Le dossier PREUVES PAR DISCOURS III (suite)

 

 

Preuves par discours III et l’édition de Port-Royal

 

Deux paragraphes du fragment 1 ont été utilisés dans le chapitre VIII, Image d’un homme qui s’est lassé de chercher Dieu par le seul raisonnement, et qui commence à lire l’Écriture.

Plusieurs textes ont été intégrés dans le chapitre XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres :

le fragment 3,

un paragraphe du fragment 4,

le fragment 6,

le fragment 8,

un paragraphe du fragment 10.

Le chapitre II - Marques de la véritable religion a intégré une grande partie du fragment 9.

Une partie du fragment 10 a été utilisée dans le chapitre XX - On ne connaît Dieu utilement que par Jésus-Christ.

Le fragment 5 et une phrase du fragment 9 ont été ajoutés en 1678 au chapitre XXVIII - Pensées chrétiennes. Une note a été citée par Étienne Périer dans la Préface de l’édition.

Le fragment 7 a été ajouté en 1678 au chapitre XIV - Jésus-Christ.

La plupart des notes, non retenues dans l’édition, des fragments 1, 3 et 4 ont ensuite été recopiées par Louis Périer dont une copie a été conservée. Deux de ces textes ont ensuite été publiés par P. N. Desmolets en 1728. Une partie du fragment 2, qui n’a pas été retenu dans l’édition, a été publiée dans le rapport de V. Cousin en 1842.

 

Contenu des fragments

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 35, classe Preuves par discours III parmi les « unités simples ».

L’unité d’ensemble des textes de Preuves par discours III n’est pas évidente. Ils paraissent à première vue assez hétérogènes. Y sont abordés principalement les thèmes suivants :

  L’antiquité des Juifs (fragment 1).

  La misère et la grandeur en l’homme (fragment 2).

  L’obscurité de la religion chrétienne (fragment 8), sa nécessité (fragments 3 et 6), et la manière dont Dieu se cache (fragment 6).

  La nature de l’erreur qui éloigne les hommes de la religion chrétienne (fragment 5).

  L’idée que les arguments des impies n’atteignent pas la religion chrétienne, mais se retournent contre leurs auteurs (fragments 4 et 5).

  La connaissance de Dieu, possible seulement par la médiation du Christ (fragment 10).

 

Il semble que certains fragments auraient pu trouver opportunément place dans d’autres dossiers, comme par exemple le fragment 2, qui évoque l’opposition de la misère et de la grandeur en l’homme, à laquelle Pascal a consacré deux liasses importantes parmi les « papiers classés ».

D’autre part, il est visible qu’un texte comme le fragment 1 est le seul qui touche la condition du peuple juif, qui fait l’objet de la série de dossiers Preuves par les Juifs, immédiatement après Preuves par discours III. À tel point que l’on peut se demander si ce texte n’a pas été victime d’une erreur de classement, toujours possible.

 

Cependant une certaine unité apparaît lorsque l’on rapproche ces textes de l’ensemble Preuves par discours II, notamment du grand fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681).

Le fragment Preuves par discours II (Laf. 435, Sel. 687), porte déjà sur la condition du peuple juif, choisi par Dieu pour porter la révélation à travers les âges.

Preuves par discours III - n° 2 (Laf. 437, Sel. 689), sur la grandeur de l’homme, visible en transparence dans sa misère, peut être associé à Preuves par discours II (Laf. 430, Sel. 683).

L’idée que les incrédules blasphèment une religion qu’ils ignorent, présente dans Preuves par discours III - n° 9 (Laf. 449, Sel. 690), ouvre aussi le grand fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) (Qu’ils apprennent au moins quelle est la religion qu’ils combattent avant que de la combattre).

L’idée que la preuve du christianisme peut être tirée des incrédules eux-mêmes, donnée dans Preuves par discours III - n° 4 (Laf. 440-442, Sel. 690) et 5 (Laf. 443, Sel. 690), est déjà présente dans Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) et Preuves par discours II (Laf. 431, Sel. 683).

Enfin, l’idée que Dieu se cache est présente dès l’ouverture de Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681).

 

En revanche certains thèmes ne semblent avoir fait l’objet d’une exploitation significative dans Preuves par discours II, et semblent constituer des nouvelles amorces de développements.

Le thème de la misère de l’homme apparaît dans Preuves par discours III - n° 2 (Laf. 437, Sel. 689), d’une manière qui rappelle Grandeur 10 (Laf. 114, Sel. 146). Mais il est présenté dans Preuves par discours III - n° 6 (Laf. 445, Sel. 690), et n° 8 (Laf. 448, Sel. 690) sous un angle nouveau, celui de l’indignité de l’homme, ce qui enrichit considérablement la notion de misère en y intégrant l’idée du rapport de l’homme à Dieu.

Le fragment Preuves par discours III - n° 5 (Laf. 443, Sel. 690), esquisse une réflexion sur la nature double de la vérité de la religion chrétienne, et la source des erreurs de ses ennemis, savoir l’ignorance d’une des vérités qui la composent. Dans le programme apologétique esquissé dans la Table des matières, cette idée n’a guère été illustrée que par l’opposition des philosophes dogmatiques ou stoïciens d’une part, qui ignorent la misère de l’homme, avec les sceptiques ou les épicuriens d’autre part, qui ignorent sa grandeur. Preuves par discours II (Laf. 430, Sel. 683) s’en fait l’écho. Mais cette même idée peut être étendue à l’ordre de la religion : elle trouve une application dans les Écrits sur la grâce, où le Traité de la prédestination montre comment les erreurs des calvinistes et des molinistes proviennent du fait qu’elles ignorent une partie des principes de la théologie catholique. Le fragment Preuves par discours III - n° 5 (Laf. 443, Sel. 690) dessine cette idée, sans la préciser encore. Elle est en revanche présentée sous un autre aspect dans le fragment Preuves par discours III - n° 9 (Laf. 449, Sel. 690), où Pascal esquisse l’idée que la religion chrétienne elle-même enferme des vérités qui paraissent contraires, mais qui sont en réalités complémentaires : elle enseigne donc ensemble aux hommes ces deux vérités, et qu’il y a un Dieu dont les hommes sont capables, et qu’il y a une corruption dans la nature qui les en rend indignes. Il importe également aux hommes de connaître l’un et l’autre de ces points, et il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître le Rédempteur qui l’en peut guérir. Une seule de ces connaissances fait, ou la superbe des philosophes qui ont connu Dieu et non leur misère, ou le désespoir des athées qui connaissent leur misère sans Rédempteur. Et ainsi comme il est également de la nécessité de l’homme de connaître ces deux points, il est aussi également de la miséricorde de Dieu de nous les avoir fait connaître. La religion chrétienne le fait, c’est en cela qu’elle consiste.

Dans le même sens, les fragments Preuves par discours III - n° 8 (Laf. 448, Sel. 690) et Preuves par discours III - n° 6 (Laf. 444-446, Sel. 690) prolongent aussi une réflexion que Pascal a esquissée dans Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681) et Preuves par discours II (Laf. 428-429, Sel. 682), sur le fait que Dieu a établi des marques sensibles dans l’Église pour se faire reconnaître à ceux qui le chercheraient sincèrement ; et qu’il les a couvertes néanmoins de telle sorte qu’il ne sera aperçu que de ceux qui le cherchent de tout leur cœur, de sorte qu’il se cache à ceux qui le tentent.

Les deux fragments Preuves par discours III - n° 9 (Laf. 449, Sel. 690) et Preuves par discours III - n° 10 (Laf. 449, Sel. 690) développent aussi une argumentation nouvelle par rapport à Preuves par discours II, savoir l’opposition du déisme, qui ne voit en Dieu que l’auteur de « l’ordre des éléments » et des « vérités géométriques », au véritable christianisme, qui n’est accessible que par la médiation de Jésus-Christ.

Preuves par discours III - n° 10 (Laf. 449, Sel. 690) tire des points précédents une réflexion sur la méthode de l’apologie qui n’est pas esquissée dans Preuves par discours II : je n’entreprendrai pas ici de prouver par des raisons naturelles ou l’existence de Dieu ou la Trinité ou l’immortalité de l’âme, ni aucune des choses de cette nature, non seulement parce que je ne me sentirais pas assez fort pour trouver dans la nature de quoi convaincre des athées endurcis, mais encore parce que cette connaissance sans Jésus-Christ est inutile et stérile. Quand un homme serait persuadé que les proportions des nombres sont des vérités immatérielles, éternelles et dépendantes d’une première vérité en qui elles subsistent et qu’on appelle Dieu, je ne le trouverais pas beaucoup avancé pour son salut. Cette idée est en revanche développée dans Pensées diverses (Laf. 781, Sel. 644).

On peut donc voir dans Preuves par discours III des notes destinées à préparer sur certains points importants le mouvement d’argumentation qui doit suivre celui que Pascal a tracé dans Preuves par discours II. Le développement avancé de Preuves par discours III - n° 10 (Laf. 449, Sel. 690) montre que Pascal procédait à l’élaboration d’un pan entier de son apologie. On le voit ici relier entre eux des « noyaux » d’argumentation, comme J. Mesnard l’indique dans son étude “Pourquoi les Pensées de Pascal se présentent-elles sous forme de fragments ?”, in La culture du XVIIe siècle, p. 363 sq.

 

Bibliographie

 

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Voir les bibliographies des dossiers thématiques sur le Dieu caché et sur Les libertins.

 

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