La liasse EXCELLENCE DE CETTE MANIÈRE DE PROUVER DIEU (suite)

 

 

Excellence et l’édition de Port-Royal

 

Port-Royal consacre un chapitre intitulé On ne connaît Dieu utilement que par Jésus-Christ dont le titre a été inspiré par celui du fragment Excellence 1, Dieu par Jésus-Christ. Le chapitre XX réunit essentiellement des fragments des dossiers sans titre et deux fragments de la liasse Excellence : Préface de la seconde partie (Laf. 781, Sel. 644), Excellence 2, Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690), Preuves par les juifs VI (Laf. 460, Sel. 699), Excellence 5 et deux textes issus du Dossier de travail (Laf. 416, Sel. 35 et Laf. 417, Sel. 36).

Les fragments Excellence 1 (hors titre), Excellence 3 et Excellence 4 n’ont pas été retenus par le Comité. Ces fragments n’ont pas plus retenu l’attention de Louis Périer. Il faut attendre l’édition Faugère (1844) pour qu’ils soient publiés.

Sur le problème posé par la liasse Excellence dans l’édition de Port-Royal, voir Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), p. 132 sq.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Excellence

 

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 302, deux papiers portent un fragment de filigrane : Excellence 1 (RO 151-1) est marqué d’une partie du filigrane Cadran & Armes de France et Navarre / P ♥ H ; et un morceau de filigrane ♥ C, positionné parallèlement aux pontuseaux, peut être observé sur Excellence 3 (RO 265-8).

Pol Ernst montre dans l’Album p. 11 que les papiers de Excellence 2 (RO 265-7) et Excellence 3 (RO 265-8) sont issus d’un même feuillet et qu’ils ont été écrits l’un à la suite de l’autre. Ces papiers ont été mis dans ce même ordre dans la liasse Excellence puis collés, toujours dans cet ordre, sur le Recueil des originaux, ce qui est exceptionnel. Ernst en a déduit qu’ils ont été séparés post mortem, ce qui nous semble une interprétation un peu rapide (voir notre commentaire dans Excellence 2).

Il montre aussi dans l’Album p. 151 que le complément du filigrane Cadran & Armes de France et Navarre / P ♥ H, présent sur Excellence 1, est probablement situé sur le papier RO 29-4 (Loi figurative 26 - Laf. 271, Sel. 302).

Les papiers de Excellence 4 (RO 374-3) et Excellence 5 (RO 416-5) ne sont pas identifiés.

 

Bibliographie

 

DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Mame-Desclée, 2008.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 252 sq.

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 84 sq.

GUION Béatrice, Pierre Nicole moraliste, Paris, Champion, 2002.

ICARD Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Champion, 2010.

LE GUERN Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, Paris, Larousse, 1972, p. 147 sq.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 414-425.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 122 sq.

MEURILLON Christian, “Les combinaisons pascaliennes ou les avatars de la pensée ternaire”, Équinoxe, 6, Rinsen-Books, 1990, p. 49-68.

MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007.

PÉROUSE Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 507.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

STIKER-MÉTRAL Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris Champion, 2007.

THIROUIN Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 351-368.

 

Éclaircissements

 

Structure de la liasse Excellence

Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 252.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, p. 70 sq.

Thirouin Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, in Le rayonnement de Port-Royal, p. 351-368.

 

Signification de la liasse Excellence et fonction dans l’ensemble de l’argumentation des Pensées

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 234 sq.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 242.

Le Guern Michel et Marie-Rose, Les Pensées de Pascal, p. 147 sq.

 

Sur le sens du mot excellence, voir Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 242 et 251 : l’excellence de cette manière de montrer la vérité de la religion chrétienne vient tout à la fois du fait qu’elle préserve l’homme de l’orgueil et du désespoir, qu’elle conduit au vrai Dieu, et non au dieu abstrait des déistes, et qu’elle le révèle dans ce qui touche la nature de l’homme, en lui apprenant sa corruption.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 157 sq. Rapport de l’esquisse de Préface du fragment Laf. 781, Sel. 644 avec la liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu. Le sens du démonstratif cette est imposé par les fragments qui critiquent les preuves de Dieu métaphysiques et répètent que Dieu ne peut être connu que par Jésus-Christ, sans lequel toutes les preuves sont stériles.

Le titre de cette liasse a quelque chose de paradoxal : Pascal établit en effet qu’il ne saurait être question dans les Pensées de prouver Dieu par des démonstrations rationnelles. Il ne s’agit pas en effet de prouver l’existence de Dieu, mais la vérité de la religion chrétienne, ce qui est tout différent.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 245, distingue plusieurs chefs principaux dans l’argumentation de cette liasse :

1. la difficulté pour la raison de prouver Dieu,

2. l’impuissance de la raison à prouver Dieu,

3. le danger de prouver Dieu par la raison.

L’affirmation qui sous-tend toute l’argumentation de la liasse est que nous connaissons Dieu par Jésus-Christ et que nous ne le connaissons que par Jésus-Christ : p. 248.

Le mouvement de liasses précédent constituait le cycle des mauvaises solutions : la soumission comme excès de religiosité, puis, l’athéisme comme pseudo force d’esprit, et le déisme. Voir Thirouin Laurent, “Transition de la connaissance de l’homme à Dieu : examen d’une liasse des Pensées”, p. 367 : Après A P. R., qui est le véritable lieu de la transition, et rassemble tous les éléments du problème repérés précédemment, Commencement joue le rôle de captatio benevolentiae, en brisant l’inintérêt, le refus d’entendre. Soumission fait le point sur la part d’irrationalité du christianisme. Enfin Excellence montre que seule la voie par le Christ mène à Dieu.

Pascal effectue à présent une double translatio quaestionis. En premier lieu, il prépare l’abandon de l’ordre des philosophies naturelles et du recours à la science qui sera effectué dans la liasse Transition de l’homme à Dieu : on passe donc des philosophies naturelles à l’ordre de la religion. Excellence s’adresse donc aux lecteurs qui seraient tentés de suivre la voie de la métaphysique à la manière de Descartes dans les Méditations, qui les conduirait au déisme, pour montrer que seule la voie par le Christ mène à Dieu.

D’autre part, faisant contraste avec les liasses précédentes, dans lesquelles il dénonçait de mauvaises manières de raisonner ou de prétendre connaître Dieu, il tente d’établir l’excellence de la manière de prouver Dieu non pas à l’aide de preuves métaphysiques qui aboutissent à une impasse, mais par la médiation de Jésus-Christ, dont il montre qu’elle enferme la double connaissance de la divinité, et de la vraie nature de l’homme, autrement dit qu’elle satisfait aux conditions posées dans A P. R. 1., qui rassemblait tous les éléments du problème repérés précédemment. Comme l’écrit Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), p. 132, Excellence établit la validité de la religion chrétienne, avant que Pascal n’en prouve la vérité.

Transition complète ce mouvement en s’interrogeant ensuite sur les moyens qu’a l’homme, étant donné ses possibilités de connaissance, de parvenir à Dieu.

Cette liasse annonce enfin a contrario celle qui va lui faire pendant et lui servir de repoussoir, Fausseté des autres religions, qui montrera qu’aucune autre religion ne peut prétendre à la même excellence.

Stiker-Métral Charles-Olivier, Narcisse contrarié. L’amour propre dans le discours moral en France (1650-1715), Paris Champion, 2007, p. 159. La liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu dénonce la dérive orgueilleuse de la théologie stoïcienne et la présomption des philosophes qui se croient assez forts pour trouver Dieu par leurs seuls moyens naturels : ils se glorifient eux-mêmes, par autolâtrie. La liasse Philosophes affirme l’échec d’une philosophie de la grandeur, confiante dans les capacités de la volonté humaine, qui ne peut que se pervertir en philosophie de l’orgueil. L’échec du stoïcisme est complet : il méconnaît la faiblesse de l’homme, manque son objet qui est l’amour de Dieu, et se révèle incapable de servir de remède au divertissement : p. 163.

Il en résulte que la liasse Excellence est celle dans laquelle la personne du Christ fait son entrée dans l’apologie de Pascal. Voir sur ce point Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 252 sq., et Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 507 ; et Mesnard Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, p. 414-425.

 

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