La liasse CONCLUSION (suite)

 

 

Conclusion et l’édition de Port-Royal

 

Le chapitre VI, intitulé Foi sans raisonnement, a été constitué uniquement à partir des fragments de la liasse Conclusion : il est composé de Conclusion 2, Conclusion 4, Conclusion 5 et Conclusion 6.

Les fragments Conclusion 1 et Conclusion 3 n’ont pas été retenus par le Comité. Seul Conclusion 3 a ensuite été recopié par Louis Périer dont une copie a été conservée. Il faut attendre le Rapport de V. Cousin (1842) pour qu’ils soient publiés.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Conclusion

 

Aucun papier ne porte pas de filigrane.

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 316,

les papiers RO 489-4 (Conclusion 1), RO 483-1 (Conclusion 2) et RO 485-7 (Conclusion 4) seraient de type Écusson fleurette RC/DV ;

le papier RO 485-2 (Conclusion 3), qui porte l’écriture d’un copiste à l’écriture élégante,  provient d’un feuillet de type Cor couronné / P  H ; Pol Ernst a retrouvé le texte qui le suivait sur le feuillet originel (voir l’Album p. 37 - cas n° 2) ;

le papier RO 481-4 (Conclusion 5), qui porte l’écriture du secrétaire de Pascal, est issu d’un feuillet de type Cadran d’horloge & Armes de France et Navarre / P ♥ H ; Pol Ernst a retrouvé le texte qui le précédait sur le feuillet originel (voir l’Album p. 159) ;

le papier RO 483-2 (Conclusion 6), qui porte l’écriture du secrétaire de Pascal, ainsi que des interventions de Pascal, proviendrait d’un feuillet de type Deux écus de France et Navarre / I ♥ C. Le texte a été écrit au-dessus de Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142) sur le feuillet originel. Cela donne un ensemble cohérent qui porte entièrement sur la connaissance de Dieu, mais qui a été démembré au découpage par Pascal (voir l’Album p. 172).

 

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Le titre de Conclusion serait inconnu sans les Copies, comme dans le cas de la plupart des liasses.

Pascal prévoit presque toujours une conclusion en forme. On le vérifie aisément dans le reste de son œuvre, particulièrement dans les textes achevés et publiés.

C’est le cas dans les œuvres de physique. Les Expériences nouvelles comportent un Abrégé de la conclusion, OC II, p. 507. Le Récit de la grande expérience comprend un Au lecteur qui peut être pris comme une sorte de conclusion, OC II, éd. J. Mesnard, p. 688 sq. Les Traités de l’équilibre des liqueurs et de la pesanteur de la masse de l’air comportent une conclusion commune, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1095 sq. C’est aussi le cas dans les textes mathématiques. Le Numeri figurati comprend une Conclusio, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1213. Le Combinationes s’achève sur un Avertissement, Monitum, OC II, p. 1259. Le Potestatum numericarum summa comprend une conclusion qui est demeurée célèbre, OC II, p. 1270 sq. Il y a aussi une Conclusion dans l’Usage du Triangle arithmétique pour les combinaisons en français, OC II, p. 1307, et dans L’usage pour les partis, OC II, p. 1320. Ce n’est toutefois pas systématiquement le cas : il n’y en a pas dans L’usage pour les ordres numériques, ni dans L’usage pour les binômes et les apotomes du Traité du triangle arithmétique par exemple. Dans l’œuvre littéraire, l’Écrit sur le Formulaire s’achève sur trois conclusions. Les Provinciales n’ont évidemment pas de conclusion nettement marquée comme telle. Comme chaque lettre doit préparer la suivante, elle revêt un caractère de transition sui generis. Mais il n’est pas difficile de discerner l’équivalent d’une conclusion, par exemple dans la fin des Provinciales I, II et III, XI, dans la XIIe avec la célèbre péroraison sur la violence et la vérité, dans la XVe sur la calomnie, et dans la XVIIIe, par exemple. Ces conclusions répondent souvent aux commencements dans lesquels Pascal annonce l’ordre qu’il va suivre (voir la XIe et la XVe Provinciales, et les Écrits sur la grâce).

 

Signification de la liasse Conclusion

 

Il existe deux positions un peu différentes sur la nature de cette dernière liasse des dossiers à titre des Pensées.

Philippe Sellier pense qu’il n’est pas possible que cette liasse enferme la véritable conclusion de l’ensemble de l’ouvrage de Pascal, que l’on attendrait très ample et reprenant les invitations pressantes de l’ouverture à la conversion. Voir Sellier Philippe, “Les conclusions du projet d’apologie”, p. 171-182. Plutôt que la conclusion d’ensemble de l’Apologie, Ph. Sellier voit dans la liasse Conclusion la clôture de la deuxième partie de l’Apologie, celle qui traite le problème de la vraie religion et de la connaissance de Dieu. La conclusion de la première partie serait donnée dans La nature est corrompue. Il admet toutefois que les fragments Conclusion 2 (Laf. 378, Sel. 410) et Conclusion 3 (Laf. 379, Sel. 411) constituent peut-être des « notes en vue d’une [...] conclusion d’ensemble ». Dominique Descotes pense que c’est véritablement le mot de la fin, qui ouvre en réalité un nouveau cycle, qui ne relève plus de l’ordre de la littérature, celui de la recherche personnelle et pratique ; voir Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, p. 47-53.

Dans le chapitre qu’il consacre à cette liasse, Pol Ernst remarque qu’elle enferme non seulement un bilan de l’ensemble de l’ouvrage, mais une mise en garde contre la tentation qui pourrait pousser le lecteur à se contenter de la connaissance de la religion qu’il a acquise, sans chercher aussi à aimer Dieu.

Voir aussi Hélène Bouchilloux, Pascal, p. 178-179, qui rapproche brièvement l’éloge de ceux qui n’ont pas besoin de preuves pour croire la religion chrétienne, tel qu’on le trouve dans Conclusion, du « retournement final de la preuve » qui consiste dans le fait que les destinataires de la démonstration apologétique servent eux-mêmes de preuves de la religion qu’ils combattent.

Les idées directrices de cette liasse semblent être les suivantes.

D’une part, qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer : autrement dit, que tout ce que l’Apologie projetée par Pascal a pu apprendre à son lecteur de Dieu ne touche que sa raison, et ne donne qu’une connaissance de Dieu. Une recherche personnelle, éventuellement guidée par un directeur, s’impose au lecteur que Pascal a troublé dans sa tranquillité et qu’il a mis en face des preuves convaincantes de la religion chrétienne.

D’autre part, cette liasse fait apparaître un nouveau personnage, qui n’avait jusque là pas été mentionné dans les Pensées : le chrétien naïf qui, comme dit Pascal, croit sans raisonnement. Il s’agit de faire comprendre au lecteur qui a assimilé les raisonnements de l’Apologie que, tout instruit qu’il soit, la nécessité de chercher Dieu le met au même point que ce naïf, qui a même l’avantage sur lui de posséder la foi du cœur, et d’être indubitablement inspiré de Dieu. L’apologie s’achève donc sur une leçon d’humilité pour le lecteur qui doit entamer la recherche personnelle de Dieu.

D’autre part, Pascal souligne que le chrétien instruit n’en a pas moins son utilité dans le corps mystique de l’Église, dans la mesure, s’il arrive qu’un chrétien simple se trouve attaqué par un hérétique ou un incrédule, sa connaissance des preuves le met en état de confirmer que les simples sont réellement inspirés de Dieu, ce que ces simples ne sont pas nécessairement capables de faire.

 

Structure de la liasse Conclusion

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 510.

Peratoner Alberto, Blaise Pascal. Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, p. 745 sq.

Sellier Philippe, « Les conclusions du projet d’apologie », in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 171-182.

 

Échos des précédentes parties des liasses titrées dans la liasse Conclusion

 

Descotes Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, Op. cit., 2, p. 47-53.

 

Qu’est-ce qu’une conclusion ?

 

Conclusion est un terme technique de géométrie. Voir Proclus, Commentaire..., 203, éd. Morrow, p. 159. Il désigne, dans le raisonnement, la partie qui retourne à l’énoncé et confirme ce qui a été prouvé. En général, le géomètre ajoute, à la fin du théorème, la formule “ce qu’il fallait démontrer”, ou à la fin du problème, “ce qu’il fallait faire” (Proclus, A commentary on the first book of Euclid’s Elements, 207 sq., éd. Morrow, 209-210). Proclus remarque aussi (207, p. 162) que les mathématiciens donnent souvent une double conclusion, de la particulière touchant la figure sur laquelle ils ont conduit la démonstration, à une autre qui affirme l’universalité de la vérité établie, car dans la mesure où ils ne s’appuient sur une figure que pour mettre la question sous les yeux du lecteur, les géomètres considèrent que leur conclusion est valable non seulement dans ce cas, mais en général. Voir là-dessus Euclide, Éléments, éd. Heath, t. 1, p. 129-131. Stevin Simon, qui traite des différents « membres de la proposition mathématique » dans son Arithmétique, Livre I, p. 18-19, écrit que « le septième membre » est « la Conclusion ». Dans chaque Proposition, différents membres sont explicitement distingués et annoncés par un titre en italique : le donné, le requis, la construction, la préparation, la démonstration, la conclusion. Après l’énoncé de la Proposition elle-même, le second membre est le donné. « Par le vocable donné (qui est en use tant par Grecs et Latins que Français) entend-on la chose proposée conforme à la pétition du premier membre ». À ce donné succède le requis, « auquel on explique ce que du donné du second membre l’on veut avoir effectué », qui commence par il faut démontrer que... dans un théorème, et par il faut trouver... dans un problème. Deux membres suivent souvent ces premiers, qui ne sont toutefois pas absolument nécessaires. Dans la Construction « se fait par le donné quelque opération conforme au requis ». Et la Préparation à la démonstration intervient lorsque les données ne sont pas suffisantes par elles-mêmes sans quelque transformation préliminaire. Ensuite seulement vient la Démonstration, « en laquelle on éprouve que la construction est vraie et conforme au requis. Laquelle démonstration quand elle semble difficile ou longue, nous la distinguons en articles, afin que quand l’on repère les choses qui sont devant démontrées, qu’on ne die pas seulement Comme nous avons démontré dessus, mais que l’on y peut encore ajouter l’article, là où telle chose a été démontrée ». En mécanique, comme la résolution d’un problème ne peut être que concrète, Stevin parle d’opération. Le dernier membre, la Conclusion, « en laquelle on conclut (répétant quasi tous les mots du premier membre) que tout ce qui au problème était requis est accompli », figure en général sous forme abrégée après la Démonstration. La conclusion reprend donc la protase et constate qu’en partant des données qu’elle posait, on est bien arrivé à ce qu’elle proposait. Ces différentes parties de la démonstration sous sa forme classique se retrouvent pour la plupart sous la plume de Pascal (Lettres de A. Dettonville, Triangle arithmétique, etc.).

On parle aussi en logique de la conclusion d’un syllogisme : voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique ou l’art de penser, III, 1 (éd. de 1664). Sur le sens scolastique du terme conclusion, voir Pierre d’Espagne, Summulae, Tr. V, Quid argumentum, conclusio, quaestio, ac medium sit, éd. de 1572, p. 139 v sq.

Furetière définit la conclusion comme la « dernière partie d’un argument, la conséquence qu’on tire de ce qu’on a prouvé auparavant ».

 

Bibliographie

 

BOUCHILLOUX Hélène, Pascal, Paris, Vrin, 2004, p. 178-179.

DESCOTES Dominique, “La conclusion du projet d’Apologie de Pascal”, Op. cit., 2, Publications de l’Université de Pau, novembre 1993, p. 47-53.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970.

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 100 sq.

LE GUERN Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, de l’anthropologie à la théologie, Paris, Larousse, 1972.

PAROLINI Rocco, La tattica persuasiva di Blaise Pascal : il « renversement » gradevole, Annali dell’Università di Ferrara, Nuova serie, sezione III, Filosofia, n° 80, Università degli Studi di Ferrara, 2006.

PERATONER Alberto, Blaise Pascal. Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, Venise, Cafoscarina, 2002, p. 745 sq.

SELLIER Philippe, “Les conclusions du projet d’apologie”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 171-182.

SHIOKAWA Tetsuya, “Les limites de l’apologétique pascalienne”, in Entre foi et raison : l’autorité, Paris, Champion, 2012, p. 167-174.

 

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