Les dossiers PROPHÉTIES I à VIII (suite)

 

 

Prophéties I à VIII et l’édition de Port-Royal

 

Port-Royal a retenu plusieurs textes de ces dossiers, dans différents chapitres :

 

Chapitre X - Juifs : Prophéties VII et Prophéties VIII - fragment 2.

Chap. XIII - Que la loy estoit figurative : Prophéties VIII - fragment 2.

Chapitre XIV - Jésus-Christ : Prophéties VII.

Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : Prophéties V.

Une note de Prophéties VII a été ajoutée dans l’édition de Port-Royal de 1678 : Chap. VIII - Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu.

Une grande partie du texte du fragment 1 de Prophéties VIII a été ajoutée dans l’édition de Port-Royal de 1678 : Chap. XIII - Que la loy estoit figurative.

Aucune note des dossiers Prophéties I, II, III, IV et VI n’a retenu l’attention du Comité de Port-Royal. Quelques notes de Prophéties II, III, V, VII et VIII-2 ont ensuite été recopiées par Louis Périer dont une copie a été conservée.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Prophéties I à VIII

 

Les papiers originaux de Prophéties I sont perdus.

Prophéties II (RO 329 r° / v° et RO 333-1) : l’écriture est celle de Pascal. Les deux papiers ne portent pas de trace d’enfilage en liasse. Selon Pol Ernst, le feuillet porte un filigrane de type Armes de France et Navarre / I ♥ C. Les deux papiers proviennent probablement d’une même feuille de dimensions (L x H) 47,5 cm x 37 cm qui était peut-être intacte à la mort de Pascal.

Prophéties III (RO 309-2, 311-1, 311-2, 313-1, 313-2, 315-1, 315-2, 315-3, 289-1, 289-2, 291-1, 291-2, 293-1, 293-2, 295-1, 295-2) : l’écriture est celle de Pascal sauf le texte intitulé Daniel 9, 20 (papiers RO 315-2, 315-3, 289-1, 289-2) qui a été écrit par un secrétaire puis complété par Pascal. Quelques mots ont été écrits au crayon par Pascal dans la marge de gauche du papier RO 309-2. Le texte a été écrit sur 11 feuillets utilisés uniquement d’un côté dont 3 feuillets avec filigrane IHS / P C / L (RO 309-2, 311-1, 311-2 et 313-1), puis un feuillet de même type sans le filigrane (RO 313-2 et 315-1) puis un feuillet avec filigrane IHS / P C / L (RO 315-2), puis quatre feuillets avec filigrane IHS / P C sans le L (RO 315-3 et 289-1, 289-2 et 291-1, 291-2, 293-1) puis deux feuillets de même type sans le filigrane (293-2 et 295-1, 295-2). Tous ces feuillets étaient intacts à la mort de Pascal. Voir la Reconstitution des feuillets originels (Album Pol Ernst, p. 98 à 108).

Prophéties IV (RO 339-2, 301-1, 301-2, 301-3, 303-1, 303-2, 305-1, 305-2, 305-3, 305-4, 307-1, 307-2, 307-3, 309-1) : l’écriture est celle de Pascal. La plupart des papiers ont été rognés. Aucun papier ne porte de trace d’enfilage en liasse. Le texte a été écrit sur 8 feuillets de type Écusson fleurette RC/DV (dimensions (L x H) 17,5 cm x 25,5 cm) utilisés uniquement d’un côté dont un feuillet avec filigrane (RO 339-2 et 301-1), puis un feuillet sans le filigrane (RO 301-2), puis deux feuillets avec filigrane (RO 301-3 et 303-1, 303-2 et 305-1), puis un feuillet sans filigrane (RO 305-2), puis un feuillet avec filigrane (RO 305-3, 305-4 et 307-1), puis deux feuillets sans filigrane (RO 307-2, RO 307-3 et 309-1). Tous ces feuillets étaient intacts à la mort de Pascal, sauf peut-être le papier RO 307-2. Voir la Reconstitution des feuillets originels (Album Pol Ernst, p. 69 à 76).

Prophéties V (RO 222-1) : Les textes sont en partie de la main de Pascal (encre plus foncée) et en partie d’un secrétaire (la plupart des mots sont maculés de taches brunâtres qui peuvent provenir de la mauvaise qualité de l’encre). Le papier (une grande partie d’un feuillet) porte un trou d’enfilage en liasse. Le papier ne porte pas de filigrane et sa provenance n’a pas été identifiée.

Prophéties VI (RO 171, 173, 175, 177, 179, 181, 183, 185, 187, 189) :  Le texte a été écrit sur 10 feuillets qui ont été conservés intacts et dans l’ordre originel d’écriture. Aucun feuillet ne présente un trou d’enfilage en liasse. L’écriture est celle de Pascal. Ces dix feuillets correspondent à cinq feuilles qui ont été certainement conservées intactes jusqu’à la mort de Pascal. Si l’on note a les feuillets qui portent un filigrane I D G et b ceux qui portent un filigrane Grappe de raisin, les feuillets ont été écrits dans l’ordre ba-ba-ba-ba-ba, donc feuille par feuille. Pascal a coté ces feuilles de A à E pour les conserver dans le bon ordre.

Prophéties VII (RO 277-3) :  Feuillet écrit sur trois colonnes et rogné près du texte. L’écriture est celle de Pascal sauf une note qui a été écrite par un secrétaire. Aucun trou d’enfilage en liasse n’est visible. Selon Pol Ernst, Album, p. 183, le papier ne porte pas de filigrane mais pourrait être issu d’un feuillet (23,5 cm x 37,5 cm) de type Armes de France et Navarre / I C.

Prophéties VIII - fragment 1 (RO 382-2) :  L’écriture est celle de Pascal. Une note a été ajoutée au crayon dans la partie supérieure du papier. Le papier (une grande partie d’un feuillet dont la marge de gauche a été rognée) ne porte pas de trou d’enfilage en liasse. Le papier porte un filigrane Écusson fleurette RC / DV. Il est issu d’un feuillet de dimensions (L x H) (17,5 cm x 25,5 cm).

Prophéties VIII - fragment 2 (RO 394-3, 419-1, 420-1 et 145-3) : Le texte a été rédigé sur quatre feuillets, utilisés uniquement d’un côté. Le premier feuillet est quasi intact et porte un trou d’enfilage en liasse. La partie inférieure du deuxième feuillet a été rognée près du texte. Il ne porte aucun trou d’enfilage en liasse. Le troisième feuillet porte un trou d’enfilage en liasse. La marge de gauche du quatrième feuillet a été rognée. Aucun trou d’enfilage en liasse n’est visible. Les textes sont en grande partie de la main de Pascal. Deux textes, écrits dans la marge de gauche du premier feuillet et dans la deuxième moitié du dernier feuillet, sont de la main d’un secrétaire. Le papier RO 394-3 porte un filigrane Écusson fleurette RC / DV. Il est issu d’un feuillet de dimensions (L x H) (17,5 cm x 25,5 cm). les papiers RO 419-1 et 420-1 ne portent pas de filigrane mais seraient aussi issus d’une feuille de type Écusson fleurette RC / DV. Le papier RO 145-3 ne porte pas de filigrane. Il pourrait être issu d’un feuillet (23,5 cm x 37,5 cm) de type Armes de France et Navarre / I C.

 

Contenu des fragments

 

Le groupe de dossiers intitulés Prophéties I à VIII n’est pas de ceux auxquels les lecteurs accordent souvent une grande attention. L’édition Brunschvicg, par exemple, qui classait les fragments par thèmes, rejetait ces textes dans un second volet, après les textes relatifs à la nature de l’homme, de sorte que nombre de lecteurs les laissaient de côté. On peut avoir l’impression que le travail de sélection et de traduction des citations, auquel se livre Pascal dans ces dossiers, ne paraît pas être propice à faire briller l’originalité de son génie. Pourtant il présente le grand intérêt de permettre d’assister à la succession des phases de son travail.

Les textes du groupe de dossiers Prophéties montrent le processus d’élaboration destiné à donner une forme concrète à la partie historique et herméneutique de son projet d’apologie, en s’appuyant sur les dossiers qui posent les fondements de l’argumentation relative aux prophéties de la Bible, tels Loi figurative.

On y observe la trace de l’exploitation de certaines sources auxquelles puise Pascal : le De veritate religionis christianae de Grotius ou le Pugio fidei du dominicain espagnol Raymond Martin, qui avait été récemment publié avec des éclaircissements par Joseph de Voisin (Prophéties I - Laf. 483, Sel. 718). Mais Pascal ne se contente pas des sources secondes : il travaille surtout à lire, traduire et mettre en forme les passages de la Bible qui soutiendront l’argumentation des prophéties messianiques, c’est-à-dire les livres des principaux prophètes qui ont, sous une forme ou une autre, annoncé l’avènement du Messie en la personne du Christ : Amos, Jérémie, Daniel, Isaïe, Ézéchiel, Malachie, entre autres.

La méthode de choix des citations rappelle par certains côtés celle que Pascal emploie dans les Écrits sur la grâce, telle que Jean Mesnard l’a reconstituée (OC III, éd. J. Mesnard). Le corpus retenu est sélectif : les citations extraites des livres d’Isaïe et de Jérémie, pris de la Vulgate, sont méthodiquement notées au fil du texte. Pascal ne s’astreint pas nécessairement à retenir les versets entiers ; il coupe en fonction du sens dont il a besoin. Il commence par transcrire les passages choisis en latin. Il entame ensuite le travail de traduction. Aidé par des précédents modèles (voir sur ce point Lhermet J., Pascal et la Bible), il procède ensuite à la traduction personnelle de plusieurs chapitres de l’Ancien Testament, qui présentent plusieurs prophéties de natures différentes. Il y ajoute des commentaires propres à en éclaircir la signification et les difficultés. Il ne s’agit donc pas d’une technique de sélection aléatoire : la pensée et la vue des points à établir sont déjà présentes dans le traitement des citations.

Les textes recueillis sont destinés à établir que Jésus-Christ est bien le Messie annoncé par les prophètes d’Israël.

Prophéties V traite ainsi de ce que Pascal appelle la « manière » dont l’avènement de Jésus-Christ était prédit, et des réactions hostiles qu’elle a suscitées de la part des Juifs. L’édition de Port-Royal en résume l’objet en ces termes : Qui ne reconnaîtrait Jésus-Christ à tant de circonstances particulières qui en ont été prédites ?

Certaines notes répondent à l’idée, exprimée dans Loi figurative et Fondements, que si le Christ devait être méconnaissable dans la manière dont il viendrait sur terre, en revanche le temps de son apparition devait, lui, être reconnaissable (Loi figurative 11 - Laf. 255, Sel. 287). Pascal retient d’abord la prophétie de Jacob sur la pérennité du sceptre de Juda, destinée à fixer le temps de la venue du Messie au moment où cette dynastie serait interrompue (Prophéties II - Laf. 484, Sel. 719). Les notes que Pascal consacre aux visions de Daniel, et à celle des soixante-dix semaines vont dans le même sens (Prophéties III - Laf. 485, Sel. 720).

Pascal assortit les prophéties de Daniel d’explications destinées à montrer qu’elles ont été accomplies avec exactitude pendant la durée des empires perse et hellénistique (Prophéties III - Laf. 485, Sel. 720).

Une grande place est accordée au destin du peuple juif, qui est à la fois peuple fait exprès pour servir de témoin au Messie (Prophéties VII - Laf. 491, Sel. 736), mais voué à la « réprobation » : captivité des Juifs sans retour (Prophéties VI - Laf. 489, Sel. 735), réprobation des Juifs et conversion des Gentils, réprobation du Temple.

Prophéties II permet également de se faire une idée de la manière dont Pascal envisageait de développer ce qu’il appelle les prophéties particulières, c’est-à-dire celles qui ne sont pas de nature directement messianiques, mais qui servent à accréditer et à confirmer les prophéties messianiques. Il semble que cette idée ait tenu à cœur à Pascal, mais elle ne tient encore dans les dossiers classés qu’une place très restreinte .

Prophéties VIII apporte enfin une réflexion qui généralise les différents points ainsi abordés, significativement intitulée Raison pourquoi figures. Certains éléments ont déjà été exposés dans la liasse intitulée Loi figurative, notamment le fait que le sens véritable des prophéties n’était pas celui que les prophètes exprimaient à découvert et que, par conséquent, ils entendaient parler d’autres sacrifices, d’un autre libérateur, savoir le Christ. Par rapport à Loi figurative, il semble que Pascal tente de préciser avec plus de rigueur les chefs d’argumentation : Prophéties VIII, 1 distingue trois preuves différentes, et esquisse la réflexion sur le sens d’un auteur. Prophéties VIII, 2 va au fond du problème, en expliquant pourquoi Dieu, pour parvenir à faire porter sa révélation aux hommes, a dû choisir un peuple au caractère charnel, et s’est trouvé contraint, pour aveugler les uns et éclaircir les autres, de s’exprimer dans un langage figuratif. Le même texte explique pourquoi le fait que les uns saisissent le sens spirituel des Écritures, et que les autres ne le comprennent pas malgré les contradictions qui devraient leur permettre de passer du sens littéral au sens spirituel, n’est pas imputable au style figuré de la Bible, mais à la disposition du cœur de ceux qui la lisent : Dans ces promesses‑là chacun trouve ce qu’il a dans le fond de son cœur : les biens temporels ou les biens spirituels, Dieu ou les créatures ; mais avec cette différence que ceux qui y cherchent les créatures les y trouvent, mais avec plusieurs contradictions, avec la défense de les aimer, avec l’ordre de n’adorer que Dieu et de n’aimer que lui, ce qui n’est qu’une même chose, et qu’enfin il n’est point venu Messie pour eux. Au lieu que ceux qui y cherchent Dieu le trouvent, et sans aucune contradiction, avec commandement de n’aimer que lui, et qu’il est venu un Messie dans le temps prédit pour leur donner les biens qu’ils demandent. Pascal est parvenu, dans ce texte, à relier les différents aspects de sa pensée qu’il a envisagés séparément dans d’autres fragments. L’ensemble de la trajectoire de son argumentation se trouve ainsi exposé d’une manière qui permet au lecteur de comprendre la raison d’être de certains points qui pourraient le choquer, comme par exemple le fait que Dieu, par la bouche des prophètes, use d’un langage équivoque. La voie vers une rédaction amplifiée se trouve alors clairement dessinée.

Si l’on se place du point de vue génétique, l’ensemble qui va de Prophéties I à Prophéties VIII donne une vue d’ensemble sur les différentes étapes par lesquelles passe le travail de Pascal, du recueil de citations jusqu’au moment où Pascal coordonne les différents éléments de son argumentation. On constate que seul ce dernier texte présente une vue d’ensemble de la démonstration, mais que c’est déjà lors du travail de recueil des citations scripturaires, que Pascal envisageait l’intégration des excerpta dans un ensemble qu’il n’a pourtant complètement constitué qu’au bout de plusieurs étapes successives.

 

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