Fragment Ordre n° 2 / 10 – Papier original : RO 29-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Ordre n° 3 à 5 p. 1 / C2 : p. 13
Éditions savantes : Faugère II, 389, Ordre / Havet XXV.109-200-108 bis / Brunschvicg 227-244-184 / Tourneur p. 167-3 / Le Guern 2 / Maeda I p. 9 / Lafuma 2 à 4 / Sellier 38
_________________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, P.U.F., 1997. SELLIER Philippe, “Les premières Provinciales et le dialogue d’idées au XVIIe Siècle”, Équinoxe, 6, été 1990, p. 21-30 ; repris dans Port-Royal et la littérature, I, p. 143-153. SELLIER Philippe, “Vers l’invention d’une rhétorique”, in SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p.171 sq. SUEMATSU Hisashi, “Les Pensées et le métatexte”, Equinoxe, 1, automne 1987, p. 27-53.
|
✧ Éclaircissements
Ordre par dialogues.
« L’ordre par dialogues » est une structure souple, vivante et nerveuse qui permet de varier à l’infini la présentation des idées. Platon a donné ses lettres de noblesse au dialogue philosophique. Les contemporains de Pascal en usent abondamment : Galilée, le P. Mersenne le P. Boucher, le P. Desmares, les savants et les théologiens. ✍ Voir Sellier Philippe, “Les premières Provinciales et le dialogue d’idées au XVIIe Siècle”, Équinoxe, 6, été 1990, p. 21-30.
Suematsu Hisashi, “Les Pensées et le métatexte”, Équinoxe, 1, automne 1987, p. 43. Sur le titre du fragment. ✍
Voir le dossier sur le Dialogue...
Pascal cherche dans le dialogue le ton juste de la vie. Il indique les réactions des interlocuteurs par des approbations tantôt bruyantes, tantôt perplexes, surprises ou satisfaites, et par de brusques changements de ton. On lui a parfois reproché le « hoho de comédie » qu’il a prêté au jésuite des Provinciales. Ses personnages se content des anecdotes, s’attrapent l’un l’autre, se tendent des pièges. Le caractère concret du dialogue met en lumière, autant que les idées, leur rapport avec le caractère des interlocuteurs : en écoutant le jésuite faire son petit cours de casuistique, le lecteur sent qu’il est tout fier de ses « docteurs graves », et qu’il est lui-même un bel exemple de l’orgueil de corps de sa Société. Il s’accoutume ainsi à prendre une certaine distance, et à l’écouter avec la même ironie que « Montalte ».
On devine parfois le dialogue même dans des textes à première vue purement argumentatifs, comme le début du fragment Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168) sur le divertissement, où Pascal oppose l’interprétation que les philosophes en donnent ordinairement (le divertissement est une agitation inutile à laquelle on remédie par la retraite dans une chambre) à la sienne (c’est une manière pour l’homme de se cacher sa condition misérable) : la progression de l’argumentation dissimule à peine un dialogue implicite.
Un bon exemple du caractère dramatique du dialogue est fourni dans le fragment sur le pari, par une discussion serrée entre l’incroyant et le chrétien où la situation initiale est renversée en trois temps. Au début, l’incrédule pense être bien à l’abri de son incertitude. Première étape : on lui montre qu’il faut parier. Second temps : on lui montre qu’il doit parier pour Dieu. Troisième temps : on lui montre qu’il doit s’estimer heureux de parier avec tant d’avantage. Final : obligé de se dédire, il finira par lire les Écritures et faire dire des messes.
Cette nervosité du dialogue n’est pas l’effet du hasard : dès les ébauches les plus elliptiques, Pascal cherche un rythme soutenu qu’il conserve dans les rédactions élaborées.
La souplesse du dialogue n’exclut pas la rigueur. Le dialogue tel que Pascal le conçoit obéit à une condition impérative : Il faut, en tout dialogue, qu’on puisse dire à ceux qui s’en offensent : de quoi vous plaignez-vous ? (Laf. 669, Sel. 548). Savoir enlever toute échappatoire à l’adversaire, le tenir dans la « serre » après qu’il a avoué ses principes, voilà ce qui fait la force du fragment sur le pari, ou des Provinciales en général.
✍
Sur le dialogue dans les Pensées, voir
Marin Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, P.U.F., 1997, p. 24 sq. Le dialogue comme structure du texte dans les Pensées.
Suematsu Hisashi, “Voix dans le discours apologétique des Pensées”, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident. Actes du colloque de l’Université de Tokyo, 27-29 septembre 1988, Klincksieck, Paris, 1991, p. 293-302.
Harrington Thomas, “L’interlocuteur dans les Pensées de Pascal”, Pascal, Port-Royal, Orient, Occident. Actes du colloque de l’Université de Tokyo, 27-29 septembre 1988, Klincksieck, Paris, 1991, p. 303-310.
Parish Richard, “Mais qui parle ? Voice and persona in the Pensées”, p. 23-40.
Pérouse Marie, Quelque chose de ce grand dessein : les premières éditions des Pensées (1670-1678), Thèse, 2005, p. 75 sq. Guide du personnage de libertin qui cherche : p. 103 sq.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 74 sq.
♦ Le je et l’emploi de la première personne
Vinet Alexandre, Études sur Blaise Pascal, p. 17 sq. « Il n’y a point de moi chez Pascal ; le héros, dirai-je, ou le patient de son livre, c’est l’homme ; et quand Pascal parle à la première personne, c’est qu’il se substitue, par procuration, au genre humain tout entier. Cette hardie personnification donne à son livre un caractère dramatique, bien rare dans un ouvrage de cette nature ; ce livre, didactique en apparence, est tour à tour, suivant que le sujet le comporte, un drame, une véhémente satire, une philippique, une élégie, un hymne » : p. 19.
Que dois‑je faire ? Je ne vois partout qu’obscurités.
Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, p. 241. Sur Fondement de la religion et réponse aux objections. Analyse du titre : le fondement, c’est ce qui donne crédit à la religion : miracles, prophéties, doctrine, le tout enregistré dans la Bible. L’objection est nous n’avons nulle lumière.
Autres fragments relatifs au manque de lumière et à l’obscurité :
Fondement 21 (Laf. 244, Sel. 277). Objection des athées : mais nous n’avons nulle lumière.
Preuves par discours II (Laf. 429, Sel. 682). Voilà ce que je vois et ce qui me trouble. Je regarde de toutes parts et je ne vois partout qu’obscurité... Dans ce cas, obscurité est au singulier.
Croirai-je que je ne suis rien ?
Croire qu’on n’est rien : voir Transition 4 (Laf. 199, Sel. 203), “Disproportion de l’homme”.
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 42. ✍
Croirai-je que je suis dieu ?
Voir Laf. 919, Sel. 751, Mystère de Jésus. Eritis sicut dii scientes bonum et malum ; tout le monde fait le Dieu en jugeant : cela est bon ou mauvais et s’affligeant ou se réjouissant trop des événements.
La Genèse, tr. Sacy, p. 157 sq. Sur ce passage, Sacy ne dit rien pour le sens littéral, mais il traite longuement du sens spirituel. Le péché originel consiste dans l’espérance superbe de devenir semblable à Dieu : « Après qu’Eve eut formé dans elle-même cet orgueil mortel, qui est la première branche de la concupiscence, la seconde, qui est la curiosité, en sortit aussitôt. Car elle (sc. Eve) désira avec ardeur d’éprouver si après avoir pris de ce fruit qui lui avait été défendu, elle en tirerait l’avantage que le serpent lui avait promis » ; la sensualité suit.
Jansénius, Pentateuchus, Caput tertium Geneseos, p. 23. « Eritis sicut dii, non naturâ vel omnipotentiâ vel omniscientiâ, sed per dignoscentiam boni et mali »..., savoir « dignosceris non ex praeceptis alienis, tanquam qui instructione egeatis, sed per vos ipsos propriâ industriâ, quid bonum, quid malum, quid appetendum quid fugiendum sit dignoscentes ». Augustin explique que Ève n’aurait pu le croire, s’il n’y avait déjà eu dans son esprit « amor quidam propriae potestatis », et « quaedam de se superba praesumptio, quae per illam tentationem fuerat convincenda et humilianda ». Le premier péché de l’homme a été la superbia, « seu amorem istius excellentiae ». « Non quasi talis amor excellendi innatus sit, et intensus in natura rationali etiam integra et perfecta, hoc enim et falsum est et male à quodam recentiore Aug. imponitur, sed quia talis amor tanquam primum peccatum auditis illis verbis exortus est : quem Aug. vocat saepissime amorem propriae potestatis. »
Il y a probablement dans cette formule une allusion aux empereurs romains, aux souverains égyptiens ou orientaux dans l’Antiquité qui se faisaient diviniser.
Toutes choses changent et se succèdent.
Sur la thèse héraclitéenne du changement universel, voir Les penseurs grecs avant Socrate de Thalès de Milet à Prodicos, éd. Voilquin, p. 71 sq. ; Lloyd Geoffrey, Une histoire de la science grecque, Paris, La découverte, 1990, p. 52 sq. ✍
L’inconstance universelle est un thème fréquent parmi les libertins. Voir dans Adam Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, p. 194 sq., les poèmes de Des Barreaux. Sonnet 1 :
« Se montrer un moment, pour jamais disparaître,
Et pendant que l’on est, voir des maux à foison... »
Voir p. 196, le Sonnet 3 :
« La Nature le veut, il faut que tout périsse,
La plante, l’animal, la pierre, l’édifice.
En ayant prononcé l’irrévocable arrêt,
Tu ne nos donnes rien, traîtresse de Nature,
Tu nous prêtes la vie, oui, mais à grande usure... »
Mais c’est aussi un thème biblique. Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 22-26, avec la référence aux Psaumes 101 et 136, sur les fleuves de Babylone.
Voir la note de Paolo Serini, in B. Pascal, Pensieri, a cura di P. Serini, ed. Mondadori, Vicenza, 1976 : « Montaigne avait terminé son Apologie de R. Sebond avec une citation d’Epicarme, lequel à l’incessant changement des choses opposait l’immuable être de Dieu. Analogue devait être probablement la conclusion de ce passage ».
Question de la soi-disant citation de Pline l’Ancien, qui est inexistante. Dieu serait ce qui est fixe, a-t-on dit. Voir Montaigne citant Epicharme ; en fait c’est un emprunt à la traduction de Plutarque par Amyot.
Voir Misère 2 (Laf. 54, Sel. 87), sur l’inconstance humaine.
Vous vous trompez, il y a...
Il est difficile de dire comment Pascal entendait achever la phrase. Le manuscrit montre que Pascal laisse un espace pour remplir cette rubrique, sur laquelle il a sans doute des idées dont il remet à plus tard la mise au point.
P. Serini Pascal aurait continué cette pensée en opposant à l’incessant changement des choses l’immuable être de Dieu. Il ne justifie pas cette hypothèse, mais on pourrait la soutenir en se référant au fragment Divertissement 3 (Laf.135, Sel.167) : Mais je vois bien qu’il y a dans la nature un être nécessaire, éternel et infini. Le rapprochement de Ordre 2 et Divertissement 3 conduit à un raisonnement de cette sorte : Toutes choses changent et se succèdent - Vous vous trompez, il y a […] dans la nature un être nécessaire, éternel, infini. Dieu est le seul à ne pas changer (et, comme Lui, l’essentiel de la Révélation, voir la liasse Perpétuité). Le rapprochement des deux fragments est justifié aussi par le fait que Divertissement 3 se trouve dans la liasse Divertissement. Or, cette liasse insiste sur le mouvement : l’homme veut toujours changer parce que, s’il s’arrête, il tombe dans l’ennui (de là vient que les hommes aiment tant le bruit et le remuement, Divertissement 4 - Laf.136, Sel.168).
Et quoi ne dites-vous pas vous-même que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? Non. Et votre religion ne le dit-elle pas ? Non. Car encore que cela est vrai en un sens pour quelques âmes à qui Dieu donna cette lumière, néanmoins cela est faux à l’égard de la plupart.
Psaumes, XVIII : « Caeli enarrant gloriam Dei et opera manuum eius adnuntiat firmamentum ».
Saint Paul, Rom. : « En effet, les perfections invisibles de Dieu, sa puissance éternelle et sa divinité, se voient comme à l’œil, depuis la création du monde, quand on les considère dans ses ouvrages. Ils sont donc inexcusables, 21 ; puisque ayant connu Dieu, ils ne l’ont point glorifié comme Dieu, et ne lui ont point rendu grâces ; mais ils se sont égarés dans leurs pensées, et leur cœur sans intelligence a été plongé dans les ténèbres. »
Ce fragment est souvent rapproché de certains autres, notamment :
Laf. 781, Sel. 644. Préface de la seconde partie.
Parler de ceux qui ont traité de cette matière.
J’admire avec quelle hardiesse ces personnes entreprennent de parler de Dieu.
En adressant leurs discours aux impies leur premier chapitre est de prouver la divinité par les ouvrages de la nature. Je ne m’étonnerais pas de leur entreprise s’ils adressaient leurs discours aux fidèles, car il est certain que ceux qui ont la foi vive dedans le cœur voient incontinent que tout ce qui est n’est autre chose que l’ouvrage du Dieu qu’ils adorent, mais pour ceux en qui cette lumière est éteinte et dans lesquels on a dessein de la faire revivre, ces personnes destituées de foi et de grâce, qui recherchant de toute leur lumière tout ce qu’ils voient dans la nature qui les peut mener à cette connaissance ne trouvent qu’obscurité et ténèbres, dire à ceux-là qu’ils n’ont qu’à voir la moindre des choses qui les environnent et qu’ils y verront Dieu à découvert et leur donner pour toute preuve de ce grand et important sujet le cours de la lune et des planètes et prétendre avoir achevé sa preuve avec un tel discours, c’est leur donner sujet de croire que les preuves de notre religion sont bien faibles et je vois par raison et par expérience que rien n’est plus propre à leur en faire naître le mépris. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par J.-C., hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluit revelare Matthieu, 11, 27.
Preuves par discours III (Laf 449, Sel. 690). Et c’est pourquoi je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles, ou l’existence de Dieu, ou la Trinité, ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature ; non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance, sans Jésus-Christ, est inutile et stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent, et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut.
Il est surprenant que Droz Edouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, p. 91 sq., interprète ce passage comme une allusion aux preuves physiques de Dieu. Voir aussi Cousi Victor, Œuvres, IVe série, Littérature, Blaise Pascal, p. 25, qui invoque ce texte à l’appui de la thèse selon laquelle Pascal « rejette toutes les preuves naturelles de l’existence de Dieu » : p. 24-25. Mais il ne faut pas confondre : le Psaume ne peut être confondu avec une preuve physique : la nature comme image de Dieu, c’est une idée religieuse ; les preuves par la lune et les étoiles, c’est une idée qui relève de la philosophie naturelle. Cela répond à la confusion entre scepticisme philosophique et scepticisme religieux, que l’on trouve chez Cousin.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 75. Sellier remarque que la mise en rapport de ce Psaume avec la démonstration de Dieu par l’ordre du monde est fantaisiste. Critique de la réaction de Claudel sur ce point.
Donetzkoff Denis, Saint-Cyran épistolier, p. 323, sur Lettre 137, p. 296. « Quand vous irez quelquefois à la promenade, considérez, je vous supplie, que tout ce que vous voyez dans les champs sont des images des excellences de celui que vous aimez, dont une partie se voit dans l’Eglise et en ce monde, et les autres se verront dans le Ciel. Car tout le monde n’est qu’un tableau, et Dieu, en créant les choses visibles, n’a fait que peindre les invisibles, comme les peintres ne nous représentent que les visibles. ». Moyen de s’entretenir avec Dieu.
Le Brun Jacques, La spiritualité de Bossuet, p. 103. « C’est un effet admirable de la providence divine, que toutes les créatures, tant vivantes qu’inanimées, portent leur loi en elles-mêmes. Et le ciel, et les astres, et les éléments, et les plantes, et les animaux, enfin toutes les parties de ce grand monde ont reçu leurs lois particulières, qui, ayant toutes leurs secrets rapports avec la loi éternelle qui réside dans le Créateur, font que tout marche en concours et en unité, suivant l’ordre qui est prescrit par sa sagesse » (OO, V, p. 145-146) : p. 103.
✍
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 74 sq.
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 138. Rapport avec Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680) et Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690).
Maeda Yoichi, Commentaire des Pensées, I, p. 9 sq.
Quelques âmes à qui Dieu donna cette lumière : voir Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 75. Formule interprétée comme une allusion aux platoniciens, en supposant que cette lumière est naturelle.
OC II, p. 582, lettre de Blaise et Jacqueline à Gilberte du 1er avril 1648. « Comme toutes choses parlent de Dieu à ceux qui le connaissent, ces mêmes choses le cachent à toux ceux qui ne le connaissent pas ». On ne voit pas ces « saints caractères » sans une lumière surnaturelle.
Cela est faux à l’égard de la plupart.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 53, cite Confessions, X, 6, n. 9-10 : « L’univers ne répond à ceux qui l’interrogent que s’ils portent un jugement. Ce n’est pas qu’il change sa voix, c’est-à-dire sa beauté […], mais apparaissant de la même manière à deux hommes, il est muet pour le premier, il parle pour le second ».
OC II, p. 582, lettre de Blaise et Jacqueline à Gilberte du 1er avril 1648. « Comme toutes choses parlent de Dieu à ceux qui le connaissent, ces mêmes choses le cachent à toux ceux qui ne le connaissent pas ».
Arnauld Antoine, Apologie pour les saints Pères, IV, V, p. 205. « Ainsi ce sont deux choses qui s’accordent fort bien ensemble, que d’une part la beauté des créatures visibles soit un miroir éclatant, qui représente à tous les hommes l’invisible majesté de leur auteur, et les invite à l’adorer et à le servir ; et que néanmoins le péché ayant rempli tous les hommes de ténèbres et d’aveuglement, il n’y ait plus personne depuis la corruption de la nature, qui étant laissé à lui-même, comme l’ont été les païens selon la parole sainte, se puisse servir de cette considération des créatures pour se porter à adorer Dieu, et à l’aimer plus que toutes choses, comme il est nécessaire pour le salut ». Pour Pascal, les preuves de l’existence de Dieu tirées de la nature sont sans valeur rationnelle, ce qui ne signifie pas qu’elles soient totalement inutiles : elles font partie de ces vérités divines qui entrent par le cœur dans l’esprit.
Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997, p. 184 sq.
Lettre pour porter à rechercher Dieu.
Et puis le faire chercher chez les philosophes, pyrrhoniens et dogmatistes, qui travailleront celui qui les recherche.
Pensées, éd. Havet, II, p. 144, n° 108 bis. Mis en addition du fragment Laf. 694, Sel. 573. Ordre. - J’aurais bien pris ce discours d’ordre comme celui-ci : pour montrer la vanité de toutes sortes de conditions, montrer la vanité des vies communes, et puis la vanité des vies philosophiques, pyrrhoniennes, stoïques ; mais l’ordre n’y serait pas gardé. Je sais un peu ce que c’est, et combien peu de gens l’entendent. Nulle science humaine ne le peut garder. Saint Thomas ne l’a pas gardé. La mathématique le garde, mais elle est inutile en sa profondeur.
Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 55 sq. La lettre pour porter à chercher Dieu. Elle se situe avant l’enquête anthropologique : p. 56.
Observations sur le fragment : Lettre pour porter à rechercher Dieu. Et puis le faire chercher chez les philosophes, pyrrhoniens et dogmatistes, qui travailleront celui qui les recherche. Parmi les sectes philosophiques il n’y a pas les académiciens, qui pourtant sont présents dans les fragments Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141) qui porte le titre « contre le pyrrhonisme » : les académiciens auraient gagé ; Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164) (passage rayé et présent seulement dans les éd. Lafuma et Le Guern) : On ne peut éviter, en cherchant la vérité par la raison, l’une de ces trois sectes - On ne peut être pyrrhonien ni académicien sans étouffer la nature, on ne peut être dogmatiste sans renoncer à la raison ; Fausseté des autres religions 6 (Laf. 208, Sel. 240) : De là viennent les diverses sectes des stoïques et des épicuriens, des dogmatistes et des académiciens. Ici il y a l’identification académiciens-pyrrhoniens. Mais en réalité les académiciens affirment la vraisemblance et les pyrrhoniens se limitent à poser la question : « que sais-je ? ».
Les fragments pour une « lettre pour porter à rechercher Dieu » se trouvent dans la liasse Commencement. La recherche chez les philosophes n’est pas après cette liasse (si on suit l’ordre des deux Copies et de la Table des dossiers), mais avant. La recherche de la vérité chez les philosophes se trouve dans Vanité 21 (Laf. 33 et 34, Sel. 67-68), Vanité 38 (Laf. 52, Sel. 85), verso de Misère 9 (Laf. 76, Sel. 111), Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141) et Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142), Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164), Divertissement 4 (Laf. 136, Sel. 168), Philosophes, Le Souverain Bien (tous les fragments des deux liasses). A P. R. montre enfin que la philosophie est incapable de résoudre l’énigme de l’homme et qu’il faut écouter la Révélation de Dieu, qui consiste en « Adam, Jésus-Christ » (Laf. 149, Sel. 182). Après Commencement il n’y a pas de recherche de la vérité chez les philosophes, parce que l’essentiel du point de vue chrétien (« Adam, Jésus-Christ ») a déjà été présenté.
♦ La rhétorique épistolaire
✍
Murphy James J., Rhetoric in the Middle Ages. A history of rhetorical theory from St. Augustine to the Renaissance, University of California Press, Berkeley, Los Angeles, London, 1974, 396 p. Un chapitre sur the art of letter-writing.
Fumaroli Marc, “Genèse de l’épistolographie classique : rhétorique humaniste de la lettre, de Pétrarque à Juste Lipse”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, nov.-déc. 1978, p. 886-900.
Adam Antoine, Histoire de la littérature française au XVIIe siècle, I, p. 243. La lettre devenue le refuge d’une éloquence judiciaire et politique qui n’existe plus. Le succès des Lettres de Balzac tient au fait qu’il a cherché à traiter sous forme épistolaire, les harangues devenues impossibles, « toutes matières de la politique et de la morale ».
Ferreyrolles Gérard, Les Provinciales, p. 14 sq. Lettre polémique en matière religieuse. Style humble ; genre capable d’aborder tous les sujets : p. 15. La lettre tire son lustre de la politique : p. 16. Fonction polémique ; moyen de faire entrer la polémique dans la littérature : p. 16. La lettre de polémique religieuse : p. 17.
OC II, p. 667. La lettre souvent lue en public ; cela lui assure une publicité à laquelle l’auteur tient.
Meurillon Christian, “La lettre au cœur de l’écriture pascalienne”, Revue des Sciences humaines, 195, 1984-3, p.5-18.
Duchêne Roger, L’imposture littéraire dans les Provinciales..., p. 17 sq. Création d’un univers imaginaire : p. 17. Voir p. 111 sq., sur l’illusion épistolaire, est due à l’alliance d’une objectivité prétendue et d’une séduisante subjectivité. L’auteur disparaît complètement derrière la narration, menée de bout en bout à la troisième personne ; forme employée dans le début de la première Provinciale. Le reportage diffère de la narration par le fait que l’auteur y apparaît plus nettement : p. 112.
Sellier Philippe, “Vers l’invention d’une rhétorique”, in Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p.171 sq. Le choix par Pascal de la forme volante de certains pamphlets de la Fronde, selon le format et le nombre de pages de la Gazette fondée par Renaudot en 1631. Il fait appel à des techniques journalistiques en avance sur son temps, comme le courrier des lecteurs et les brèves de dernière heure. La technique de la lettre permet la fragmentation des questions. Avec la onzième Provinciale, Pascal change de genre épistolaire, et recourt à la lettre ouverte. L’originalité de Pascal consiste en ce qu’il force le cours des choses : la Gazette existait, mais pas en théologie de la grâce : p. 175.
♦ Usage du pyrrhonisme chez Pascal
Voir Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164).
Droz Edouard, Étude sur le scepticisme de Pascal, passim. ✍
Vinet A., Études sur Blaise Pascal, p. 74 sq. Du livre de M. Cousin sur les Pensées de Pascal. Pascal « ne professe pas le pyrrhonisme, mais... il le constate ; ... il signale la tempête des opinions, le trouble des intelligences, la détresse de l’esprit humain, pour faire sentir combien il était urgent que Dieu fît tomber dans ces vastes et déplorables ténèbres ce rayon de sa gloire... et que nos cœurs émus appellent Jésus-Christ », p. 100. Face aux pyrrhoniens, Pascal ressent un mélange de mépris et de terreur ; désordre méprisable, mais qui emporte tout : p. 187-188. Ils tirent leur force d’une pétition de principe. Pascal considère le pyrrhonisme comme une maladie de l’esprit, mais inhérente à l’homme, suite de notre déchéance : p. 193.
... Qui travailleront celui qui les recherche
Le manuscrit porte incontestablement les. Lecture de Tourneur, édition paléographique, p. 167 : celui qui les recherche. En note : « Peut-être pour le sens vaudrait-il mieux lire le, malgré le ms ; car il arrive parfois que Pascal écrive ainsi l’e final. »
Le verbe est-il au présent ou au futur ? Ce n’est pas tout à fait clair. Tourneur hésite sur cette « finale peu nette », et note : « peut-être faut-il lire travaillent ». Mais il opte en définitive pour travailleront.
Travailler : torturer.