Miracles III – Fragment n° 6 / 11 – Papier original : RO 416-1 r° / v°
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 193 p. 463 à 465 / C2 : p. 261 v° à 264
Éditions savantes : Faugère II, 323, XX ; I, 275, XXXIV ; I, 286, LX ; I, 284, LIV ; I, 260, XL ; I, 181 note, IX ; II, 42, IX ; II, 88, XXI ; II, 213, II / Havet XXIV.20 bis ; Prov. 416 p. 294 et 415 p. 292 ; XXV.131 ; XXIV.100 ter ; VI.22 ; XXIII.41 / Brunschvicg 222, 946, 860, 936, 51, 78, 52, 165, 436 bis, 804 / Tourneur p. 156 / Le Guern 702 / Lafuma 882 à 891 (série XXXIV, notée XXXIII par erreur) / Sellier 444 et 445
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
BARRIÈRE Pierre, La vie intellectuelle du XVIe siècle à l’époque contemporaine, Paris, Albin Michel, 1961/1974. BUSSON Henri, La pensée religieuse de Charron à Pascal, Paris, Vrin, 1933. CANTILLON Alain, “Qu’importe qui parle, de qui à et à qui dans Les Provinciales ?”, in Lectures à clés, Littératures classiques, n° 54, printemps 2005, p. 221-234. CARRAUD Vincent, Pascal et la Philosophie, Presses Universitaires de France, Paris, 1992. DANIEL Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Amsterdam, Donato Donati, 1697. DESCOTES Dominique,“Fonction argumentative de la satire dans les Provinciales de Pascal”, in L’Esprit de la satire, Narr-Place, 1979, p. 43-66. DU LAURENS André, Histoire de l’anatomie, Livre VIII, De l’anatomie, Question IV, Lyon, Rigaud, 1620. GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Vrin, Paris, 1986. HAMMOND, “Pascal and Descartes inutile et incertain”, Seventeenth-century french studies, 16, 1994, p. 59-63. JOUSLIN Olivier, Rien ne nous plaît que le combat. La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007, 2 vol. LHERMET J., Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931. LESAULNIER Jean, Port-Royal insolite. Édition critique du Recueil de choses diverses, Paris, Klincksieck, 1992. MARTIN Henri-Georges, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1999. MESNARD Jean, “Introduction à l’étude de Pascal mondain”, Mélanges Dimoff, Annales Universitatis Saraviensis, t. III, n° 1-2, 1954, p. 75-94. MESNARD Jean, “Science et foi selon Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 346-354. PARISH Richard, Pascal’s Lettres Provinciales, Oxford, Clarendon Press,1989, p. 49. PRIGENT Jean, “Pascal : pyrrhonien, géomètre, chrétien”, Pascal présent, 1662-1962, De Bussac, Clermont-Ferrand, 1963, p. 59-76. RÉGIS Pierre Sylvain, Cours entier de philosophie, tome second, Amsterdam, aux dépens des Huguetan, 1691. ROGER Jacques, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1971. SELLIER Philippe, Pascal et la liturgie, Genève, Slatkine reprints, 1998 (réimpression de l’édition de Paris, 1966). SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. SELLIER Philippe, “Le Saint Augustin de Pascal”, Rivista di storia e letteratura religiosa, Firenze, L. S. Olschki, 2009, p. 359-371. THIROUIN Laurent, “L’éthos de Montalte dans les Provinciales”, in CORNILLIAT François et LOCKWOOD Richard (dir.), Éthos et pathos. Le statut du sujet rhétorique, Champion, Paris, 2000, p. 371-389. TOURNEUR Zacharie, Beauté poétique. Histoire critique d’une pensée de Pascal et de ses annexes, Melun, Rozelle, 1933.
Pour la bibliographie relative à Descartes inutile et incertain, voir le commentaire consacré à cette formule. |
✧ Éclaircissements
Athées.
Voir le dossier thématique Athéisme. Le texte porte sur les principes implicites ou explicites des incrédules, pour montrer que leur force est purement apparente dès qu’on les envisage d’un peu près.
Quelle raison ont‑ils de dire qu’on ne peut ressusciter ? Quel est plus difficile, de naître ou de ressusciter ? Que ce qui n’a jamais été soit, ou que ce qui a été soit encore ? Est‑il plus difficile de venir en être que d’y revenir ? La coutume nous rend l’un facile, le manque de coutume rend l’autre impossible. Populaire façon de juger.
Voir le dossier thématique sur la coutume.
L’argument est développé d’une manière différente par Grotius dans son De la vérité de la religion chrétienne, que Pascal a dû connaître.
Objection de l’impossibilité de la résurrection : voir Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, Liber secundus, VI, De ipsius Jesu resurrectione constare testimoniis fide dignis, ce qui se prouve par la multitude des témoins, et du fait que « non est autem mos mentientum tam multos testes provocare ».
Liber secundus, ch. VII, Solutio adversus objectionem sumptam ab eo quod resurrectio videatur impossibilis ; voir la traduction de Le Jeune, Utrecht, p. 61 sq. « Je ne sache qu’une chose qui pourrait renverser tous ces témoignages, quelque forts qu’ils paraissent : ce serait l’impossibilité de la chose même à laquelle ils servent d’appui, et la contradiction qu’elle renfermerait. Mais je soutiens qu’il n’y a ici, ni impossibilité ni contradiction. C’en serait une de dire, qu’une personne a été vivante et morte dans le même temps. Mais que celui qui a produit la vie la puisse aussi reproduire, cela n’est ni impossible ni contradictoire. Les sages païens l’ont bien senti. On voit même dans leurs livres quelques exemples de résurrection ; comme celle d’un certain Eris d’Arménie, dans Platon ; celle d’une femme, dans Héraclide de Pont, d’Aristée dans Hérodote, et de Thespésius dans Plutarque. Je ne veux pas garantir ces faits. Le seul avantage que j’en tire, c’est de faire voir que les plus habiles gens d’entre les païens, ont mis cette merveille au rang des choses possibles. [Note 17 : Mais je soutiens etc. Justin martyr. Réponse septième aux objections contre la résurrection : « Autre chose est d’être impossible absolument et en soi-même, et d’être impossible à quelqu’un. Par exemple, il est tout-à-fait impossible qu’une figure qui sert de mesure à une autre, soit égale à un des côtés de cette autre. Il est impossible, non absolument, mais à la Nature, de produire sans semence, des êtres animés. Si ceux qui disent que la Résurrection est impossible, l’entendent dans le premier sens, il n’est rien de plus faux. La Résurrection est une nouvelle création. Or une nouvelle création n’est pas impossible en elle-même, puis qu’elle ne fait rien de contradictoire, comme serait l’égalité d’une figure mesurante, à l’un des côtés de celle qu’elle mesure : donc la résurrection n’est pas impossible en elle-même. Que s’ils entendent une impossibilité dans le second sens, ne voient-ils pas que tout ce qui n’est impossible qu’à la créature, est très possible au créateur ? »]
Voir également, II, X, Solvitur obiter objectio inde sumpta quod dissoluta corpora restitui nequeant, et Liber tertius, XI, Solutio objectionis, quasi his libris contineantur impossibilia.
Il n’est toutefois pas certain que Pascal ait consulté ces passages.
Pascal pouvait aussi trouver des indications dans le Pugio fidei adversus Judaeos et Mauros, de Raymond Martin (Raymundus Martinus), Paris, Henault, 1651 (autre édition : Lipsiae, Wittigav, 1687), Pars prima, Cap. XXVI, Objectiones contra resurrectionem mortuorum, et solutiones earum, § I, Objectio prima : Quia naturaliter id quod corruptum est non potest idem numero redire in Esse ; § II, Secunda : Quia esset potius creatio rei novae, quam reparatio ejusdem, éd. de 1651, p. 202-203 (éd. de 1687, p. 253). Les réponses à ces deux objections se trouvent aux § XI et XII, éd. de 1651, p. 205 (éd. de 1687, p. 256-257). Mais il n’est pas certain que Pascal y ait cherché des arguments.
Résurrection : voir Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Résurrection, p. 575-576. Voir également Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 449 sq., sur la résurrection du Christ, et II, p. 535 sq., sur la résurrection générale.
Pascal pense sans doute plutôt aux miracles opérés par le Christ, comme la résurrection de Lazare, dans Jean XI, ou celle de la fille de Jaïre, dans Marc, V, 21-43, Matthieu, IX, 18-26, et Luc, VIII, 40-56.
Est-il plus difficile de venir en être que d’y revenir ? : Havet, II, p. 97, transcrit Est-il plus facile de venir en être que d’y revenir, mais il indique en note qu’il y a plus difficile dans le manuscrit.
L’idée que Pascal conteste est que la naissance est un phénomène plus extraordinaire que la résurrection, contrairement à ce que l’on croit ordinairement : la naissance suppose une création nouvelle, la résurrection n’est qu’un recommencement de ce qui a déjà été. De sorte que ce qui est véritablement incroyable, c’est la naissance parce qu’elle fait venir à l’existence une chose qui n’existait pas, alors que la résurrection, qui consiste à faire revenir ce qui existait déjà est peut-être inhabituel, mais intrinsèquement beaucoup moins extraordinaire.
La méthode de Pascal dans ce passage consiste à montrer que, quoique les athées se prévalent de refuser les croyances populaires et reprochent aux chrétiens de croire à des fables comme la résurrection des morts, il se laissent inconsciemment guider par la coutume : la fréquence des naissances et la rareté des résurrections leur font penser que les unes sont impossibles, et les autres très faciles. Pascal retourne alors contre eux le reproche qu’ils adressent au peuple : l’incroyant reproche au peuple de juger des choses par la coutume, mais lui-même ne raisonne pas autrement.
La faute des incrédules consiste à identifier fréquence et facilité et rareté et difficulté.
On retrouve le même type d’argument dans les fragments suivants :
Le nerf de la critique réside dans la confusion entre fréquence et facilité, et rareté et difficulté.
Soumission 2 (Laf. 168, Sel. 199). Que je hais ces sottises de ne pas croire l’eucharistie, etc. Si l’évangile est vrai, si Jésus-Christ est Dieu, quelle difficulté y a-t-il là ?
Fondement 4 (Laf. 227, Sel. 259). Qu’ont-ils à dire contre la résurrection, et contre l’enfantement d’une vierge ? Qu’est-il plus difficile de produire un homme ou un animal, que de le reproduire ? Et s’ils n’avaient jamais vu une espèce d’animaux pourraient-ils deviner s’ils se produisent sans la compagnie les uns des autres ?
-------
Pourquoi une vierge ne peut‑elle enfanter ?
Allusion à la Vierge Marie qui a sans doute choqué les éditeurs de 1670.
Sur la personne de la Vierge Marie, voir
Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 456 sq. La Mère du Rédempteur. Marie toujours vierge, p. 462 sq. Marie conçut et enfanta son Fils sans dommage pour sa virginité et resta également vierge après son enfantement : p. 462. Selon Bartmann, c’est un principe de foi. Denz. 993 : « Maria persistit semper in virginitatis integritate, ante partum, in partu, et perpetuo post partum » : p. 462. La conception virginale annoncée par Isaïe, VII, 14 : « Voici que la vierge concevra et enfantera un fils et son nom sera appelé Emmanuel, c’est-à-dire Dieu avec nous ». Concordance avec Matthieu, I, 23 : p. 463. Références sur ce point dans Matthieu, I, 18-20, Luc, I, 35. La virginité après la naissance : p. 464 sq. Semper virgo, virgo post partum : p. 464-465. Origène contre les adversaires du post partum : p. 465.
Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, art. Virginité, Paris, Desclée, 1963, p. 643.
Pour approfondir : Hurter H, SJ, Theologiae specialis tractatus tres, Tract. VII, cap. VI, Mariologia, t. 1, Oeniponte, Libraria academica Wagneriana, 1896, p. 450 sq. Maria Dei genitrix : p. 450. De immaculata conception : p. 464. Immunis fuit a quovis peccato actuali : p. 487. Perpetua virginitas : p. 489. Merito nominee mediatrices salutatur : p. 502.
On a reproché à Pascal d’avoir préparé une apologie sans évoquer la Vierge Marie. D’autres textes donnent un certain éclairage sur sa pensée sur ce sujet.
Preuves de Jésus-Christ 2 (Laf. 299, Sel. 330). L’évangile ne parle de la virginité de la vierge que jusques à la naissance de Jésus-Christ. Tout par rapport à Jésus-Christ.
Voir aussi L’abrégé de la vie de Jésus-Christ, v. 1-6, OC III, éd. J. Mesnard, p. 250-251, sur la naissance du Christ.
Dans la pensée n° 8H-19T (Laf. 919, Sel. 751), Marie est présentée dans son abandon à la volonté de Dieu : Laisse-toi conduire à mes règles. Vois comme j’ai bien conduit la Vierge et les saints qui m’ont laissé agir en eux.
En tout cas, Pascal a fermement défendu Marie contre les piétés fantaisistes recommandées par le P. Barry, dans la IXe Provinciale. Voir l’éd. Cognet, Garnier, p. 154-155. « Apprenez-m’en donc quelqu’une des plus faciles, mon Père. Elles le sont toutes, répondit-il : par exemple, saluer la sainte Vierge au rencontre de ses images ; dire le petit chapelet des dix plaisirs de la Vierge ; prononcer souvent le nom de Marie ; donner commission aux Anges de lui faire la révérence de notre part ; souhaiter de lui bâtir plus d’églises que n’ont fait tous les monarques ensemble ; lui donner tous les matins le bonjour, et sur le tard le bonsoir ; dire tous les jours l’Ave Maria, en l’honneur du cœur de Marie. Et il dit que cette dévotion-là assure, de plus, d’obtenir le cœur de la Vierge. Mais, mon Père, lui dis-je, c’est pourvu qu’on lui donne aussi le sien ? Cela n’est pas nécessaire, dit-il, quand on est trop attaché au monde. Écoutez-le : Cœur pour cœur, ce serait bien ce qu’il faut ; mais le vôtre est un peu trop attaché et tient un peu trop aux créatures : ce qui fait que je n’ose vous inviter à offrir aujourd’hui ce petit esclave que vous appelez votre cœur. Et ainsi il se contente de l’Ave Maria, qu’il avait demandé. »
Pour les chrétiens, le miracle relatif à Marie est celui de l’immaculée conception, savoir le fait qu’elle n’a pas été atteinte par le péché originel. Mais du côté des incroyants, ce principe n’a guère de sens. Aussi leurs objections se sont-elles plutôt tournées sur le fait qu’il paraît incroyable qu’une vierge puisse porter un enfant et enfanter sans intervention d’un mâle. La réponse de Pascal est donc ici ad hominem, et ne touche que ce second point, pour montrer qu’il n’y a rien d’absurde dans le fait qu’une vierge puisse enfanter.
Les esprits forts s’en sont toujours pris au caractère incroyable de l’histoire de la Vierge Marie. Mais l’objection est celle de l’impossibilité de l’enfantement sans aide masculine. Voir par exemple dans Adam Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, Buchet-Chastel, 1964, p. 77, Chansons de Blot, n° 18 :
« Qu’une colombe à tire d’aile
Ait obombré une pucelle
Je ne crois rien de tout cela.
On en dit autant en Phrygie
Et le beau cygne de Léda
Vaut bien le pigeon de Marie ».
Busson Henri, La religion des classiques, Brionne, Montfort, 1948, p. 367 sq. Notes de Racine sur la Concordia rationis et fidei seu alnetaneae quaestiones, BN, fds. français 12 887, f° 79-82. Sur cette Concordia, voir Racine Jean, Œuvres complètes, éd. Picard, Pléiade, II, p. 1211. Ce livre dû à Huet, évêque d’Avranches, est paru à Paris en 1690, dédié au P. de la Chaise. p. 707 sq. « Christ né d’une vierge » : p. 708. Exemples d’enfantements extraordinaires tirés de la mythologie. Cas des « naturalistes », qui donnent des exemples de parthénogénèse. Cas d’une vierge ante partum et post partum. Arnauld, dans sa lettre à Dodart du 1er septembre 1691, Œuvres, III, éd. de Lausanne, Lettre DCCCXXXIII, p. 400 sq., s’en prend fortement à ces pages qu’il juge horribles.
Busson Henri, La pensée religieuse de Charron à Pascal, Paris, Vrin, 1933, p. 518. Desmarets de Saint-Sorlin, Les délices de l’esprit, Xe journée, II, p. 28. « Mais... je ne puis croire qu’un Dieu éternel et infini ait voulu prendre chair humaine, et se renfermer dans le ventre d’une vierge, et ait pu être par elle, sans opération d’homme, et sortir d’elle sans blesser sa virginité. »
Fondement 4 (Laf. 227, Sel. 259). Qu’ont-ils à dire contre la résurrection, et contre l’enfantement d’une Vierge ? Qu’est-il plus difficile de produire un homme ou un animal, que de le reproduire ? Et s’ils n’avaient jamais vu une espèce d’animaux pourraient-ils deviner s’ils se produisent sans la compagnie les uns des autres ?
Quelque étrange que puisse paraître l’argument de la poule qui suit immédiatement, l’idée que l’on aurait du mal à saisir le mode de reproduction d’animaux entièrement inconnus demeure recevable. La pointe de l’argument ne réside pas dans la connaissance de la formation des poussins, ni même des animaux en général, mais dans l’idée que nul ne peut connaître les voies ni les forces de la Nature, de sorte que l’on ne peut sans impertinence affirmer que des phénomènes extraordinaires ne sont pas possibles parce qu’ils sont rares ou inconnus. Cet argument est très clairement expliqué par Tetsuya Shiokawa dans le deuxième chapitre de son livre Pascal et les miracles, sur Pascal devant la nature, p. 42 sq.
Une poule ne fait‑elle pas des œufs sans coq ? Quoi les distingue par dehors d’avec les autres ? Et qui nous a dit que la poule n’y peut former ce germe aussi bien que le coq ?
Pensées, éd. Havet, II, Nouvelles additions et corrections, p. 89, renvoie à un texte de Tertullien, Adversus Valentinianos, 10 : « Miraris haec ? Et gallina sortita est de suo parere ». Tr. de De Genoude, Paris, Vivès, 1852, p. 113. « La poule n’a-t-elle pas la vertu de produire par elle-même ? Il n’y a, dit-on, que des femelles parmi les vautours : elles deviennent mères cependant sans le concours du mâle ». Mais Havet remarque que Tertullien plaisantait et ne voulait que se moquer de la génération mystique d’Enthymésis ou la Pensée, née de Sophia ou la Sagesse, selon les Valentiniens, qui ne lui donnaient pas de père.
Sur la formation de l’œuf de la poule, voir Régis Pierre Sylvain, Cours entier de philosophie, tome second, Amsterdam, aux dépens des Huguetan, 1691, Livre VII, chapitres I-II, p. 635-644. La description de l’œuf et de son évolution est complète ; mais il ne précise pas si le coq est nécessaire à la fécondation ou non... En fait, le coq est nécessaire pour que le sperme féconde l’œuf et non pour le former. Il arrive que certains œufs soient stériles.
Du Laurens André, Histoire de l’anatomie, Livre VIII, De l’anatomie, Question IV, Lyon, Rigaud, 1620, p. 850-851. « Les œufs sans germe, que les poules font sans coq, ont bien des figures d’œufs, mais ils sont stériles, et n’en peut venir de poussins, ainsi les petits œufs, que les coqs font quelquefois ne sont nullement féconds, et ne peuvent produire de petits. Donc la semence du mâle et de la femelle est nécessairement requise. »
Guyénot Émile, Les sciences de la vie aux XVIIe et XVIIe siècles. L’idée d’évolution, Paris, Albin Michel, 1941, p. 259 sq. Idées sur le fœtus de poulet.
Sur les recherches et les discussions relatives à la conception et à la génération, voir les ouvrages suivants : ✍
Roger Jacques, Les sciences de la vie dans la pensée française du XVIIIe siècle, Paris, Colin, 1971.
Tocanne Bernard, L’idée de nature en France dans la seconde moitié du XVIIe siècle. Contribution à l’histoire de la pensée classique, Paris, Klincksieck, 1978, p. 64 sq. Le problème de la génération.
Pizon Antoine, Anatomie et physiologie humaines, suivies de l’étude des principaux groupes zoologiques, Paris, Doin, 1930.
L’argument de Pascal est biaisé du fait que si la Vierge a enfanté Jésus, les œufs que la poule forme sans coq ne produisent pas de poussin. Il est cependant vraisemblable que Pascal n’aurait pas sorti cet argument de ses dossiers. Les éditeurs des Pensées de 1670 ont du reste soigneusement supprimé cette note, qui a dû leur paraître sentir le burlesque.
La même idée perd cependant son apparence étrange à partir dès lors que Pascal généralise l’idée en escamotant la poule, comme il le fait dans le fragment Fondement 4 (Laf. 227, Sel. 259). Qu’ont-ils à dire contre la résurrection, et contre l’enfantement d’une Vierge ? Qu’est-il plus difficile de produire un homme ou un animal, que de le reproduire ? Et s’ils n’avaient jamais vu une espèce d’animaux pourraient-ils deviner s’ils se produisent sans la compagnie les uns des autres ? Voir le paragraphe précédent sur la pointe de cet argument.
Le comité d’édition de Port-Royal n’a du reste pas hésité à reprendre cette dernière version, en modifiant quelque peu le texte pour lui donner un caractère plus sérieux : « Je ne vois pas qu’il y ait plus de difficulté de croire la résurrection des corps, et l’enfantement de la Vierge, que la création. Est-il plus difficile de reproduire un homme, que de le produire ? Et si on n’avait jamais su ce que c’est que génération, trouverait-on plus étrange qu’un enfant vint d’une fille seule, que d’un homme et d’une femme ? »
-------
Il y a tant de disproportion entre le mérite qu’il croit avoir et la bêtise, qu’on ne saurait croire qu’il se mécompte si fort.
Il est difficile de dire de qui il s’agit, et si Pascal vise une personne en particulier.
Il faut sans doute comprendre : il est tellement bête et si prétentieux qu’on a peine à croire qu’il puisse ne pas voir à quel point il se trompe sur lui-même. Certaines éditions donnent « sa bêtise » (GEF 946, t. XIV, p. 381). C’est sans doute une lectio facilior.
-------
Après tant de marques de piété, ils ont encore la persécution, qui est la meilleure des marques de la piété.
Il s’agit des religieuses et sans doute des Messieurs de Port-Royal.
Arnauld Antoine, Jugement équitable sur les contestations présentes, pour éviter les jugements téméraires et criminels, tiré de saint Augustin, attribué à Arnauld (Œuvres, XXII, p. 567). « Il y a des tempêtes dans l’Église, aussi bien que dans le monde. Il s’y élève des troubles et des factions. Il y a quelquefois des innocents persécutés, et qui succombent sous les efforts de la calomnie. Et S. Augustin nous apprend qu’il y a plus qu’on ne pense de saints opprimés, et même condamnés par les ministres de l’Église, que Dieu, qui les voit en secret, couronne en secret : Hos coronat in occulto Pater in occulto videns » (De vera rel., c. 8) : p. 567.
Il est bon qu’ils fassent des injustices, de peur qu’il ne paraisse que les molinistes ont agi avec justice. Et ainsi il ne les faut pas épargner, ils sont dignes d’en commettre.
La mention des molinistes indique que le pronom ils désigne ici les jésuites.
Ce passage est peut-être une réponse adressée par Pascal à ceux qui trouvaient que les railleries des Provinciales blessaient la charité de frères et « la modestie de chrétiens » : Les Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. 201-202. Les critiques venaient évidemment du côté des jésuites, qui les faisaient valoir auprès de Singlin, qui n’avait pas la dialectique d’Arnauld et de Pascal pour y résister. Il y avait à Port-Royal même un « parti de la paix » : la Mère Angélique estimait la beauté des Provinciales, mais trouvait que le silence aurait été préférable à leur succès, « qui amuse plus de personnes qu’elle n’en convertit » : voir Les Provinciales, éd. Cognet, p. XLVI-XLVII, pour plus de détail.
Le présent passage est apparemment une réponse qui tend à justifier la méthode de Pascal. Les injustices des jésuites ont ceci de bon qu’elles sont assez visibles pour que le public les juge avec la sévérité qu’ils méritent. Il n’y a pas de fausseté à les dévoiler, parce que ce n’est que dire la vérité. Par conséquent, il ne faut pas les épargner. Pascal tire ici la conséquence des règles pour la polémique chrétienne dans la XIe Provinciale, qui prescrivent de parler toujours « avec vérité et sincérité », rebus veris, comme dit saint Augustin, sans dire « toutes les choses qui sont vraies, parce qu’on ne doit rapporter que les choses qu’il est utile de découvrir » (éd. Cognet, p. 203-205) : comme les jésuites ont montré qu’ils sont dignes de commettre des injustices, il ne faut pas les épargner, sans blesser la vérité.
-------
Pyrrhonien pour opiniâtre.
Pascal distingue entre la doctrine d’un philosophe et la manière dont il la soutient : on peut être sceptique en doctrine et dogmatique dans la manière, ou être intolérant lorsque l’on prêche la tolérance, jusqu’à la contradiction complète.
Laf. 655, Sel. 539. Les discours d’humilité sont matière d’orgueil aux gens glorieux et d’humilité aux humbles. Ainsi ceux du pyrrhonisme sont matière d’affirmation aux affirmatifs. Peu parlent de l’humilité humblement, peu de la chasteté chastement, peu du pyrrhonisme en doutant. Nous ne sommes que mensonge, duplicité, contrariété et nous cachons et nous déguisons à nous-mêmes.
Prigent Jean, “Pascal : pyrrhonien, géomètre, chrétien”, Pascal présent, 1662-1962, De Bussac, Clermont-Ferrand, 1963, p. 59-76. Voir p. 66. Sur la manière dont le pyrrhonisme se nourrit de dogmatisme et inversement. Les pyrrhoniens sont opiniâtres dans la mesure où ils sont constamment à réclamer des preuves, y compris pour les principes qui par nature ne sont pas démontrables.
Laf. 520, Sel. 453. J’ai passé longtemps de ma vie en croyant qu’il y avait une justice et en cela je ne me trompais pas, car il y en a selon que Dieu nous l’a voulu révéler, mais je ne le prenais pas ainsi et c’est en quoi je me trompais, car je croyais que notre justice était essentiellement juste, et que j’avais de quoi la connaître et en juger, mais je me suis trouvé tant de fois en faute de jugement droit, qu’enfin je suis entré en défiance de moi et puis des autres. J’ai vu tous les pays et hommes changeants. Et ainsi après bien des changements de jugement touchant la véritable justice j’ai connu que notre nature n’était qu’un continuel changement et je n’ai plus changé depuis. Et si je changeais je confirmerais mon opinion. Le pyrrhonien Arcésilas qui redevient dogmatique. (texte barré verticalement)
Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 122. Remarque sur le fait qu’en raison de son opiniâtreté, il est difficile de faire sortir le pyrrhonien de son scepticisme. C’est cependant ce que l’apologiste doit accomplir.
-------
Descartes inutile et incertain.
Voir la note de GEF XII, p. 99, sur le mot philosophie, qui s’entend de la philosophie naturelle comme « science des choses extérieures ».
Il ne faut pas oublier que ce jugement sévère est compensé par un éloge accordé à Descartes dans De l’esprit géométrique, II, De l’art de persuader, § 23-25, OC III, éd. J. Mesnard, p. 424-425 :
« 23. Je voudrais demander à des personnes équitables si ce principe : La matière est dans une incapacité naturelle invincible de penser, et celui-ci : Je pense, donc je suis, soient en effet une même chose dans l’esprit de Descartes et dans l’esprit de saint Augustin, qui a dit la même chose douze cents ans auparavant.
En vérité je suis bien éloigné de dire que Descartes n’en soit pas le véritable auteur, quand même il ne l’aurait appris que dans la lecture de ce grand saint. Car je sais combien il y a de différence entre écrire un mot à l’aventure, sans y faire une réflexion plus longue et plus étendue, et apercevoir dans ce mot une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielle et spirituelle, et en faire un principe ferme et soutenu d’une physique entière, comme Descartes a prétendu faire. Car, sans examiner s’il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu’il l’ait fait, et c’est dans cette supposition que je dis que ce mot est aussi différent dans ses écrits d’avec le même mot dans les autres qui l’ont dit en passant, qu’un homme mort d’avec un homme plein de vie et de force.
24. Tel dira une chose de soi-même sans en comprendre l’excellence, où un autre comprendra une suite merveilleuse de conséquences qui nous font dire hardiment que ce n’est plus le même mot, et qu’il ne le doit non plus à celui d’où il l’a appris, qu’un arbre admirable n’appartiendra pas à celui qui en aurait jeté la semence, sans y penser et sans la connaître, dans une terre abondante qui en aurait profité de la sorte par sa propre fertilité.
Les mêmes pensées poussent quelquefois tout autrement dans un autre que dans leur auteur : infertiles dans leur champ naturel, abondantes étant transplantées.
25. Mais il arrive bien plus souvent qu’un bon esprit fait produire lui-même à ses propres pensées tout le fruit dont elles sont capables, et qu’ensuite quelques autres, les ayant ouï estimer, les empruntent et s’en parent, mais sans en connaître l’excellence ; et c’est alors que la différence d’un même mot en diverses bouches paraît le plus. »
Noter tout de même que dans cet éloge se glisse une réserve importante : voir Davidson Hugh, Pascal and the arts of mind, Cambridge, 1993, p. 69. Sans examiner s’il a réussi efficacement dans sa prétention, je suppose qu’il l’ait fait : Pascal prend la précaution de dire implicitement qu’il ne croit pas que Descartes l’ait fait. Voir De l’esprit géométrique, II, Art de persuader, § 23, OC III, éd. J. Mesnard, p. 424. L’éloge de Descartes est strictement dosé : il est l’auteur d’un principe dans lequel il a su voir « une suite admirable de conséquences, qui prouve la distinction des natures matérielles et spirituelles » ; la réserve porte sur la prétention à en faire le « principe ferme et soutenu d’une physique entière ». Pascal concède aussi l’originalité de ce principe chez Descartes. Par conséquent, ce dont il fait l’éloge, c’est d’abord l’ordre. L’exemple de Descartes lui sert à montrer que le souci de l’ordre est lié à la fécondité de l’esprit.
Hammond Nicholas, “Pascal and Descartes inutile et incertain”, Seventeenth-century french studies, 16, 1994, p. 59-63. ✍
Descartes est incertain, dans la mesure où sa physique et sa métaphysique sont fondées sur des principes qui paraissent arbitraires et produits par l’imagination.
On sait que l’idée que Descartes écrit souvent en romancier plus qu’en savant a rencontré un grand écho.
Pascal semble reprendre un thème semblable.
Descartes est inutile, dans la mesure où sa philosophie ne conduit pas à l’unique nécessaire, c’est-à-dire à la religion chrétienne. C’est du reste ce que Pascal reproche au « Dieu des philosophes », qui ne peuvent guère conduire qu’à une forme de déisme.
Propos de Pascal rapporté par Marguerite Périer, Mémoire sur Pascal et sa famille, OC I, éd. J. Mesnard, p. 1105 (Laf. 1001) : « Je ne puis pardonner à Descartes ; il voudrait bien, dans toute sa philosophie, se pouvoir passer de Dieu, mais il n’a pu s’empêcher de lui faire donner une chiquenaude pour mettre le monde en mouvement ; après cela il n’a plus que faire de Dieu ».
Mais Pascal est tout aussi sévère à l’égard de la physique de Descartes :
Propos rapporté par Menjot, Opuscules posthumes, 1e partie, Amsterdam, 1697, p. 115 ; OC I, éd. J. Mesnard, p. 831 (Laf. 1008). « Feu M. Pascal appelait la philosophie cartésienne le roman de la nature, semblable à peu près à l’histoire de Don Quichotte. » Sur Menjot, voir l’article du Dictionnaire de Port-Royal.
On sait par le Recueil de choses diverses, f° 94 r°-v°, in OC I, éd. J. Mesnard, p. 892, que Pascal aimait le Roman comique de Scarron. Mais il y a loin de Scarron à Cervantès.
Mesnard Jean, “Introduction à l’étude de Pascal mondain”, Annales Universitatis Saraviensis, 1954, p. 89.
Dans la Quinzième Provinciale, éd. Cognet, Garnier, p. 295, Pascal déclare que c’est à tort qu’on lui reproche d’avoir écrit des romans avant ses lettres, alors qu’il n’en a lu aucun.
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 176. Pascal dit sans doute vrai, car il songe sans doute aux romans fleuves de la préciosité. En tout cas, il a dû feuilleter le Grand Cyrus pour y lire le portrait de Christine de Suède (voir Laf. 635, Sel. 528 : On aime à voir l’erreur, la passion de Cléobuline parce qu’elle ne la connaît pas : elle déplairait si elle n’était trompée). Mais il semble avoir admiré le Don Quichotte et le Roman comique.
L’idée que Descartes construit sa physique sur de pures hypothèses et écrit en romancier qui suit son imagination à la manière des romanciers est un leit-motif des anticartésiens. Cependant, il semble naître chez un ami, sur un ton amicalement ironique : voir AT I, p. 570, la Lettre de Balzac à Descartes du 30 mai 1628, sur l’histoire de sa pensée, qu’il attend : « il y aura plaisir... à considérer vos prouesses contre les Géants de l’École ».
Gassendi Pierre, Disquisitio metaphysiuca seu dubitationes et instantiae adversus Renati Cartesii Metaphysical et responsa, éd. Rochot, Paris, Vrin, p. 56. « Comme si celui qui fait le déclamateur, et cela non pas à la manière des rhéteurs, mais des poètes et des faiseurs de romans, n’était pas plutôt celui qui tient des discours comme les vôtres ! qui, étant comme impuissant à présenter l’action de la manière habituelle, fait entrer sur le théâtre les Songes, Dieu, le malin Génie ».
Voir aussi dans La querelle d’Utrecht, Textes établis et annotés par Theo Verbeeck, Paris, Les impressions nouvelles, 1988, p. 249 sq., sous la plume de Martin Schoock, le reproche de faire passer une narration pour une démonstration. Avec ses procédés, on peut éclaircir par des principes imaginaires tous les secrets de la Nature : p. 250. Parallèle avec les imaginations de Mahomet : p. 250.
Huygens Christian, Appendice à la lettre de Huygens à Pierre Bayle du 26 février 1693, n° 2791, Œuvres, X, p. 403. Texte cité dans Taton René (dir.), La science moderne (de 1450 à 1800), Histoire générale des sciences, II, Paris, P. U. F., 1969, p. 275. « M. Descartes avait trouvé le moyen de faire prendre ses conjectures et fictions pour des vérités. Et il arrivait à ceux qui lisaient ses Principes de philosophie quelque chose de semblable à ceux qui lisent des romans qui plaisent et font la même impression que des histoires véritables. La nouveauté des figures de ses petites particules et des tourbillons y fait un grand agrément. Il me semblait lorsque je lus ce livre des Principes pour la première fois que tout allait le mieux du monde, et je croyais, quand j’y trouvais quelque difficulté, que c’était ma faute de ne pas bien comprendre sa pensée. Je n’avais que 15 à 16 ans. Mais y ayant découvert de temps en temps des choses visiblement fausses, et d’autres très peu vraisemblables, je suis fort revenu de la préoccupation où j’avais été. » Voir le même texte dans Dugas René, La Mécanique au XVIIe Siècle, Neuchâtel, Éd. Griffon, 1954, p. 284-285.
L’idée est reprise par la suite : voir Belaval Yvon, Leibniz critique de Descartes, Paris, Gallimard, 1960, p. 476. Selon Leibniz, Descartes a fini par un roman de physique.
Voltaire, Lettre à Dortous de Mairan du 11 septembre 1738, Correspondance, I, éd. Besterman, Pléiade, Paris, Gallimard, 1977, p. 1243. Descartes en physique n’a fait que des romans.
Mesnard Jean, “Science et foi selon Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992, p. 346-354. Pascal considère la physique cartésienne, avec sa matière subtile et ses tourbillons comme un « pur roman » : p. 347. Sur l’opposition entre la manière dont Pascal conçoit la recherche scientifique et celle de Descartes.
OC I, p. 999 sq., Lettres de M. Nicole, Paris, 1714, et Lille, 1718, p. 451-452 (Laf. 1005). Propos attribué à Pascal : « Feu Monsieur Pascal quand il voulait donner un exemple d’une rêverie qui pouvait être approuvée par entêtement proposait d’ordinaire l’opinion de Descartes sur la matière et sur l’espace. » Rêverie, selon Furetière, signifie songe extravagant, délire.
Laf. 553, Sel. 462. Écrire contre ceux qui approfondissent trop les sciences. Descartes.
Verso de Raisons des effets 3 (Laf. 84, Sel. 118). Descartes. Il faut dire en gros : cela se fait par figure et mouvement. Car cela est vrai, mais de dire quelles et composer la machine, cela est ridicule. Car cela est inutile et incertain et pénible. Et quand cela serait vrai, nous n’estimons pas que toute la philosophie vaille une heure de peine. (texte barré verticalement)
Ce n’est pas sans un certain humour que Pascal dit de Descartes ce qui suit :
Recueil de choses diverses, OC I, éd. J. Mesnard, p. 893. Cité par Griselle E., Pascal et les Pascalins, Fribourg, p. 61, et Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite, p. 411 : « Descartes. Il accorde à l’esprit la connaissance de Dieu par un mode que Dieu donne à la vie. Il croyait que Dieu pouvait nous créer avec des idées contraires à celles que nous avons. M. Pascal l’appelait le Docteur de la raison ». Docteur de la raison est implicitement mis en opposition avec le surnom docteur de la grâce, donné à saint Augustin.
La bibliographie relative à Pascal et Descartes est pléthorique ; nous ne signalons ci-dessous que des textes qui ont rapport avec le caractère inutile et incertain selon Pascal. Voir pour le reste : ✍
Havet Ernest, “Descartes et Pascal”, Revue politique et littéraire (Revue bleue), 3e série, t. X, 29 août 1885, p. 281-283.
Jolivet R., “L’anticartésianisme de Pascal”, Archives de philosophie, I, 3, 1923, p. 242-255.
Pucelle Jean, “Malentendu sur Pascal et Descartes. Pascal et les philosophes”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 96-103.
Rodis-Lewis Geneviève, “Pascal devant le doute hyperbolique de Descartes”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 104-115.
Sellier Philippe, “Pascal et la philosophie : la dérision de la raison”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Champion, Paris, 1999, p. 223-229.
Simon H., “Deux attitudes de philosophes chrétiens : Pascal contre Descartes”, Nouvelle revue des jeunes, 25 juillet 1929.
Strada J. de, Pascal et Descartes, Ollendorf, Paris, 1897, XII-379 p.
Dagens Jean, “La sagesse suivant Descartes et suivant Pascal”, Studia catholica, I, 1924-1925, p. 225-240.
Petit Henri, Descartes et Pascal, Paris, L’Harmattan, 1995.
Thomas J.F., “Pascal et Descartes, compatibilités et incompatibilités”, Revue de synthèse, 80, 1959, p. 113-119.
Ciancio Claudio, “Pascal contro Cartesio : l’altro inizio del moderno”, in Pezzino Giuseppe (dir.), L’incerto potere della ragione, Catania, C. U. E. C. M., 2005, p. 17-32.
Le Guern Michel, Pascal et Descartes, Paris, Nizet, 1971.
Vieillard-Baron J.-L., “Le Dieu de la foi et le Dieu de la raison : Descartes et Pascal”, Revue des sciences philosophiques et théologiques, tome 75, n° 1, janvier 1991, p. 3-5.
Carraud Vincent, Pascal et la philosophie, p. 217 sq.
On n’a jamais pensé à rapprocher le présent fragment avec un texte de la collection Joly de Fleury, BNF, 2466, f° 247 (Sel. 783) : Je ne trouve rien de si aisé que de traiter de roman tout cela. Mais je ne trouve rien de plus difficile que d’y répondre. S’il s’agissait de la manière dont on a traité les écrits de Descartes de roman, on devrait compléter ce qui a été dit plus haut.
Mais le contexte du manuscrit est plutôt d’ordre religieux, et on remarque aisément que le passage pourrait s’appliquer à la religion chrétienne, qu’il est facile de railler, mais très difficile de réfuter.
-------
Nul ne dit courtisan que ceux qui ne le sont pas, pédant qu’un pédant, provincial qu’un provincial,
Tourneur Zacharie, Beauté poétique. Histoire critique d’une pensée de Pascal et de ses annexes, Melun, Rozelle, 1933, p. 47. Brunschvicg propose de lire cartésien plutôt que courtisan. Il convient cependant que courtisan donne un sens aussi satisfaisant.
Voir le dossier thématique Façon de parler.
Le passage est très difficile à comprendre en raison de son expression très concentrée.
Nul ne dit courtisan que ceux qui ne le sont pas : ce sont les gens qui n’ont pas accès à la Cour qui désignent par ce mot ceux qui ont accès à l’entourage du roi. Mais les courtisans eux-mêmes ne s’appliquent pas ce mot, car il enferme une nuance dépréciative (dans laquelle l’envie a naturellement sa part).
Courtisan : homme qui hante la Cour, qui est à la suite du roi. Ce Seigneur est un sage courtisan, un habile, un rusé courtisan. Courtisans se dit aussi de ceux qui rendent des respects ou des assiduités à de grands seigneurs, pour en obtenir quelque avantage. Ceux qui ont bien des emplois à donner, à procurer, ne manquent point de courtisans (Furetière). L’édition de 1701 montre, citations à l’appui, que le mot prend facilement un sens défavorable : homme qui hante la Cour, qui est à la suite du roi. Les courtisans ne doivent pas dire tout ce qu’ils pensent. Les courtisans sont les parasites des rois. Il y a une grande différence entre les courtisans de bonne foi, qui aiment le prince, et les courtisans intéressés qui ne cherchent que la fortune. Les courtisans regardent les gens de province et les savants avec dédain et avec pitié. On cite aussi La Fontaine, Les obsèques de la lionne :
« Les courtisans ne sont que de simples ressorts,
Sont ce qui plaît au prince, ou s’ils ne peuvent l’être
Tâchent au moins de le paraître ;
Peuple caméléon, peuple singe du maître ».
On comprend ainsi pourquoi les courtisans répugnent à prendre ce nom, et que seuls ceux qui ne le sont pas en usent pour les désigner.
La suite est difficilement compréhensible telle quelle. On ne voit pas pourquoi seuls les pédants useraient du mot de pédant, et les provinciaux du terme provincial. Il ne devient intelligible que si l’on fait porter la négation qui se trouve dans que ceux qui ne le sont pas sur les deux formules suivantes.
Pédant qu’un pédant : le mot désigne, selon Furetière, un homme de collège qui a soin d’instruire er de gouverner la jeunesse. Il se dit aussi de celui qui fait un mauvais usage des sciences, qui les corrompt et altère, qui les tourne mal, qui fait de méchantes critiques et observations, comme le font la plupart des gens de collège. Les qualités d’un pédant, c’est d’être mal poli, malpropre, fort crotté, critique opiniâtre, et de disputer en galimatias. Pascal n’a pas pu connaître les Femmes savantes de Molière, où c’est Clitandre, l’homme de cour, qui traite Trissotin de pédant.
Provincial qu’un provincial : entendre, en transposant la négation, ne dit provincial qu’un homme qui n’est pas provincial.
On trouve, avec les outrances que comporte le genre comique, un exemple du mépris qui frappe le provincial monté à Paris dans les Précieuses ridicules et dans Monsieur de Pourceaugnac de Molière.
Barrière Pierre, La vie intellectuelle du XVIe siècle à l’époque contemporaine, p. 143 sq. Sur la notion de provincial, et l’opposition, au XVIIe siècle, de la bourgeoisie parisienne et de la bourgeoisie de province.
Daniel Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Amsterdam, Donato Donati, 1697, p. 197, cite Bouhours, Remarques nouvelles sur la langue française, qui dit qu’on ne prend guère le mot de provincial qu’en mauvaise part, pour désigner quelqu’un qui demeure en province. Provinciales : on le dit de ces femmes nouvellement débarquées qui viennent à Paris pour la première fois. Bouhours : « le mot de provincial emporte je ne sais quoi de contraint et d’embarrassé, et sans compter le mauvais accent, quelque chose d’irrégulier, de peu poli dans le langage... À parler en général, il y a une espèce de ridicule attaché au nom de Provincial pris pour une personne qui demeure en province, et le titre de certaines lettres satiriques ne manquent pas de délicatesse. Je m’étonne que l’imprimeur, voyant que l’adresse était à une personne à la campagne, ne mit pour titre Lettres écrite à un campagnard de ses amis, et que ces lettres n’aient été appelées les Campagnardes au lieu des Provinciales ». Sur l’origine du titre, et le fait que rien n’oblige à croire l’anecdote de l’imprimeur : p. 198-199.
Les Provinciales ou les lettres écrites par Louis de Montalte à un provincial et aux révérends pères jésuites, publiées sur la dernière édition revue par Pascal, avec les variantes des éditions précédentes, et leur réfutation consistant en introductions et nombreuses notes historiques, littéraires, philosophiques et théologiques, par M. l’abbé Maynard, chanoine honoraire de Poitiers, I, Paris, Didot, 1851, p. 71. Sur le mot provincial, que Bouhours critique dans ses Remarques nouvelles sur la langue française, 1693, p. 276 : le mot se prend en mauvais part ; on aurait dû appeler les lettres de Pascal les Campagnardes.
Duchêne Roger, L’imposture littéraire dans les Provinciales de Pascal, p. 11 sq. ; il faut envisager cette dénomination selon le couple de Paris et de la Province. Campagnard aurait été trop péjoratif : il faut penser au campagnard de la satire de Boileau sur le repas ridicule. Un provincial, c’est un homme de province qui n’a pas l’air du beau monde, que l’éloignement prive d’information, dans le cas présent sur les affaires récentes (intrigues de Sorbonne). Il passe donc pour un ignorant et tombe facilement dans le ridicule.
Dans la traduction des Provinciales par Nicole, c’est l’Allemagne qui prend la place de la province française : comme les Petites Lettres sont connues en France, pour justifier ses explications, Wendrock, prétendument théologien à Salzbourg, écrit que certains détails sont encore mal connus en Allemagne ; voir Provinciales, tr. Joncoux, I, éd. de 1700, p. 42, Note unique sur la troisième lettre : « Il y a différentes choses dans cette lettre dont Montalte ne parle qu’en passant et à demi-mot, parce qu’elles sont publiques en France, mais qui n’étant pas connues en Allemagne n’y peuvent être entendues comme il faut, à moins qu’on ne les explique. »
Noter que paradoxalement, Pascal, originaire de Clermont, est un provincial, qui emploie dans ce fragment le mot provincial. La seconde version de la Vie de Pascal, § 23, OC I, éd. J. Mesnard, p. 612, rapporte qu’il n’avait pas l’air provincial : « Le voilà donc dans le monde. Il se trouva plusieurs fois à la Cour, où des personnages qui y étaient consommés remarquèrent qu’il en prit d’abord l’air et les manières avec autant d’agrément que s’il y eût été nourri toute sa vie. Il est vrai que, quand il parlait du monde, il en développait si bien tous les ressorts qu’il était aisé de concevoir qu’il était très capable de les remuer et de se porter à toutes les choses qu’il fallait faire pour s’y accommoder, autant qu’il le trouverait raisonnable ». Cela résout le paradoxe.
et je crois gagerais que c’est l’imprimeur qui l’a mis au titre des Lettres au provincial.
La première rédaction semble avoir été je crois. Le verbe gagerais a été inscrit dans l’interligne. La leçon gagerais est à la fois plus vivante et plus suggestive. Mais surtout, la déclaration est censée ne pouvoir être le fait que d’une personne qui n’est pas informé des secrets de la rédaction et de l’impression des Provinciales.
L’imprimeur qui a produit la première Provinciale est Pierre Le Petit, qui a été imprimeur de l’Académie et très dévoué à Port-Royal. Voir sur lui le Dictionnaire de Port-Royal. On trouvera aussi d’intéressants renseignements dans l’ouvrage de Henri-Georges Martin, Livre, pouvoirs et société à Paris au XVIIe siècle, Genève, Droz, 1999.
Cette dernière déclaration confirme ce qui a été dit plus haut. Si l’on admet que seul un provincial peut employer le mot provincial, il faudrait en conclure que l’imprimeur est un provincial. Or il y a toute raison de penser que ce n’est pas le cas de Pierre Le Petit, qui est apparemment parisien.
Est-ce réellement l’imprimeur qui l’a mis au titre des lettres au Provincial ?
Le P. Gabriel Daniel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, p. 197, pense que rien n’oblige à croire l’anecdote de l’imprimeur : p. 198-199.
L’attribution à l’imprimeur, qui est considérée comme certaine dans l’édition Sellier, se fonde sur un passage de l’Avertissement de Nicole qui précède l’édition collective des Provinciales de 1657 : « Voilà les principales matières qui sont traitées dans ces lettres, qui ont été appelées Provinciales, parce que l’auteur ayant adressé les premières sans aucun nom, à un de ses amis de la campagne, l’imprimeur les publia sous ce titre, Lettre écrite à un provincial par un de ses amis ».
♦ Sur l’identité du Provincial
Les Provinciales, éd. Cognet, p. 3, note 1. Sur l’hypothèse qu’il s’agit de Florin Périer.
Voir le Recueil de choses diverses, f° 110 v°. « M. Pascal était de Clermont en Auvergne, il écrivit les trois premières lettres à M. Périer, son beau-frère, de la ville de Clermont, ce qui a donné lieu au nom de Lettres provinciales ». Voir Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite. Édition critique du Recueil de choses diverses, Paris, Klincksieck, 1992, p. 327.
Daniel Gabriel, Entretiens de Cléandre et d’Eudoxe, Amsterdam, Donato Donati, 1697, p. 16. « Ce provincial n’était pas un homme en l’air, comme plusieurs le croient ; c’était un nommé Monsieur Périer, Conseiller en la Cour des Aides à Clermont en Auvergne. Je sais qui il était, interrompit Eudoxe, : c’est lui encore qui fit la fameuse expérience du vif-argent sur le puy de Dôme, à la prière de Monsieur Pascal son beau-frère. »
Sur la fonction littéraire du Provincial, voir Descotes Dominique,“Fonction argumentative de la satire dans les Provinciales de Pascal”, in L’Esprit de la satire, p. 43-66. Portrait du provincial dessiné dans les lettres : p. 52 sq. C’est un honnête homme, d’assez bonne foi pour vouloir s’informer des controverses parisiennes, non par une vaine curiosité, mais par souci de la religion chrétienne qui est la sienne. Il est censé être capable de se former une opinion sur la censure d’Arnauld, puis sur les maximes des casuistes, pourvu qu’on lui présente les faits qui n’ont pu être communiqués de Paris à la province. Il ignore les mœurs des théologiens et des religieux parisiens. Ces traits définissent le lecteur que Pascal cherche à persuader.
Parish Richard, Pascal’s Lettres Provinciales, Oxford, Clarendon Press,1989, p. 49. Discussion du précédent.
Peut-on identifier le lecteur réel au Provincial ? A priori, cela va de soi : ce sont le destinataire désigné et le destinataire par délégation. Mais il n’en découle pas qu’ils soient destinataires au même titre ni sur le même mode. Ils ont aussi en commun d’être muets, du moins par écrit. Voir sur ce point Duchêne Roger, L’Imposture littéraire..., p. 114. Le lecteur se reconnaît à la fois dans l’auteur peu instruit et dans le destinataire qui n’a plus besoin d’être très intelligent pour comprendre de quoi il s’agit.
Voir “Les Provinciales et la littérature”, Notice 2 de Pascal, Les Provinciales, Pensées et opuscules divers, éd. Sellier et Ferreyrolles, Pochothèque, p. 237 sq. Le provincial est un double non seulement du lecteur, mais de « Montalte » lui-même, de sorte que le lecteur, qui s’assimile d’abord au provincial, finit par adhérer à ce qu’écrit l’auteur supposé des lettres.
Le portrait du Provincial est naturellement construit pour concorder avec celui de l’on désignera plus tard par le nom de « Montalte ».
Thirouin Laurent, “L’éthos de Montalte dans les Provinciales”, in Cornilliat François et Lockwood Richard (dir.), Éthos et pathos. Le statut du sujet rhétorique, p. 371-389.
Jouslin Olivier, Rien ne nous plaît que le combat. La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, t. I, p. 75 sq. Sur la forme du texte, qui se présente à la fois comme récit et texte informatif. Pascal procède à ce que C. Kerbrat-Orecchioni appelle un trope communicationnel, comme renversement de la hiérarchie normale des destinataires, « chaque fois que le destinataire qui en vertu des indices d’allocution fait en principe figure de destinataire direct, ne constitue en fait qu’un destinataire secondaire, cependant que le véritable allocutaire, c’est en réalité celui qui a en apparence statut de destinataire indirect » : p. 76.
Cantillon Alain, “Qu’importe qui parle, de qui à et à qui dans Les Provinciales ?”, in Lectures à clés, Littératures classiques, n° 54, printemps 2005, p. 221-234.
-------
Pensées.
In omnibus requiem quæsivi.
« En toutes choses j’ai recherché le repos ».
Ecclésiastique, XXIV, 11 : « Et omnium excellentium et humilium corda virtute calcavi : et in his omnibus requiem quaesivi et in hereditate Domini morabor ».
Tr. : « J’ai foulé aux pieds par ma puissance les cœurs de tous les hommes grands et petits, et parmi toutes ces choses j’ai cherché un lieu de repos et une demeure dans l’héritage du Seigneur ».
Commentaire de Port-Royal : « Le cœur des saints est la demeure de Dieu. Il se repose dans ceux qui se reposent dans lui ».
Voir sur ce passage Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 29 sq. Pascal cite le début de plusieurs textes liturgiques : capitules de Vêpres et de Laudes pour l’Assomption, épître de la messe du même jour, première leçon de Matines dans l’Office de la Vierge.
Si notre condition était véritablement heureuse, il ne nous faudrait pas divertir d’y penser pour nous rendre heureux.
Voir la liasse Divertissement, que ce fragment résume.
Les derniers mots précisent l’idée du fragment Misère 19 (Laf. 70, Sel. 104). Si notre condition était véritablement heureuse il ne faudrait pas nous divertir d’y penser.
-------
Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien, et ils n’ont ni titre pour le posséder justement, ni force pour le posséder sûrement. De même la science, les plaisirs. Nous n’avons ni le vrai ni le bien.
Le texte est pratiquement le même que dans Vanité 16 (Laf. 28, Sel. 62). Faiblesse. Toutes les occupations des hommes sont à avoir du bien et ils ne sauraient avoir de titre pour montrer qu’ils le possèdent par justice, car ils n’ont que la fantaisie des hommes, ni force pour le posséder sûrement. Il en est de même de la science. Car la maladie l’ôte. Nous sommes incapables et de vrai et de bien.
Et donc nous n’avons ni le vrai est la rédaction initiale qui a été barrée dans le fragment Vanité 16.
Les plaisirs ont disparu dans Vanité 16.
Pascal joue sur le sens du mot bien. Avoir du bien signifie acquérir de la fortune. Mais dans la dernière phrase, incapables de vrai et de bien donne au mot bien une signification morale, toute différente.
La liaison peut être établie par l’intermédiaire d’un fragment comme Misère 13 (Laf. 64, Sel. 98), sur l’usurpation de toute la terre.
Contra, Pascal montre où se trouve le vrai et le bien dans le fragment Ordre 10 (Laf. 12, Sel. 46). Ordre. Les hommes ont mépris pour la religion. Ils en ont haine et peur qu’elle soit vraie. Pour guérir cela il faut commencer par montrer que la religion n’est point contraire à la raison. Vénérable, en donner respect. La rendre ensuite aimable, faire souhaiter aux bons qu’elle fût vraie et puis montrer qu’elle est vraie. Vénérable parce qu’elle a bien connu l’homme. Aimable parce qu’elle promet le vrai bien.
Dossier de travail (Laf. 393, Sel. 12). La vraie nature de l’homme, son vrai bien et la vraie vertu et la vraie religion sont choses dont la connaissance est inséparable.
Giocanti Sylvia, Penser l’irrésolution..., p. 106. Comment Montaigne est éloigné de la déclaration de Pascal sur le fait que l’homme est incapable de vrai et de bien.
-------
Miracle.
C’est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Et non‑miracle est un effet qui n’excède pas la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi ceux qui guérissent par l’invocation du diable ne font pas un miracle, car cela n’excède pas la force naturelle du diable. Mais...
Voir le dossier thématique Miracle de la sainte Épine.
Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 257. ✍
Lhermet Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931. ✍
Miracles I (Laf. 830, Sel. 419). 1. S’il faut, pour faire qu’un effet soit miraculeux, qu’il soit au‑dessus de la force des hommes, des démons, des anges et de toute la nature créée.
Les théologiens disent que les miracles sont surnaturels ou dans leur substance, quoad substantiam, comme la pénétration de deux corps ou la situation d’un même corps en deux lieux en même temps ; ou qu’ils sont surnaturels dans la manière de les produire quoad modum, comme quand ils sont produits par des moyens qui n’ont nulle vertu naturelle de les produire : comme quand Jésus-Christ guérit les yeux de l’aveugle avec la boue et la belle‑mère de saint Pierre en se penchant sur elle, et la femme malade du flux de sang en touchant le bord de sa robe. Et la plupart des miracles qu’il a faits dans l’Évangile sont de ce second genre. Telle est aussi la guérison d’une fièvre, ou autre maladie faite en un moment, ou plus parfaitement que la nature ne porte, par l’attouchement d’une relique ou par l’invocation du nom de Dieu, de sorte que la pensée de celui qui propose ces difficultés est vraie et conforme à tous les théologiens, même de ce temps.
2. S’il ne suffit pas qu’il soit au‑dessus de la force naturelle des moyens qu’on y emploie, ma pensée étant que tout effet est miraculeux lequel surpasse la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi j’appelle miraculeux la guérison d’une maladie faite par l’attouchement d’une sainte relique, la guérison d’un démoniaque faite par l’invocation du nom de Jésus, etc., parce que ces effets surpassent la force naturelle des paroles par lesquelles on invoque Dieu ; et la force naturelle d’une relique ne peut guérir les maladies et chasser les démons. Mais je n’appelle pas miracle de chasser les démons par l’art du diable, car, quand on emploie la puissance du diable pour chasser le diable, l’effet ne surpasse pas la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Et ainsi il m’a paru que la vraie définition des miracles est celle que je viens de dire.
Ce que le diable peut faire n’est pas miracle, non plus que ce que peut faire une bête, quoique l’homme ne le puisse faire par lui‑même.