Fragment Loi figurative n° 15 / 31  – Papier original : RO 15-4 et 15-4 v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Loi figurative n° 302 p. 129-129 v° / C2 : p. 156-157

Éditions de Port-Royal : Chap. XIII - Que la loy estoit figurative : 1669 et janvier 1670 p. 97-99 / 1678

n° 5, 6 et 7 p. 98-99

Éditions savantes : Faugère II, 254, XX / Havet XVI.7 / Michaut 30 / Brunschvicg 678 / Tourneur p. 259-2 / Le Guern 243 / Lafuma 260 / Sellier 291

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Bibliographie

 

 

ARNAULD Antoine et NICOLE Pierre, La logique, I, IV (1683), éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MARIN Louis, Le portrait du roi, Paris, éd. de Minuit, 1981.

MARIN Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007.

PLANTIÉ Jacqueline, La mode du portrait littéraire en France, 1641-1681, Paris, Champion, 1994.

POMMIER Édouard, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, Paris, Gallimard, 1998.

SHIOKAWA Tetsuya, “L’arc-en-ciel et les sacrements ; de la sémiologie de la Logique de Port-Royal à la théorie pascalienne des figures”, Revue internationale de philosophie, 199, 1997, p. 77-99.

 

 

Éclaircissements

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 255. Sur le rapport de proximité, mais surtout de ressemblance, qui existe entre le sens littéral et le sens spirituel. Pascal apporte à ses prédécesseurs une systématisation remarquable, sur le rapport entre le signe et la chose signifiée ; la ressemblance s’établit entre le matériel et le spirituel, le visible et l’invisible, l’ordre de la nature et celui de la grâce. Le matériel qui figure est portrait par rapport à un modèle qui possède seul une réalité authentique. Des deux sens, l’un se rapporte à un objet inessentiel, l’autre à une réalité essentielle. Passer de la figure à la vérité, c’est le plus souvent passer de l’ancien au nouveau Testament ; la vérité est donc antérieure à la figure, le modèle au portrait. L’ancien fournit une image matérielle du contenu spirituel du nouveau Testament.

 

Un portrait porte absence et présence, plaisir et déplaisir. La réalité exclut absence et déplaisir.

 

Laf. 578, Sel. 481. L’éloquence est une peinture de la pensée, et ainsi ceux qui après avoir peint ajoutent encore font un tableau au lieu d’un portrait.

Loi figurative 20 (Laf. 265, Sel. 296). Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir. Chiffre à double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché.

Loi figurative 3 (Laf. 247, Sel. 279). Fais toutes choses selon le patron qui t’a été montré en la montagne, sur quoi saint Paul dit que les Juifs ont peint les choses célestes.

Pommier Édouard, Théories du portrait de la Renaissance aux Lumières, p. 274. « Faut-il entendre que le portrait est le signe présent d’une absence, qu’il ne se conçoit que dans son rapport à une absence ? » La théorie du portrait à Port-Royal : p. 269-276.

Plantié Jacqueline, La mode du portrait littéraire en France, 1641-1681, Paris, Champion, 1994, p. 566 sq. et p. 722 sq.

Shiokawa Tetsuya, “L’arc-en-ciel et les sacrements ; de la sémiologie de la Logique de Port-Royal à la théorie pascalienne des figures”, Revue internationale de philosophie, 199, 1997, p. 77-99, recourt à la comparaison avec le portrait pour expliquer la notion de figure. L’essence de la peinture consiste dans la représentation de choses considérées comme des originaux (voir Vanité 27 - Laf. 40, Sel. 74). Avoir le portrait d’une personne qu’on aime donne le plaisir de la voir, et le déplaisir de ne pouvoir disposer de l’original : p. 90.

Rapprochement de l’idée de figure et de celle de portrait. Pascal distingue le portrait du tableau. Entre le portrait et son modèle, le rapport est de ressemblance. Entre le tableau en revanche et son modèle, à la ressemblance s’ajoute une différence, due au fait que la tableau comporte toujours une surcharge. Voir Laf. 578, Sel. 481. L’éloquence est une peinture de la pensée, et ainsi ceux qui après avoir peint ajoutent encore font un tableau au lieu d’un portrait.

Selon la Logique de Port-Royal, la ressemblance qui existe entre le portrait et son modèle fait que l’on appelle sans difficulté la figure du nom de ce modèle. Voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, ou l’art de penser, II, ch. XIV, Des propositions où l’on donne aux signes le nom des choses (1683), éd. D. Descotes, p. 675 sq. « Nous avons dit dans la première partie que des idées les unes avaient pour objet des choses, les autres des signes. Or ces idées de signe attachées à des mots venant à composer des propositions, il arrive une chose qu’il est important d’examiner en ce lieu, et qui appartient proprement à la logique ; c’est qu’on en affirme quelquefois les choses signifiées. Et il s’agit de savoir quand on a droit de le faire, principalement à l’égard des signes d’institution ; car à l’égard des signes naturels, il n’y a pas de difficulté ; parce que le rapport visible qu’il y a entre ces sortes de signes et les choses, marque clairement que quand on affirme du signe la chose signifiée, on veut dire, non que ce signe soit réellement cette chose, mais qu’il l’est en signification et en figure. Et ainsi l’on dira sans préparation et sans façon d’un portrait de César, que c’est César, et d’une carte d’Italie, que c’est l’Italie ».

Louis Marin a consacré plusieurs études à l’idée de la représentation telle que la réalise le portrait. Voir

Marin Louis, Le portrait du roi, Paris, éd. de Minuit, 1981.

Marin Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

Arnauld Antoine et Nicole Pierre, La logique, I, IV (1683), éd. D. Descotes, p. 183 sq. Liaison entre la théorie du signe et rapport des deux testaments.

Grotius Hugo, De Veritate…, V, VIII, Ut sacrificia, quae nunquam per se Deo placuerunt. Cela ne signifie pas que ceux qui les faisaient établir étaient impurs, mais que la chose même n’était pas agréable à Dieu.

Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 165 sq. Figure et réalité chez Pascal.

Cette idée de la représentation donnée par le portrait permet de comprendre le sens du fragment Vanité 27 (Laf. 40, Sel. 74). Quelle vanité que la peinture qui attire l’admiration par la ressemblance des choses, dont on n’admire point les originaux ! Si la valeur du portrait consiste en ce qu’il présente une chose absente, et que c’est cette impression de présence qui donne le plaisir, il semblerait normal que la valeur esthétique d’un portrait dépende de la ressemblance du portrait avec un modèle réel que l’on aime. Il semble donc qu’il y ait de la vanité à s’attacher à un portrait, qui est une simple image, lorsqu’il représente une chose à laquelle on n’attache aucun plaisir.

Pascal parle ici d’admiration, mais le présent fragment parle bien de plaisir et de déplaisir, ce qui peut envelopper, au titre de cas particulier, le plaisir esthétique.

 

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Figures.

Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture.

 

Pascal use de la notion de sens de manière intentionnelle, la définissant par ce à quoi un auteur arrête sa pensée. Voir Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290).

Le moment suivant de l’interprétation est fourni dans le fragment Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Figures.

Dès qu’on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir. Qu’on lise le vieil testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos ? non, donc c’étaient des figures.

Qu’on voie de même toutes les cérémonies ordonnées et tous les commandements qui ne sont point pour la charité, on verra que c’en sont les figures.

Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises, or il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises.

Savoir si les prophètes arrêtaient leur vue dans l’ancien testamentou s’ils y voyaient d’autres choses.

Preuves de Jésus-Christ 9 (Laf. 306, Sel. 337). Les Juifs en éprouvant s’il était Dieu ont montré qu’il était homme.

Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338). L’Église a eu autant de peine à montrer que J.-C. était homme, contre ceux qui le niaient qu’à montrer qu’il était Dieu, et les apparences étaient aussi grandes.

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Mais qu’ils en concluent ce qu’ils voudront contre le déisme, ils n’en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption et du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

 

Car dans un portrait on voit la chose figurée.

Marin Louis, Le portrait du roi, Paris, éd. de Minuit, 1981.

Marin Louis, Pascal et Port-Royal, Paris, Presses Universitaires de France, 1997.

 

Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent.

Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc.

 

Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur.

Ce passage renvoie directement au fragment Loi figurative 14 (Laf. 259, Sel. 290). Figure. Si la loi et les sacrifices sont la vérité il faut qu’elle plaise à Dieu et qu’elle ne lui déplaise point. S’ils sont figures il faut qu’ils plaisent et déplaisent.

Or dans toute l’Écriture ils plaisent et déplaisent. Il est dit que la loi sera changée, que le sacrifice sera changé, qu’ils seront sans roi, sans princes et sans sacrifices, qu’il sera fait une nouvelle alliance, que la loi sera renouvelée, que les préceptes qu’ils ont reçus ne sont pas bons, que leurs sacrifices sont abominables, que Dieu n’en a point demandé.

Il est dit au contraire que la loi durera éternellement, que cette alliance sera éternelle, que le sacrifice sera éternel, que le sceptre ne sortira jamais d’avec eux, puisqu’il n’en doit point sortir que le roi éternel n’arrive.

 

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Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens.

 

Pascal entend la notion de chiffre en un sens très général, qui couvre aussi bien les langues, l’herméneutique et la cryptographie. Sur la notion de chiffre, voir Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307).

Laf. 557, Sel. 465 : Les langues sont des chiffres où, non les lettres sont changées en lettres, mais les mots en mots. De sorte qu’une langue inconnue est déchiffrable.

Voir Loi figurative 20 (Laf. 265, Sel. 296). Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir. Chiffre à double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché.

Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307). Le vieux Testament est un chiffre.

Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, p. 30, sur ce fragment ; voir p. 113. Voir p. 120, sur la notion de chiffre.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 264 sq.

Pascal s’est intéressé de manière pratique au chiffre, puisqu’il semble avoir mis au point une technique d’alphabet artificiel, qui lui est généralement attribuée ; voir OC III, p. 1612 sq. Origine : Bibliothèque du musée Calvet d’Avignon, ms. 1030. Alphabet artificiel attribué à Pascal. « L’art de déchiffrer les écritures en chiffres n’est point le résultat des coups du hasard ; ce n’est point une divination. Il faudrait être maître sorcier pour déchiffrer l’écriture artificielle ; et comme on sait, ce n’est pas être sorcier que de croire aux sorciers » : p. 1617. L’alphabet artificiel de Pascal est pratiquement incassable tant que l’on ne connaît pas la phrase qui en donne la clé, phrase qui peut être changée à volonté.

Le chiffre n’est pas limité à l’écriture de lettres que l’on veut faire échapper au contrôle de la police, comme c’était souvent le cas dans les correspondances de Port-Royal ; Pascal s’en sert dans des contestations scientifiques. Voir OC IV, éd. J. Mesnard, p. 243. Pascal indique que, lorsqu’il propose au P. Lalouvère de donner ses solutions aux problèmes de la roulette en chiffre, son chiffre à lui est déjà fait. Les contemporains de Pascal, lorsqu’ils parlent de chiffre, ont en tête non pas seulement des langages chiffrés employés dans les correspondances secrètes, mais aussi les systèmes symboliques tels que les écritures algébriques. Descartes, dans la Géométrie, désigne son écriture algébrique par le terme de chiffre.

Costabel Pierre, “Les Essais de la Méthode...”, in Le Discours et sa méthode, Paris, Presses Universitaires de France, 1987, p. 220. Descartes propose dans la Géométrie le mode d’emploi d’un chiffre. C’est une écriture : p. 217. Occurrence du mot chiffre : p. 219. Le chiffre de l’écriture cartésienne traduit des problèmes en équations, c’est-à-dire en combinaisons de symboles ; p. 221. Cela implique que la Géométrie sert de transition entre un style ancien, celui du langage de la géométrie la plus classique, dont Descartes suppose que le lecteur est instruit, et un nouveau dont il donne les clés.

 

Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.

 

Sur cette situation, voir Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307). De deux personnes qui disent de sots contes, l’un qui voit double sens entendu dans la cabale, l’autre qui n’a que ce sens, si quelqu’un n’étant pas du secret entend discourir les deux en cette sorte il en fera même jugement. Mais si ensuite dans le reste du discours l’un dit des choses angéliques et l’autre toujours des choses plates et communes il jugera que l’un parlait avec mystère et non pas l’autre, l’un ayant assez montré qu’il est incapable de telles sottises et capable d’être mystérieux, l’autre qu’il est incapable de mystère et capable de sottise.

Prophéties 23 (Laf. 344, Sel. 376). Que peut-on avoir sinon de la vénération d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclaircir et qui mêle des obscurités parmi des choses claires qui arrivent.

Fausseté 15 (Laf. 217, Sel. 250)C’est comme ceux entre lesquels il y a un certain langage obscur ; ceux qui n’entendraient pas cela n’y comprendraient qu’un sot sens. Cette partie du fragment est inscrite en marge, et barrée verticalement. Pascal ne la rejette donc pas ; il se contente de la biffer parce qu’il l’a utilisée ailleurs. Pascal esquisse ici un modèle d’argumentation fondé sur l’interception d’un message ; il suppose que deux personnes échangent des propos qui ne présentent en apparence aucun sens intelligible et rationnel, et qu’un tiers, écoutant leur échange, s’interroge sur ce qu’ils veulent dire. S’il n’entre pas dans leur discours, il n’y verra qu’un échange de sottises dénuées de sens. Si en revanche il trouve la clé de ces propos obscurs, il y verra peut-être des significations mystérieuses et profondes.

Pascal amorce ici le modèle de son argumentation sur l’herméneutique des Figuratifs, conçue comme déchiffrement d’un message codé. Dans le présent fragment, la question est abordée brièvement et de manière toute négative, puisque le cas envisagé est celui du tiers qui ne comprend pas les propos obscurs qu’il entend. La question sera traitée dans toute son ampleur dans la liasse Loi figurative, notamment dans le fragment Loi figurative 31 (Laf. 276, Sel. 307), où l’on voit réapparaître la même situation de deux personnes qui échangent des propos incompréhensibles et ineptes en apparence, en présence d’un tiers qui n’est pas dans le secret, et se demande si leur dialogue comporte un sens caché : De deux personnes qui disent de sots contes, l’un qui voit double sens entendu dans la cabale, l’autre qui n’a que ce sens, si quelqu’un n’étant pas du secret entend discourir les deux en cette sorte il en fera même jugement. Mais si ensuite dans le reste du discours l’un dit des choses angéliques et l’autre toujours des choses plates et communes il jugera que l’un parlait avec mystère et non pas l’autre, l’un ayant assez montré qu’il est incapable de telles sottises et capable d’être mystérieux, l’autre qu’il est incapable de mystère et capable de sottise.

Ce modèle de l’interception d’un discours obscur, dont on se demande s’il a un sens caché, sera appliqué à l’Ancien Testament, dont le style figuré peut laisser croire à ceux qui n’en saisissent pas le sens spirituel qu’il n’est qu’un tissu de sottises. Pascal en revanche, soutient que le vieux testament est un chiffre (Loi figurative 31), et que le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens.

Loi figurative 20 (Laf. 265, Sel. 296). Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir. Chiffre à double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché.

L’avertissement général, du fait qu’il porte seulement sur le statut d’ensemble du texte, ne fournit pas de clé pour l’interprétation et le sens des passages particuliers ; il sert à donner au lecteur l’idée de signe, mais il ne dit pas ce que les signes particuliers ou les figures particulières signifient. Il donne l’idée de signe, mais pas toujours le moyen de connaître l’idée représentée par le signe.

Exemple d’indices généraux ; voir Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299) : Figures. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne. La lettre tue. / Tout arrivait en figures.

 

Et d’autant plus qu’on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral.

 

Les contradictions manifestes sont supposées être volontaires, leurs auteurs étant trop habiles pour s’en être rendus responsables involontairement. De ce fait, le principe d’habileté conduit à les interpréter comme des contradictions volontairement commises par leur auteur, en vue de conduire le lecteur à chercher un derrière le sens obvie un second sens qui concilie les contradictions apparentes.

Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, p. 55. On trouve chez Pascal deux sortes d’indices syntagmatiques du sens figuré ; les avertissements explicites et les contradictions internes sont intégrés au texte ; c’est du texte seul que Pascal tire les raisons qui autorisent son interprétation. Les avertissements explicites fonctionnent plutôt comme des mises en garde de caractère général ; ils sont destinés à tenir l’interprète en éveil, mais ne permettent pas en général de repérer avec précision les passages à interpréter. En revanche, le critère de la contradiction interne est plus efficace, car il permet de repérer des passages précis dont la confrontation fait jaillir le sens spirituel.

Exemples d’indices par contradictions particulières ; voir Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne. [...] Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple, les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.

Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point.

Vous serez vraiment libre ; donc l’autre liberté n’est qu’une figure de liberté.

Je suis le vrai pain du ciel.

 

Combien doit-on donc estimer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché, et principalement quand les principes qu’ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs ?

 

Les principes qu’ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs : clairs, parce que les prophètes ont dit clairement qu’ils parlaient par figures, naturels parce que cet avertissement n’enferme pas de détours rhétoriques inutiles.

 

C’est ce qu’a fait Jésus-Christ et les apôtres. Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit.

 

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures.

J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures.

Deux grandes ouvertures sont celles-là ; 1. Toutes choses leur arrivaient en figures - Vere Israelita, Vere liberi, Vrai pain du ciel.

Le sceau : voir les chapitres V et VI, de l’Apocalypse de saint Jean, dans lesquels l’Agneau ouvre les sceaux du livre fermé. Voir le commentaire de Sacy : « Jésus-Christ qui avait reçu en tant qu’homme dès le moment de son incarnation toute la connaissance de ce qui devait arriver à son Église, avait seul le droit de prendre de la main de celui qui était assis sur le trône le livre pour le lire, et pour en découvrir les mystères, comme étant le dépositaire, et l’interprète des desseins de Dieu ».

Sur le fait que l’impuissance à croire vient des passions, voir Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680).

 

Ils nous ont appris pour cela que les ennemis de l’homme sont ses passions,

 

Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens. Et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie, mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités. Car dans la vérité les Égyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.

Ce mot d’ennemis est donc équivoque, mais, s’il dit ailleurs comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés il les pouvait bien dénoter par ennemis mais s’il pensait aux ennemis il ne les pouvait pas désigner par iniquités.

Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis. [...]

Il y en a qui voient bien qu’il n’y a pas d’autre ennemi de l’homme que la concupiscence qui les détourne de Dieu, et non pas des [ennemis], ni d’autre bien que Dieu, et non pas une terre grasse. [...] Je ferai voir qu’un Messie a été promis pour délivrer des ennemis, et qu’il en est venu un pour délivrer des iniquités, mais non des ennemis.

 

que le rédempteur serait spirituel et son règne spirituel, qu’il y aurait deux avènements, l’un de misère pour abaisser l’homme superbe, l’autre de gloire pour élever l’homme humilié,

 

Loi figurative 9 (Laf. 253, Sel. 285). Figures.

J.-C. leur ouvrit l’esprit pour entendre les Écritures. [...] Deux avènements.

Le premier avènement est celui par lequel le Christ est venu sur la terre annoncer l’Évangile et racheter les hommes par la crucifixion. Le second avènement est le retour glorieux du Christ à la fin du monde, pour juger les hommes.

A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182). Ce n’est pas en cette sorte qu’il a voulu paraître dans son avènement de douceur, parce que tant d’hommes se rendant indignes de sa clémence il a voulu les laisser dans la privation du bien qu’ils ne veulent pas. Il n’était donc pas juste qu’il parût d’une manière manifestement divine et absolument capable de convaincre tous les hommes. Mais il n’était pas juste aussi qu’il vînt d’une manière si cachée qu’il ne pût être reconnu de ceux qui le chercheraient sincèrement. Il a voulu se rendre parfaitement connaissable à ceux-là. Et ainsi voulant paraître à découvert à ceux qui le cherchent de tout leur cœur, et caché à ceux qui le fuient de tout leur cœur, il a tempéré...

Le fragment Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305) signale que même les rabbins admettent qu’il doit y avoir deux avènements du Messie.

Fondement 1 (Laf. 223, Sel. 256). Il faut mettre au chapitre des fondements ce qui est en celui des figuratifs touchant la cause des figures. Pourquoi Jésus-Christ prophétisé en son premier avènement, pourquoi prophétisé obscurément en la manière.

Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273). Un Dieu humilié, et jusqu’à la mort de la croix. Deux natures en Jésus-Christ. Deux avènements. Deux états de la nature de l’homme. Un Messie triomphant de la mort par sa mort.

Loi figurative 16 (Laf. 261, Sel. 292). Le temps du premier avènement est prédit, le temps du second ne l’est point, parce que le premier devait être caché, le second devait être éclatant, et tellement manifeste que ses ennemis mêmes le devaient reconnaître, mais comme il ne devait venir qu’obscurément et que pour être connu de ceux qui sonderaient les Écritures...

 

que Jésus-Christ serait Dieu et homme.

 

Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Mais qu’ils en concluent ce qu’ils voudront contre le déisme, ils n’en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption et du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.

Sur la double nature du Christ, voir le dossier thématique sur Jésus-Christ.

Preuves de Jésus-Christ 9 (Laf. 306, Sel. 337). Les Juifs en éprouvant s’il était Dieu ont montré qu’il était homme.

Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338). L’Église a eu autant de peine à montrer que J.-C. était homme, contre ceux qui le niaient qu’à montrer qu’il était Dieu, et les apparences étaient aussi grandes.

Voir Abrégé de la vie de Jésus-Christ, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 178 sq.