Fragment Rabbinage n° 2 / 3 – Papier original : RO 267-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Rabbinage n° 319 p. 141 v° à 143 v° / C2 : p. 172 à 174
Éditions savantes : Faugère II, 206, XXXI / Havet XXV.144 / Brunschvicg 446 / Tourneur p. 269-1 / Le Guern 261 / Lafuma 278 / Sellier 309
Tradition ample du péché originel selon les Juifs.
Sur le mot de la Genèse 8, la composition du cœur de l’homme est mauvaise dès son enfance. R. Moïse Haddarschan : Ce mauvais levain est mis dans l’homme dès l’heure où il est formé . Massechet Succa : Ce mauvais levain a sept noms : dans l’Écriture il est appelé mal, prépuce, immonde, ennemi, scandale, cœur de pierre, aquilon, tout cela signifie la malignité qui est cachée et empreinte dans le cœur de l’homme. Cette malignité se renouvelle tous les jours contre l’homme comme il est écrit Ps. 37 : L’impie observe le juste et cherche à le faire mourir, mais Dieu ne l’abandonnera point. Cette malignité tente le cœur de l’homme en cette vie et l’accusera en l’autre. Tout cela se trouve dans le Talmud. Midrasch Tillim sur le Ps. 4. Frémissez et vous ne pécherez point. Frémissez et épouvantez votre concupiscence et elle ne vous induira point à pécher. Et sur le Ps. 36. L’impie a dit en son cœur que la crainte de Dieu ne soit point devant moi, c’est-à‑dire que la malignité naturelle à l’homme a dit cela à l’impie. Midrasch Kohelet : Meilleur est l’enfant pauvre et sage que le roi vieux et fol qui ne sait pas prévoir l’avenir. L’enfant est la vertu et le roi est la malignité de l’homme. Elle est appelée roi parce que tous les membres lui obéissent et vieux parce qu’il est dans le cœur de l’homme depuis l’enfance jusqu’à la vieillesse, et fol parce qu’il conduit l’homme dans la voie de [per]dition qu’il ne prévoit point. La même chose est dans Midrasch Tillim. Bereschit Rabbah sur le Ps. 35. Seigneur tous mes os te béniront parce que tu délivres le pauvre du tyran. Et y a‑t‑il un plus grand tyran que le mauvais levain ? Midrasch Tillim dit la même chose et que Dieu délivrera la bonne nature de l’homme de la mauvaise. Et sur les Proverbes 25. Si ton ennemi a faim donne‑lui à manger, c’est‑à‑dire si le mauvais levain a faim donnez‑lui du pain de la sagesse dont il est parlé Proverbes 9. Et s’il a soif donne‑lui de l’eau dont il est parlé Isaïe 55. Midrasch Tillim dit la même chose et que l’Écriture en cet endroit, en parlant de notre ennemi entend le mauvais levain et qu’en lui [donnant] ce pain et cette eau on lui assemblera des charbons sur la tête. Midrasch Kohelet sur l’Ecc. 9. Un grand roi a assiégé une petite ville. Ce grand roi est le mauvais levain. Les grandes machines dont il l’environne sont les tentations, et il a été trouvé un homme sage et pauvre qui l’a délivrée, c’est‑à‑dire la vertu. Et sur le Ps. 41 : Bienheureux qui a égard aux pauvres. Et sur le Ps. 78 : L’esprit s’en va et ne revient plus, d’où quelques‑uns ont pris sujet d’errer contre l’immortalité de l’âme ; mais le sens est que cet esprit est le mauvais levain, qui s’en va avec l’homme jusqu’à la mort et ne reviendra point en la résurrection. Et sur le Ps. 103. la même chose. Et sur le Ps. 16.
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R. Moïse Haddarschan : lire Rabbi Moïse Haddarschan (Mocheh ad-Archan).
Midrasch : recueils de commentaires rabbiniques.
Bereschit Rabbah (ou Bereshit Rabbah) : Midrash sur la Genèse.
Midrasch Tillim (ou Midrash Tehillim, ou Tillé) : Midrash sur les Psaumes.
Midrasch Kohelet : Midrash sur certains textes de l’Ecclésiaste.
Massechet Succa : ordinairement transcrit Massèkhet (traité du Talmud) Soukkah, sixième traité de l’ordre Moed, réglant la fête des Tabernacles.
Alors que dans Rabbinage 1, Pascal annotait les commentaires de Joseph de Voisin, il entre ici dans le texte de R. Martin lui-même, pour recueillir des passages relatifs au figmentum malum, c’est-à-dire, comme l’indique le titre du fragment, le péché originel.
La manière dont Pascal procède demeure en accord avec les dispositions qui paraissent dans Rabbinage 1. Ce qui est frappant, c’est qu’il ne cherche pas dans la littérature rabbinique de quoi réfuter la doctrine des rabbins, ni à y trouver des erreurs ou des incohérences, mais au contraire à marquer les points sur lesquels rabbins et chrétiens sont d’accord, essentiellement sur l’idée fondamentale du péché originel. Quoique les Juifs n’aient pas reconnu le Christ comme Dieu, leur religion n’en a pas moins conservé des idées qui permettront à Pascal de soutenir, sous le titre Perpétuité, qu’il y a une étroite continuité entre Juifs et chrétiens. il trouve ainsi le moyen de défendre la religion chrétienne sans couvrir les Juifs d’anathèmes. Autrement dit, il cherche paradoxalement dans la littérature rabbinique des points de conciliation et une confirmation de la doctrine chrétienne. Pour Pascal, apologie ne signifie pas réfutation de la religion juive, mais au contraire coexistence. C’est ce qui lui permettra de développer l’argument de perpétuité. Comme il veut montrer que les vrais Juifs et les vrais chrétiens n’ont qu’une même religion, il serait incohérent de chercher à montrer que la religion juive est fausse. Il faut au contraire montrer qu’elle est vraie, plus vraie même que ne le pensent les rabbins. Contrairement aux commentateurs qui voient surtout en Pascal un polémiste, il faut au contraire voir en lui un conciliateur.
On retrouve dans ce texte la technique de dépouillement des textes que Pascal a pratiquée dans les Écrits sur la grâce, sur la doctrine de la possibilité des commandements. La lecture de ces notes sur le Pugio fidei, qui peut paraître à première vue rébarbative, peut être fructueusement éclairée par l’étude proposée par J. Mesnard dans son introduction aux Écrits sur la grâce, OC III, p. 527 sq. La rédaction de l’Entretien avec M. de Sacy, composé à partir de textes de Montaigne et d’Épictète, en fournit un exemple achevé. Pascal, qui n’en est ici qu’au commencement de son travail, commence par recueillir des excerpta dont il donne une traduction ou un résumé aussi fidèle que possible. En prenant ces notes, il cherche à approcher du plus près de l’expression originale des rabbins. L’étape suivante, qu’il n’a pas atteint dans le cas présent, consiste à perfectionner la traduction, à remembrer les passages connexes, et à intégrer les citations dans un discours plus ample. Au terme du processus, les extraits sont quasi fondus dans un texte qui est proprement nouveau et personnel.
Fragments connexes
Fausseté 9 (Laf. 211, Sel. 244). On a fondé et tiré de la concupiscence des règles admirables de police, de morale et de justice. Mais dans le fond, ce vilain fond de l’homme, ce figmentum malum n’est que couvert. Il n’est pas ôté.
Rabbinage 1 (Laf. 277, Sel. 308).
Mots-clés : Âme – Aquilon – Bereschit – Charbon – Cœur – Dieu – Eau – Écriture – Enfance – Ennemi – Esprit – Genèse – Haddarschan – Immonde – Immortalité – Impie – Juifs – Kohelet – Levain – Mal – Malignité – Membre – Midrasch – Nature – Pain – Pauvre – Péché originel – Prépuce – Proverbes – Résurrection – Roi – Sagesse – Tillim – Tradition – Vieillesse – Ville.