Pensées diverses V – Fragment n° 4 / 7 – Papier original : RO 227-1 r° / v° et 226

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 170 p. 401 v°-403 / C2 : p. 375 v° à 377 v°

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janvier 1670 p. 264 /

1678 n° 53 et 54 p. 256-257

Éditions savantes : Faugère II, 375, XLII ; II, 205, XXX ; I, 324, XIV ; II, 206, XXX / Havet XXIV.32, XXV.143, XXIV.31 bis / Michaut 480, 957 à 959 / Brunschvicg 497, 899, 858, 847 / Tourneur p. 122-1 / Le Guern 648 à 651 / Lafuma 774 à 777 (série XXVII) / Sellier 638 à 642

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Bibliographie

 

 

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SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Contre ceux qui sur la confiance de la miséricorde de Dieu demeurent dans la nonchalance sans faire de bonnes œuvres.

 

Preuves par les Juifs VI (Laf. 461, Sel. 700). Le monde subsiste pour exercer miséricorde et jugement, non pas comme si les hommes y étaient sortant des mains de Dieu, mais comme des ennemis de Dieu auxquels il donne, par grâce, assez de lumière pour revenir, s’ils le veulent chercher et le suivre, mais pour les punir, s’ils refusent de le chercher ou de le suivre.

Contre qui parle ici Pascal ?

Il peut s’agir des protestants, qui estiment que, du moment que l’on a la foi, les œuvres sont inutiles au salut.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 104 sq. La principale et première disposition pour la justification est la foi : p. 104. Pour la justification, la foi fiduciale (confiance dans la grâce et la miséricorde manifestées dans le Christ) n’est ni requise, ni suffisante, mais la foi théologale (fides theologica, croyance dogmatique) est nécessaire : p. 105. Outre la foi, d’autres actes de vertu sont exigés de l’adulte pour la justification : p. 107. Les protestants considèrent que la foi seule suffit pour le salut. La foi justifie-t-elle seule ? p. 110. Outre la foi, d’autres actes de vertu sont exigés pour la justification. La doctrine de la foi telle que l’expose saint Paul : p. 109. Voir p. 108-112, une explication approfondie de la question.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 186 sq. Unité éminente de la miséricorde et de la justice : p. 186. La miséricorde n’est pas en Dieu une émotion, mais une action de sa volonté qui se confond avec sa justice en une unité supérieure (alors qu’en l’homme la miséricorde supprime la justice dans la mesure où elle renonce à une sanction légitime). S’affliger sur la misère d’autrui ne convient pas à la nature de Dieu, mais agir pour que cette misère disparaisse lui convient au plus haut degré : p. 187. Le Christ, comme sauveur des pécheurs, est le représentant de la miséricorde infinie de Dieu à l’égard des misères morales des hommes.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 185. Orgueil et paresse sont mis en rapport avec un couple augustinien, justice et miséricorde. Voir p. 268 sq. La miséricorde de Dieu et le discernement. Dieu discerne dans la masse ceux qu’il veut sauver : p. 269. Sur le fait que malgré l’incertitude du salut, il faut travailler avec zèle pour Dieu, en raison de sa miséricorde. Le chrétien doit travailler pour Dieu, avec une certaine crainte, mais une crainte joyeuse, qui est le propre des croyants, en exil dans ce monde. La 6e lettre à Melle de Roannez, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1040-1042 (la 7e dans l’éd. Adam), parle de « cette joie mêlée de la tristesse d’avoir suivi d’autres plaisirs, et de la crainte de la perdre par l’attrait de ces autres plaisirs qui nous tentent sans relâche. Et ainsi nous devons travailler sans cesse à nous conserver cette grâce qui modère notre crainte, et à conserver cette crainte qui modère notre joie ».

Mais d’autres personnes peuvent tomber sous le même reproche formulé par Pascal. À commencer par certains catholiques, comme ceux qui se contentent de suivre les opinions probables pour se dispenser des œuvres de charité.

Philippe Sellier remarque que dans Laf. 680, Sel. 559, Pascal blâme en Montaigne le laisser-aller, sa nonchalance du salut, sans crainte et sans repentir.

Pascal traite de la manière dont Dieu exerce sa miséricorde à l’égard des hommes pécheurs dans le Traité de la prédestination, 3, Rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, p. 792 sq.

 

Comme les deux sources de nos péchés sont l’orgueil et la paresse, Dieu nous a découvert deux qualités en lui pour les guérir : sa miséricorde et sa justice.

 

Orgueil : voir le dossier thématique sur l’orgueil.

Paresse : la paresse est l’un des péchés capitaux, qui consiste en un amour déréglé du repos que fait que l’on omet ses devoirs ou qu’on les remplit avec négligence. On distingue la paresse corporelle, qui consiste à ne pas faire ce que l’on doit, ou à le faire mal, et la paresse spirituelle qui est un certain dégoût pour la prière et les devoirs de la religion. Celle-ci, dont il est question dans le texte de Pascal, compromet le salut ; c’est un péché grave dans la mesure où il va jusqu’à l’oubli de Dieu et des devoirs les plus importants. Voir Boulenger A., La doctrine catholique, III, La morale, p. 272.

Voir sur la paresse Fausseté 6 (Laf. 208, Sel. 240). Car ne voyant pas la vérité entière ils n’ont pu arriver à une parfaite vertu, les uns considérant la nature comme incorrompue, les autres comme irréparable, ils n’ont pu fuir ou l’orgueil ou la paresse qui sont les deux sources de tous les vices, puisqu’il[s] ne peu[ven]t sinon ou s’y abandonner par lâcheté, ou en sortir par l’orgueil. Car s’ils connaissaient l’excellence de l’homme, ils en ignorent la corruption de sorte qu’ils évitaient bien la paresse, mais ils se perdaient dans la superbe et s’ils reconnaissent l’infirmité de la nature ils en ignorent la dignité de sorte qu’ils pouvaient bien éviter la vanité mais c’était en se précipitant dans le désespoir.

Acedia : voir saint Thomas, Somme théologique, I, q. LXIII, 2 2ae ; 2-2, q. XXXV, 1 et 2. “Est taedium bene operandi, et tristitia de re spirituali”.

Pontas, Dictionnaire des cas de conscience ou décisions, par ordre alphabétique, des plus considérables difficultés touchant la morale et la discipline ecclésiastique, publié par l’abbé Migne, 1847, t. 1, p. 307 sq. Paresse.

Pascal s’en prend à la définition de la paresse par Escobar, dans la IXe Provinciale, § 11-12, éd. Cognet, p. 162-163. « Attendez, dit le Père, quand vous aurez vu la définition de ce vice qu’Escobar en donne, tr. 2. ex. 2. num. 81, peut-être en jugerez-vous autrement ; écoutez-la : La paresse est une tristesse de ce que les choses spirituelles sont spirituelles, comme serait de s’affliger de ce que les Sacrements sont la source de la grâce. Et c’est un péché mortel. Ô mon Père ! lui dis-je, je ne crois pas que personne ait jamais été assez bizarre, pour s’aviser d’être paresseux en cette sorte ».

Palasan Daniela, L’ennui chez Pascal et l’acédie, Cluj-Napoca, Eikon, 2005.

 

Le propre de la justice est d’abattre l’orgueil, quelque saintes que soient les œuvres,

 

Texte inscrit en marge de gauche, sans renvoi. Voir la transcription diplomatique.

C’est le sens de la parabole du pharisien et du publicain, Luc, XVIII, 10-14. Le pharisien a beau faire étalage de ses œuvres, il n’en est pas justifié pour autant ; le publicain, lui, s’humilie devant Dieu et se trouve pardonné. Voir le commentaire de l’édition de l’Évangile de Luc par Port-Royal, qui entre dans le détail de l’explication de la parabole.

 

et non intres in judicium, etc.,

 

Psaume CXLII, 2. « Et non intres in judicium cum servi tuo ; quia non justificabitur in conspectu tuo omnis vivens ». Tr. de Port-Royal : « Et n’entrez point en jugement avec votre serviteur ; parce que nul homme vivant ne sera trouvé juste devant vous ».

L’explication liminaire de la traduction explique « lorsqu’en punition de l’adultère et de l’homicide que David avait commis, il vit son fils Absalon se soulever contre lui, et lui déclarer une guerre ouverte », il s’humilie « devant Dieu dans la vue de son péché ; et implorant sa miséricorde avec un vif sentiment de sa misère, il apprend par son exemple à tous les pécheurs, à s’humilier et à gémir comme lui en la présence de Dieu. Aussi l’Église met ce Psaume dans la bouche des pénitents ; et c’est un de ceux qu’elle appelle pénitentiaux ». Le commentaire qui suit le texte explique que David, après ses crimes, « ne doit avoir recours » qu’à la clémence de Dieu : « c’est pourquoi il le supplie de ne pas entrer en jugement avec lui ; c’est-à-dire, de ne vouloir pas le juger selon la rigueur de sa justice ; parce que nul homme en ce monde étant jugé rigoureusement sur les préceptes que le Seigneur lui a donnés, ne peut être parfaitement juste devant ses yeux ; et que dès que Dieu tire des trésors de sa vérité la règle très droite et très pure de sa justice, afin de nous examiner sur cette règle, il paraît combien nous sommes encore éloignés d’être justes devant lui. Ce qui étant vrai des plus justes mêmes, combien les pécheurs, tels qu’était David lorsqu’il composa ce psaume, doivent-ils s’anéantir devant Dieu ? »

 

et le propre de la miséricorde est de combattre la paresse en invitant aux bonnes œuvres selon ce passage : La miséricorde de Dieu invite à pénitence,

 

Saint Paul, Ép. aux Romains, II, 4, « Ignoras quoniam beniginitas Dei ad poenitentiam te adducit ? ». Tr. de Port-Royal : « Ignorez-vous que la bonté de Dieu vous invite à la pénitence ? ». Commentaire de Port-Royal : « La bonté de Dieu : que cet excès de la bonté de Dieu envers vous, vous invite, c’est-à-dire est un moyen dont il se sert pour vous inviter, ou vous porter à la pénitence, qui comprend la conversion du cœur à Dieu avec le dessein de se punir soi-même pour apaiser sa justice ».

 

et cet autre des Ninivites : Faisons pénitence pour voir si par aventure il aura pitié de nous.

 

La prédication de Jonas à Ninive porte enfin ses habitants à se repentir de leurs fautes : voir Jonas, III, 9, « Quis scit si convertatur et ignoscat Deus : et revertatur a furore irae suae, et non peribimus ? ». Traduction de Port-Royal : « Qui sait si Dieu ne se retournera point vers nous pour nous pardonner ; s’il n’apaisera point la fureur de sa colère, et s’il ne changera point l’arrêt qu’il a donné pour nous perdre ? » Le commentaire de Port-Royal souligne que comme les Ninivites ont fait preuve d’un véritable repentir, Dieu leur a effectivement accordé grâce. Mais le commentateur souligne que cette clémence est due au fait que cette pénitence n’était pas fausse, ce qui aurait fermé définitivement la porte du salut.

 

Et ainsi tant s’en faut que la miséricorde autorise le relâchement que c’est au contraire la qualité qui le combat formellement. De sorte qu’au lieu de dire : S’il n’y avait point en Dieu de miséricorde, il faudrait faire toutes sortes d’efforts pour la vertu, il faut dire au contraire que c’est parce qu’il y a en Dieu de la miséricorde qu’il faut faire toutes sortes d’efforts.

 

Tant s’en faut que... : tour familier à Pascal, lorsqu’il veut montrer qu’un argument ne confirme pas une idée, mais la thèse directement contraire.

Règle de la créance (Laf. 505, Sel. 672). L’autorité. Tant s’en faut que d’avoir ouï dire une chose soit la règle de votre créance, que vous ne devez rien croire sans vous mettre en l’état comme si jamais vous ne l’aviez ouï. C’est le consentement de vous à vous-même et la voix constante de votre raison et non des autres qui vous doit faire croire.

Laf. 518, Sel. 452. Pyrrh[onisme]. L’extrême esprit est accusé de folie comme l’extrême défaut ; rien que la médiocrité n’est bon : c’est la pluralité qui a établi cela et qui mord quiconque s’en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m’y obstinerai pas, je consens bien qu’on m’y mette et me refuse d’être au bas bout, non pas parce qu’il est bas, mais parce qu’il est bout, car je refuserais de même qu’on me mît au haut. C’est sortir de l’humanité que de sortir du milieu. La grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir, tant s’en faut que la grandeur soit à en sortir qu’elle est à n’en point sortir.

Laf. 563, Sel. 470. Hérétiques. Ézéch. Tous les païens disaient du mal d’Israël et le prophète aussi. Et tant s’en faut que les Israélites eussent droit de lui dire : « Vous parlez comme les païens », qu’il fait sa plus grande force sur ce que les païens parlent comme lui.

Laf. 593, Sel. 493. Les Juifs le refusent mais non pas tous ; les saints le reçoivent et non les charnels, et tant s’en faut que cela soit contre sa gloire que c’est le dernier trait qui l’achève. Comme la raison qu’ils en ont et la seule qui se trouve dans tous leurs écrits, dans le Talmud et dans les rabbins, n’est que parce que Jésus-Christ n’a pas dompté les nations en main armée. Gladium tuum potentissime. N’ont-ils que cela à dire ? Jésus-Christ a été tué, disent-ils, il a succombé et il n’a pas dompté les païens par sa force. Il ne nous a pas donné leurs dépouilles. Il ne donne point de richesses, n’ont-ils que cela à dire ? C’est en cela qu’il m’est aimable. Je ne voudrais pas celui qu’ils se figurent. Il est visible que ce n’est que le vice qui leur a empêché de le recevoir et par ce refus ils sont des témoins sans reproche, et qui plus est par là ils accomplissent les prophéties.

Laf. 746, Sel. 619. Sur ce que Josèphe ni Tacite, et les autres historiens, n’ont point parlé de Jésus-Christ. Tant s’en faut que cela fasse contre, qu’au contraire cela fait pour. Car il est certain que Jésus-Christ a été et que sa religion a fait grand bruit et que ces gens-là ne l’ignoraient pas et qu’ainsi il est visible qu’ils ne l’ont celé qu’à dessein ou bien qu’ils en ont parlé et qu’on l’a supprimé, ou changé.

Laf. 747, Sel. 620. Sur ce que la religion chrétienne n’est pas unique. Tant s’en faut que ce soit une raison qui fasse croire qu’elle n’est pas la véritable, qu’au contraire c’est ce qui fait voir qu’elle l’est.

Laf. 817, Sel. 659. On a beau dire : il faut avouer que la religion chrétienne a quelque chose d’étonnant. C’est parce que vous y êtes né dira-t-on. Tant s’en faut je me roidis contre par cette raison-là même, de peur que cette prévention ne me suborne, mais quoique j’y sois né je ne laisse pas de le trouver ainsi.

Miracles III (Laf. 881, Sel. 443). Les miracles ont une telle force qu’il a fallu que Dieu ait averti qu’on n’y pense point contre lui, tout clair qu’il soit qu’il y a un Dieu. Sans quoi ils eussent été capables de troubler. Et ainsi tant s’en faut que ces passages, Deut. 13, fassent contre l’autorité des miracles, que rien n’en marque davantage la force.

Laf. 965, Sel. 799. Pour la foule des casuistes tant s’en faut que ce soit un sujet d’accusation contre l’Église que c’est au contraire un sujet de gémissement de l’Église.

Laf. 967, Sel. 800. Et ainsi les fidèles n’ont aucun prétexte de suivre ces relâchements qui ne leur sont offerts que par les mains étrangères de ces casuistes, au lieu de la saine doctrine qui leur est présentée par les mains paternelles de leurs propres pasteurs. Et les impies et les hérétiques n’ont aucun sujet de donner ces abus pour des marques du défaut de la providence de Dieu sur son Église, puisque l’Église étant proprement dans le corps de la hiérarchie, tant s’en faut qu’on puisse conclure de l’état présent des choses, que Dieu l’ait abandonnée à la corruption, qu’il n’a jamais mieux paru qu’aujourd’hui, que Dieu la défend visiblement de la corruption.

Un exemple intéressant peut se tirer de la Provinciale XVIII, § 29, éd. Cognet, Garnier, p. 374-375, où Pascal profère une véritable profession de foi contre le scepticisme, contrairement à l’idée que la foi contredit les sens : « D’où apprendrons-nous donc la vérité des faits ? Ce sera des yeux, mon Père, qui en sont les légitimes juges, comme la raison l’est des choses naturelles et intelligibles, et la foi des choses surnaturelles et révélées. Car, puisque vous m’y obligez, mon Père, je vous dirai que, selon les sentiments de deux des plus grands Docteurs de l’Église, saint Augustin et saint Thomas, ces trois principes de nos connaissances, les sens, la raison et la foi, ont chacun leurs objets séparés, et leur certitude dans cette étendue. Et, comme Dieu a voulu se servir de l’entremise des sens pour donner entrée à la foi, fides ex auditu, tant s’en faut que la foi détruise la certitude des sens, que ce serait au contraire détruire la foi que de vouloir révoquer en doute le rapport fidèle des sens. C’est pourquoi saint Thomas remarque expressément que Dieu a voulu que les accidents sensibles subsistassent dans l’Eucharistie, afin que les sens, qui ne jugent que de ces accidents, ne fussent pas trompés : Ut sensus a deceptione reddantur immunes. »

On retrouve la même expression dans les Écrits sur la grâce, Traité de la prédestination, I, les Écrits des curés de Paris, le Projet de mandement contre l’Apologie pour les casuistes.

 

Contre ceux qui abusent des passages de l’Écriture et qui se prévalent de ce qu’ils en trouvent quelqu’un qui semble favoriser leur erreur.

Le chapitre de vêpres,

 

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 39 sq. Le texte de Vêpres n’est pas identifié.

Vêpres : voir Boulenger A., La doctrine catholique, IV, Liturgie, Paris et Lyon, Vitte, 1941, § 488, p. 112. Office du soir, correspondant au sacrifice que les Juifs offraient dans le temple de Jérusalem en fin de journée. Elles ont pour but de consacrer la fin du jour à louer Dieu et à la remercier de ses bienfaits. Les Vêpres comportent cinq psaumes, un capitule, une hymne, un verset et un répons, avec le Magnificat. Voir Laf. 766, Sel. 631.

 

le dimanche de la Passion,

 

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 39 sq. L’office de la messe du dimanche de la Passion développe l’affirmation de la solidité de l’Église (la 3e lecture de Matines est constituée par la fin de Jérémie I).

Jérémie I, 19. « Et bellabunt adversum te, et praevalebunt : quia ego tecum sum, ait Dominus, ut liberem te ». Tr. de Port-Royal : « Ils combattront contre vous, et ils n’auront point l’avantage sur vous ; parce que je suis avec vous pour vous délivrer de tous leurs efforts, dit le Seigneur ».

 

l’oraison pour le roi.

 

La prière pour le roi, Oratio pro rege, n’a pas de rapport avec la thèse à démontrer. Philippe Sellier renvoie à l’Ingenua et vera oratio ad regem christianissimum perscripta, de eo quod postulatur, ut jesuitae restituantur in regno Galliae, Lyon, 1602, d’Antoine Arnauld l’Avocat, père du Grand Arnauld, pamphlet contre les Jésuites, notamment contre le Tractatus de exemptione clericorum, publié en 1599 de Bellarmin « cum altero de indulgentiis » : les jésuites abusent d’un passage de Rom. XIII, 1 pour soutenir que le Pape a plus d’autorité que le roi. Mais de ce même texte, saint Jean Chrysostome tire que même les clercs et les apôtres ont obéi aux rois.

Saint Paul, Épître aux Romains, XIII, 1. « Omnis anima potestatibus sublimiçoribus subdita sit : Non est enim potestas nisi a Deo : quae autem sunt, a Deo ordinatae sunt ». Tr. de Port-Royal : « Que tout le monde soit soumis aux puissances supérieures ; car il n’y a point de puissance qui ne vienne de Dieu, et c’est lui qui a établi toutes celles qui sont sur la terre ». Renvoi à Sagesse, VI, 4, et Ép. de Pierre, II, 13.

Voir l’Oratio pro rege, p. 12 : « Idem jesuita Bellarminus procedit ulterius : affirmat enim disertis verbis, omnes ecclesiasticos regni tui nonus opera amplius tibi subjectos esse. Quae sententia tam directe adversatur verbo expresse Dei et thesibus ecclesiae gallicanae, quam caetera illa quae diximus. Audet enim tueri istud, et S. Pauli verba cavillis puris tentat evertere, Omnis anima subjecta sit potestatibus superioribus : non enim potestas est nisi à Deo, et potestates supereminentes sunt à Deo ordinata : ideo qui resistit potestati, resistit ordinationi Dei [Rom. 13]. Et postea, Quapropter oportet subjectos esse non solum ad vitandam iram, sed etiam propter conscientiam. Nam eadem de causa penditis tributa ipsis, quia administri sunt Dei in hoc se occupantes. Quem in locum S. Joannes Chrysostomus observavit, haec verba non solum laicis imperari, sed etiam clericis, religiosis, ipsis adeo Apostolis. Vult etiam Bellarminus haec S. Petri verba eludere : Itaque estote subditi omni humano ordini propter Deum, sive regi ut eminentiori, sive gubernatoribus ut missis ab eo : et inter cetera idem Bellarminus, Tempore illo, inquit, valde erat necessarium moneri Christianos diligenter, ut obsequerentur regibus, ne impediretur fidei praedicatio. »

Jésuites et augustiniens sont d’accord pour penser que tout pouvoir vient de Dieu. Mais ils interprètent ce principe en sens différents. Les jésuites soutiennent que la suprême autorité doit revenir à celui qui représente Dieu sur terre, c’est-à-dire au pape, qui a le droit de se soumettre et même de déposer les souverains. Les gallicans estiment au contraire que l’autorité déférée par Dieu fonde directement le pouvoir des rois, qui détiennent par conséquent un droit souverain sur leurs États.

Voir sur ce problème l’étude de Mesnard Jean, “La monarchie de droit divin, concept anticlérical”, in Ferreyrolles Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996, p. 111-138.

Le commentaire de l’Épître aux Romains, XIII, 1, dans la Bible de Port-Royal est très instructif sur les positions des jansénistes sur le problème des rapports des autorités politique et religieuse. L’opposition aux positions des jésuites en est clairement marquée.

Verset 1.

« Que tout le monde, sans exception ; le noble comme le roturier, l’ecclésiastique aussi bien que le laïque [...].

Soit soumis aux puissances supérieures, non seulement en tout ce qui regarde le gouvernement politique, mais encore en tout ce qui n’est point contraire à la loi de Dieu, et au culte qu’on lui doit, quand même ces puissances excéderaient leur pouvoir, afin de ne donner jamais lieu de sa part au trouble et au scandale.

Aux puissances : le mot de puissances se prend ici pour les personnes mêmes qui ont la puissance : supérieures, telles que sont les princes et les magistrats séculiers, établis pour gouverner l’État, et tous ceux qui les représentent ou qui sont revêtus de leur autorité. Le dessein de l’Apôtre est de montrer que, bien loin que l’Évangile ait aboli les préceptes de la loi en ce qui regarde l’obéissance aux puissances séculières, comme les Juifs s’efforçaient de le publier, afin de décrier la religion chrétienne, et de la rendre d’autant plus odieuse aux Grands de ce monde, cet Évangile au contraire apprend aux fidèles une manière d’obéir bien plus parfaite et plus exacte ; puisqu’au lieu que les Juifs n’étaient obligés, selon leur loi, de rendre ce devoir qu’à des princes choisis du corps de leur nation, et sous la seule peine de la mort temporelle, les chrétiens sont redevables indifféremment de leur obéissance, sous peine de la damnation éternelle, à tous ceux qui ont le gouvernement des États où la providence de Dieu les a fait naître, et où elle a permis qu’ils aient établi leur demeure et leur résidence.

Car il n’y a point de puissance, de quelque nature et de quelque espèce qu’elle puisse être, soit d’empereur, de duc, de prince ou de magistrat : car il parle ici des puissances considérées en général, et selon leur espèce, et non pas des puissances particulières, comme de telle ou de telle personne constituée dans la dignité d’empereur, de roi, de prince ou de magistrat.

Qui ne vienne de Dieu, dont Dieu ne soit l’auteur ; puisque c’est Dieu même qui a inspiré à tous les peuples le sentiment général et la volonté de se soumettre à quelqu’un de ces gouvernements. De sorte que l’autorité de commander aux peuples n’est pas, comme les libertins se le persuadent, une invention purement humaine, ou un effet de l’ambition et de la violence des hommes, mais une participation véritable de l’autorité et de la puissance de Dieu ; quoiqu’il arrive assez souvent aux personnes particulières qui sont revêtues de cette puissance, d’en faire un usage contraire à sa loi et à l’institution qu’il en a faite.

L’on peut dire encore que toutes les puissances établies dans le monde viennent de Dieu, en ce que Dieu est le premier auteur de l’ordre, et l’ordre même par excellence et par essence. De sorte que comme il n’y a rien de plus conforme au bon ordre, ni de plus nécessaire pour éviter la confusion dans la corruption où le péché a réduit les hommes, que de les soumettre à quelque gouvernement pour les contenir dans leur devoir, on ne peut douter que Dieu étant l’auteur de l’ordre, ne soit aussi l’auteur du gouvernement politique qui s’exerce dans chaque État.

Et c’est lui qui a établi toutes celles qui sont sur la terre. L’Apôtre parle ici des puissances en particulier, c’est-à-dire de chaque empereur, roi, prince, etc., il veut dire qu’en quelque lieu du monde, et de quelque manière que ces puissances se soient établies, soit par justice, ou par violence, on doit toujours les regarder comme établies par l’ordre de Dieu, parce qu’elles parviennent toutes à ce degré, ou par la volonté expresse et l’approbation même de Dieu, lorsque les moyens d’y parvenir sont légitimes, ou du moins par sa permission, lorsqu’il y a quelque chose d’injuste et de vicieux dans ces moyens. Ce qui fait qu’on ne peut jamais se dispenser avec justice de leur obéissance ; puisqu’il n’y a rien de plus juste que d’approuver ou de souffrir ceux que Dieu approuve et qu’il souffre ; bien loin de se vouloir opposer à leur autorité et de troubler par aucune résistance la paix et la tranquillité de l’État ».

La suite précise l’opposition aux puissances « soit en se révoltant ouvertement, soit en méprisant leurs ordres en son particulier, soit en leur désobéissant » attirent sur eux la condamnation.

De quoi il découle que l’autorité du pape n’est pas supérieure à celle des souverains politiques.

Arnauld Antoine, Les desseins des jésuites représentés à messeigneurs les prélats de l’Assemblée, tenue le 2 octobre 1663, Article XI, in Œuvres, p. 222 sq. « Que tout ce qu’on fait engageant à croire l’infaillibilité engage aussi par une conséquence nécessaire, à croire que les papes ont le pouvoir de déposer les rois. »

Laporte Jean, La Doctrine de Port-Royal : la Morale, 2 vol., Paris, Vrin, 1951-1952, t. II, p. 328 sq.

Les jésuites en revanche, soutiennent une doctrine d’esprit théocratique.

Antoine Arnauld l’Avocat a composé d’autres discours contre les jésuites, notamment le Plaidoyé de M. Antoine Arnauld avocat en Parlement et ci-devant procureur général de la défunte Reine mère des Rois pour l’Université de Paris demanderesse contre les Jésuites défendeurs, des 12 et 13 juillet 1594, À Paris, par Mamert Patisson, Imprimeur du Roi, 1594. « Mais cette dernière fois, une partie des gens d’Église se sont trouvés avoir sucé ce lait empoisonné, et cette doctrine de Jésuites, que quiconque avait été élu Pape, encore que de tout temps il fût reconnu pour pensionnaire et partisan d’Espagne, et ennemi juré de la France, il pouvait néanmoins mettre tout le Royaume en proie, et délier les sujets de l’obéissance qu’ils doivent à leur Prince. Cette proposition schismatique, damnable et directement contraire à la parole de Dieu, qui a séparé de tout le ciel et de toute la puissance spirituelle d’avec les terriennes : Cette proposition, qui rendait la Religion Chrétienne aussi contraire à la manutention des États et Royaumes, comme en sa vérité elle aide à les établir : Cette proposition (dis-je) ayant pris place dans les esprits de quelques Français a apporté les fureurs, les cruautés, les meurtres et confusions horribles que nous avons vu » : p. 21-22. Contre les propositions qui déclarent le pouvoir temporel soumis au spirituel : « si toutes ces propositions ne sont erronées et schismatiques, que s’ensuit-il, sinon que nous tous qui obéissons au Roi sommes excommuniés... », p. 29. Leurs desseins, leurs actions, leurs sermons, n’ont autre visée que d’assujettir toute l’Europe à la domination espagnole : p. 45.

Voir Pasquier Étienne, Le Catéchisme des Jésuites, éd. C. Sutto, Éditions de l’Université de Sherbrooke, Sherbrooke, 1982, p. 131. Les jésuites ne séparent pas les affaires de l’État et de la religion. Caractère hérétique de cette doctrine. Les jésuites font du Pape le prince des royaumes, notamment par leur doctrine de l’excommunication des rois : p. 223-228. L’Église gallicane n’accorde rien au pape sur le temporel des rois, ni n’admet l’obéissance aveugle au Saint Siège : p. 223. Sur les rébellions et les crimes de lèse-majesté : p. 230. Déposition du roi : p. 230 sq. Voir aussi p. 373 sq.

 

Explication de ces paroles Qui n’est point pour moi est contre moi et de ces autres Qui n’est point contre vous est pour vous.

 

L’original de ce fragment était considéré comme perdu. En fait, il est placé sur la face collée du f° 227 du RO, où on peut le lire par transparence. Voir la description du papier original.

 

Vue miroir. On aperçoit le texte en grisé.

Il existe plusieurs versions différentes des paroles du Christ sur ce sujet. Les deux formules ne sont pas équivalentes.

Matthieu, XII, 30. « Celui qui n’est point avec moi est contre moi, et qui n’amasse point avec moi dissipe au lieu d’assembler ».Commentaire du Nouveau Testament de Mons sur Matthieu XII, 30 : « Ceci peut être regardé comme une nouvelle confirmation de ce qu’il [Jésus-Christ] a dit : qu’il était absolument impossible qu’il y eût jamais la moindre intelligence entre lui et le démon : car comment celui qui s’oppose avec tant de rage au salut des hommes pouvait-il être d’accord avec celui qui s’est incarné pour les sauver ? Comment celui qui non seulement n’est pas avec le Sauveur, et ne recueille pas avec lui, mais qui tâche de dissiper tout ce qu’il a massé, s’accorderait-il avec lui pour la destruction de son empire ? [En marge : Chrysos. In supra Hieron in hunc locum] Si donc celui qui n’est pas avec Jésus-Christ et qui ne contribue pas à ses desseins, est son adversaire, combien plus le sera celui qui lui déclare une guerre ouverte ? [En marge : Chrysost. Ibid. Maldonat. Jansen.] Mais cela se peut entendre encore des Pharisiens, qui faisaient paraître un faux zèle pour la gloire de leur Dieu, en même temps qu’ils s’éloignaient du Sauveur, qui feignaient de conduire à Dieu leurs disciples, lorsqu’ils s’efforçaient de leur inspirer de l’aversion du Fils de Dieu ; et qui dissipaient ainsi véritablement lorsqu’ils refusaient de travailler et d’amasser avec Jésus-Christ. Il est aussi vrai de dire en général, et sans liaison avec ce qui précède : que celui qui n’est point avec le Sauveur est contre lui. Car il faut être ou à Jésus-Christ ou au démon : il faut être possédé par l’Esprit de Jésus-Christ, ou par celui du prince du monde. Ce sont les deux maîtres qui possèdent tous les hommes, sans qu’il y ait de milieu. Ceux donc qui ne sont point avec Jésus-Christ, c’est-à-dire, unis à lui par l’Esprit de foi et de charité, sont contre lui, et par conséquent avec le démon son adversaire. »

Marc, IX, 39. « Car qui n’est pas contre vous est pour vous ». Commentaire du Nouveau Testament de Mons : Jésus ayant déclaré que l’on ne devait pas s’opposer à qui faisait des miracles en son nom, ajoute pour s’expliquer que « nul ayant fait un miracle en son nom, ne pourra aussitôt après parler mal de lui ». « C’est en ce sens que l’on doit entendre ce que Jésus-Christ ajoute aussitôt : Que celui qui n’était pas contre eux, était pour eux ; ce qui signifie, que ceux qui comme cet homme n’étaient pas contre eux, quoiqu’ils ne leur fussent pas unis à l’extérieur, étaient effectivement pour eux, c’est-à-dire qu’ils contribuaient au même dessein, qui était l’accroissement de son royaume. Car en effet il suffisait que les peuples vissent chasser les démons au nom de Jésus par cet homme, pour être persuadés que Jésus-Christ était plus puissant que les démons ; puisque l’invocation seule de son nom avait la vertu de les mettre en fuite. Or ce que le Fils de Dieu dit ici n’est point contraire, quoiqu’il le paraisse d’abord, à ce qu’il dit dans saint Matthieu [En marge : Matth. 13, 30], Que celui qui n’est point avec lui, est contre lui. Car il est certain que cet homme, dont parle saint Marc, qui chassait le diable au nom de Jésus, n’était pas contre le Sauveur, puisqu’il agissait même pour lui et par lui. Et il est visible aussi que ceux dont parle saint Matthieu, c’est-à-dire et les démons et les pharisiens, n’étaient pas avec Jésus-Christ, puisqu’ils agissaient directement contre lui, et s’opposaient de toutes leurs forces à son Évangile. Les pharisiens et les docteurs, qui auraient dû contribuer les premiers à faire connaître et recevoir le Messie, eux qui paraissaient avoir une plus grande intelligence de la loi, qu’on regardait comme les plus justes des Juifs, étaient au contraire ceux qui s’éloignaient le plus de lui, et par conséquent qui s’opposaient davantage à sa doctrine. Ainsi on pouvait véritablement dire d’eux que n’étant pas avec Jésus-Christ, ils étaient contre Jésus-Christ. Mais cet homme dont parle saint Jean, témoignait bien n’être pas contre Jésus-Christ, puisqu’en chassant les démons par l’invocation de son nom, il contribuait lui-même à sa gloire. »

Luc, IX, 50. « Ne l’en empêchez point, lui répondit Jésus ; car celui qui n’est pas contre vous est pour vous ». Pas de commentaire dans le Nouveau Testament de Mons.

On trouve dans Luc, XI, 23, la formule inverse, qui correspond à Matthieu, XII, 30 : « Celui qui n’est point avec moi est contre moi, et celui qui n’amasse point avec moi dissipe au lieu d’amasser. » Pas de commentaire dans le Nouveau Testament de Mons.

Dans la Provinciale XIV, 25, éd. Cognet, Garnier, p. 271-272. Pascal tourne contre les jésuites le texte de Matthieu XII, 30 : « Car enfin, mes Pères, pour qui voulez-vous qu’on vous prenne : pour des enfants de l’Évangile, ou pour des ennemis de l’Évangile ? On ne peut être que d’un parti ou de l’autre, il n’y a point de milieu. Qui n’est point avec Jésus-Christ est contre lui. Ces deux genres d’hommes partagent tous les hommes. Il y a deux peuples et deux mondes répandus sur toute la terre, selon saint Augustin : le monde des enfants de Dieu, qui forme un corps dont Jésus-Christ est le Chef et le Roi ; et le monde ennemi de Dieu, dont le diable est le Chef et le Roi. Et c’est pourquoi Jésus-Christ est appelé le Roi et le Dieu du monde, parce qu’il a partout des sujets et des adorateurs, et que le diable est aussi appelé dans l’Écriture le Prince du monde et le Dieu de ce siècle, parce qu’il a partout des suppôts et des esclaves. Jésus-Christ a mis dans l’Église, qui est son empire, les lois qu’il lui a plu, selon sa sagesse éternelle ; et le diable a mis dans le monde, qui est son royaume, les lois qu’il a voulu y établir. Jésus-Christ a mis l’honneur à souffrir ; le diable à ne point souffrir. Jésus-Christ a dit à ceux qui reçoivent un soufflet, de tendre l’autre joue ; et le diable a dit à ceux à qui on veut donner un soufflet, de tuer ceux qui leur voudront faire cette injure. Jésus-Christ déclare heureux ceux qui participent à son ignominie, et le diable déclare malheureux ceux qui sont dans l’ignominie. Jésus-Christ dit : Malheur à vous, quand les hommes diront du bien de vous ! et le diable dit : Malheur à ceux dont le monde ne parle pas avec estime ! »

 

Une personne qui dit Je ne suis ni pour ni contre, on doit lui répondre...

 

C’est la réponse que veut donner l’incrédule dans le fragment Infini rien (Laf. 418, Sel. 680) : [...] croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute ; le juste est de ne point parier ; à quoi Pascal s’oppose par la réponse : cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué.

Voltaire, Lettres philosophiques, XXV, n° V, éd. Naves, Garnier, p. 146 ; éd. Ferret et McKenna, Garnier, p. 167-168. « Il est évidemment faux de dire : « Ne point parier que Dieu est, c’est parier qu’il n’est pas ; car celui qui doute et demande à s’éclairer ne parie assurément ni pour ni contre. » »Dans sa réfutation de l’argument de Preuves par discours I (Laf. 418, Sel. 680), Voltaire, qui ne le connaît que par l’édition de Port-Royal, répond à une formule qui a été insérée par les éditeurs dans le texte originel de Pascal. Cependant, il met le doigt sur un point délicat de l’argument du pari. L’équivalence entre ne point parier que Dieu est et parier qu’il n’est pas peut être évidente pour un chrétien, aux yeux duquel le refus de prendre parti peut être assimilé à un refus de Dieu. Mais à qui n’a pas la foi, cette équivalence peut ne pas sembler évidente : pour demeurer dans la comparaison avec le jeu, lorsque l’on est invité à participer à une partie, on peut accepter de s’asseoir à la table de jeu et parier pile ou face ; mais on peut aussi refuser de prendre rang parmi les joueurs, et demeurer hors de la partie. De ce point de vue, Voltaire a raison de dire que l’argument n’a aucune portée : ne point parier que Dieu est n’est pas identique à parier qu’il n’est pas.

Pascal a manifestement réfléchi à la réponse que demandait cette objection. Il est regrettable que la phrase soit demeurée inachevée.

En fait, l’objection de Voltaire, qui distingue ne pas parier et parier pour ou contre, ne tient pas compte des principes de l’argument tels que Pascal les a formulés dans le premier mouvement du texte Infini rien, savoir que par raison on ne peut rien savoir, non seulement de l’existence de Dieu (s’il est ou s’il n’est pas), mais aussi de sa nature. Par conséquent on ignore aussi si, à la mort, on ne se trouvera pas en face d’un dieu irrité pour lequel le refus de parier tout court est assimilable à un refus de parier pour Dieu. Dans l’ignorance où l’on se trouve de la nature de Dieu, s’il existe, rien n’assure que Dieu soit tenu d’admettre les distinctions de Voltaire. Celle que celui-ci fait entre ne pas parier et parier pour ou contre Dieu est peut-être purement imaginaire.

Certains fragments des Pensées donnent à penser que c’est la réponse qu’envisageait Pascal. Le fragment Commencement 8 (Laf. 158, Sel. 190) semble aller en ce sens : par les partis, c’est-à-dire par ce qui deviendra le calcul des probabilités, vous devez vous mettre en peine de rechercher la vérité, ce qui est bien la question du « pari », car si vous mourez sans adorer le vrai principe, vous êtes perdu.

C’est en ce sens que le pari du fragment Infini rien diffère du jeu ordinaire : selon L’Usage du triangle arithmétique pour déterminer les partis, un jeu est un engagement volontaire que les joueurs contractent, et qu’ils peuvent rompre de gré à gré ; en revanche, dans le cas présent, cela n’est pas volontaire. L’incertitude même, qui semblait permettre de s’abstenir, est au contraire une excellente raison de s’asseoir à la table de jeu. Comme on le voit, si dans la suite du texte l’argument de la crainte de l’enfer n’intervient pas expressément, la liasse Commencement suggère qu’il en aurait été, sous une forme ou une autre, un préalable.

 

L’histoire de l’Église doit proprement être appelée l’histoire de la vérité.

 

Ce fragment est aujourd’hui perdu, mais Gilles Proust en a retrouvé la trace conservée par décalque (report d’encre) sur le f° 226 du RO. Voir l’étude qui lui a été consacrée dans Descotes Dominique et Proust Gilles, “Un projet du Centre International Blaise Pascal : l’édition électronique des Pensées”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, 30, 2008, p. 2-14, notamment p. 10-12.

 

Situation du texte p. 226

Agrandissement

 

La présence du “décalque” du texte sur le folio 226 provient probablement d’une erreur lors du collage du fragment sur le folio situé en vis-à-vis. Il semble que le colleur s’est aperçu un peu tard que le fragment, qu’il était en train de coller, portait des notes au verso. Après avoir découpé le bas du fragment qui était déjà encollé, cette partie lui aurait échappé et se serait collée verticalement sur le folio 226. Le colleur aurait alors immédiatement décollé ce morceau mais c’était trop tard car l’encre d’une partie du texte s’était déjà reportée sur le folio.

Le mot histoire peut être entendu en plusieurs sens dans ce fragment. Voir sur ce point les trois aspects dégagés par G. Ferreyrolles, “Pascal et l’histoire”, p. 107. Il désigne en premier lieu la suite des événements et l’évolution des peuples ou des royaumes. Il désigne aussi la connaissance et le récit de ces événements, de leurs causes générales et particulières. Enfin le mot couvre aussi ce que l’on appelle le sens de l’histoire.

Sur la conception de l’histoire au XVIIe siècle, on peut consulter les ouvrages suivants :

L’étude de Chédozeau Bernard, “Situation de l’histoire en France au XVIIe siècle”, Port-Royal et l’histoire, Chroniques de Port-Royal, 46, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1997, présente une synthèse générale.

Gusdorf Georges, La révolution galiléenne, II, Paris, Payot, 1969, p. 395 sq. L’histoire au XVIIe siècle. Sur l’essor de l’historiographie catholique au XVIIe siècle, voir p. 418 sq. Le rôle des jansénistes dans ce progrès (Le Nain de Tillemont) : p. 430 sq.

Ferreyrolles Gérard, “L’influence de la conception augustinienne de l’histoire au XVIIe siècle”, XVIIe Siècle, n° 135, avril-juin 1982, p. 216-241.

En dehors des ouvrages les plus connus, tels le Discours sur l’histoire universelle de Bossuet (éd. B. Velat et Y. Champailler, Pléiade, Paris, Gallimard, 1961), on trouvera des textes dans le recueil dirigé par Ferreyrolles Gérard (dir.), Traités sur l’histoire (1638-1677), éd. C. Meurillon, Paris, Champion, 2013, p. 467-563.

Une étude sérieuse sur l’histoire à l’époque classique doit prendre en compte un corpus plus important, sur lequel une ample bibliographie est réunie par Béatrice Guion dans son ouvrage Du bon usage de l’histoire. Histoire, morale et politique à l’âge classique, Paris, Champion, 2008, p. 561-570. Sur l’histoire en général, p. 561-570. Voir aussi p. 588-604, une bibliographie des études consacrées à l’histoire. Voir aussi p. 604-605, les études consacrées à la conception du temps.

Pour ce qui touche Port-Royal, on trouve des études utiles dans deux recueils :

Port-Royal et l’histoire, Chroniques de Port-Royal, 46, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1997.

Port-Royal et les mémoires, Chroniques de Port-Royal, 48, Paris, Bibliothèque Mazarine, 1999.

Le groupe de Port-Royal comprend des historiens considérables, tels Godefroy Hermant et Sébastien Le Nain de Tillemont.

Les idées de Pascal sur l’histoire ont été parfois dépréciées dès le XVIIe siècle. Voir OC I, éd. J. Mesnard, p. 890. Recueil de choses diverses. Dirois affirme que Pascal n’a pas de vues justes sur tout ce qui regarde les faits d’histoire.

D’autres objections, plus récentes, sont moins sommaires.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, p. 220 sq. Esprit historique de Pascal, p. 226. Pascal ne saurait être un précurseur de la critique historique ; il ne sort pas de l’explication des textes : p. 222.

Lucien Goldmann, dans Le Dieu caché, p. 312 sq., estime que c’est une caractéristique de la « vision tragique du monde », que l’absence d’avenir : limitée par une affirmation simultanée des contraires, la pensée janséniste incarnée par Pascal et Barcos ne connaît que le présent et l’éternité, et exclut la possibilité d’une synthèse qui s’affirme dans un processus dialectique inscrit dans le temps.

Pour la discussion de cette thèse, voir Ferreyrolles Gérard, “Goldmann visionnaire”, Port-Royal au miroir du XXe siècle, Chroniques de Port-Royal, n° 49, 2000, p. 71-86.

D’autres commentateurs s’appuient sur l’idée que la conception de l’histoire de Pascal est essentiellement fixiste. Voir par exemple Béguin Albert, Pascal par lui-même, coll. Écrivains de toujours, Paris, Seuil, 1971, p. 59 sq., consacre un chapitre à « Pascal sans histoire », qui envisage sa pensée d’un point de vue moderne, qui ne néglige pas les réflexions de Pascal sur le processus de la Révélation et le caractère figuratif des événements historiques, mais qui conclut comme suit : « Il ne peut y avoir, pour Pascal, ni dimension temporelle de l’homme, ni moins encore conscience d’un engagement de chaque personne humaine envers l’œuvre commune des générations et l’opération des siècles successifs. Car cette œuvre est à ses yeux comme non-existante. Sa définition de l’homme ne saurait comporter aucune « situation » de l’homme - de chaque homme en particulier [...] : il n’y a qu’une « condition » humaine, invariable, entièrement donnée par la chute et la Rédemption. La « date » de tous les hommes est la même : c’est la date d’Adam, à laquelle s’est superposée, pour renverser les signes, la date de Jésus-Christ, qui est déjà, en un sens, la date de la venue du Paraclet. Mais, de l’une à l’autre de ces trois dates, on ne perçoit aucun mouvement de progression » : p. 108.

Miel Jan, Pascal and theology, p. 183 sq. Discussion de la thèse d’Albert Béguin. Miel affirme fortement la nature historique de la vision du monde de Pascal. La révélation chrétienne consiste essentiellement en une histoire sacrée ; les événements de cette histoire qui vont de la création et de la chute d’Adam à l’Incarnation et au second avènement sont pour Pascal plus éclairants que tout système philosophique.

Magnard Pierre, Nature et histoire..., p. 194 sq., dans un chapitre intitulé L’histoire immobile, pousse l’analyse plus loin, en soutenant que « la suite des temps n’a d’importance qu’en raison des signes et des indices qu’elle apporte au croyant, et non de l’efficace que pourraient avoir les événements dans la réalisation du plan de Dieu : ceux-ci ne sont pas des moyens agencés par la Providence en vue d’un résultat, mais de simples points de repère pour qui sait lire le cours de l’histoire du monde, selon les Écritures » : p. 204. Ce qui interdit de considérer Pascal comme un précurseur de Bossuet et du Discours sur l’histoire universelle. Voir p. 205, l’analyse du texte de Pascal : « La tentation est grande [...] de comprendre cette dernière expression dans une perspective de phénoménologie hégélienne ; rien ne nous autorise cependant à induire d’une révélation progressive de la vérité scientifique à une genèse de la doctrine » ; « si l’investigation scientifique dévoile une histoire, la charité qui dévoile ceux de Dieu ne tarde ni ne passe ». Le seul sens que l’on peut donner au fragment, c’est d’affirmer que, pour Pascal, le temps doit seulement être compris comme « le théâtre des décisions où l’homme engage son éternité ».

Ces interprétations peuvent être discutées. Il est certain que Pascal n’aurait pas admis l’idée, toute moderne, que le dogme subit une genèse et une évolution. Mais il est clair que, dès lors que l’on définit l’histoire comme un devenir de style hégélien ou marxiste, il y a de grandes chances pour que, ne la trouvant nulle part chez Pascal, on soit porté à conclure qu’il n’y a pas selon lui d’histoire du tout.

Les travaux sur l’augustinisme de Pascal, initiés par Philippe Sellier et poursuivis par plusieurs disciples, conduisent à des conclusions différentes, en partant du principe que l’histoire, telle qu’elle se présente dans l’œuvre de Pascal, doit être conçue sans référence aux idéologues du XIXe siècle, mais plutôt par rapport à son contexte propre.

Sellier Philippe, “Pascal et l’histoire de l’Église dans la campagne des Provinciales (1656-1658)”, Port-Royal et la littérature, 2e édition, Paris, Champion, 2010, p. 221-237. L’Église a toujours été combattue par des erreurs contraires, dont elle triomphe seulement parce que Dieu l’anime et parce que les erreurs contraires s’entredétruisent. Voir Laf. 733, Sel. 614. Cela tient à la nature de la vérité catholique qui embrasse des vérités qui semblent se contredire. La foi catholique a toujours imposé sa lumière en restaurant la complexité déroutante du réel et le mystère de Dieu : p. 327-328. La vérité catholique a trois points d’appui : la Révélation elle-même et la liturgie de l’Église (lex orandi, lex credendi) ; la Tradition (les Pères et les conciles), car Dieu conduit bien son Église ; enfin les miracles, qui « discernent la doctrine » (Miracles II - Laf. 832, Sel. 421). Périodiquement la communauté catholique passe par des temps de moindre ferveur, suivis de moments de renouveau : p. 329. On ne trouve pas chez Pascal la conviction d’une décadence de l’Église qui serait survenue à la fin du XIIe siècle. Pourtant il est vivement frappé par le fait que, jusqu’aux congrégations De auxiliis, (1598-1607), les dominicains ont défendu la grâce efficace. La compagnie de Jésus, elle, a eu un début tout évangélique avec ses fondateurs, mais la corruption l’a gangrenée en quelques décennies, au point que ses généraux s’en plaignent : p. 333. Les nouvelles opinions molinistes se répandent en même temps que les maximes des casuistes relâchés : p. 334. Mais Port-Royal n’est nullement désespéré, comme le prouve la campagne des Provinciales. En revanche, Pascal n’admet pas que l’histoire de l’église se présente sous la forme épique et optimiste d’une conquête progressive du monde, comme la Compagnie de Jésus incline à le croire : p. 335. Le Projet de mandement ouvre des perspectives sombres : les vrais chrétiens sont peu nombreux, et le décorum de la contre-réforme peut s’écrouler : p. 335. Ce n’est pas seulement par l’effet d’une lucidité pessimiste, mais parce que ce déclin a été prédit dans l’Ancien comme dans le Nouveau Testament : p. 336. Le premier a dénoncé les faux prophètes, et « l’abomination » qui a gagné les princes, les peuples et les prêtres eux-mêmes. Ce qui est advenu à Israël avec la destruction du temple est la figure de ce qui adviendra à une Église égarée par les faux docteurs. Saint Paul dit la même chose dans le Nouveau Testament, que la Synagogue est la figure de l’Église. L’idée que Pascal se fait de la fin du monde est sombre : aujourd’hui, l’état des choses est peu brillant, mais la hiérarchie de l’Église résiste encore. Mais un temps doit venir où le Christ doute de trouver de la foi sur terre : p. 337. Pascal ne s’attend pas à une christianisation croissante du monde : seuls ceux qui ont le courage d’emprunter la voie étroite qui conduit à la vie, en petit nombre, trouvent le vrai Dieu ; les autres étalent l’image déplorable des mauvais chrétiens. C’est pourquoi, selon Miracles III (Laf. 881, Sel. 443), il est impossible que ceux qui n’aiment pas Dieu soient convaincus de l’Église : p. 339. L’histoire de l’Église est celle d’un vaisseau battu par l’orage ; il ne périra pas, mais rien ne garantit l’état dans lequel il atteindra le port : p. 340.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 423 sq., consacre une étude fouillée à la théologie de l’histoire de saint Augustin et de Pascal, à laquelle il faut renvoyer.

Ferreyrolles Gérard, “Pascal et l’histoire”, Port-Royal et l’Histoire, Chroniques de Port-Royal, 46, Bibliothèque Mazarine, Paris, 1997, p. 53-74, fait l’état des différentes formes de l’histoire auxquelles Pascal s’est intéressé.

Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, P. U. F., 1993, p. 313 sq. Pascal distingue trois modèles de l’histoire, de structure différente. L’histoire profane, qui décrit les évolutions et les conflits des États, n’a ni ordre, ni référence fixe, ni progrès, ni sens final : c’est une inconstante et bizarre variété de mœurs et de créances (Preuves par les Juifs IV - Laf. 454, Sel. 694), qui ne présente que des disproportions dans les causes et les effets le nez de Cléopâtre, le capuchon des moines et le je ne sais quoi remuent toute la terre, les princes, les armées, le monde entier (Dossier de travail - Laf. 413, Sel. 32).

L’histoire des sciences, elle, telle que la présente la Conclusion des traités de physique (OC II, éd. J. Mesnard, p. 1097 sq.) comporte un ordre et un progrès, à mesure que des principes on tire des conséquences, et des connaissances qui ne saurait plus jamais périr (p. 1101). Mais cette histoire ne peut avoir de fin, car chaque conséquence que les savants découvrent ouvrent la voie à des propositions nouvelles, de sorte que la géométrie par exemple a une infinité d’infinités de propositions à exposer (Transition 4 - Laf. 199, Sel. 230), et les autres sciences tout autant. L’histoire des sciences comporte un progrès, mais elle ne va nulle part, puisqu’elle n’a pas de fin, et la mathesis universalis, telle qu’on l’entend ordinairement, est une contradiction dans les termes : p. 314-315.

L’histoire sainte est la seule qui comporte présente un ordre comme la précédente, mais aussi un point de référence, un progrès et un achèvement : p. 315 sq. Elle obéit à la Providence de Dieu, qui dispose les événements pour sa gloire, pour le dévoilement de la Révélation et l’accomplissement du plan salvifique. Le centre en est le Christ, que selon Dossier de travail (Laf. 388, Sel. 7), les deux Testaments regardent, l’Ancien comme son attente, le Nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre.

Les parties de cette histoire sont dotées d’un ordre clairement défini.

Les figures précèdent la révélation de la vérité par l’avènement du Christ, la Synagogue perd sa réalité substantielle lorsque l’Église paraît, la loi de l’Évangile succède à l’Ancien Testament.

On y distingue des états de loi (loi de nature, loi mosaïque, loi de grâce), et des âges : voir Perpétuité 5 (Laf. 283, Sel. 315) : Les six âges, les six pères des six âges, les six merveilles à l’entrée des six âges, les six orients à l’entrée des six âges.

Cette histoire a une fin et un sens : même certains païens ont vu, selon Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690), toute la conduite des choses doit avoir pour objet l’établissement et la grandeur de la religion.

Pascal affirme nettement la part que Dieu prend dans la causalité des événements historiques : voir sur ce point Ferreyrolles Gérard, “De la causalité historique chez Pascal”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 309-332. La causalité naturelle dans l’histoire : p. 310 sq. Validité du principe de causalité aux yeux de Pascal : p. 310 sq. La causalité dans l’histoire : p. 310 sq. La causalité divine : p. 313 sq. Dieu agit d’abord sur les élus, son pouvoir étant tel que sa volonté devient cause de celle des hommes. L’ensemble des élus forme la cité de Dieu sur la terre. Les événements historiques sont suscités par la volonté de Dieu : la diaspora des Juifs, l’accroissement de la charité à l’avènement du Christ, le bouleversement de l’empire quand il devient chrétien : p. 314-315. Dieu selon Pascal n’abandonne donc pas les peuples au hasard. Dieu intervient aussi dans l’histoire des autres peuples : p. 315 sq. Le concours des causes de la causalité naturelle et de la causalité divine : p. 317 sq. Le redoublement de la charité quand le Christ est né, événement apparemment contre la nature, qui marque l’irruption de la grâce dans l’histoire : p. 319. Le Diable dans l’histoire : p. 323 sq. Cas où la causalité humaine se conjugue avec la volonté de Dieu : p. 329. Cas où l’action humaine se retourne contre ses promoteurs : p. 329 sq.

Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Qu’il est beau de voir par les yeux de la foi, Darius et Cyrus, Alexandre, les Romains, Pompée et Hérode, agir sans le savoir pour la gloire de l’Évangile. Voir aussi Prophéties VIII (Laf. 500, Sel. 737). Beau de voir des yeux de la foi l’histoire d’Hérode, de César.

La différence entre l’histoire comme suite des événements et récit y perd en partie son sens, puisque c’est Dieu qui inspire les prophètes auteurs des Écritures.

Le présent passage s’inscrit évidemment dans cette dernière catégorie.

L’histoire de l’Église est celle de la vérité dans la mesure où elle doit toujours combattre des erreurs contraires, que ce soit dans l’ordre des philosophies comme dans celui de la théologie : parmi les Écrits sur la grâce, le Traité de la prédestination est consacré à montrer comment la doctrine de saint Augustin s’oppose à la fois aux erreurs des calvinistes et des restes des pélagiens. Encore n’est-ce là qu’une conséquence de la nature essentielle de la vérité elle-même :

Laf. 733, Sel. 614. L’Église a toujours été combattue par des erreurs contraires. Mais peut-être jamais en même temps comme à présent, et si elle en souffre plus à cause de la multiplicité d’erreurs, elle en reçoit cet avantage qu’ils se détruisent.

Elle se plaint des deux, mais bien plus des calvinistes à cause du schisme.

[...] La foi embrasse plusieurs vérités qui semblent se contredire, temps de rire de pleurer, etc. responde ne respondeas etc.

La source en est l’union des deux natures en Jésus-Christ.

Et aussi les deux mondes. La création d’un nouveau ciel et nouvelle terre. Nouvelle vie, nouvelle mort. Toutes choses doublées et les mêmes noms demeurant.

Et enfin les deux hommes qui sont dans les justes. Car ils sont les deux mondes, et un membre et image de Jésus-Christ Et ainsi tous les noms leur conviennent de justes pécheurs, mort vivant, vivant mort, élu réprouvé, etc.

Il y a donc un grand nombre de vérités, et de foi et de morale, qui semblent répugnantes et qui subsistent toutes dans un ordre admirable.

L’histoire de l’Église a pour sens la défense de la vérité.

Les Écrits sur la grâce exposent clairement comment les hérésies opposées se sont développées, du manichéisme au calvinisme d’une part, du pélagianisme au molinisme de l’autre, développant chacune des notions et des thèses nouvelles, sous des apparences différentes. Ainsi les erreurs modernes prennent-elle des formes qui n’étaient pas celles de l’époque d’Augustin, engendrant des notions nouvelles comme le pouvoir prochain et la grâce suffisante.

La Comparaison des chrétiens des premiers temps avec ceux d’aujourd’hui, n’est pas une lamentation sur la détérioration de la foi des fidèles, mais une exposition sur le fait que l’Église a su changer de comportement selon les circonstances, sans y perdre son esprit (voir OC IV, éd. J. Mesnard, p. 51).

Mais l’histoire de  l’Église est aussi celle de l’approfondissement des fondements de la religion qu’imposent les circonstances.

Le progrès dans la vérité revient à la théologie : il consiste à tirer des principes pris dans l’Écriture et les Pères les conséquences qui éclaircissent les dogmes et les points obscurs de la Révélation. C’est précisément ce que Pascal tente de faire dans ses Écrits sur la grâce.

Enfin, l’histoire de l’Église doit être proprement appelée l’histoire de la vérité, dans la mesure où, comme l’écrit Jean Mesnard, Les Pensées de Pascal, p. 269 sq., il faut étendre le mot Église à la Synagogue, figure de l’Église qui l’a rendue visible, d’avance : voir Laf. 573, Sel. 476 : La Synagogue ne périssait point parce qu’elle était la figure. Mais parce qu’elle n’était que la figure elle est tombée dans la servitude. La figure a subsisté jusqu’à la vérité afin que l’Église fût toujours visible ou dans la peinture qui la promettait ou dans l’effet.

 

Une des antiennes des vêpres de Noël : Exortum est in tenebris lumen rectis corde.

 

L’original semble perdu. Elle a probablement subi le même sort que la note précédente, mais sans laisser de trace lisible.

Psaume CXI, 4. Texte de la Bible de Port-Royal : « Exortum est in tenebris lumen rectis : misericors, et miserator, et justus ». Traduction de la Bible de Port-Royal : « Dieu, qui est miséricordieux, clément et juste s’est élevé comme une lumière au milieu des ténèbres sur ceux qui ont le cœur droit ».

Sellier Philippe, Pascal et la liturgie, p. 29 sq. Pascal cite une antienne de Noël. La liturgie ajoute au verset 4 du psaume en question le mot corde. Commentaire de Sacy : « Qui dit un cœur droit semble en exclure les ténèbres : aussi ce n’est pas, selon saint Jean Chrysostome, des ténèbres du péché dont parle le saint prophète, mais des afflictions et des tentations intérieures ou extérieures, des périls et des serrements de cœur, semblables à ceux qu’éprouvait l’Apôtre, lorsqu’il disait que les maux dont il s’était vu comme accablé avaient été excessifs, et au-dessus de ses forces, jusqu’à lui rendre même la vie ennuyeuse ; afin qu’il apprît à ne mettre point sa confiance en soi, mais en Dieu qui ressuscite les morts. Cet Apôtre était en quelque façon dans les ténèbres, lorsque ces maux étaient au-dessus de ses forces. Mais la lumière se leva au milieu des ténèbres, lorsque le Seigneur également miséricordieux et juste lui fit comprendre que le plus grand obstacle à la lumière de la grâce était la confiance en ses forces et en sa lumière. Ainsi il arrive à ceux qui ont la crainte de Dieu et le cœur droit, d’être quelquefois comme enveloppés de ténèbres. Mais celui qui est également miséricordieux et juste en purifiant et en éprouvant ceux qu’il aime, fait lever bientôt la lumière de sa grâce dans leurs âmes, en les délivrant, comme saint Paul, des plus grands périls où ils se trouvent ».