Prophéties VIII – Fragment n° 1 / 2 – Papier original : RO 382-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 74 p. 305 / C2 : p. 527
Le texte a été ajouté dans l’édition de Port-Royal de 1678 : Chap. XIII - Que la loy estoit figurative n° 3 p. 96-97
Éditions savantes : Faugère II, 253, XVI ; II, 310, XXXV / Havet XVI.5 / Brunschvicg 659 et 700 / Tourneur p. 350 / Le Guern 455 / Lafuma 500 et 501 (série XIX) / Sellier 737
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Bibliographie ✍
BACHELARD Gaston, dans La Terre et les rêveries de la volonté, Paris, Corti, 1948. CHÉDOZEAU Bernard, “Port-Royal et l’histoire universelle”, Chroniques de Port-Royal, 46, Port-Royal et l’histoire, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1997, p. 137-162. CHÉDOZEAU Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV, La Bible de Port-Royal, I, Paris, Champion, 2013. DELASSAULT Geneviève, Le Maistre de Sacy et son temps, Nizet, Paris, 1957. DESCOTES Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1993. FERREYROLLES Gérard, “L’influence de la conception augustinienne de l’histoire au XVIIe siècle”, XVIIe Siècle, 135, avril-juin 1982, p. 216-241. FERREYROLLES Gérard, “Pascal et l’histoire”, Port-Royal et l’Histoire, Chroniques de Port-Royal, 46, Bibliothèque Mazarine, Paris, 1997, p. 53-74. FERREYROLLES Gérard, “De la causalité historique chez Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 309-332. FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989. LHERMET Joseph, Pascal et la Bible, Paris, Vrin, 1931. MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd. Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 263-264. MESNARD Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, P. U. F., 1992, p 426-453. SELLIER Philippe, “La chute et l’ascension”, in Essais sur l’imaginaire classique, Paris, Champion, 2003. SELLIER Philippe, “La lumière immobile. L’univers biblique d’un catholique sous Louis XIV”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012, p. 187-211. SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970. |
✧ Éclaircissements
Beau de voir des yeux de la foi l’histoire d’Hérode, de César.
La raison pour laquelle il est beau de voir ces personnages historiques est expliquée dans le fragment Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Qu’il est beau de voir par les yeux de la foi, Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode, agir sans le savoir pour la gloire de l’Évangile.
L’expression beau de voir apparaît aussi dans un autre contexte, dans le manuscrit Joly de Fleury, f° 248 v°, donné sous Sel. 778. L’Écriture renvoie l’homme aux fourmis : grande marque de la corruption de sa nature. Qu’il est beau de voir le maître du monde renvoyé aux bêtes comme aux maîtres de la sagesse ! Voir Blaise Pascal, textes inédits, recueillis et présentés par Jean Mesnard, extraits de l’édition du Tricentenaire (Bibliothèque européenne, Desclée de Brouwer), p. 32.
Cette expression est rapportée aux rêveries de l’ascension, telles que les décrit Bachelard, par Sellier Philippe, “La chute et l’ascension”, in Essais sur l’imaginaire classique, p. 139. Dans les rêveries d’ascension, a noté Bachelard, dans La Terre et les rêveries de la volonté, p. 380, « la contemplation institue à la fois l’œil et le monde, un être qui voit, qui jouit de voir, qui trouve beau de voir – et devant lui un immense spectacle, la terre immense, un univers qui est beau à voir ». La Révélation chrétienne, poursuit Ph. Sellier à propos du présent fragment, « permet de dominer de haut le cours tumultueux et obscur de l’histoire humaine ». Ce qui est beau, c’est de voir comment tout converge à accomplir la volonté de Dieu de faire connaître aux hommes sa Révélation, de telle manière que même les ennemis du christianisme contribuent à son triomphe.
Cette idée de la beauté du spectacle de l’ensemble de l’histoire humaine rejoint, sous un autre angle, celle qu’a développée Jansénius quand il a dit que l’histoire du monde était une grande comédie dans laquelle tout se trouve ordonnée pour faire connaître la Révélation.
Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, dans La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, p. 426-453. Jansénius, Augustinus, t. III, l. III, ch. VI : « Perspicuum est totum illud Vetus Testamentum nihil aliud fuisse, quam magnam quamdam quasi comoediam, quae non tam propter seipsam, quam propter id cui praefigurando serviebat, hoc est, propter Testamentum novum, ejusque principem et heredem Ecclesiam ab illa gente, tanquam ad hoc idonea ageretur ».
On trouve aussi une idée analogue dans Nicole Pierre, Essais de morale, I, De la soumission à la volonté de Dieu, Deuxième partie, ch. II, Que la vue de la volonté de Dieu change à notre égard toute la face du monde…, p. 93-95. Voir p. 95 : « Le récit des choses passées, qui n’est en quelque sorte, pour ceux qui les regardent par une lumière purement humaine, que l’histoire du diable et des réprouvés, parce que les personnes qui paraissent le plus sur le théâtre du monde, et qui ont plus de part aux événements qui le remuent, sont pour l’ordinaire des citoyens de Babylone, dans lesquels le démon habite et par lesquels il agit, est à l’égard de ceux qui les considèrent par une vue plus haute l’histoire de Dieu, parce qu’on n’y voit que l’exécution de ses volontés, que les arrêts de sa justice, que les effets de sa puissance. Tout y est édifiant, parce que tout y est juste ».
Cette idée a été contestée. Voir Arnauld Antoine, Seconde apologie pour Monsieur Jansénius (avril 1645), Livre II, ch. V, p. 111, in Œuvres, XVII, p. 1-637, qui cite saint Augustin, Contra Faust., IV, 2. Habert a déclaré que Haec propositio irreligiosa est, et Veteri Testamenti injuriosa et avilissante pour l’Histoire sainte : voir p. 112. Arnauld rétorque qu’il y a dans l’Évangile des comparaisons tirées des choses basses, inanimées, des bêtes, etc. Souvent, les comparaisons sont plus basses que les choses viles qui apparaissent dans les comédies. La différence entre les comédies des hommes et les figures de la vieille loi consiste en ce « que les hommes se proposent certains sujets, qu’ils représentent dans leurs comédies ; au lieu que cette troupe d’hommes charnels, qui composait le vieux Testament, ne savait ce qu’elle faisait en représentant les mystères de l’Évangile ; et c’était l’esprit de Dieu seul qui conduisait les actions, et toute l’économie de la Loi ; en sorte qu’elle se rapportait parfaitement aux vérités de la Loi nouvelle, avec une si grande exactitude, et un rapport si naturel et si merveilleux, qu’il était impossible que l’esprit des hommes pût dépeindre si admirablement, et si particulièrement, des choses si grandes et si relevées, dans des images si simples, si ordinaires et si basses : d’où naît encore une autre différence très remarquable, qui est, que les comédies des hommes ne représentent que les choses passées, quand elles en représentent de véritables ; parce que l’esprit des hommes qui les composent, ne connaît que celles-là, et est aveugle pour l’avenir ; au lieu que la représentation de l’Ancien Testament n’était que des choses futures, parce que tout est présent à l’esprit de Dieu, et qu’il était digne de la majesté de Jésus-Christ et de son Église, d’avoir un peuple entier qui ne servît qu’à représenter les grandeurs ineffables de ce Roi divin, et de son royaume céleste, longtemps avant qu’ils parussent dans le monde » : p. 117.
Voir Ferreyrolles Gérard, “L’influence de la conception augustinienne de l’histoire au XVIIe siècle”, XVIIe Siècle, n° 135, p. 235.
C’est peut-être le souvenir de cette controverse qui a conduit Pascal à reprendre cette idée, mais sur un ton qui ne laisse pas de place au style bas.
Pour le contexte de cette idée, voir ✍
Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 423 sq. Théologie de l’histoire.
Chédozeau Bernard, “Port-Royal et l’histoire universelle”, Chroniques de Port-Royal, 46, Port-Royal et l’histoire, p. 137-162.
Ferreyrolles Gérard, “Pascal et l’histoire”, Port-Royal et l’Histoire, Chroniques de Port-Royal, 46, p. 53-74.
Ferreyrolles Gérard, “De la causalité historique chez Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 309-332.
C’est l’une des idées que développe Bossuet dans le Discours sur l’histoire universelle et d’autres écrits. Voir le Sermon sur la Loi de Dieu, 1653, et le Sermon sur la Providence, 10 mars 1662. La Providence est l’objet des critiques de la part des libertins. En fait dans l’univers, le désordre n’est qu’apparent, tout se conduit par ordre. Pour saisir le dessein de Dieu, il faut trouver le bon point de vue sur le tableau : éd. Calvet, p. 133, § 1 ; et p. 134-135 ; éd. Calvet, p. 130-131. L’ordre de la Providence éclate dans le monde par le mouvement éternel des cieux, les propriétés de la Nature : « c’est un effet admirable de la providence divine, que toutes les créatures, tant vivantes qu’inanimées, portent leur loi en elles-mêmes. Et le ciel, et les astres, et les éléments, et les plantes, et les animaux, et enfin toutes les parties de ce grand monde ont reçu leurs lois particulières, qui, ayant toutes leurs secrets rapports avec la loi éternelle qui réside dans le Créateur, font que tout marche en concours et en unité, suivant l’ordre qui est prescrit par sa sagesse » (V, 145 sq.). Idée du gouvernement historique du monde : voir Discours sur l’Histoire universelle ; voir les deux Sermons sur la Providence. Voir Goyet Thérèse, L’humanisme de Bossuet, II, Klincksieck, Paris, 1965, p. 258 sq. Intervention de la Providence : Dieu ne fait pas de miracles, mais il les fait pour ainsi dire faire, tant les guerriers suscités les uns contre les autres concertent, malgré eux, pour produire le résultat inattendu de la prévoyance humaine, mais espéré de la foi. Exemple : Dieu a bouleversé le royaume d’Angleterre pour sauver l’âme de Henriette. Introduction de la finalité prise dans l’expérience de la vie intérieure : il a vu la sainteté de la princesse et l’action de la grâce. Donc les événements intermédiaires de la vie avaient été le moyen de cette réalisation. La foi attribue à la Providence la causalité absolue : p. 271. La cause première et universelle ne trouve rien qui la combatte, même quand les parties « se choquent entre elles ».
Une vue d’ensemble de la conception providentialiste de l’Histoire est fournie dans Guion Béatrice, Du bon usage de l’histoire. Histoire, morale et politique à l’âge classique, Paris, Champion, 2008, p. 83-95.
Sur Hérode, voir Loi figurative 21 (Laf. 266, Sel. 297).
César : s’agit-il du dictateur Jules César, ou de celui dont les Juifs ont déclaré qu’ils n’avaient de roi que César (Prophéties VII - Laf. 490, Sel. 736) ? Le titre de César appartient aux empereurs de Rome. Dans le cas présent, il pourrait s’agir d’Auguste ou de Tibère.
Vrai. – In electis, Deus promptus est. (texte barré verticalement)
Note barrée, négligée par les éditeurs, en dehors de Tourneur et de Lafuma Luxembourg. Elle n’est a fortiori jamais expliquée.
Luc, XVIII, 7-8. « Deus autem non faciet vindictam electorum suorum clamantium ad se die ac nocte ; et patientiam habebit in illis ? 8. Dico vobis, quia cito faciet vindictam illorum. Verumtamen Filius hominis veniens, putas, inveniet fidem in terra ? ». Traduction de Port-Royal : 7 . « Et Dieu ne fera pas justice à ses élus, qui crient à lui jour et nuit ; et il souffrira toujours qu’on les opprime ? 8. Je vous dis en vérité qu’il leur fera justice dans peu de temps. Mais lorsque le Fils de l’homme viendra, pensez-vous qu’il trouve de la foi sur la terre ? »
Le Tetrateuchus de Jansénius, Comment. in Evangelium secundum Lucae, cap. XVIII, 7-8, commente ce passage de Luc dans les termes suivants : « Deus autem, qui clemens est, qui propensus in oppressos, qui fons justitiae ac misericordiae, qui precum assiduitate non obtunditur, sed delectatur, ut occasionem habeat cito subveniendi, non faciet vindictam electorum suorum, id est, non vindicabit, seu liberabit a violentia, qua premuntur fideles et electi, quos ille non aversatur, [...] sed ab aeterno eligendo dilexit. Clamantium ad se, id est, non simpliciter rogantium, sed ex totis animae visceribus clamantium pro liberatione, neque tantum singulis diebus, sed die ac nocte : quo vehementissimae et erseverantissimae preces significantur [...]. » § 8 : Dico vobis, quia cito faciet vindictam illorum [...]. Dico vobis, quia cito faciet vindictam illorum, eos a malis omnibus liberando. Non quod statim eix precantibus subvenait ; sic enim periret precum perseverantia, ad quam hortatur ; sed quia ne momento quidem tardat ultra articulum temporis, quo recta ratio, id est, justitia et veritas Dei dictaverit esse subveniendum ». La suite commente l’interrogation sur la foi, toujours nécessaire à la conversion, mais dont on se demande s’il y en aura beaucoup dans les derniers temps.
On trouve une paraphrase de ces passages qui vont dans ce sens dans un ouvrage de Duguet Jacques-Joseph, Explication des qualités ou des caractères que saint Paul donne à la charité, Nouvelle édition, Utrecht, Le Febvre, 1730, p. 169 : « Je vous dis en vérité, qu’il leur fera justice et bientôt : Dico vobis, quia cito faciet vindictam illorum. Sa bonté pour eux le rend attentif à tout. Aucun de leurs soupirs n’est perdu, aucun de leurs cris n’est négligé. Tous les moments sont comptés ; et le dernier auquel est attachée la délivrance des saints, n’est attendu qu’avec une espèce d’impatience de la part de Dieu, plus prompt à secourir ses élus, qu’ils ne le sont à l’invoquer. Dico vobis, quia cito faciet vindictam illorum ».
Le commentaire de la Bible de Port-Royal interprète bien le passage dans le sens que Dieu est « très porté à faire justice à ses élus ; et il souffre avec patience qu’ils soient éprouvés et même accablés pendant quelque temps », et qu’il les vengera « dans peu de temps ». Mais il tire l’interprétation de ce passage dans le sens de la patience de Dieu à punir les impies et les méchants, qui se fait attendre, mais qui ne saurait tarder, « car tout le temps de la vie présente ne doit être regardée par ceux qui ont les années dans le cœur que comme un point ».
La note de Pascal va-t-elle dans ce sens ? L’idée qu’il retient paraît surtout être celle de la rapidité de l’action de Dieu dans le cœur de ses élus. Il s’agirait dans cette hypothèse d’une allusion à l’efficacité de la grâce dans le cœur des élus. Le mot Vrai qui l’introduit signifierait alors que la formule cito faciet…, est juste non seulement de la manière dont Dieu délivre les justes de leurs maux, mais surtout de la puissance avec laquelle Dieu agit dans l’âme de ses élus.
D’une certaine manière, Pascal le dit dans le fragment Conclusion 4 (Laf. 380, Sel. 412). Ne vous étonnez pas de voir des personnes simples croire sans raisonnement. Dieu leur donne l’amour de soi et la haine d’eux-mêmes. Il incline leur cœur à croire. On ne croira jamais, d’une créance utile et de foi si Dieu n’incline le cœur et on croira dès qu’il l’inclinera.
La note a sans doute été barrée parce qu’elle n’avait pas grand rapport avec le reste du texte.
Figures.
Pour montrer que l’Ancien Testament est, n’est que, figuratif et que les prophètes entendaient par les biens temporels d’autres biens,
Sur la signification de cette affirmation du sens figuratif des Écritures, voir Mesnard Jean, La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, P. U. F., 1992, p. 440. Voir p. 444 sq., les preuves que l’Écriture a deux sens. J. Mesnard pense que le présent fragment est plus précis à Laf. 274, qui propose aussi une liste de preuves, parce qu’il est sans doute postérieur. Dans Loi figurative 29, Pascal se contente de vouloir prouver que l’Écriture a deux sens. Dans le présent fragment, il s’agit de montrer que l’Ancien Testament n’est que figuratif et que les prophètes entendaient par les biens temporels d’autres biens : p. 444-445. Pascal est ici parvenu à se dégager de ses sources et a élaboré sa conception propre de l’Ancien Testament.
Loi figurative 29 (Laf. 274, Sel. 305). Preuve des deux testaments à la fois.
Pour prouver tout d’un coup les deux il ne faut que voir si les prophéties de l’un sont accomplies en l’autre.
Pour examiner les prophéties il faut les entendre.
Car si on croit qu’elles n’ont qu’un sens il est sûr que le Messie ne sera point venu, mais si elles ont deux sens il est sûr qu’il sera venu en Jésus-Christ.
Toute la question est donc de savoir si elles ont deux sens.
La combinaison des deux textes permet de distinguer trois sortes de preuves.
Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, p. 426-453. Les preuves du sens spirituel : p. 439 sq. La preuve par les Juifs, non développée, mais où l’argument du témoignage involontaire des Juifs en faveur du christianisme pouvait impressionner les incrédules.
La preuve par l’Écriture : fondée sur l’existence de passages à prendre au sens littéral au milieu d’une obscurité générale. Primo, les écrivains sacrés disent que leur discours est obscur. D’autre part, les paroles des prophètes sont contradictoires. Pascal ne met pas en doute l’unité d’inspiration de l’Ancien Testament. Ces arguments prouvent le sens précis visé par Pascal ; ils prouvent que le sens littéral ou bien n’est pas le vrai (prophéties) ou bien n’a aucune valeur (la Loi). L’Ancien Testament n’est que figuratif, il n’a ni valeur ni sens littéral. La tradition ne donne pas de point de vue aussi radical.
c’est 1. que cela serait indigne de Dieu ;
Le sens et la destination de cette preuve additionnelle, notée en marge de gauche, posent un problème difficile.
Il s’agit d’une addition, à laquelle Pascal devait accorder une certaine importance, puisqu’il lui a donné la première place dans l’ordre de son programme. Cette addition doit être postérieure à celle qui porte actuellement le n° 2, puisque Pascal a dû inscrire ce numéro en addition en marge de gauche. Il y a lieu aussi de penser que cette « première preuve » est postérieure et devrait porter le n° 3, « que leurs discours sont contraires et se détruisent », puisque Pascal n’a pas opéré la correction, et qu’elle est toujours précédée du chiffre 2 : si l’addition « 1. Que cela serait indigne de Dieu » avait été écrite avant la « troisième » preuve, Pascal l’aurait certainement fait précéder du chiffre 3.
Aussi est-il difficile d’expliquer l’importance que Pascal attribuait à cette addition, car sa signification et sa portée ne sont pas évidentes.
C’est la seule occurrence de cet argument dans les Pensées. On ne le trouve développé nulle part dans les Pensées. La question se pose donc de savoir si Pascal s’est contenté de noter au passage une preuve dont il n’a rien pu tirer de vraiment convaincant, ou s’il a noté une idée nouvelle qu’il envisageait sérieusement de développer.
Jean Mesnard pense qu’il s’agit là d’un argument qui n’amorce pas un développement vraiment autonome. Voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 263-264. Il s’agit là d’une preuve par le cœur, fondée sur la considération du souverain bien et des valeurs de la charité : elle ne peut avoir d’efficacité rationnelle qu’en liaison avec les deux autres.
Dignité s’entend ici non seulement au sens de grandeur, mais au sens où une dignité comme celle d’un juge répond à un certain ordre de choses qui sont de sa compétence. Les figures de ceinture, de barbe et cheveux brûlés, etc. (Loi figurative 4 - Laf. 248, Sel. 280) ne relèvent évidemment pas de l’ordre de Dieu en ce sens.
L’édition de Port-Royal explicite ce point par l’addition suivante : « premièrement qu’il serait indigne de Dieu de n’appeler les hommes qu’à la jouissance des félicités temporelles ». Sous cette forme, l’argument ne peut évidemment pas être entendu par un incrédule qui considère Dieu comme une pure invention humaine, rejette les biens spirituels et borne sa félicité aux biens temporels.
2. que leurs discours expriment très clairement la promesse des biens temporels
Pascal distingue ici dans ce qui suit deux preuves différentes, qu’il n’a pas jusque là distinguées aussi nettement. Cette preuve est purement interne au langage, et consiste à remarquer que, dans les discours des prophètes, on trouve des promesses parfaitement claires, mais que d’autres énoncés des mêmes prophètes déclarent qu’ils ne sont clairs qu’en apparence, et que leur sens est obscur, caché et insaisissable. D’où Pascal conclut que leur vrai sens n’est pas le littéral clair, mais un sens figuré obscur.
La preuve qui suit (la troisième), est d’un autre type : elle consiste à s’appuyer sur le fait que les discours des prophètes, s’ils sont entendus au sens littéral, enferment une contradiction manifeste et grossière, qu’un esprit raisonnable ne peut proférer. Cette seconde preuve n’est donc pas purement interne au langage, contrairement à la première, mais elle enferme une confrontation entre le discours des prophètes et les prophètes eux-mêmes, dont on ne saurait croire qu’ils sont susceptibles d’écrire des sottises. Comme on le verra plus bas, cette preuve fait intervenir le principe d’habileté.
Il semble donc que Pascal soit ici en train d’affiner la démonstration du sens figuratif des prophéties, en distinguant avec beaucoup plus de soin qu’il ne l’a fait auparavant les différents aspects de sa preuve par les contradictions de l’Écriture.
On trouve dans l’Écriture la promesse de biens qui relèvent de l’ordre des corps, c’est-à-dire de la politique : elle annonce au peuple juif l’avènement d’un roi-messie puissant qui étendra l’autorité de sa couronne au monde entier. Temporel s’oppose ici à spirituel. Ces promesses sont formulées en termes qui s’entendaient clairement au sens littéral :
Loi figurative 4 (Laf. 248, Sel. 280). Les prophètes prophétisaient par figures, de ceinture, de barbe et cheveux brûlés, etc.
Les biens promis étaient explicitement une terre riche et fertile. Voir Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303) : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse. De même, c’est en termes littéraux très clairs par eux-mêmes qu’on lit la promesse Sede a dextris meis. L’esprit même de Dieu est, dans l’Ancien Testament, exprimé en termes purement humains : Ainsi iratus est, Dieu jaloux, etc.
Ces termes étant clairs par eux-mêmes, il serait nécessaire de les entendre au sens littéral, conformément à la maxime interpretatio cessat in claris : on arrête l’interprétation lorsqu’on se trouve ne présence de termes clairs.
Il se trouve cependant des expressions qui ne forment pas un sens clair si on les entend au sens littéral, et qui engendrent dans les textes des paradoxes, des incohérences, voire des contradictions.
Pascal en donne des exemples dans la liasse Loi figurative :
Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple, les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.
Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point.
Vous seriez vraiment libre ; donc l’autre liberté n’est qu’une figure de liberté.
Je suis le vrai pain du ciel.
On peut alors s’interroger sur la suffisance du sens littéral auquel on se tient ordinairement à la lecture d’un texte.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée. Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent.
Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc.
Une interprétation est alors légitime pour éclaircir ces passages et résoudre les contradictions qu’ils enferment. Pascal montre sur un cas particulier qu’une analyse sémantique permet de mettre au jour un sens second, figuratif et d’ordre spirituel : voir Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis on peut croire charnellement que ce sera des Egyptiens. Et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie, mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités. Car dans la vérité les Egyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.
Ce mot d’ennemis est donc équivoque, mais, s’il dit ailleurs comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés il les pouvait bien dénoter par ennemis mais s’il pensait aux ennemis il ne les pouvait pas désigner par iniquités.
Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis.
Lorsque l’Écriture parle de vraie liberté, il faut bien entendu comprendre que ce que l’on entend ordinairement par liberté.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Pour savoir si la loi et les sacrifices sont réalité ou figure il faut voir si les prophètes en parlant de ces choses y arrêtaient leur vue et leur pensée, en sorte qu’ils n’y vissent que cette ancienne alliance, ou s’ils y voient quelque autre chose dont elle fût la peinture. Car dans un portrait on voit la chose figurée. Il ne faut pour cela qu’examiner ce qu’ils en disent.
Quand ils disent qu’elle sera éternelle entendent-ils parler de l’alliance de laquelle ils disent qu’elle sera changée et de même des sacrifices, etc.
Le chiffre a deux sens. Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens.
Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.
Et d’autant plus qu’on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral. Combien doit‑on donc estimer ceux qui nous découvrent le chiffre et nous apprennent à connaître le sens caché, et principalement quand les principes qu’ils en prennent sont tout à fait naturels et clairs ? C’est ce qu’a fait Jésus-Christ et les apôtres. Ils ont levé le sceau. Il a rompu le voile et a découvert l’esprit. Ils nous ont appris pour cela que les ennemis de l’homme sont ses passions, que le rédempteur serait spirituel et son règne spirituel, qu’il y aurait deux avènements, l’un de misère pour abaisser l’homme superbe, l’autre de gloire pour élever l’homme humilié, que Jésus-Christ serait Dieu et homme.
et qu’ils disent néanmoins que leurs discours sont obscurs
Mais il y a une preuve encore plus convaincante du fait qu’il faut entendre les prophéties de l’Ancien Testament au sens figuré, c’est que les auteurs eux-mêmes, sous l’inspiration de Dieu, l’ont déclaré en termes explicites et parfaitement clairs.
Loi figurative 15 (Laf. 260, Sel. 291). Quand on surprend une lettre importante où l’on trouve un sens clair, et où il est dit néanmoins que le sens en est voilé et obscurci, qu’il est caché en sorte qu’on verra cette lettre sans la voir et qu’on l’entendra sans l’entendre, que doit-on penser sinon que c’est un chiffre à double sens. Et d’autant plus qu’on y trouve des contrariétés manifestes dans le sens littéral. Les prophètes ont dit clairement qu’Israël serait toujours aimé de Dieu et que la loi serait éternelle et ils ont dit que l’on n’entendrait point leur sens et qu’il était voilé.
Loi figurative 24 (Laf. 269, Sel. 300). Quand David prédit que le Messie délivrera son peuple de ses ennemis on peut croire charnellement que ce sera des Égyptiens. Et alors je ne saurais montrer que la prophétie soit accomplie, mais on peut bien croire aussi que ce sera des iniquités. Car dans la vérité les Égyptiens ne sont point ennemis, mais les iniquités le sont.
Ce mot d’ennemis est donc équivoque, mais, s’il dit ailleurs comme il fait qu’il délivrera son peuple de ses péchés, aussi bien qu’Isaïe et les autres, l’équivoque est ôtée, et le sens double des ennemis réduit au sens simple d’iniquités. Car s’il avait dans l’esprit les péchés il les pouvait bien dénoter par ennemis mais s’il pensait aux ennemis il ne les pouvait pas désigner par iniquités.
Or Moïse et David et Isaïe usaient de mêmes termes. Qui dira donc qu’ils n’avaient pas même sens et que le sens de David qui est manifestement d’iniquités lorsqu’il parlait d’ennemis, ne fût pas le même que Moïse en parlant d’ennemis.
Prophéties 23 (Laf. 344, Sel. 376). Que peut-on avoir sinon de la vénération d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclaircir et qui mêle des obscurités parmi des choses claires qui arrivent.
Il en résulte que le texte de la Bible comporte deux ordre de sens, l’un figuratif, et l’autre à prendre au sens littéral, savoir celui qui déclare que l’autre sens est figuratif, caché et spirituel.
Loi figurative 20 (Laf. 265, Sel. 296). Figure porte absence et présence, plaisir et déplaisir. Chiffre a double sens. Un clair et où il est dit que le sens est caché.
Pascal résume cette argumentation dans le fragment Loi figurative 8 (Laf. 252, Sel. 284). Deux erreurs : 1. prendre tout littéralement. 2. prendre tout spirituellement. Il faut prendre au sens littéral les passages où les prophètes disent que les autres passages sont à entendre au sens spirituel.
Mesnard Jean, La culture du XVIIe siècle. Enquêtes et synthèses, Paris, P. U. F., 1992, p. 440. Voir ibid., p. 440, la remarque selon laquelle ce n’est pas Dieu qui a mis directement les obscurités dans les prophéties, mais les prophètes eux-mêmes sur l’ordre de Dieu.
et que leur sens ne sera point entendu.
♦ Sens littéral
Lhermet J., Pascal et la Bible, p. 405. Sens littéral propre, p. 405 : c’est le sens qui ressort immédiatement et directement des mots pris dans leur signification première et naturelle. Le sens littéral métaphorique est le sens qui résulte des mots employés non à la rigueur de la lettre, mais comme images ou comme métaphores : p. 406.
Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, p. 87 sq. Statut du sens littéral. Le sens littéral chez Pascal : p. 88. A-t-il un statut univoque ? p. 89. Abolition du sens littéral au profit du sens figuré : p. 91. Le sens littéral chez Pascal et saint Augustin : p. 93.
Saint Augustin, Confessions, XVIII, 31, n. 42.
Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Bibliothèque augustinienne, 48, p. 34. L’expression de res gesta chez saint Augustin : p. 39. La création est la res gesta par excellence, puisque le monde a commencé quand la parole de Dieu l’a tiré du néant : p. 39.
Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Bibliothèque augustinienne, 48, p. 40. Les mots et les concepts tirés de notre expérience ne peuvent s’appliquer à Dieu exactement : « les Écritures ont coutume », selon saint Augustin, de transférer aux choses divines les mots dont nous nous servons pour les choses humaines ». Il faut donc, pour retrouver le sens de l’Écriture, purifier le langage de ce qu’il a d’inévitablement anthropologique.
Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement. En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.
L’intérêt pour le sens littéral revient au XVIe siècle, avec la philologie de la Renaissance, et le libre examen de la Réforme : Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992, p. 426-453.
Sellier Philippe, “La lumière immobile. L’univers biblique d’un catholique sous Louis XIV”, in Port-Royal et la littérature, II, Paris, Champion, 2000, p. 122 sq. Sens littéral et sens spirituel.
Gheeraert Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et le poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, p. 145 sq. Sens littéral et sens spirituel.
Chédozeau Bernard, “Ancien Testament et Nouveau Testament dans les préfaces de la Bible de Port-Royal (1672-1708). Le statut des Juifs”, in Port-Royal et le peuple d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 48 sq. La lecture de l’Ancien Testament par les sens littéral et spirituel. En quoi consiste le sens littéral pour les différents livres de la Bible : p. 48.
♦ Sens figuré
Voir les généralités sur la liasse Loi figurative.
Saint Augustin, La Genèse au sens littéral, Bibliothèque augustinienne, 48, p. 35. Ce que saint Augustin entend par sens figuré ou allégorique, par opposition au sens littéral.
Il faut bien faire attention au fait que le sens figuré n’est pas nécessairement de lui-même un sens spirituel. On passe du sens littéral au sens figuré, mais ce passage n’est pas nécessairement un passage du sens charnel au sens spirituel. C’est une particularité de l’exégèse figurative chrétienne de poser la quasi équivalence entre ces deux couples de sens. Mais entre le sens charnel, il n’y a qu’une relation de destruction : si l’on entend un énoncé au sens spirituel, sa signification charnelle se trouve disqualifiée (quoique le sens charnel puisse conserver une valeur purement historique). En revanche, il n’y a rien dans le sens charnel qui conduise naturellement au sens spirituel : ce sens est pour ainsi dire intransitif. En revanche, du point de vue rhétorique, le sens littéral conduit naturellement au sens figuré : l’esprit passe sans difficulté de l’un à l’autre, dès qu’il a aperçu que ce sens littéral ne se suffit pas à lui-même. Mais le sens littéral n’est pas détruit par le figuré, et un même énoncé peut être vrai à la fois littéralement et au sens figuré. Pascal pose sans difficulté une double équivalence, dont il ne donne aucune démonstration explicite, savoir l’identité du sens littéral et du sens charnel, et du sens figuré avec le sens spirituel. Selon lui, en dehors des passages qui énoncent clairement que le reste du texte est obscur et ne peut être compris que dans un sens caché, les passages à prendre littéralement sont charnels et les passages à entendre au sens figuré sont spirituels. De telle sorte que le littéral-charnel mène au figuré-spirituel et se trouve par là même détruit par lui. L’assimilation des deux couples littéral-figuré et charnel-spirituel aboutit à une transition du sens apparent des prophéties à leur sens véritable.
♦ Sens spirituel
Le Maistre de Sacy, Isaïe, Préface, § II., voir Chédozeau Bernard, L’univers biblique catholique au siècle de Louis XIV, La Bible de Port-Royal, I, p. 213 sq. et p. 220-224.
Gheeraert Tony, Le chant de la grâce. Port-Royal et la poésie d’Arnauld d’Andilly à Racine, p. 145 sq. Sens littéral et sens spirituel.
Mesnard Jean, “La théorie des figuratifs dans les Pensées de Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., 1992, p. 426-453, sur les différents sens du terme sens spirituel dans la Tradition. Entre l’Ancien Testament et les Juifs d’Alexandrie, d’une part, avec Philon, et le Nouveau Testament, on assiste à un changement de la notion : la réalité de la lettre est sauvegardée ; le sens spirituel est presque toujours un sens prophétique qui révèle dans certains personnages, certains événements ou certaines institutions de l’histoire juive des types, des figures du Christ. La conception du sens spirituel de saint Augustin : le sens spirituel comprend aussi bien la métaphore que la figure et l’allégorie, et le sens littéral se réduit au sens propre. À l’époque scolastique, on fait la distinction de différents aspects du sens spirituel, le sens allégorique, pour ce qui touche la foi ; le sens tropologique, qui touche l’enseignement moral ; le sens anagogique, qui annonce les biens éternels. Sur le sens spirituel chez Pascal, voir la lettre IV à Melle de Roannez. Le sens spirituel s’oppose au sens charnel et au sens temporel. Le sens spirituel utilisé par Pascal est le sens figuratif : Pascal n’a pas connu la règle classique depuis saint Thomas d’après laquelle le sens métaphorique rentre dans le sens littéral ; Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303) déclare que les anthropomorphismes doivent être pris au sens spirituel ; or c’est une variété de métaphore. Le rattachement à saint Augustin est direct. Pascal considère que les prophéties ont un sens immédiat qui n’est pas le véritable sens, mais le support d’un sens plus profond qui, lui, est le véritable. Les textes sont d’autant plus insidieux qu’ils sont plus clairs : le sens littéral, dont rien ne permet de suspecter la valeur, n’en a absolument aucune ; c’est un trompe-l’œil, voire un piège. La preuve du sens spirituel selon Pascal, c’est que les écrivains sacrés disent que leur discours est obscur. « Le principe de l’argumentation de Pascal sur les figures consiste précisément à montrer l’accord de ces deux livres : comme, sur le plan humain, ils se sont constitués d’une façon indépendante, nous avons alors une preuve manifeste de l’intervention de Dieu ». Sur les prophéties : si les biens temporels de l’Ancien Testament figurent les biens spirituels, l’Ancien et le Nouveau Testament concordent, donc Dieu est intervenu. Cette théorie est propre à Pascal. L’obscurité des prophéties n’y a pas été mise par Dieu, mais par les prophètes sur ordre de Dieu ; voir Perpétuité 10 (Laf. 288, Sel. 320). Moïse, Deut. 30, promet que Dieu circoncira leur cœur pour les rendre capables de l’aimer.
Pascal ne met pas en doute l’unité d’inspiration de l’Ancien Testament. Ces arguments prouvent le sens précis visé par Pascal ; ils prouvent que le sens littéral ou bien n’est pas le vrai (prophéties) ou bien n’a aucune valeur (la Loi) : p. 244. L’Ancien Testament n’est que figuratif, il n’a ni valeur ni sens littéral. La tradition ne donne pas de point de vue aussi radical. Sens apologétique. Deux livres, l’Ancien et le Nouveau testament. « Le principe de l’argumentation de Pascal sur les figures consiste précisément à montrer l’accord de ces deux livres : comme, sur le plan humain, ils se sont constitués d’une façon indépendante, nous avons alors une preuve manifeste de l’intervention de Dieu ». Sur les prophéties : si les biens temporels de l’Ancien Testament figurent les biens spirituels , l’Ancien et le Nouveau Testament concordent, donc Dieu est intervenu. dans la tradition, c’est un argument négatif pour justifier les prophéties qui ne se sont pas réalisées. Pascal y voit le côté positif : l’obscurité de la prophétie discerne vrais et mauvais Juifs, et elle permet encore de discerner chrétiens et incrédules. De plus, l’obscurité des prophéties en garantit l’authenticité. Voir l’objection du fragment 273, et la réponse dans les fragments Laf. 502 et 592. Préparation d’un miracle subsistant : voir le fragment Laf. 502. Les Juifs témoins non suspects. Toute la mission des Juifs est de prophétiser : instrument pour porter le livre annonciateur du Messie. L’apologétique traditionnelle démontre le caractère figuratif de la Loi juive dans un but négatif, pour répondre à l’objection : comment Jésus peut-il être envoyé de Dieu, puisqu’il a changé la loi venue de Dieu même ? Chez Pascal, c’est un argument positif : la religion juive a été établie pour servir de preuve au christianisme. Concordance rigoureuse entre les religions juive et chrétienne, preuve permanente de la vérité du christianisme. Fonde la perpétuité : toujours la même, soit en figure, soit en réalité. Et l’attitude des hommes a toujours été double.
Chédozeau Bernard, “Ancien Testament et Nouveau Testament dans les préfaces de la Bible de Port-Royal (1672-1708). Le statut des Juifs”, in Port-Royal et le peuple d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004, p. 48 sq. La lecture du l’Ancien Testament par les sens littéral et spirituel. En quoi consiste le sens littéral pour les différents livres de la Bible : p. 48. Lecture littérale et lecture spirituelle dans les livres historiques : p. 53 sq. Lecture littérale et lecture spirituelle dans les livres sapientiaux : p. 55 sq. Lecture littérale et lecture spirituelle dans les livres prophétiques : p. 55 sq. Dans le dernier tiers du siècle se produit un reflux des mystiques, la tendance est à un refus de plus en plus affirmé du sens spirituel, au profit de ce que les auteurs appellent alors le sens naturel : p. 58. Cette évolution se fait sentir dans les préfaces de la Bible de Port-Royal, mais les préfaciers n’acceptent pas cette évolution qui tend à évincer les sens spirituels : p. 58 sq.
Sellier Philippe, “La lumière immobile. L’univers biblique d’un catholique sous Louis XIV”, in Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., 2012, p. 187-211. Sens littéral et sens spirituel. Spiritualisation de l’Ancien Testament : p. 123.
D’où il paraît que ce sens secret n’était point celui qu’ils exprimaient à découvert et que, par conséquent, ils entendaient parler d’autres sacrifices, d’un autre libérateur, etc.
Loi figurative 23 (Laf. 268, Sel. 299). Figures. Voilà le chiffre que saint Paul nous donne.
La lettre tue.
Tout arrivait en figures.
Il fallait que le Christ souffrît.
Un Dieu humilié.
Circoncision du cœur, vrai jeûne, vrai sacrifice, vrai temple, les prophètes ont indiqué qu’il fallait que tout cela fût spirituel.
Non la viande qui périt, mais celle qui ne périt point.
Vous seriez vraiment libre ; donc l’autre liberté n’est qu’une figure de liberté.
Je suis le vrai pain du ciel.
Loi figurative 27 (Laf. 272, Sel. 303). Figures. Quand la parole de Dieu qui est véritable est fausse littéralement elle est vraie spirituellement. Sede a dextris meis : cela est faux littéralement, donc cela est vrai spirituellement.
En ces expressions il est parlé de Dieu à la manière des hommes. Et cela ne signifie autre chose sinon que l’intention que les hommes ont en faisant asseoir à leur droite Dieu l’aura aussi. C’est donc une marque de l’intention de Dieu, non de sa manière de l’exécuter.
Ainsi quand il dit : Dieu a reçu l’odeur de vos parfums et vous donnera en récompense une terre grasse, c’est-à-dire la même intention qu’aurait un homme qui, agréant vos parfums, vous donnerait en récompense une terre grasse, Dieu aura la même intention pour vous parce que vous avez eu pour lui même intention qu’un homme a pour celui à qui il donne des parfums.
Ainsi iratus est, Dieu jaloux, etc. Car les choses de Dieu étant inexprimables elles ne peuvent être dites autrement et l’Église d’aujourd’hui en use encore, quia confortavit seras, etc.
Il n’est pas permis d’attribuer à l’Écriture les sens qu’elle ne nous a pas révélé qu’elle a. Ainsi de dire que le ם d’Isaïe signifie 600 cela n’est pas révélé. Il n’est pas dit que les צ et les ח deficientes signifieraient des mystères. Il n’est donc pas permis de le dire. Et encore moins de dire que c’est la manière de la pierre philosophale. Mais nous disons que le sens littéral n’est pas le vrai parce que les prophètes l’ont dit eux-mêmes.
Loi figurative 22 (Laf. 267, Sel. 298). Figures. Dès qu’une fois on a ouvert ce secret il est impossible de ne le pas voir. Qu’on lise le Vieil Testament en cette vue et qu’on voie si les sacrifices étaient vrais, si la parenté d’Abraham était la vraie cause de l’amitié de Dieu, si la terre promise était le véritable lieu de repos ? Non, donc c’étaient des figures. Qu’on voie de même toutes les cérémonies ordonnées et tous les commandements qui ne sont point pour la charité, on verra que c’en sont les figures. Tous ces sacrifices et cérémonies étaient donc figures ou sottises, or il y a des choses claires trop hautes pour les estimer des sottises. Savoir si les prophètes arrêtaient leur vue dans l’Ancien Testament ou s’ils y voyaient d’autres choses.
Ils disent qu’on ne l’entendra qu’à la fin des temps. Jér., 33, ult.
Jérémie, XXX, 24. « Non avertet iram indignationis Dominus, donec faciat et compleat cogitationem cordis sui : in novissimo dierum intelligentis ea ». « Le Seigneur ne détournera point sa colère et son indignation jusqu’à ce qu’il ait exécuté et accompli toutes les pensées de son cœur, et vous les comprendrez dans le dernier jour. »
La troisième preuve est que leurs discours sont contraires et se détruisent. De sorte que si on pose qu’ils n’aient entendu par les mots de loi et de sacrifice autre chose que celle de Moïse, il y a contradiction manifeste et grossière. Donc ils entendaient autre chose, se contredisant quelquefois dans un même chapitre.
La troisième preuve : nous substituons au nombre ordinal deuxième (2 sur le manuscrit) par souci de cohérence. Pascal n’avait au départ envisagé que deux preuves,, mais après l’addition de la première, « que cela serait indigne de Dieu », la première preuve est devenue la deuxième, comme il est indiqué dans la marge de gauche, et l’ancienne deuxième, « que leurs discours sont contraires et se détruisent », est devenue la troisième. Mais Pascal a négligé d’effectuer cette rectification, de sorte que le manuscrit porte toujours La 2e preuve est que leurs discours sont contraires et se détruisent.
Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, p. 42 sq. L’absurdité comme signe. Herméneutique et conciliation : p. 56 sq.
Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Contradiction. On ne peut faire une bonne physionomie qu’en accordant toutes nos contrariétés et il ne suffit pas de suivre une suite de qualités accordantes sans accorder les contraires ; pour entendre le sens d’un auteur il faut accorder tous les passages contraires.
Ainsi pour entendre l’Écriture il faut avoir un sens dans lequel tous les passages contraires s’accordent ; il ne suffit pas d’en avoir un qui convienne à plusieurs passages accordants, mais d’en avoir un qui accorde les passages même contraires.
Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. On ne peut pas dire cela de l’Ecriture et des prophètes : ils avaient assurément trop de bon sens. Il faut donc en chercher un qui accorde toutes les contrariétés.
Ce sens qui accorde les contraires, selon le même fragment, ne saurait être le littéral charnel : Le véritable sens n’est donc pas celui des Juifs, mais en Jésus-Christ toutes les contradictions sont accordées.
Les juifs ne sauraient accorder la cessation de la royauté et principauté prédite par Osée, avec la prophétie de Jacob.
Si on prend la loi, les sacrifices et le royaume pour réalités on ne peut accorder tous les passages ; il faut donc par nécessité qu’ils ne soient que figures. On ne saurait pas même accorder les passages d’un même auteur, ni d’un même livre, ni quelquefois d’un même chapitre, ce qui marque trop quel était le sens de l’auteur ; comme quand Ezéchiel, ch. 20 dit qu’on vivra dans les commandements de Dieu et qu’on n’y vivra pas.
Ce fragment signale une pièce importante, mais ici implicite, de l’argumentation de Pascal : les contradictions du texte de l’Ancien Testament ne sont pas suffisantes par elles-mêmes pour conduire l’esprit du lecteur de l’idée de chose qui atteint seulement le sens littéral, à l’idée de signe qui saisit que les figures prophétiques doivent être interprétées et référées à un sens spirituel. Il pourrait en effet arriver que les prophètes soient effectivement, sinon fous, du moins incapables d’assurer la cohérence logique de leur propre discours, et que les contradictions qu’ils profèrent ne soient effectivement que des absurdités. C’est un thème que l’on trouve formulé dans les écrits de certains auteurs libertins, voire chez Spinoza, qui estime que les prophètes ont l’imagination puissante, mais peu de raison. Pascal est très net sur ce point, comme en témoigne le fragment Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289). Tout auteur a un sens auquel tous les passages contraires s’accordent ou il n’a point de sens du tout. Pour éviter cette conclusion fâcheuse, Pascal est contraint d’ajouter une affirmation supplémentaire, le principe d’habileté, savoir que les prophètes avaient assurément trop de bon sens pour laisser dans leurs écrits des contradictions manifestes et grossières, parfois dans un même chapitre. De sorte que s’ils ont laissé passer des contradictions, et s’ils ont déclaré que leur sens véritable était caché, c’était en toute connaissance de cause, et de manière parfaitement rationnel. C’est pourquoi Pascal insiste à plusieurs reprises sur la sagesse et le génie des prophètes d’Israël :
Preuves de Jésus-Christ 17 (Laf. 315, Sel. 346). Moïse d’abord enseigne la Trinité, le péché originel, le Messie.
David grand témoin. Roi, bon, pardonnant, belle âme, bon esprit, puissant. Il prophétise et son miracle arrive. Cela est infini.
Ce recours au principe d’habileté est expliqué dans les commentaires du fragment Loi figurative 13 (Laf. 257, Sel. 289), au commentaire duquel il faut renvoyer. Voir sur ce point Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, p. 237 sq.
La phrase suivante confirme que Pascal a bien ici en vue l’idée qu’un auteur digne de ce nom doit être cohérent dans ce qu’il écrit et ne pas laisser subsister dans son discours de grosses contradictions.
Or pour entendre le sens d’un auteur...
Cette dernière indication a d’abord été écrite La troisième est que pour accorder le sens d’un auteur… Voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 263-264. Il s’agit là d’une ligature au sens où l’entend Emmanuel Martineau, c’est-à-dire à une formule d’appel à un autre texte, dont Pascal sait où il peut le trouver ; dans le cas présent, il s’agit de fragments classés dans la liasse Loi figurative, dont Pascal approfondit ici le sens.