Fragment Fausseté des autres religions n° 3 / 18 – Papier original : RO 457-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fausseté n° 264 p. 105 / C2 : p. 130
Éditions de Port-Royal : Chapitre III - Véritable Religion prouvée par les contrariétés... : 1669
et janv. 1670 p. 30-31 / 1678 n° 1 p. 33-34
Éditions savantes : Faugère II, 144, VIII / Havet XII.6 / Brunschvicg 489 / Tourneur p. 246-1 / Le Guern 191 / Lafuma 205 / Sellier 237
S’il y a un seul principe de tout, une seule fin de tout. Tout par lui, tout pour lui. Il faut donc que la vraie religion nous enseigne à n’adorer que lui et à n’aimer que lui. Mais comme nous nous trouvons dans l’impuissance d’adorer ce que nous ne connaissons pas et d’aimer autre chose que nous il faut que la religion qui instruit de ces devoirs nous instruise aussi de ces impuissances et qu’elle nous apprenne aussi les remèdes. Elle nous apprend que par un homme tout a été perdu et la liaison rompue entre Dieu et nous, et que par un homme la liaison est réparée. Nous naissons si contraires à cet amour de Dieu et il est si nécessaire qu’il faut que nous naissions coupables, ou Dieu serait injuste.
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La présence de ce fragment dans la liasse Fausseté des autres religions paraît au premier abord paradoxale, puisqu’il y est justement question de la véritable religion et des exigences qu’elle comporte. En fait, il répond directement au sujet indiqué par le titre de la table des matières, La nature est corrompue, qui ne comprend aucun fragment. L’objet de Pascal est de montrer que la véritable religion se caractérise par deux idées fondamentales : que Dieu est bon et doit être aimé, et que de fait, les hommes lui sont contraires. Une seule conclusion est alors possible : la nature de l’homme est corrompue par une faute originelle qui le détourne d’aimer Dieu. Implicitement, Pascal entend que les autres religions que la chrétienne ne remplissent pas ces conditions : cela explique l’intégration du fragment dans la liasse Fausseté.
Ce fragment reprend une idée qui a été proposée dans A P. R., par une sorte de résurgence d’un thème antérieur : voir A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182) : Il faut que pour rendre l’homme heureux [la véritable religion] lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes. Mais alors que dans A P. R., il s’agissait seulement d’une conclusion tirée de l’analyse anthropologique, elle est ici fondée sur une réflexion fondamentale sur la nature de Dieu comme principe et fin de tout.
Fragments connexes
Grandeur 5 v (Laf. 109). [la moin]dre chose est de cette nature Dieu est le commencement et la fin. Eccl. Eccli.
Philosophes 4 (Laf. 142, Sel. 175). Philosophes. Ils croient que Dieu est seul digne d’être aimé et d’être admiré, et ont désiré d’être aimés et admirés des hommes. Et ils ne connaissent pas leur corruption.
A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Il faut que pour rendre l’homme heureux [la véritable religion] lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes.
Fausseté 12 (Laf. 214, Sel. 247). La vraie religion doit avoir pour marque d’obliger à aimer son Dieu. Cela est bien juste et cependant aucune ne l’a ordonné, la nôtre l’a fait. Elle doit encore avoir connu la concupiscence et l’impuissance, la nôtre l’a fait. Elle doit y avoir apporté les remèdes, l’un est la prière. Nulle religion n’a demandé à Dieu de l’aimer et de le suivre.
Conclusion 1 (Laf. 377, Sel. 409). Qu’il y a loin de la connaissance de Dieu à l’aimer.
Dossier de travail (Laf. 407, Sel. 26). Le bonheur n’est ni hors de nous ni dans nous ; il est en Dieu et hors et dans nous.
2e ms Guerrier (Laf. 988, Sel. 808). Mais il est impossible que Dieu soit jamais la fin, s’il n’est le principe. On dirige sa vue en haut, mais on s’appuie sur le sable : et la terre fondra, et on tombera en regardant le ciel.
Mots-clés : Adorer – Amour – Connaître – Coupable – Devoir – Dieu – Fin – Homme – Impuissance – Injustice – Principe – Religion – Remède.