètes entendaient par les biens temporels d’autres biens. C’est 1° que cela serait indigne de Dieu ; 2° que leurs discours expriment très clairement la promesse des biens temporels et qu’ils disent néanmoins que leurs discours sont obscurs, et que leur sens ne sera point entendu. D’où il paraît que ce sens secret n’était point celui qu’ils exprimaient à découvert et que par conséquent ils entendaient parler d’autres sacrifices, d’un autre libérateur etc. Ils disent qu’on ne l’entendra qu’à la fin des temps.
Ainsi quand il dit : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse, c’est‑à‑dire la même intention qu’aurait un homme qui, agréant vos parfums, vous donnerait en récompense une terre grasse. Dieu aura la même intention pour vous parce que vous avez eu pour lu[i la] même intention qu’un homme a pour celui à qui il donne des parfums.
Pascal invoque ici un exemple qui fait sans doute écho à Lettre sur la mort de son père, OC II, p. 854. Odoratus est Dominus suavitatem... ; référence à Genèse, VIII, 21 : « Le Seigneur en reçut une odeur qui lui fut très agréable » (tr. Sacy). Voir le commentaire du sens littéral : « Dieu n’agit point par les sens comme les hommes, puisqu’il est un pur Esprit ; mais l’Écriture nous marque par cette expression d’autant plus proportionnée à vous, qu’elle est plus sensible, que la reconnaissance et l’action de grâce d’un homme humble et juste n’a pu être que très agréable à Dieu ». Commentaire sur le sens spirituel : « L’odeur des victimes brûlées est très désagréable aux sens, comme remarque Theodoret [Theodor. quaest. 53]. Elle n’a donc pas pu plaire à Dieu, qui d’ailleurs n’a point de corps, et qui ne peut être touché de tout ce qui est sensible et extérieur. Mais comme il a déjà été marqué au sacrifice d’Abel, Dieu reçut agréablement cet holocauste de Noé, comme le signe visible de l’adoration et de la soumission invisible avec laquelle cet homme de Dieu lui sacrifiait tout son cœur et tout son esprit, étant pénétré d’une profonde reconnaissance, de ce qu’au même temps qu’il venait d’exercer une si terrible vengeance sur tous les hommes criminels, il l’avait choisi lui seul avec sa famille, pour survivre au monde ancien, et pour devenir le principe d’un monde nouveau. »
Voir sur la terre promise, ou terre de Canaan (ou Chanaan), l’article Terre de Canaan du Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, qui donne les indications essentielles : appellation usuelle depuis le temps des patriarches pour désigner la terre d’Israël. La promesse de Dieu de donner à la descendance d’Abraham « tout le pays de Canaan » est répétée dans Genèse, XVII, 8 (« 8. Je vous donnerai, à vous et à votre race, la terre où vous demeurez maintenant comme étranger, tout le pays de Chanaan, afin que vos descendants le possèdent pour jamais ; et je serai leur Dieu »), Nombres, XXXIV, 2 sq., et Psaumes CV, 11.
Voir Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Si la terre promise était le véritable lieu de repos ?
Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.
Loi figurative 30 (Laf. 275, Sel. 306). L’objet de Dieu n’était pas de sauver du déluge, et de faire naître tout un peuple d’Abraham pour nous introduire que dans une terre grasse.
La terre promise n’était donc que la figure du repos tout spirituel auquel les élus sont appelés en paradis.
Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des ennemis, ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse.
L’expression terre grasse renvoie aux paroles de bénédiction prononcées par Isaac à l’adresse de Jacob : Genèse, XVII, 28, « Det tibi Deus de rore caeli, et de pinguedine terrae, abundantiam frumenti et vini », « Que Dieu vous donne une abondance de blé et de vin, de la rosée du ciel, et de la graisse de la terre ». Le commentaire de Sacy suit saint Augustin, Cité de Dieu, XXVI, c. 37, qui propose l’interprétation spirituelle : « Il lui souhaite la rosée du ciel, pour marquer cette pluie spirituelle de la parole divine qui ne tombe que sur l’Église. Il lui désire la graisse de la terre, pour montrer que l’Église est cette mère féconde dont les enfants se sont multipliés jusques aux extrémités du monde. Il y joint l’abondance du blé et du vin, parce que le lien de tous ces peuples est le corps même de Jésus-Christ qu’il donne à tous ses membres dans son sacrement sous les espèces du pain et du vin ».
Ainsi iratus est,
Isaïe, V, 25. « 25. C’est pour cela que la fureur du Seigneur s’est allumée contre son peuple, qu’il a étendu sa main sur lui, et qu’il l’a frappé de plaies que les montagnes ont été ébranlées, et que leurs cadavres ont été jetés comme de l’ordure au milieu des places publiques. Et néanmoins après tous ces maux sa fureur n’est point encore apaisée, et son bras est toujours levé. »
Saint Thomas d’Aquin, Somme contre les Gentils, I, ch. 91, § 16, éd. Michon, Garnier-Flammarion, p. 356. « Dieu est parfois dit en colère, dans la mesure où il veut, dans l’ordre de sa sagesse, punir quelqu’un ».
Mersenne Marin, L’impiété des déistes, I, ch. XIV, éd. D. Descotes, Paris, Champion, p. 214. « L’ire de Dieu n’est autre chose que l’aversion qu’il a du mal, comme d’un dérèglement, et d’une abolition de l’ordre, qu’il a établi. »
Dieu jaloux, etc.
Exode, XX, 5. « Vous ne les adorerez point [sc. les idoles], et vous ne leur rendrez point le culte souverain, car je suis le Seigneur, votre Dieu, le Dieu fort et jaloux, qui venge l’iniquité des pères sur les enfants jusqu’à la troisième et quatrième génération, dans tous ceux qui me haïssent. »
Car les choses de Dieu étant inexprimables, elles ne peuvent être dites autrement et l’Église aujourd’hui en use encore,
Voir plus haut le passage de la lettre d’Étienne Pascal au P. Noël, d’avril 1648, OC II, p. 595, sur la nécessité des figures. L’Écriture est « toute remplie » d’expressions métaphoriques, « parce que les divins mystères nous étant tellement inconnus que nous n’en savons pas seulement les véritables noms, nous sommes obligé d’user de termes métaphoriques pour les exprimer ».
Selon Jungo Michel, Le vocabulaire de Pascal étudié dans les fragments pour une apologie, Paris, D’Artrey, sd., p. 54, inexprimable est un mot encore rare au XVIIe siècle selon Jungo. Le mot se trouve pourtant dans Furetière.
quia confortavit seras, etc.
Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 8. Psaumes, CXLVII, 13 (dans la Bible de Port-Royal, le Psaume est coupé en deux, est le second, et le verset cité est le v. 2 : « quoniam confortavit seras portarum tuarum benedixit filiis tuis in te », « [Dieu] a fortifié tes portes » (sc. de Jérusalem). Il y a dans la Vulgate quoniam. Commentaire : « le Prophète en parlant à Jérusalem, portait sa vue jusqu’à l’Église de Jésus-Christ, qu’elle figurait ; et il lui dit, selon un grand saint [Chrysost.] : Loue, ô cité sainte, le Seigneur ton Dieu, parce qu’il t’a fortifiée, non avec des portes et des ferrures, mais par la vertu toute-puissante de sa croix, lorsqu’il t’a rendu invincible à toutes les portes et à toutes les puissances de l’enfer ; et que les princes et les peuples avec les démons s’étant joints ensemble pour t’accabler, tous leurs efforts n’ont pu te nuire ». Ce psaume se chante à l’office du mercredi à Laudes.
-------
Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé. Il n’est pas dit que les צ et les ח deficientes signifieraient des mystères. Il n’est donc pas permis de le dire.
La portée de cette remarque est expliquée dans le fragment Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Dieu, pour rendre le Messie connaissable aux bons et méconnaissable aux méchants l’a fait prédire en cette sorte, si la manière du Messie eût été prédite clairement il n’y eût point eu d’obscurité même pour les méchants.
Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons (car la bonté de leur cœur)ne leur eût pas fait entendre que par exemple le ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures.
Par ce moyen les méchants prenant les biens promis pour matériels s’égarent malgré le temps prédit clairement et les bons ne s’égarent pas.
Car l’intelligence des biens promis dépend du cœur qui appelle bien ce qu’il aime, mais l’intelligence du temps promis ne dépend point du cœur. Et ainsi la prédiction claire du temps et obscure des biens ne déçoit que les seuls méchants.
Pascal fait allusion aux pratiques des rabbins et des cabalistes, qui considèrent que tout dans l’Écriture, jusqu’aux lettres et à la ponctuation, contient des secrets qu’il appartient aux fidèles de déchiffrer. Cette idée se trouve chez Blaise de Vigenère, Traité des chiffres, f. 37 rv. « Les figures des lettres Hebraïques ont signifiance. [...] Ce n’est pas ainsi des chiffres Hébreux, qui jamais ne sortent de leurs caractères ; et si il y a toujours quelque sens de grand mystère et importance ; pour raison qu’ils tiennent leurdits caractères être divins, et formés de la propre main de Dieu même ; Scriptura quoque Dei erat sculpta in tabulis, en Exode 32. Et ce avant la création du monde, comme met Rabbi Moïse Égyptien au 65. cha. du premier livre de son directeur, après le Talmud au livre de Pesah seni pâque seconde ; esquels caractères il n’y a rien de frivole ni d’oisif, et sans quelque occulte signifiance en leurs figures, assemblements, séparations, tortuosités, directions, défaillances, surcroîts, grandeur, petitesse, conformité de similitude, titres, accents, couronnements, cloison, ouverture, suite, valeur, et disposition. Et pource que les Hébreux n’ont point particulièrement de voyelles rangées en ordre de l’alphabet, par quoi il faut que les consonantes en fassent l’office, selon leurs diverses assiettes et concomitances, il ne se trouve guère de suites de lettres en ceste langue, dont il ne se puisse tirer quelque sens, de toutes les sortes qu’on les puisse renverser et tournevirer. »
Voir par exemple sur ces modes d’interprétation Zac Sylvain, Spinoza et le problème de l’interprétation, p. 43, n. 1. Commentaire de Rachi sur Genèse, II, 4, et מ ouvert par le bas : les hommes inévitablement vont vers la mort. Mais les méchants qui tombent peuvent remonter par la pénitence : la porte est ouverte.
Pascal a sans doute eu une connaissance des spéculations numériques des cabalistes, ne serait-ce que par le P. Mersenne, qui a soutenu une controverse contre Jacques Gaffarel (1601-1681), qui défendait la Cabale et la science des rabbins. Voir Mersenne Marin, Correspondance, I, p. 224, et p. 227 un texte de Gaffarel qui fait allusion au passage d’Isaïe et au mem ouvert et fermé.
♦ Note sur la gematrie
Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, p. 433-434. Gematrie : numérologie, technique visant à dévoiler la signification profonde des mots et des phrases en attribuant à chaque lettre de l’alphabet hébreu une valeur numérique, ainsi qu’à chaque mot en additionnant la valeur des lettres qui le composent. La Gematria est l’une des trente-deux règles herméneutiques couramment énoncées dans la littérature midrachique et dans le Talmud de Babylone ; la littérature kabbalistique en fait grand usage. Pour la valeur des lettres, voir Ifrah Georges, Histoire universelle des chiffres, I, p. 581.
Scholem Gershom G., La kabbale et sa symbolique, p. 19 sq.
Ifrah Georges, Histoire universelle des chiffres, coll. Bouquins, I, Paris, Robert Laffont, 1994, p. 520. Les lettres hébraïques revêtent en général la même forme au début et à la fin d’un mot. Exception est faite pour les lettres kaf, mem, nun, pé et tsadé, qui prennent un aspect différent en position finale : les formes terminales correspondantes se déduisant d’une manière générale des formes ordinaires par prolongement du trait inférieur. Voir le tableau comparatif de la p. 520.
Ore Oystein, Number Theory and its History, Dover, New York, 1976, p. 28. La gematrie permet de prédire les relations futures entre les personnes et les événements.
OC I, p. 891, § 8, sur le Recueil de choses diverses, qui note que « M. Pascal n’aimait point les réflexions que saint Augustin fait sur les nombres, ni ses pointes, ni ses jeux de paroles. Il a pu avoir quelques fausses beautés qui trouvent des admirateurs, mais au reste, c’est le Père qui raisonne le plus juste et qui a plus d’élévation et d’autorité » (§ 8). Pascal admet pourtant que certains nombres peuvent avoir une signification figurative. Voir la lettre de Blaise et de Jacqueline à Gilberte du 1er avril 1648, OC II, éd. J. Mesnard, p. 582-583. « Car quelque ressemblance que la nature créée ait avec son créateur, et encore que les moindres choses et les plus petites et les plus viles parties du monde représentent au moins par leur unité la parfaite unité qui ne se trouve qu’en Dieu… » Mais c’est plus un concept qu’un nombre. En fait, les lettres étant des signes, peuvent fort bien être déterminées à une signification symbolique ; mais il faut que l’interprétation qu’on en donne soit fondée sur la connaissance de l’intention de celui qui en use. Ce que Pascal n’admet pas, c’est qu’un signe comme une lettre soit interprété en un sens symbolique, s’il n’y a pas d’indication expresse que c’est nécessaire de la part de l’auteur.
♦ Note sur le ם (mem fermé)
Preuves par les Juifs VI (Laf. 476, Sel. 711). Je ne dis pas que le ם est mystérieux.
Pensées, éd. Havet, II, Delagrave, 1866, p. 8-9. On distingue en hébreu le mem ou מ ouvert dont la figure est ouverte vers le bas, et qui s’emploie au commencement ou au milieu des mots, et le ם fermé, qui ne s’emploie qu’à la fin. On sait que la plus fameuse des prophéties touchant le Messie est celle du chapitre IX d’Isaïe, verset 6, parvulus enim natus est nobis. Voir la traduction de la Bible de Port-Royal : Isaïe, IX, 6 : « Car un petit enfant nous est né, et un fils nous a été donné ; il portera sur son épaule la marque de sa principauté, et il sera appelé l'Admirable, le Conseiller, Dieu, le Fort, le Père du siècle futur, et le Prince de la paix. 7. Son empire s'étendra de plus en plus, et la paix qu'il établira n'aura point de fin ; il s'assiéra sur le trône de David, et il possédera son royaume pour l'affermir et le fortifier dans l'équité et dans la justice, depuis ce temps jusqu'à jamais ; le zèle du Seigneur des armées fera ce que je dis. » Dans le texte hébreu se trouvent les mots lemarbé hamisra, répondant à ceux de la vulgate, multiplicabitur ejus imperium. Le mem de lemarbé devrait être un מ ouvert, mais les manuscrits portent au contraire un ם fermé. Les rabbins ont vu dans cette faute d’orthographe un mystère, le ם clos signifiant que le messie naîtrait d’une vierge, ex virgine clausa. Ils poussent cette idée jusqu’au plus grand détail, en s’attachant à la valeur numérale des lettres : le מ ouvert vaut 40, le ם fermé vaut 600. Cette anomalie signifierait selon eux que le Messie devait venir au bout de 600 ans.
Voir p. 9, le rapport avec l’alchimie et la cabale. Dans le Del arte cabalistica, de Reuchlin, on lit que le מ ouvert représente la sphère de Jupiter et le ם fermé celle de Mars (Hagen, 1630, p. CXXIX, v°).
Sur le ם, voir Loi figurative 11 (Laf. 255, Sel. 287). Si le temps eût été prédit obscurément il y eût eu obscurité même pour les bons (car la bonté de leur cœur) ne leur eût pas fait entendre que par exemple le ם signifie 600 ans. Mais le temps a été prédit clairement et la manière en figures.
Sur la valeur symbolique du ם chez les Juifs, voir Vigenère Blaise de, Traité des chiffres, f. 163 v sq.
Et encore moins de dire que c’est la manière de la pierre philosophale.
Cette allusion est passablement obscure, et n’a jamais reçu, jusqu’à présent, d’explication recevable. Il y a peut-être dans cette formule un souvenir des discussions que Mersenne expose dans la première partie de La vérité des sciences, où il montre que ce qui l’inquiète, c’est moins l’alchimie en elle-même que les dangers dont elle paraît porteuse, notamment le risque d’idolâtrie qui se cache dans la confusion des opérations alchimiques avec les réalités spirituelles de la foi. Il soupçonne chez Nuysement la tentation de confirmer les mystères de la religion chrétienne par des principes naturels. Certains chimistes « comparent le baptême à la calcination », « parce [qu’il] ne doute nullement qu’il n’y en ait quelques uns qui le font à bonne intention, et qui ne prennent les opérations chimiques que pour de simples comparaisons, et des ombres de nos Mystères ». Mais plusieurs « se perdent tellement dans ces caprices, qu’au lieu de demeurer dans la seule comparaison, ils s’imaginent que leur sec, leur chaud, et leur humide, [...] doivent principalement être entendus par le mystère de la Trinité, et que leur agent universel dégagé des impuretés tant spécifiques qu’individuelles est Dieu ». Or « prouver, ou confirmer les mystères de la religion chrétienne par les opérations et les principes de l’alchimie », c’est « donner un sens naturel à l’Écriture sainte ». C’est pourquoi Mersenne trouve bon qu’on leur défende « de se servir de l’écriture sainte pour expliquer ce qui est de leur art, à ce qu’ils ne missent jamais notre Rédempteur en parallèle avec leur esprit universel, et leur centre de la nature », comme a fait le « sieur de Nuisance ».
Mais nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.
Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989, p. 48. La Bible est à elle-même son propre commentaire ; les passages clairs permettent de comprendre les passages obscurs.
Pascal suit sur ce point saint Augustin, De doctrina christiana, II, VI, 8. Les passages obscurs ne contiennent rien qui ne se trouve ailleurs sous une forme claire. C’est dans les passages explicites de la Bible qu’il faut chercher la clé des passages ambigus.
Loi figurative 7 (Laf. 251, Sel. 283). Qui veut donner le sens de l’Écriture et ne le prend point de l’Écriture est ennemi de l’Écriture. Aug. d. d. Ch.
Loi figurative 10 (Laf. 254, Sel. 286). Parler contre les trop grands figuratifs.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.
Loi figurative 21 (Laf. 266, Sel. 297). On pourrait peut-être penser que quand les prophètes ont prédit que le sceptre ne sortirait point de Juda jusqu’au roi éternel ils auraient parlé pour flatter le peuple et que leur prophétie se serait trouvée fausse à Hérode. Mais pour montrer que ce n’est pas leur sens, et qu’ils savaient bien au contraire que ce royaume temporel devait cesser, ils disent qu’ils seront sans roi et sans prince. Et longtemps durant. Osée.
Prophéties VIII (Laf. 501, Sel. 737). Figures. Pour montrer que l’Ancien Testament est - n’est que - figuratif et que les prophètes entendaient par les biens temporels d’autres biens. C’est 1° que cela serait indigne de Dieu ; 2° que leurs discours expriment très clairement la promesse des biens temporels et qu’ils disent néanmoins que leurs discours sont obscurs, et que leur sens ne sera point entendu. D’où il paraît que ce sens secret n’était point celui qu’ils exprimaient à découvert et que par conséquent ils entendaient parler d’autres sacrifices, d’un autre libérateur etc. Ils disent qu’on ne l’entendra qu’à la fin des temps.
Sur le principe que l’Écriture doit s’expliquer par elle-même, voir le dossier sur Loi figurative 7 (Laf. 251, Sel. 283).