Fragment Prophéties n° 1 / 27  – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 352 p. 165 / C2 : p. 197

Éditions savantes : Faugère II, 326, XXX / Havet XXV.178 / Brunschvicg 773 / Le Guern 304 / Lafuma 323 / Sellier 354

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Bibliographie

 

 

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Duculot, Gembloux, 1970.

GOYET Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 63-74.

LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 192.

 

 

Éclaircissements

 

Ruine des Juifs et des païens par Jésus‑Christ.

 

Goyet Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, p. 63-74. Voir p. 69 sq. L’original du fragment étant perdu, les débuts de citations qui font suite à l’intitulé allant dans une autre direction, on ne peut dire avec certitude si la ruine des uns et des autres a été réalisée ou bien prédite par Jésus-Christ. Pour la première hypothèse, on peut renvoyer à Prophéties 4 (Laf. 324, Sel. 357) : Qu’il serait roi des Juifs et des gentils, et voilà ce roi des Juifs et des gentils opprimé par les uns et les autres qui conspirent à sa mort dominant des uns et des autres, et détruisant et le culte de Moïse dans Jérusalem, qui en était le centre, dont il fait sa première église et le culte des idoles dans Rome qui en était le centre et dont il fait sa principale église. Dans ce cas, ruine est à prendre au sens spirituel seulement et en antiphrase pour les païens, qui seront très heureusement ruinés par leur conversion. Pour la seconde hypothèse, voir Prophéties 6 (Laf. 327, Sel. 359) : Après que bien des gens sont venus devant il est venu enfin J.-C. dire : Me voici et voici le temps. Ce que les prophètes ont dit devoir advenir dans la suite des temps je vous dis que mes apôtres le vont faire. Les Juifs vont être rebutés. Jérusalem sera bientôt détruite et les païens vont entrer dans la connaissance de Dieu. Celsus s’en moquait. Mes apôtres le vont faire après que vous aurez tué l’héritier de la vigne. Et puis les apôtres ont dit aux Juifs : Vous allez être maudits. Et aux païens : Vous allez entrer dans la connaissance de Dieu, et cela est arrivé alors. Dans ce cas, la ruine des païens étant toujours un gain spirituel, celle des Juifs doit s’entendre à la fois sur le plan matériel et sur le plan spirituel.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 465. Ces citations sur la vocation des Gentils et l’attitude des Juifs à l’égard du Christ dans la Passion, ne doivent pas être entendues de prophéties faites par Jésus-Christ ; la ruine des Juifs et des païens doit être effectuée grâce à la venue de Jésus-Christ. P. Ernst appuie toutefois cette interprétation sur un rapprochement avec un texte manifestement faux de Prophéties 24 (Laf. 345, Sel. 377), confondu avec Prophéties V (Laf. 488, Sel. 734).

En quel sens faut-il interpréter le mot ruine ?

Pour les païens, le fragment Prophéties 2 (Laf. 324, Sel. 355) indique clairement qu’il s’agit du renversement de l’idolâtrie : Qu’alors l’idolâtrie serait renversée, que ce Messie abattrait toutes les idoles et ferait entrer les hommes dans le culte du vrai Dieu.

Que les temples des idoles seraient abattus et que parmi toutes les nations et en tous les lieux du monde lui serait offerte une hostie pure, non point des animaux.

On peut aussi évoquer Prophéties 4 (Laf. 324, Sel. 357), cité plus haut.

Dans le cas des Juifs, il s’agit de la religion juive, en tant qu’elle est dépassée et accomplie, mais aussi vidée de son caractère charnel, par la religion chrétienne, qui est spirituelle. Voir Prophéties 25 (Laf. 346, Sel. 378) : Il est prédit qu’au temps du Messie il viendrait établir une nouvelle alliance qui ferait oublier la sortie d’Égypte [...] qui mettrait sa loi non dans l’extérieur mais dans le cœur, qu’il mettrait sa crainte qui n’avait été qu’au-dehors, dans le milieu du cœur. Qui ne voit la loi chrétienne en tout cela ?

Le mot ruine est peut-être inspiré par Isaïe VIII, que Pascal cite dans Prophéties VI (Laf. 489, Sel. 735), Il sera en piège et en ruine aux peuples de Jérusalem.

Dans l’ensemble, Pascal recueille moins des textes sur cette ruine que sur la mission salvatrice du Christ et les souffrances qu’il a subies dans sa Passion.

Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931, p. 192. Les citations, toutes incomplètes ou adaptées, sont tirées de la Vulgate.

 

Omnes gentes venient et adorabunt eum.

 

Psaumes, LXXXV, 8 (dans la Bible de Port-Royal). « Omnes gentes quascumque fecistis, venient, et adorabunt coram te Domine : et glorificabunt nomen tuum » ; « Toutes les nations que vous avez créées viendront se prosterner devant vous, Seigneur, et vous adorer ; et elles rendront gloire à votre nom ».

 

Parum est ut, etc. Is.

 

Isaïe, XLIX, 6. « Et dixit : Parum est ut sis mihi servus ad suscitandas tribus Jacob et faeces Israël convertendas. Ecce dedi te in lucem gentium, ut sis salus mea usque ad extremum terrae » ; « Le Seigneur, dis-je, m’a dit : C’est peu que vous me serviez pour réparer les tribus de Jacob, et pour convertir à moi les restes d’Israël. Je vous ai établi pour être la lumière des nations, et le salut que j’envoie jusqu’aux extrémités de la terre » (tr. Sacy).

Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Saint Paul nous apprend que les paroles suivantes doivent s’entendre de Jésus-Christ, et que son Père l’a établi pour porter la lumière jusqu’aux extrémités du monde. Ceux qui travaillent aux mêmes ouvrages que Jésus-Christ doivent y être appelés comme lui, selon qu’il dit à ses apôtres : Sicut misit me Pater, et ego mitto vos. Ils sont la lumière des âmes, parce que Jésus-Christ les a appelés à des fonctions si divines ; et c’est cette vocation même qui les rend des lampes ardentes et luisantes. »

Prophéties 24 (Laf. 345, Sel. 377). Parum est ut. Isaïe. Vocation des gentils.

Religion aimable 1 (Laf. 221, Sel. 254). J. C. pour tous.

Moïse pour un peuple.

Les Juifs bénis en Abraham. Je bénirai ceux qui te béniront, mais toutes nations bénies en sa semence.

Parum est ut,etc. Isaïe.

Lumen ad revelationem gentium.

Non fecit taliter omni nationi, disait David, en parlant de la loi. Mais en parlant de J. C. il faut dire : Fecit taliter omni nationi, parum est ut, etc. Isaïe.

Aussi c’est à J. C. d’être universel ; L’Église même n’offre le sacrifice que pour les fidèles. J. C. a offert celui de la croix pour tous.

La formule parum est apparaît dans un ensemble de textes préparatoires aux Provinciales.

Fragment RO 397-1 (Laf. 962, Sel. 796). Je suis bien aise que vous publiez la même chose que moi. Ex contentione. Saint Paul. Parum est.

 

Postula a me...

 

Psaumes II, 8. « Postula a me, et dabo tibi gentes haereditatem tuam, et possessionem tuam terminos terrae » ; « Demandez-moi, et je vous donnerai les nations pour votre héritage, et j’étendrai votre possession jusques aux extrémités de la terre » (tr. de la Bible de Port-Royal).

Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Il n’appartenait qu’à celui que Dieu avait fait connaître en tant qu’homme, et qui connaissait par lui-même en tant que Dieu, qu’il était le Fils unique, la sagesse, et la vertu du Père éternel, d’intercéder pour les hommes, et de se sacrifier lui-même pour les rendre dignes de devenir l’héritage du Seigneur ; et il n’y avait aussi qu’une bonté infinie comme celle du Père éternel, qui fût capable d’exposer ce Fils unique à la mort pour des pécheurs. Car quand il lui dit de lui demander, il lui témoigne la volonté qu’il a de lui accorder ce qu’il veut qu’il lui demande. Et cette demande du Fils de Dieu se doit entendre, selon saint Augustin, de tous les moyens qu’il a pris pour se mettre en état de demander efficacement à son Père la réconciliation des hommes ; c’est-à-dire, de son Incarnation, de ses souffrances, de sa mort ; le sang de Jésus-Christ répandu sur la croix ayant été la voix la plus forte qui se soit jamais élevée jusques au trône de Dieu. Un héritage ne nous vient jamais qu’après la mort de celui qui le possède. Mais les nations sont devenues l’héritage de Jésus-Christ par la mort même de Jésus-Christ. Ainsi lui ayant été acquis par le prix de son propre sang, nous ne sommes plus à nous, mais à lui entièrement ».

 

Adorabunt eum omnes reges.

 

Psaumes LXXI, 11. « Et adorabunt eum omnes reges terrae : omnes gentes servient ei » ; « Et tous les rois de la terre l’adoreront : toutes les nations lui seront assujetties ».

Le commentaire de la Bible de Port-Royal remarque que ce passage a été interprété du règne de Salomon ; mais « il est visible que c’est une prophétie qui regarde Jésus-Christ ». Ce dernier est « le vrai Salomon, le roi de paix », qui possédera « comme le maître souverain de tout l’univers, tous les royaumes de la terre » et les peuples les plus éloignés.

 

Testes iniqui...

 

On peut hésiter entre deux références (ci-dessous dans la Bible de Port-Royal).

Psaumes, XXVI, 18. « Ne tradideris me in animas tribulantium me : quoniam insurrexerunt in me testes iniqui et mentita est iniquitas sibi » ; « Ne me livrez pas à la volonté de ceux qui m’affligent ; parce que des témoins d’iniquité se sont élevés contre moi, et que l’iniquité a menti contre elle-même ». Le commentaire de la Bible de Port-Royal explique ce passage littéralement par la situation de David persécuté, puis étend la perspective : « Il est vrai que ceux qui par leurs faux témoignages nous deviennent une occasion de chute, se perdent eux-mêmes ; et qu’ainsi leurs accusations tournent à leur propre perte ; et mentita est iniquitas sibi. Mais alors il ne se perdent qu’en nous perdant avec eux : au lieu que lorsque la main de Dieu nous soutient contre ces épreuves, il est vrai de dire en un autre sens que l’iniquité a menti contre elle-même ; c’est-à-dire que son mensonge n’est retombé que sur elle seule. Si donc Seigneur, vous voulez livrer ma chair en leurs mains, ne livrez pas, s’il vous plaît, mon cœur et mon âme à leur volonté ».

Psaumes, XXXIV, 13. « Surgentes testes iniqui, quae ignorabam, interrogabant me » ; « Des témoins injustes s’étant élevés m’ont interrogé sur des choses que je ne connaissais pas ». Commentaire de Sacy : après avoir renvoyé au premier Livre des Rois, XXIV, 10, en soulignant que ce passage a rapport « avec le temps où Saül persécutait David en ajoutant foi à des imposteurs qui l’accusaient de conspirer contre sa personne », le commentaire continue comme suit : « il est très aisé de faire l’application de la conduite de David à celle de Jésus-Christ, contre qui de semblables faux témoins se sont élevés ; qui s’est vu réduit à la dernière désolation sur la croix et n’a reçu de la part de ses ennemis parler ainsi, qu’une stérilité infructueuse, au lieu de cette abondance de biens dont il les avait comblés, qui a prié et jeûné pour eux, et qui enfin les a aimés très sincèrement comme ses frères, étant touché d’une vraie compassion à leur égard, lors même qu’il se voyait dans le plus profond anéantissement où leur malice l’avait réduit. Ce n’a point été en répondant à ceux qui le haïssaient qu’il les a sauvés, mais en priant et souffrant pour eux. Et c’est à ceux qui ont l’honneur d’être ses membres, d’imiter leur chef par une conduite digne de la sienne ».

La première référence semble préférable.

 

Dabit maxillam percutienti.

 

Lamentations de Jérémie, III, 30. « Dabit percutienti se maxillam, saturabitur opprobriis » ; « Il tendra la joue à celui qui le frappera, il se soûlera d’opprobres ».

Commentaire de la Bible de Port-Royal : « Quoiqu’on entende ceci à la lettre, de ceux qui se sont accoutumés, comme le prophète Jérémie, à porter le joug du Seigneur dès leur jeunesse, à s’humilier sous la verge salutaire qui les frappe, et à s’engraisser, pour le dire ainsi, des opprobres des méchants, au lieu de s’abandonner au murmure, on l’explique néanmoins plus particulièrement de Jésus-Christ, et l’Église le lui applique dans les temps de sa Passion, comme à l’exemple du plus parfait de patience qui ait paru dans le monde. Il a véritablement porté le joug de son Père dès sa jeunesse, puisque dès l’instant de son Incarnation, il a commencé à devenir la victime de sa justice, et à opérer par son humble obéissance la réconciliation de l’univers. Il a été exposé à tous les coups, non seulement dont Dieu l’a frappé, mais encore dont les Juifs ingrats ont payé toutes ses grâces. Et étant venu dans le monde pour accomplir la volonté de son Père, il s’est comme rassasié des injures et des opprobres dont les hommes l’ont chargé, pour satisfaire pleinement à ce que ces mêmes hommes devaient à sa justice, et à ce que l’Innocent s’était engagé de souffrir pour la justification des pécheurs ».

 

Dederunt fel in escam...

 

Psaumes LXVIII, 26 dans la Bible de Port-Royal (LXIX, 22 dans la Bible de Jérusalem). « Et dederunt in escam meam fel ; et in siti mea potaverunt me aceto » ; « Et ils m’ont donné du fiel pour ma nourriture ; et dans ma soif ils m’ont présenté du vinaigre à boire ».

Le commentaire de la Bible de Port-Royal rapporte ce passage à la Passion du Christ, et poursuit : « Quant à ce fiel dont il est parlé ici, quoique l’Évangile ne marque point qu’on lui en ait présenté séparément pour sa nourriture, il suffit qu’elle déclare qu’on lui en donna de mêlé avec du vin. Pour le vinaigre, elle le dit formellement. Et toutes ces particularités si exactement circonstanciées et prédites tant de siècles auparavant devraient sans doute faire impression sur certains esprits, qui se donnent la liberté de ne rien croire, et qui voudraient ébranler, s’ils le pouvaient, par la vanité ridicule de leurs idées, les fondements inébranlables de notre religion ».