Preuves par les Juifs VI  – Fragment n° 8 / 15 – Papier original : RO 443-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 60 p. 255 / C2 : p. 471

Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 140  / 1678 n° 8 p. 138-139

Éditions savantes : Faugère II, 157, XXVII / Havet XX.5  / Brunschvicg 562 et 577 / Tourneur p. 325-2 / Le Guern 434 / Lafuma 468 et 469 (série XI) / Sellier 705 et 706

 

 

 

Il n’y a rien sur la terre qui ne montre, ou la misère de l’homme ou la miséricorde de Dieu, ou l’impuissance de l’homme sans Dieu, ou la puissance de l’homme avec Dieu.

 

Dieu a fait servir l’aveuglement de ce peuple au bien des élus.

 

 

Ces deux notes, portées sur le même papier, n’ont pas de rapport direct l’une avec l’autre. La première indique tout ce que le spectacle du monde révèle à un regard éclairé de la double condition de l’homme et de l’action que Dieu exerce sur elle par sa grâce. La seconde résume en quelques mots la place que Dieu a accordée au peuple juif dans l’économie générale du salut. Un point commun cependant : dans les deux cas, Pascal montre comment d’un mal, la corruption de l’homme d’une part, et l’aveuglement des Juifs d’autre part, Dieu parvient à tirer un bien.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Ordre 2 (Laf. 3, Sel. 38). Et quoi ne dites-vous pas vous-même que le ciel et les oiseaux prouvent Dieu ? Non. Et votre religion ne le dit-elle pas ? Non. Car encore que cela est vrai en un sens pour quelques âmes à qui Dieu donna cette lumière, néanmoins cela est faux à l’égard de la plupart.

Ordre 4 (Laf. 6, Sel. 40). Première partie : Misère de l’homme sans Dieu.

Deuxième partie : Félicité de l’homme avec Dieu.

Autrement

Première partie : Que la nature est corrompue, par la nature même.

Deuxième partie : Qu’il y a un Réparateur, par l’Écriture.

Misère 24 (Laf. 75, Sel. 110). L’Ecclésiaste montre que l’homme sans Dieu est dans l’ignorance de tout et dans un malheur inévitable, car c’est être malheureux que de vouloir et ne pouvoir. Or il veut être heureux et assuré de quelque vérité. Et cependant il ne peut ni savoir ni ne désirer point de savoir. Il ne peut même douter.

Raisons des effets 18 (Laf. 100, Sel. 133). Raison des effets.

Épictète. Ceux qui disent : vous [avez] mal à la tête.

Ce n’est pas de même. On est assuré de la santé, et non pas de la justice. Et en effet la sienne était une niaiserie.

Et cependant il la croyait démontrer en disant : Ou en notre puissance ou non.

Mais il ne s’apercevait pas qu’il n’est pas en notre pouvoir de régler le cœur, et il avait tort de le conclure de ce qu’il y avait des chrétiens.

Prophéties 26 (Laf. 347, Sel. 379). Que Dieu les frappera d’aveuglement et qu’ils tâtonneront en plein midi comme les aveugles.

Morale chrétienne 4 (Laf. 354, Sel. 386)Il n’y a point de doctrine plus propre à l’homme que celle-là qui l’instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce à cause du double péril où il est toujours exposé de désespoir ou d’orgueil.

Dossier de travail (Laf. 398, Sel. 17). Les philosophes ne prescrivaient point des sentiments proportionnés aux deux états.

Ils inspiraient des mouvements de grandeur pure et ce n’est pas l’état de l’homme.

Ils inspiraient des mouvements de bassesse pure et ce n’est pas l’état de l’homme.

Il faut des mouvements de bassesse, non de nature, mais de pénitence non pour y demeurer mais pour aller à la grandeur. Il faut des mouvements de grandeur non de mérite mais de grâce et après avoir passé par la bassesse.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Il fallait que pour donner foi au Messie il y eût eu des prophéties précédentes et qu’elles fussent portées par des gens non suspects et d’une diligence et fidélité et d’un zèle extraordinaire et connu de toute la terre.

Pour faire réussir tout cela Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait.

Et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie assurant toutes les nations qu’il devait venir et en la manière prédite dans les livres qu’ils tenaient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie ont été ses plus cruels ennemis, de sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser et le plus exact et zélé qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes qui les porte incorrompus.

De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié Jésus-Christ qui leur a été en scandale sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu’il sera rejeté et en scandale, de sorte qu’ils ont marqué que c’était lui en le refusant et qu’il a été également prouvé et par les justes juifs qui l’ont reçu et par les injustes qui l’ont rejeté, l’un et l’autre ayant été prédits.

C’est pour cela que les prophéties ont un sens caché, le spirituel, dont ce peuple était ennemi, sous le charnel dont il était ami. Si le sens spirituel eut été découvert ils n’étaient pas capables de l’aimer et ne pouvant le porter ils n’eussent point eu le zèle pour la conservation de leurs livres et de leurs cérémonies et s’ils avaient aimé ces promesses spirituelles et qu’ils les eussent conservées incorrompues jusqu’au Messie leur témoignage n’eût point eu de force puisqu’ils en eussent été amis.

Voilà pourquoi il était bon que le sens spirituel fût couvert, mais d’un autre côté si ce sens eût été tellement caché qu’il n’eût point du tout paru il n’eût pu servir de preuve au Messie. Qu’atil donc été fait ?

Il a été couvert sous le temporel en la foule des passages et a été découvert si clairement en quelquesuns, outre que le temps et l’état du monde ont été prédits si clairement qu’il est plus clair que le soleil, et ce sens spirituel est si clairement expliqué en quelques endroits qu’il fallait un aveuglement pareil à celui que la chair jette dans l’esprit quand il lui est assujetti pour ne le pas reconnaître.

Voilà donc quelle a été la conduite de Dieu. Ce sens est couvert d’un autre en une infinité d’endroits et découvert en quelquesuns rarement, mais en telle sorte néanmoins que les lieux où il est caché sont équivoques et peuvent convenir aux deux, au lieu que les lieux où il est découvert sont univoques et ne peuvent convenir qu’au sens spirituel.

De sorte que cela ne pouvait induire en erreur et qu’il n’y avait qu’un peuple aussi charnel qui s’y pût méprendre. [...]

Et cependant ce testament fait pour aveugler les uns et éclairer les autres marquait en ceux mêmes qu’il aveuglait la vérité qui devait être connue des autres. Car les biens visibles qu’ils recevaient de Dieu étaient si grands et si divins qu’il paraissait bien qu’il était puissant de leur donner les invisibles et un Messie.

[...] Dieu a donc montré en la sortie d’Égypte, de la mer, en la défaite des rois, en la manne, en toute la généalogie d’Abraham qu’il était capable de sauver, de faire descendre le pain du ciel, etc., de sorte que ce peuple ennemi est la figure et représentation du même Messie qu’ils ignorent.

Il nous a donc appris enfin que toutes ces choses n’étaient que figures et ce que c’est que vraiment libre, vrai Israélite, vraie circoncision, vrai pain du ciel, etc.

[...] Dans ces promesses-là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur, les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures, mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux, au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent et sans aucune contradiction avec commandement de n’aimer que lui et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent.

Pensées diverses (Laf. 566, Sel. 472). Tout tourne en bien pour les élus.

Jusqu’aux obscurités de l’Écriture, car ils les honorent à cause des clartés divines, et tout tourne en mal pour les autres jusqu’aux clartés, car ils les blasphèment à cause des obscurités qu’ils n’entendent pas.

Pensées diverses (Laf. 793, Sel. 646). Les ténèbres des Juifs effroyables et prédites. Eris palpans in meridie. Dabitur liber scienti litteras et dicet non possum legere.

 

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