La liasse LE SOUVERAIN BIEN (suite)

 

 

Souverain bien et l’édition de Port-Royal

 

Il n’y a pas de chapitre intitulé Souverain bien dans l’édition de Port-Royal.

Souverain bien 2 a été intégré en grande partie dans le chapitre XXI, Contrariétés étonnantes qui se trouvent dans la nature de l’homme à l’égard de la vérité, du bonheur, et de plusieurs autres choses. Ce chapitre est composé de textes qui proviennent essentiellement de trois liasses : Contrariétés (5, 13 et 14), Philosophes (5, 6, 7 et 8) et Dossier de travail (papiers n° 17, 18, 19, 24 et 28), ainsi que d’un fragment de Grandeur (n° 6) et de Souverain bien (n° 2).

Un paragraphe de Souverain bien 2 a été publié dans le chapitre Véritable religion prouvée par les contrariétés qui sont dans l’homme, et par le péché originel (n° III).

Le fragment Souverain bien 1, fortement marqué par le thème du suicide, n’a pas été retenu par le Comité, ni dans la copie de Louis Périer.

 

Aspect stratigraphique

 

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 299, le papier, sur lequel Pascal a écrit Souverain bien 2 (RO 377 r° / v°), porte un filigrane en forme de raisin. La feuille d’origine, de dimensions 50 cm x 37 cm, serait de type Raisin & Raisin. Le même type de papier a été utilisé pour d’autres développements tels que “l’Économie du monde” (Misère 9 - Laf. 60, Sel. 94), la “Double condition de l’homme” (Contrariétés 14 - Laf. 131, Sel. 164) et Contre le pyrrhonisme (Grandeur 5 - Laf. 109, Sel. 141).

 

 

Bibliographie

 

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 168 sq.

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 77 sq.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 101.

LE GUERN Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, de l’anthropologie à la théologie, Paris, Larousse, 1972, p. 118 sq.

MAGNARD Pierre, Nature et histoire dans l’apologétique de Pascal, Paris, Belles Lettres, 1980, p. 257 sq.

PAROLINI Rocco, La tattica persuasiva di Blaise Pascal : il « renversement » gradevole, Annali dell’Università di Ferrara, Nuova serie, sezione III, Filosofia, n° 80, Università degli Studi di Ferrara, 2006.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SOELBERG Nils, “La dialectique de Pascal. De la conférence de Port-Royal à la démarche apologétique”, Revue romane, t. XIII, fasc. 2, 1978, p. 229-276.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris, Champion, 2007, p. 159.

THIROUIN Laurent, “Le cycle du divertissement”, in Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, Rosenberg e Sellier, 143, anno XVIII, fasc. II, mai-août 2004, Rosenberg e Sellier, p. 260-272.

 

Éclaircissements

Signification et situation du dossier Souverain bien

 

Sur la nature du souverain bien, voir Souverain bien 1 (Laf. 147, Sel. 180). Les définitions qui sont données du souverain bien sont en général assez abstraites.

Arnauld Antoine, Seconde apologie pour Jansénius, Livre III, ch. XVII, Œuvres, XVII, p. 316 sq. Voir l'analyse de Laporte, La morale, I, p. 111 sq. Voir p. 316. Même dans la morale laïque, « tous les philosophes demeurent d'accord, comme d'une maxime indubitable, que la nature du souverain bien, quel qu'il soit, est d'être recherché pour lui-même, et toutes les autres choses pour lui ; en sorte que nous lui rapportions toutes les actions de notre vie ». Arnauld cite Aristote, Morale, I, 1 ; les platoniciens, Cicéron, De finibus, II et V, « le souverain bien est celui auquel il faut tout rapporter, et qu'il ne faut rapporter à autre chose ». D'autre part, celui qui l'ignore ignore la manière dont il doit vivre. Voir p. 317 : « Ce qui suffirait pour condamner toutes les actions des infidèles ; puisque n'ayant point connu le souverain bien des hommes, qui est la jouissance de Dieu dans une éternelle vie, il est impossible qu'il ne se soient égarés dans toutes leurs actions, par la concession même de ce païen » (sc. Cicéron). « Toutes nos actions doivent être rapportées à notre souverain bien, que qu'il puisse être : ce qui est la même chose que de dire que nous ne devons entreprendre aucune action particulière, que par un mouvement d'amour envers le bien suprême, dont la jouissance nous rend heureux. Or la raison, non plus que la foi, ne nous permet de douter que Dieu seul ne soit notre souverain bien ; puisqu'on ne peut manquer d'être heureux en possédant le souverain bien, et que notre nature soit si élevée que la possession de Dieu seul la peut rendre heureuse ; et par conséquent nous sommes obligés de rapporter à Dieu toutes nos actions » : p. 317. Voir le chapitre sur « Le désir d’être heureux » de Magnard Pierre, Nature et histoire dans l’apologétique de Pascal, p. 257 sq.

Pascal envisage surtout le souverain bien en un sens pratique, dans la mesure où il est la fin dernière que recherche l’homme pour son bonheur. C’est pourquoi la liasse Souverain bien trouve place dans une groupe de trois liasses, avec Divertissement et Philosophes, qui forme un ensemble relatif aux différentes manières dont les hommes ont tenté de le définir et de l’atteindre. Ces liasses forment un triplet : elles traitent toutes trois de la morale fondamentale, c’est-à-dire non pas des règles particulières qui doivent commander la conduite ordinaire des hommes, mais du souverain bien que ces hommes poursuivent pour se rendre heureux. La question est de savoir où il faut chercher ce souverain bien. Divertissement établit que l’on ne trouve pas le bien dans les choses extérieures, qui font l’objet des poursuites de divertissement. La liasse Philosophes montre que les stoïciens et les platoniciens ont tort de demander à l’intérieur ce qu’on ne trouve pas à l’extérieur, et de poser que le bien doit être recherché en l’homme ; elle montre que cette recherche est aussi illusoire que la précédente, parce que si les stoïciens ont raison d’orienter les hommes vers le souverain bien unique, ils ne sont pas capables de dire quel est précisément ce souverain bien. La liasse Souverain bien développe cette idée, que ces deux recherches sont des recherches par défaut, c’est-à-dire qu’elles viennent de ce qu’on ignore que le vrai souverain bien est à la fois en nous et hors de nous.

Ce système de liasses peut être présenté sous forme de combinaisons :

Divertissement : chercher le bonheur hors de nous et non en nous.

Philosophes : chercher le bonheur non hors de nous, mais en nous.

Souverain bien : chercher le bonheur et en nous et hors de nous.

Cette dernière idée est formulée de manière nette dans le fragment Pensées diverses (Laf. 564, Sel. 471) : La vraie et unique vertu est donc de se haïr, car on est haïssable par sa concupiscence, et de chercher un être véritablement aimable pour l’aimer. Mais comme nous ne pouvons aimer ce qui est hors de nous, il faut aimer un être qui soit en nous, et qui ne soit pas nous. Et cela est vrai d’un chacun de tous les hommes. Or il n’y a que l’être universel qui soit tel. Le royaume de Dieu est en nous. Le bien universel est en nous, est nous‑même et n’est pas nous.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris Champion, 2007, p. 159. Souverain bien renvoie à Divertissement et Philosophes : elle rend raison du divertissement et de l’échec du stoïcisme.

Ce système est analysé dans Thirouin Laurent, “Le cycle du divertissement”, in Le Pensées di Pascal : dal disegno all’edizione, Studi francesi, Rosenberg e Sellier, 143, anno XVIII, fasc. II, mai-août 2004, Rosenberg e Sellier, p. 260-272.

Le paradoxe de cette liasse Souverain bien, c'est que son thème est essentiellement cette Seconde partie, qui dit Que l'homme sans la foi ne peut connaître le vrai bien, ni la justice.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 80 sq. L’ignorance du souverain bien chez l’homme.

Ce mouvement d’ensemble trouve un écho dans le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182), où, lorsque Pascal fait le bilan des données du problème en vue de le reprendre sur de nouvelles bases, une paragraphe relatif au souverain bien suit le paragraphe relatif à la connaissance des contrariétés qui entrent dans la nature de l’homme : Pascal définit d’abord les conditions auxquelles la Vérité doit répondre sur la nature du souverain bien, et se prépare ensuite à montrer qu’aucune doctrine n’y satisfait, à l’exception de la religion chrétienne.

A P. R.

Commencement, après avoir expliqué l'incompréhensibilité.

Les grandeurs et les misères de l'homme sont tellement visibles qu'il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu'il y a quelque grand principe de grandeur en l'homme et qu'il y a un grand principe de misère.

Il faut encore qu'elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés.

Il faut que pour rendre l'homme heureux elle lui montre qu'il y a un Dieu, qu'on est obligé de l'aimer, que notre vraie félicité est d'être en lui, et notre unique mal d'être séparé de lui, qu'elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l'aimer, et qu'ainsi nos devoirs nous obligeant d'aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d'injustice. Il faut qu'elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu'elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d'obtenir ces remèdes. Qu'on examine sur cela toutes les religions du monde et qu'on voie s'il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

 

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