Fragment Raisons des effets n° 15 / 21 – Papier original :  RO 232-1

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Raisons des effets n° 127 p. 35 v° / C2 : p. 53

Éditions savantes : Faugère I, 220, CXXXIV / Brunschvicg 329 / Tourneur p. 190-3 / Le Guern 89 / Lafuma 96 / Sellier 130

 

 

 

Raison des effets.

 

La faiblesse de l’homme est la cause de tant de beautés qu’on établit, comme de savoir bien jouer du luth n’est un mal qu’à cause de notre faiblesse.

 

 

 

Fragment paradoxal, difficile à comprendre par lui-même, mais dans lequel l’étude du manuscrit révèle encore davantage de difficultés. Pourquoi savoir l’art de bien jouer du luth peut-il être considéré comme un mal ? Quel rapport entre cet art et la faiblesse de l’homme ? Enfin, que vient faire ce texte dans la liasse Raisons des effets ? Christian Meurillon, dans l’étude qu’il lui consacre, “Luth pascalien et faiblesse humaine : des intrus dans la raison des effets ?”,p. 50 sq., voit cependant dans ce fragment paradoxal l’un des textes centraux de Raisons des effets.

 

Analyse détaillée...

Abraham Bosse, L’ouïe (v. 1638)

 

Fragments connexes

 

Vanité 14 (Laf. 26, Sel. 60). La puissance des rois est fondée sur la raison et sur la folie du peuple, et bien plus sur la folie. La plus grande et importante chose du monde a pour fondement la faiblesse. Et ce fondement est admirablement sûr, car il n’y a rien de plus que cela, que le peuple sera faible. Ce qui est fondé sur la saine raison est bien mal fondé, comme l’estime de la sagesse.

Vanité 16 (Laf. 28, Sel. 62). Faiblesse. Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien, et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu’ils le possèdent par justice, car ils n’ont que la fantaisie des hommes. Ni force pour le posséder sûrement.

Il en est de même de la science, car la maladie l’ôte.

Nous sommes incapables et de vrai et de bien.

Vanité 21 (Laf. 33, Sel. 67). Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu’il est bon en effet de la suivre puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure, et par une plaisante humilité on croit que c’est sa faute et non pas celle de l’art qu’on se vante toujours d’avoir. Mais il est bon qu’il y ait tant de ces gens‑là au monde qui ne soient pas pyrrhoniens, pour la gloire du pyrrhonisme, afin de montrer que l’homme est bien capable des plus extravagantes opinions, puisqu’il est capable de croire qu’il n’est pas dans cette faiblesse naturelle et inévitable et de croire qu’il est au contraire dans la sagesse naturelle.

Rien ne fortifie plus le pyrrhonisme que ce qu’il y en a qui ne sont point pyrrhoniens. Si tous l’étaient, ils auraient tort. Cette secte se fortifie par ses ennemis plus que par ses amis, car la faiblesse de l’homme paraît bien davantage en ceux qui ne la connaissent pas qu’en ceux qui la connaissent.

Raisons des effets 7 (Laf. 88, Sel. 122). C’est l’effet de la force, non de la coutume, car ceux qui sont capables d’inventer sont rares. Les plus forts en nombre ne veulent que suivre et refusent la gloire à ces inventeurs qui la cherchent par leurs inventions. Et s’ils s’obstinent à la vouloir obtenir et à mépriser ceux qui n’inventent pas, les autres leur donneront des noms ridicules, leur donneraient des coups de bâton. Qu’on ne se pique donc pas de cette subtilité ou qu’on se contente en soimême.

Voir les dernières lignes barrées de Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230), où Pascal parle de consommer la preuve de notre faiblesse.

Transition 5 (Laf. 200, Sel. 231). L’homme n’est qu’un roseau, le plus faible de la nature, mais c’est un roseau pensant. Il ne faut pas que l’univers entier s’arme pour l’écraser ; une vapeur, une goutte d’eau suffit pour le tuer. Mais quand l’univers l’écraserait, l’homme serait encore plus noble que ce qui le tue, puisqu’il sait qu’il meurt et l’avantage que l’univers a sur lui. L’univers n’en sait rien.

Fausseté des autres religions 6 (Laf. 208, Sel. 240). Sans ces divines connaissances qu’ont pu faire les hommes sinon ou s’élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s’abattre dans la vue de leur faiblesse présente.

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Ainsi toutes les faiblesses très apparentes sont des forces.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Voilà mon état, plein de faiblesse et d’incertitude. [...] Rien n’accuse davantage une extrême faiblesse d’esprit que ne pas connaître quel est le malheur d’un homme sans Dieu ; rien ne marque davantage une mauvaise disposition du cœur que de ne pas souhaiter la vérité des promesses éternelles ; rien n’est plus lâche que de faire le brave contre Dieu.

Pensées diverses (Laf. 518, Sel. 452). Pyrrh. L’extrême esprit est accusé de folie comme l’extrême défaut ; rien que la médiocrité n’est bon : c’est la pluralité qui a établi cela et qui mord quiconque s’en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m’y obstinerai pas, je consens bien qu’on m’y mette et me refuse d’être au bas bout, non pas parce qu’il est bas, mais parce qu’il est bout, car je refuserais de même qu’on me mît au haut. C’est sortir de l’humanité que de sortir du milieu.

La grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir (non à en sortir) tant s’en faut que la grandeur soit à en sortir qu’elle est à n’en point sortir.

Pensées diverses (Laf. 554, Sel. 463). La force est la reine du monde, et non pas l’opinion. Mais l’opinion est celle qui use de la force.

C’est la force qui fait l’opinion. La mollesse est belle, selon notre opinion. Pourquoi ? Parce que qui voudra danser sur la corde sera seul. Et je ferai une cabale plus forte de gens qui diront que cela n’est pas beau.

Pensées diverses (Laf. 582, Sel. 484). Changer de figure, à cause de notre faiblesse.

Pensées diverses (Laf. 585, Sel. 486). Il y a un certain modèle d’agrément et de beauté qui consiste en un certain rapport entre notre nature faible ou forte telle qu’elle est et la chose qui nous plaît.

Pensées diverses (Laf. 595, Sel. 491). Si l’on ne se connaît plein de superbe, d’ambition, de concupiscence, de faiblesse, de misère et d’injustice, on est bien aveugle. Et si en le connaissant on ne désire d’en être délivré que peut‑on dire d’un homme ?

Pensées diverses (Laf. 620, Sel. 513). L’homme est visiblement fait pour penser. C’est toute sa dignité et tout son mérite ; et tout son devoir est de penser comme il faut. Or l’ordre de la pensée est de commencer par soi, et par son auteur et sa fin.

Or à quoi pense le monde ? jamais à cela, mais à danser, à jouer du luth, à chanter, à faire des vers, à courir la bague etc. et à se battre, à se faire roi, sans penser à ce que c’est qu’être roi et qu’être homme.

Pensées diverses (Laf. 656, Sel. 540). En écrivant ma pensée elle m’échappe quelquefois ; mais cela me fait souvenir de ma faiblesse que j’oublie à toute heure, ce qui m’instruit autant que ma pensée oubliée, car je ne tiens qu’à connaître mon néant.

Pensées diverses (Laf. 779, Sel. 643). Les enfants qui s’effrayent du visage qu’ils ont barbouillé. Ce sont des enfants ; mais le moyen que ce qui est si faible étant enfant soit bien fort étant plus âgé ! on ne fait que changer de fantaisie. Tout ce qui se perfectionne par progrès périt aussi par progrès. Tout ce qui a été faible ne peut jamais être absolument fort. On a beau dire : il est crû, il est changé, il est aussi le même.

Pensées diverses (Laf. 795, Sel. 648). L’éternuement absorbe toutes les fonctions de l’âme aussi bien que la besogne, mais on n’en tire pas les mêmes conséquences contre la grandeur de l’homme parce que c’est contre son gré et quoiqu’on se le procure néanmoins c’est contre son gré qu’on se le procure. Ce n’est pas en vue de la chose même c’est pour une autre fin. Et ainsi ce n’est pas une marque de la faiblesse de l’homme, et de sa servitude sous cette action.

 

Mots-clés : BeautéÉtablissementFaiblesseHommeLuthMal.