Fragment Loi figurative n° 22 / 31 – Papier original : RO 37-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 308 p. 131 v° / C2 : p. 159
Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la Loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 106 / 1678
n° 19 p. 106
Éditions savantes : Faugère II, 247, IX / Havet XVI.16 bis et ter / Brunschvicg 680 / Tourneur p. 262-1 / Le Guern 250 / Lafuma 267 / Sellier 298
Figures.
Dès qu’une fois on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir. Qu’on lise le Vieil Testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos ? Non, donc c’étaient des figures. Qu’on voie de même toutes les cérémonies ordonnées et tous les commandements qui ne sont point pour la charité, on verra que c’en sont les figures. ------- Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises, or il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises. ------- Savoir si les prophètes arrêtaient leur vue dans l’Ancien Testament ou s’ils y voyaient d’autres choses.
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Pascal effectue dans ce fragment la transition entre deux étapes essentielles de l’herméneutique des figuratifs : le lecteur est censé avoir reconnu la présence de nombreuses contradictions dans le texte de l’Ancien Testament ; ces contradictions lui permettent d’hésiter un moment sur le fait de savoir si les discours des prophètes ne sont que sottises qui n’ont point de sens du tout (Loi figurative 13 - Laf. 257, Sel. 289), ou s’ils ont un sens figuratif caché. Mais comme il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises, il lui est impossible d’ignorer que les prophéties sont des figures qui représentent des promesses spirituelles sous des expressions charnelles.
Mais une fois de plus, Pascal procède par étapes de son argumentation soigneusement mesurées : après avoir montré qu’il est impossible de ne pas voir que les termes dont usent les prophètes sont des figures, il en dresse une liste sommaire (les sacrifices, les commandements, la parenté d’Abraham, la terre promise). Mais il n’en indique pas encore la signification, opération qui relève de l’étape suivante du processus herméneutique : le lecteur sait qu’il y a un sens spirituel à chercher, mais Pascal ne lui dit pas encore lequel.
Ce sera l’objet d’autres fragments, notamment Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300) et Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303).
Fragments connexes
Fausseté 16 (Laf. 218, Sel. 251). Ce n’est pas par ce qu’il y a d’obscur dans Mahomet et qu’on peut faire passer pour un sens mystérieux que je veux qu’on en juge, mais par ce qu’il y a de clair, par son paradis et par le reste. C’est en cela qu’il est ridicule. Et c’est pourquoi il n’est pas juste de prendre ses obscurités pour des mystères, vu que ses clartés sont ridicules. Il n’en est pas de même de l’Écriture. Je veux bien qu’il y ait des obscurités qui soient aussi bizarres que celles de Mahomet, mais il y a des clartés admirables et des prophéties manifestes et accomplies. La partie n’est donc pas égale. Il ne faut pas confondre et égaler les choses qui ne se ressemblent que par l’obscurité et non pas par la clarté qui mérite qu’on révère les obscurités.
Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures. J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures. Deux grandes ouvertures sont celles-là : 1. Toutes choses leur arrivaient en figures.
Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Contradiction.
On ne peut faire une bonne physionomie qu’en accordant toutes nos contrariétés et il ne suffit pas de suivre une suite de qualités accordantes sans accorder les contraires ; pour entendre le sens d’un auteur il faut accorder tous les passages contraires.
Ainsi pour entendre l’Écriture il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s’accordent ; il ne suffit pas d’en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordants, mais d’en avoir un qui accorde les passages même contraires.
Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Écriture et des prophètes : ils avaient assurément trop de bon sens. Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés.
Le véritable sens n’est donc pas celui des juifs, mais en J.-C. toutes les contradictions sont accordées.
Les juifs ne sauraient accorder la cessation de la royauté et principauté prédite par Osée, avec la prophétie de Jacob.
Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur ; comme quand Ézéchiel, ch. 20, dit qu’on vivra dans les commandements de Dieu et qu’on n’y vivra pas.
Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290). Figure. Si la loi et les sacrifices sont la vérité il faut qu’elle plaise à Dieu et qu’elle ne lui déplaise point. S’ils sont figures il faut qu’ils plaisent et déplaisent.
Or dans toute l’Écriture ils plaisent et déplaisent. Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans princes et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominables, que Dieu n’en a point demandé.
Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il n’en doit point sortir que le roi éternel n’arrive.
Tous ces passages marquent-ils que ce soit réalité ? non ; Marquent-ils aussi que ce soit figure ? non, mais que c’est réalité ou figure ; mais les premiers excluant la réalité marquent que ce n’est que figure.
Tous ces passages ensemble ne peuvent être dits de la réalité ; tous peuvent être dits de la figure. Ils ne sont pas dits de la réalité mais de la figure.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Figures.
Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée. Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent.
Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices etc…
Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens. Et d’autant plus qu’on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral.
Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.
Combien doit-on donc estimer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché, et principalement quand les principes qu’ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs ? C’est ce qu’a fait J.-C. Et les apôtres. Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit. Ils nous ont appris pour cela que les ennemis de l’homme sont ses passions, que le rédempteur serait spirituel et son règne spirituel , qu’il y aurait deux avènements, l’un de misère pour abaisser l’homme superbe, l’autre de gloire pour élever l’homme humilié, que J.-C. serait Dieu et homme.
Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295). Les Juifs étaient accoutumés aux grands et éclatants miracles et ainsi ayant eu les grands coups de la mer rouge et la terre de Canaan comme un abrégé des grandes choses de leur Messie ils en attendaient donc de plus éclatants, dont ceux de Moïse n’étaient que l’échantillon.
Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des ennemis, ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse.
Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.
Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.
Miracles II (Laf. 849, Sel. 430). La charité n’est pas un précepte figuratif. Dire que Jésus-Christ qui est venu ôter les figures pour mettre la vérité ne soit venu que mettre la figure de la charité pour ôter la réalité qui était auparavant, cela est horrible. Si la lumière est ténèbres que seront les ténèbres ?
Mots-clés : Abraham – Amitié – Cérémonie – Charité – Clair – Commandement – Dieu – Figure – Parenté – Prophète – Repos – Sacrifice – Secret – Sottise – Terre promise – Ancien Testament – Voir.