La liasse RAISONS DES EFFETS (suite)

 

 

Raisons des effets et l’édition de Port-Royal

 

Pérouse Marie, L’invention des Pensées de Pascal. Les éditions de Port-Royal (1670-1678), Paris, Champion, 2009, p. 244 sq. Le comité qui préparait l’édition des Pensées a été gêné par la liasse Raisons des effets, d’une part parce que cette expression ne correspond à aucun attribut de la nature humaine, comme misère, grandeur ou vanité, mais aussi parce que les fragments qui la composent sont fortement marqués par une teneur politique. La notion même de raison des effets disparaît des pensées de 1670 ; avec elle disparaît aussi l’idée de pensée de derrière (Raisons des effets 10 - Laf. 91, Sel. 125). M. Pérouse ne pense pas que cette « relégation » soit due au caractère timoré du comité (des publications contemporaines comme le Traité de l’éducation d’un prince de Nicole traitent bien de politique), mais plutôt au fait que les thèmes de Raison des effets n’avaient pas leur place dans un livre consacré essentiellement à la foi et à la morale.

Précisons que la liasse Raisons des effets ne contient aucun texte développé qui puisse servir d’ossature à un chapitre. Dans la liasse Misère, seuls 9 textes sur 24 ont été retenus dans l’édition. Dans la liasse Raisons des effets ce sont 8 fragments sur 21 qui l’ont été. La différence tient surtout dans le fait que tous les fragments retenus ont été versés dans les chapitres « annexes » XXVIII – Pensées Chrétiennes (Raisons 17), XXIX – Pensées Morales (Raisons 3, 9, 16, 17, 19 et 21), et XXXI - Pensées diverses (Raisons 7 et 11).

Précisons aussi que parmi les fragments qui ont été rejetés, 3 ont été modifiés pour l’édition puis copiés dans le Portefeuille Vallant avant d’être abandonnés (Voir Raisons 1, 13 et 20).

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Raisons des effets

 

3 papiers porteraient des traces de filigranes : France et Navarre / I ♥ C (Raisons 5) ; Écusson fleurette RC/DV : Raisons 17 (le fragment de filigrane est situé tête-bêche par rapport au texte) et Raisons 18 (à vérifier).

La reconstitution de Pol Ernst (Album, p. 169) suggère que les papiers de Raisons 8 à 12 (qui portent tous le titre Raison des effets) proviennent d’un même feuillet de type France et Navarre / I ♥ C. En fait, seuls les papiers de Raisons 10 et 11 portent des marques communes. Le reste de la reconstitution demanderait une étude complémentaire pour être confirmée.

Selon Pol Ernst, Les Pensées de Pascal, Géologie et stratigraphie, p. 295-296,

Raisons 1 pourrait être issu d’un feuillet de type Écu trois annelets doubles & pot / B. RODIER. Nous avons constaté que ce papier pourrait être associé au papier RO 405-4 (Laf. 336, Sel. 367 - Prophéties) qui proviendrait selon Ernst du même type de feuillet.

Raisons 2 pourrait provenir d’un feuillet au type Grappe de raisin & Grappe de raisin ; Raisons 4 serait de type Cadran et B ♥ C ; Raisons 6 et 7, Cor couronné / P  H ; Raisons 21, Écusson fleurette RC/DV.

Les autres papiers n’ont pas été identifiés. Si l’on interprète ce que dit Z. Tourneur, le papier de Raisons 19 pourrait être de type Cor couronné / P  H.

 

Selon Ernst Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, p. 233, les papiers de type France et Navarre / I ♥ C auraient été utilisés après avril 1658.

Une des caractéristiques est la diversité des papiers utilisés et la difficulté d’identifier les types de papiers. Parmi ces papiers, 3 portent un texte au verso et qui n’a rien à voir avec le thème de la liasse : Raisons 3 a conservé un propos sur Descartes (Laf. 84, Sel. 118) ; cette note a été barrée avant que le papier soit enfilé dans la liasse ; le verso de Raisons 4 porte les restes d’une note qui pourrait (mais cela reste une interprétation) être destinée à une Provinciale ; nous avons détecté un texte inédit, non barré, au verso de Raisons 20.

Tous les papiers ont-ils été enfilés dans la liasse ?

Seuls 6 papiers ont conservé un trou d’enfilage, situé pour 4 des papiers de façon habituelle dans la marge de gauche. Le papier de Raisons 21 (le dernier papier transcrit) est troué exceptionnelement à droite et celui de Raisons 20 est troué au milieu du texte.

La marge de gauche a été rognée dans les autres papiers : s’il y avait des trous d’enfilage, ils ont disparu.

 

Interventions d’un secrétaire et d’un copiste :

 

La plupart des papiers sont de la main de Pascal sauf Raisons 7 (main d’un copiste), et le début de Raisons 4 (main d’un secrétaire débutant ou à l’essai ?). Ces deux papiers ont été complétés par Pascal.

 

Bibliographie

 

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FERREYROLLES Gérard, Pascal et la raison du politique, PUF, Paris, 1984.

FORCE Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989.

MESNARD Jean, “Logique et sémiotique dans le modèle de la Raison des effets”, Op. cit., n° 20, 1998, p. 16-30.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., SEDES, Paris, 1993.

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THIROUIN Laurent, “Montaigne, “demi-habile” ? Fonction du recours à Montaigne dans les Pensées”, in MEURILLON Christian (dir.), Pascal, l’exercice de l’esprit, Revue des sciences Humaines, 244, décembre 1996, p. 81-102.

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THIROUIN Laurent, “Les premières liasses des Pensées : architecture et signification”, XVIIe Siècle, n° 177, oct.-déc. 1992, n° 4, p. 451-467.

 

Lire aussi...

 

BOUCHILLOUX Hélène, “La théologie dans le schème pascalien de la raison des effets”, Op. cit., n° 20, 1998, p. 31-38.

DUCAT Philippe, “Les résonances actuelles de la raison des effets”, Op. cit., n° 20, 1998, p. 55-63.

ERNST Pol, Approches pascaliennes. L’unité et le mouvement, le sens et la fonction de chacune des 27 liasses titrées, Duculot, Gembloux, 1970.

ERNST Pol, “La dimension chronologique des Pensées”, Cahiers de l’Association Internationale des Études françaises, n° 40, mai 1988, p. 233-250.

ERNST Pol, “Géologie et stratigraphie des Pensées de Pascal”, Op. cit., n° 12, 1990, p. 24-28.

ERNST Pol, “Géologie et stratigraphie des Pensées de Pascal (suite)”, Op. cit., n° 13, 1991, p. 29-38.

ERNST Pol, Les Pensées de Pascal. Géologie et stratigraphie, Universitas, Voltaire Foundation, Oxford, 1996, 480 p.

FERREYROLLES Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996.

FERREYROLLES Gérard, “Le prince selon Pascal”, in L’image du souverain dans les lettres françaises des guerres de religion à la révocation de l’édit de Nantes, Paris, Klincksieck, 1985, p. 169-176.

FORCE Pierre et MORGAN David (dir.), De la morale à l’économie politique. Dialogue franco-américain sur les moralistes français. Actes du colloque de Columbia University (New-York), 14-16 octobre 1994, Op. cit., n° 6, Université de Pau, 1996.

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 62 sq.

KOCH Erec, “Pascal/de Man : Rhetoric, Reading and Raison des effets”, FORCE Pierre et MORGAN David (dir.), De la morale à l’économie politique. Dialogue franco-américain sur les moralistes français. Actes du colloque de Columbia University (New-York), 14-16 octobre 1994, Op. cit., n° 6, Université de Pau, 1996, p. 49-62.

MESNARD Jean, “Le thème des trois ordres dans l’organisation des Pensées”, in HELLER Lane M. et RICHMOND Ian M. (dir.), Pascal. Thématique des Pensées, p. 50.

Méthodes chez Pascal, Actes du colloque tenu à Clermont-Ferrand, 10-13 juin 1976, Paris, Presses Universitaires de France, 1979.

MEURILLON Christian, “Luth pascalien et faiblesse humaine : des intrus dans la raison des effets ?”, Op. cit., n° 20, 1998, p. 47-54.

PAROLINI Rocco, La tattica persuasiva di Blaise Pascal : il « renversement » gradevole, Annali dell’Università di Ferrara, Nuova serie, sezione III, Filosofia, 80, Università degli Studi di Ferrara, 2006.

PAVLOVITS Tamás, Le rationalisme de Pascal, Paris, Publications de la Sorbonne, 2007, p. 228 sq.

SATO Masayuki, “Sur la “raison des effets” de Pascal”, Études de langue et littérature françaises, n° 16, 1970, p. 20-26.

SFEZ Gérald, Les doctrines de la raison d’État, Armand Colin, Paris, 2000.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 156 sq.

SOELBERG Nils, “La dialectique de Pascal. De la conférence de Port-Royal à la démarche apologétique”, Revue romane t. XIII, fasc. 2, 1978, p. 229-276.

 

Les titres Opinions du peuple saines et Raisons des effets

 

Les titres de liasses dont les papiers ont disparu et qui se trouvent dans les Copies, n’ont été mis dans les éditions qu’à partir de Lafuma. Aucun papillon (ou étiquette) n’a été retrouvé.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 201. Pascal avait d’abord choisi comme titre Opinions du peuple saines ; voir la table des matières des Copies. Mais ce titre Opinions du peuple saines est barré sur la table des matières. Dans les Copies, le copiste reproduit des textes barrés, mais seulement s’ils ont été barrés verticalement, et non horizontalement (sauf exception dans quelques cas de nécessité spécifique). Quand il y a hésitation sur quelques mots, les Copies ne reproduisent jamais les hésitations.

Mesnard Jean, “Aux origines de l’édition des Pensées : les deux Copies”, in Les Pensées de Pascal ont trois cents ans, Clermont-Ferrand, De Bussac, 1971, p. 26, envisage deux possibilités : ou bien Pascal a fondu deux liasses en une, ou bien il a hésité sur le titre à donner à une liasse.

Proust Gilles, “Les copies des Pensées”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 32, Clermont-Ferrand, 2010, p. 20 : « Si le titre Raisons des effets est un autre titre pour Opinions du peuple saines, ce n’est pas la meilleure façon de les présenter. L’écartement n’aurait pas dû être aussi important et surtout se confondre avec les autres. Deux interprétations sont possibles : soit cette présentation ne reflète plus de façon exacte l’hésitation provoquée par le choix du titre, soit elle correspond à deux étapes du classement, 1/ deux liasses indépendantes Opinions du peuple saines (2 papiers) et Raisons des effets (19 papiers), 2/ Une seule liasse de 21 papiers ».

Raison des effets ou Raisons des effets ?

Selon les Copies, Raisons est au pluriel dans le titre de la liasse : voir éd. Sellier, p. 29 ; Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 27. Cela pose un problème d’édition, mais aussi un problème d’interprétation, car le pluriel suppose qu’il y a plusieurs raisons aux effets.

Pascal a bien écrit Les raisons des effets marquent la grandeur de l’homme, d’avoir tiré de la concupiscence un si bel ordre sur le papier autographe RO 419-2 (Grandeur 2 - Laf. 106, Sel. 138) mais l’utilisation au pluriel semble rare :

L’expression raison des effets apparaît en général avec le mot raison au singulier, ce qui n’a rien de surprenant, dans la mesure où l’on parle souvent de rendre raison des effets. Voir par exemple le passage de L’impiété des déistes, II, ch. XX, p. 376, éd. Descotes, Paris, Champion, 2005, p. 629-630, où le P. Mersenne insiste sur le fait que la connaissance de la raison des effets dispense les savants du recours aux fausses explications des phénomènes physiques, comme les sympathies et les qualités occultes : « Vous voyez donc que cette âme prétendue ne nous donne pas plus de lumière, ni de facilité pour la Philosophie, que font nos formes particulières ; et par ainsi que nous ne saurions non plus donner raison des effets, que nous apercevons tous les jours, par cette âme universelle, que par les formes particulières ». L’expression est substantivée en la raison des effets, qui apparaît par exemple dans Mersenne Marin, Questions inouïes, Question XVIII. Peut-on savoir quelque chose de certain dans la physique, ou dans les mathématiques, éd. Pessel, Fayard, p. 53 : « Car puisque nous ne savons pas la vraie raison des effets que nous voyons très clairement, et que nous assujettissons à nos usages, comment pourrions-nous connaître la raison de ceux qui sont plus éloignés de nous ? » Voir aussi Mersenne Marin, Les Mécaniques de Galilée, éd. Rochot, P. U. F., 1966, p. 24, « Entendre la raison des effets des machines », par exemple du levier (p. 36) ; Mersenne Marin, Harmonie universelle, éd. C.N.R.S., t. 2, Des consonances, Livre I, Prop. VI, Expliquer la vraie raison et la cause du tremblement des cordes qui sont à l’unisson, p. 26, parle toujours de « vraie raison » au singulier.

De même, chez Hérigone, Cursus mathematicus, V, Optique, Prop. XXI, p. 52 sq., traduit l’expression ad hujus rei causa intelligenda par : pour entendre la raison de cet effet, p. 53. Le géomètre Girard Desargues emploie la même expression dans son Brouillon projet d’exemple d’une manière universelle du S. G. D. L. touchant la pratique du trait à preuve pour la coupe des pierres en l’architecture : et de l’éclaircissement d’une manière de réduire au petit pied en perspective comme en géométral et de tracer tous quadrans plats d’heures égales au soleil, août 1640, éd. Poudra, I, p. 314, pour souligner en quoi sa méthode de perspective, fondée sur une théorie géométrique abstraite et universelle, s’oppose aux pratiques purement empiriques et particulières qui embarrassent les ouvriers : « Cette manière de pratiquer la perspective […] donne encore connaissance de la raison des effets généralement de toutes les choses auxquelles tous les peintres, sculpteurs et semblables essaient de parvenir à force de pratique en tâtonnant ».

Pascal, dans L’équilibre des liqueurs, ch. II, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1047, emploie le mot raison au singulier lorsqu’il parle de « la raison de toutes les multiplications de forces qui se trouvent » dans les « instruments de mécanique » ; il emploie aussi le singulier à propos de « la raison pour laquelle les liqueurs pèsent suivant leur hauteur ». Dans La pesanteur de la masse de l’air, ch. II, § V, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1076, parle de « la raison pour laquelle le poids de l’eau produit cet effet » (sc. celui du mouvement des liqueurs dans les siphons). Dans ces expressions, la raison est toujours désignée comme la règle de l’équilibre des liqueurs, qui en effet est unique.

Raisons des effets apparaît avec le pluriel raisons dans quelques cas, particulièrement en physique, où la complexité des causes et des raisons s’impose visiblement. C’est le cas dans le titre du livre de Salomon de Caus, Les raisons des forces mouvantes avec diverses machines tant utiles que plaisantes, auxquelles sont adjoints plusieurs  desseins de grotes et fontaines. Augmentées de plusieurs figures avec le discours sur chacune par Salomon de Caus ingénieur et architecte du Roy, à Paris, chez Charles Sevestre, MDCXXIIII. Mais le texte est écrit dans une langue déjà ancienne.

On trouve aussi, dans la Proposition VI du Traité des Consonances de L’Harmonie universelle (1636), Expliquer la vraie raison et la cause du tremblement des chordes qui sont à l'unisson, le pluriel raisons : « Les hommes ont introduit la sympathie et l'antipathie, et les qualités occultes dans les arts et dans les sciences pour en couvrir les défauts, et pour excuser leur ignorance, ou plutôt pour confesser ingénument qu'ils ne savent rien […]. Il faut dire la même chose de la sympathie que l'on met entre l'aimant et le fer, la paille et l'ambre, le naphte et le feu, et l'or et le mercure; et de celles que l'on met entre plusieurs autres choses: car lorsque l'on connaît les raisons de ces effets la sympathie s'évanouit avec l'ignorance ». Mais cet emploi paraît plus rare.

Il est d’autant plus remarquable que, dans les Pensées, Pascal écrive raisons des effets, au pluriel.

Voir l’édition de Ph. Sellier, p. 70, n. 1. Tourneur donne raison mais suggère en note qu’on doit peut-être lire au pluriel (Pensées, édition paléographique, p. 190, n. 3). Mais il ne considère que les fragments, et non le titre de la liasse. Sellier met le singulier au titre de la liasse.

 

Place de la raison des effets dans le projet apologétique de Pascal

 

Le problème du double titre est directement lié à celui de la place de la liasse dans l’ensemble de l’itinéraire apologétique conçu par Pascal.

Les deux titres n’éclairent pas le même aspect de la liasse. Le titre Opinions du peuple saines indique une conséquence : c’est lorsque l’on a examiné l’ordre de la société que l’on conclut que les opinions sont saines. De ce fait, il correspond surtout à la relation de la liasse avec les précédentes : alors que Pascal a montré dans Vanité, Misère et Ennui à quel point le peuple est partout en proie à l’illusion, il vient à présent au moment où il faut établir que le peuple ne se trompe pas aussi lourdement qu’on l’a cru. En d’autres termes, ce premier titre insiste surtout sur l’aspect polémique de la liasse. Le titre Raisons des effets en revanche, indique un fondement : des effets, c’est-à-dire des constatations qui ont été faites dans les liasses Vanité, Misère et Ennui, on remonte à leur source et à leur raison. Par conséquent, ce titre marque une étape dans la gradation de la lumière : la liasse dessine le chemin qui conduit aux liasses suivantes.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., SEDES, 1993, p. 200-208. Le chapitre Raisons des effets confirme et contredit à la fois les conclusions des liasses précédentes : il laisse intactes les analyses de la vanité et de la misère de l’homme, mais il les fait apparaître comme des points de vue partiels sur la nature de l’homme. Au fondement de la misère de l’homme apparaissent un ordre et un fondement qui n’avaient pas été remarqués jusque-là. À partir de ce point, Pascal va pouvoir développer l’idée de la grandeur de l’homme.

Thirouin Laurent, “Raison des effets : un bilan sémantique”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 14-15.

Thirouin Laurent, “Raison des effets, essai d’explication d’un concept pascalien”, XVIIe siècle, n° 134, janv.-mars 1982, p. 31-50. Voir notamment les pages 464-467.

 

Structure de la liasse Raisons des effets

 

Ernst Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970, p. 118. Pol Ernst distingue deux ensembles dans la liasse :

1. l’un consacré au thème « les rapports mérite-force sont résolus par la force » (Fragments Laf. 80, Sel. 115 ; Laf. 82, Sel. 116 ; Laf. 83, Sel. 117 ; Laf. 89, Sel. 123 ; Laf. 90, Sel. 124 ; Laf. 91, Sel. 125 ; Laf. 92, Sel. 126 ; Laf. 93, Sel. 127 ; Laf. 94, Sel. 128 ; Laf. 95, Sel. 129 ; Laf. 101, Sel. 134 ; Laf. 104, Sel. 136) ;

2. le second « les rapports justice-force sont résolus par la force » (Fragments Laf. 81, Sel.116 ; Laf. 85, Sel.119 ; Laf. 86, Sel. 120 ; Laf. 87, Sel. 121 ; Laf. 88, Sel. 122 ; Laf. 96, Sel. 130 ; Laf. 97, Sel. 131 ; Laf. 98, Sel. 132 ; Laf. 99, Sel. 132 ; Laf. 100, Sel. 133 ; Laf. 103, Sel. 135).

Cette classification présente l’inconvénient de se tenir au seul thème de l’utilité sociale de la force, alors que la liasse prend les choses de beaucoup plus haut, envisageant non pas seulement la nature de l’ordre social, mais les différentes manières dont il est envisagé et compris par le peuple, les demi-habiles, les habiles, etc. La gradation des manières dont l’ordre social est pensé forme un fil conducteur plus essentiel que le thème de l’utilité de la force.

On peut effectuer des regroupements de fragments qui tiennent compte de ces deux faces de la liasse Raisons des effets.

Nous n’avons pas de justice dont nous puissions être assurés : Laf. 80, Sel. 115 ; Laf. 87, Sel. 121 ; Laf. 99, Sel. 132 ; Laf. 100, Sel. 133. (Raisons 1, 6, 17, 18)

Les règles sociales, vaines en apparence, ont en fait un fondement solide : Laf. 95, Sel. 129 ; Laf. 104, Sel. 136. (Raisons 14, 21)

La force s’impose visiblement et nécessairement, alors que la justice se laisse manier selon l’imagination : Laf. 89, Sel. 123 ; Laf. 97, Sel. 131. (Raisons 8, 16)

La force permet d’établir une justice sociale et un ordre politique acceptables : Laf. 81, Sel. 116 ; Laf. 85, Sel. 119 ; Laf. 86, Sel. 120 ; Laf. 88, Sel. 122 ; Laf. 103, Sel. 135. (Raisons 2, 4, 5, 7, 20)

Gradation et oppositions des opinions : Laf. 90, Sel. 124 ; Laf. 91, Sel. 125 ; Laf. 92, Sel. 126 ; Laf. 93, Sel. 127. (Raisons 9, 10, 11, 12)

Les opinions du peuple sont saines : Laf. 82, Sel. 116 ; Laf. 83, Sel. 117 ; Laf. 94, Sel. 128 ; Laf. 101, Sel. 134. (Raisons 2, 3, 13, 19)

Certains fragments, comme Laf. 96, Sel. 130 (Raisons 15), touchent des domaines dont la liaison avec les thèmes principaux est plus lâche.

Il faut mettre à part le fragment Laf. 84, Sel. 118 (verso de Raisons 3), qui n’entre pas dans l’économie d’ensemble de Raisons des effets et ne s’y trouve associé que par accident.

 

Le terme d’effet

 

L’expression raison des effets n’a posé des problèmes aux commentateurs et aux éditeurs que depuis une date relativement récente. Havet ne lui consacre aucun commentaire. Brunschvicg non plus, comme si l’expression se comprenait d’elle-même. Ce sont les traducteurs qui ont les premiers soulevé le problème : les premières discussions sur ce point ont eu lieu en 1976, pendant le colloque Méthodes chez Pascal, lorsque Yoichi Maeda, expliquant l’embarras des traducteurs japonais à l’égard de l’expression raison des effets, a récusé la traduction d’effets par résultats, et proposé le mot de phénomènes. Voir Méthodes chez Pascal, p. 493-496. Les recherches ont été poussées dans le cadre des travaux sur le droit et la politique de Pascal, notamment dans Ferreyrolles Gérard (dir.), Justice et force. Politiques au temps de Pascal, Actes du colloque de Clermont-Ferrand, 20-23 septembre 1990, Klincksieck, Paris, 1996 et dans les livres de G. Ferreyrolles et C. Lazzeri. Une journée de synthèse a été organisée par le C.I.B.P., dont les actes ont été publiés dans le Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998.

Le mot d’effet doit naturellement être mis en rapport avec l’idée de cause. C’est le cas dans le langage de la rhétorique : voir par exemple Ramus Pierre, Institutionum dialecticarum libri tres, 1550, p. 46. : « Effecta vocamus ea, quae de causis existunt. Cum enim propositae rerum causas omnes vidimus, tum postea quaerimus, quid ab ea efficiatur ». C’est aussi le cas dans le vocabulaire des savants, par exemple chez Roberval Gilles Personne de, Les principes du devoir et des connaissances humaines, éd. Gabbey, in Mariotte savant et philosophe († 1684), Paris, Vrin, 1986, p. 230 : « J’appelle effet tout changement qui arrive en une chose ou la production d’une nouvelle chose. J’appelle cause d’un effet ce qui produit cet effet, ou ce pourquoi il est produit et sans lequel il ne se ferait pas. Cause agissante ou efficiente est ce qui produit l’effet mais ce pourquoi il est produit est sa cause finale comme un architecte est la cause agissante d’une maison, mais la cause finale est pour y demeurer. Il y a encore quelques autres sortes de causes. » Voir le commentaire de Auger Léon, Gilles Personne de Roberval, p. 141.

Mais ce n’est pas toujours le cas : dans certaines définitions le mot effet est disjoint de la notion de cause. Voir par exemple Mariotte Edme, Essai de logique, I, éd. Picolet, p. 19 : « On appellera ici effet tout changement qui arrive en une chose, ou la production d’une nouvelle chose ».

D’autre part, le mot effet en langue classique marque toujours l’insistance sur l’idée de réalité, ou de réalisation (en rapport avec une cause qui le produit) : acte, réalisation, manifestation, exécution de quelque chose, en insistant sur le caractère de réalité, souvent concrète, sur l’aspect d’entier accomplissement. Voir Corneille, Polyeucte, IV, 6 : « L’effet est bien douteux de ces métamorphoses ». En effet signifie en fait, en réalité, réellement. On entend implicitement que l’effet est observable et vérifiable en vertu de son caractère concret.

Dugas René, La mécanique au XVIIe siècle, p. 124. Le mot effet a un sens spécifique dans la dynamique scolastique.

Chez Pascal, le mot effet a un sens technique original, qui lui est propre. Il est lié aux travaux de Pascal en physique mécanique. Dans la langue des physiciens, effet est à peu près l’équivalent de phénomène observable concret qui se produit dans une chose, et qui peut faire l’objet d’une expérience constatable effectivement par les sens. Dans sa Statique, Pratique de l’hydrostatique, in Œuvres mathématiques, trad. A. Girard, p. 498, Simon Stevin intitule une de ses propositions « déclarer en effet le contenu d’une proposition », c’est-à-dire proposer une expérience ou une construction réelle qui exprime le contenu d’une proposition abstraite.

Mais l’effet ne doit pas, dans cette perspective, être confondu avec un fait simple et élémentaire. Il s’agit toujours d’une réalité complexe. Voir les remarques de Thirouin Laurent, “Raison des effets : un bilan sémantique”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 8-15. Le concept d’effet contient deux sèmes constitutifs : celui d’élaboration et celui de contradiction. L’effet est construit : ce n’est pas le simple enregistrement d’une réalité, mais la mise en rapport de plusieurs phénomènes, que ce soit dans la science (physique) ou dans la morale. Il passe en général inaperçu des esprits ordinaires, qui ne le remarquent pas. Il faut pour les remarquer des esprits supérieurs, que ce soient des savants comme Archimède et Stevin, ou des philosophes tels saint Augustin ou Montaigne, capables d’être surpris par leur caractère extraordinaire, pour apercevoir les effet : p. 9. On peut donc définir l’effet comme un microsystème de constatations qui se trouvent dans un rapport de contradiction et d’incompatibilité : p. 10.

Voir aussi l’intervention de J. Mesnard sur le sens du mot effet dans Méthodes chez Pascal, P. U. F., Paris, 1979, p. 495 sq., consécutive à la conférence de Molino Jean, “La raison des effets”, Méthodes chez Pascal, p. 477-496. À la différence de J. Molino, qui voit dans les effets des phénomènes ordinaires, J. Mesnard pense qu’il s’agit de phénomènes analogues à ceux qu’étudient les physiciens, mais non de constatations brutes : ce sont des observations élaborées de fait significatifs parce qu’ils sont complexes et généralement paradoxaux. Voir dans le même sens Mesnard Jean, “Logique et sémiotique dans le modèle de la Raison des effets”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 17 : effet n’est pas synonyme de fait ; pour qu’il y ait effet, il faut que le réel ait été soumis à une élaboration préalable, qu’il surprenne et fasse problème.

 

Le terme s’enracine d’abord dans la physique, dans la mesure où cette science traite d’abord des phénomènes surprenants. On trouve des exemples de tels effets chez le P. Mersenne, par exemple dans Les mécaniques de Galilée, Chapitre X, De la vis d’Archimède pour élever les eaux, éd. B. Rochot, Paris, P. U. F., 1966, p. 62 sq. Le paradoxe de la vis d’Archimède consiste en ce que « son effet est d’autant plus admirable que la cause semble plus éloignée de la raison, car elle fait monter l’eau parce qu’elle la fait descendre ».

 

Dans l’œuvre de Pascal, on peut renvoyer à l’expérience de Torricelli, dans laquelle le mercure, au lieu de tomber complètement dans la cuve, ou au lieu de demeurer entièrement dans le tube, descend jusqu’à une certaine hauteur intermédiaire, sans que l’on puisse comprendre a priori pourquoi il s’arrête dans sa chute.

 

 

 

Peut aussi être considérée comme un effet la variation de la hauteur de la colonne de mercure selon l’altitude dans l’expérience du puy de Dôme. Voir le Récit de la grande expérience de l’équilibre des liqueurs, OC II, éd. J. Mesnard, p. 653 sq. Comme on ne peut pas imaginer que la nature « abhorre plus le vide sur les montagnes que dans les vallons » (OC II, p. 1101), on ne comprend pas pourquoi l’espace vide que laisse la colonne de mercure du tube barométrique peut varier à mesure que l’on s’élève sur le flanc de la montagne.

 

 

Une structure analogue apparaît dans la manière dont Pascal traite les effets dans les Pensées.

L’effet suscite d’abord un étonnement devant un manque d’étonnement. Pascal en donne un bon exemple dans le fragment Vanité 21 (Laf. 33, Sel. 67) : Ce qui m’étonne le plus est de voir que tout le monde n’est pas étonné de sa faiblesse. On agit sérieusement et chacun suit sa condition, non pas parce qu’il est bon en effet de la suivre, puisque la mode en est, mais comme si chacun savait certainement où est la raison et la justice. On se trouve déçu à toute heure et par une plaisante humilité on croit que c’est sa faute et non pas celle de l’art qu’on se vante toujours d’avoir.

De même, dans le respect que l’on porte ordinairement aux grands de naissance, il y a un effet, parce que ce respect est paradoxal : il témoigne d’inconscience ou d’une vanité qui ne va pas de soi. C’est dans ce sens que l’effet appelle une raison, c’est-à-dire l’explication d’une anomalie.

 

Cause d’un effet et raison des effets

 

Il ne faut pas confondre cause d’un effet et raison des effets. Descotes Dominique, “La raison des effets, concept polémique”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 39-46 : la cause désigne l’élément efficace qui provoque un phénomène, mais sans enfermer l’idée d’explication ; raison insiste sur le fait que l’on comprend pourquoi une certaine configuration d’éléments engendre un ensemble de phénomènes apparemment contraires ou incompatibles.

Roberval Gilles Personne de, Les principes du devoir et des connaissances humaines, éd. Gabbey, in Mariotte savant et philosophe († 1684), Paris, Vrin, 1986, p. 230. « J’appelle cause d’un effet ce qui produit cet effet, ou ce pourquoi il est produit et sans lequel il ne se ferait pas. » La cause d’un phénomène est concrète, visible et observable : c’est un autre phénomène, tout aussi concret qui, lorsqu’il est donné, entraîne un effet. Voir Mariotte, Essai de logique, I, XI, éd. Picolet, p. 19. « Si une chose étant posée, il s’ensuit un effet, et ne l’étant point, l’effet ne se fait point, toute autre chose étant posée ; ou si en l’ôtant, l’effet cesse ; et ôtant toute autre chose, l’effet ne cesse point : cette chose là est nécessaire à cet effet, et en est cause ».

L’expression raison des effets n’est pas une invention de Pascal : c’est une expression technique des physiciens du milieu mécaniste. Voir par exemple Mersenne Marin, Les Mécaniques de Galilée, éd. Rochot, P. U. F., 1966, p. 24, « Entendre la raison des effets des machines », par exemple la raison d’une machine comme le levier (p. 36). De même, chez Hérigone, Cursus mathematicus, V, Optique, Prop. XXI, p. 52 sq., traduit l’expression ad hujus rei causa intelligenda par : pour entendre la raison de cet effet, p. 53.

Le P. Mersenne insiste sur le fait que la connaissance de la raison des effets dispense les savants du recours aux fausses explications des phénomènes physiques, comme les sympathies et les qualités occultes : Mersenne Marin, Harmonie universelle, éd. C.N.R.S., t. 2, Des consonances, Livre I, Prop. VI, p. 26. Il insiste sur ce point dans L’impiété des déistes, II, ch. XX, p. 376, éd. Descotes, Paris, Champion, 2005, p. 629-630 :

« Vous voyez donc que cette âme prétendue ne nous donne pas plus de lumière, ni de facilité pour la Philosophie, que font nos formes particulières ; et par ainsi que nous ne saurions non plus donner raison des effets, que nous apercevons tous les jours, par cette âme universelle, que par les formes particulières ; car je vous prie quelle raison me rendra le Platonicien, ou le Pythagoricien, quand on l’interrogera pourquoi l’Aimant attire le fer, et se tourne vers le Pôle ? Dira-t-il pas que c’est l’âme universelle, qui regarde vers ce lieu, et qui y attire ses accidents, ou qui connaît, et aime l’étoile Polaire, et le fer, et laquelle désire retourner à sa source ? Nous voilà fort doctes par cette réponse ; n’attendez point de meilleures raisons de ces gens-là, car ils ne sauraient vous en donner. Ne vous semble-t-il pas être aussi satisfait, quand les Péripatéticiens vous répondent que cet effet vient de la forme particulière de l’Aimant, laquelle nous est inconnue, et qu’on appelle spécifique ? assurément vous ne recevrez non plus de satisfaction des uns que des autres, sur les effets, la cause desquels est cachée dans l’intérieur des individus ».

Mersenne Marin, Questions inouïes, Question XVIII. Peut-on savoir quelque chose de certain dans la physique, ou dans les mathématiques, p. 53. « Car puisque nous ne savons pas la vraie raison des effets que nous voyons très clairement, et que nous assujettissons à nos usages, comment pourrions-nous connaître la raison de ceux qui sont plus éloignés de nous ? »

L’expression appartient aussi au vocabulaire des géomètres. Girard Desargues l’emploie dans son Brouillon projet d’exemple d’une manière universelle du S. G. D. L. touchant la pratique du trait à preuve pour la coupe des pierres en l’architecture : et de l’éclaircissement d’une manière de réduire au petit pied en perspective comme en géométral et de tracer tous quadrans plats d’heures égales au soleil, août 1640, éd. Poudra, I, p. 314, pour souligner en quoi sa méthode de perspective, fondée sur une théorie géométrique abstraite et universelle, s’oppose aux pratiques purement empiriques et particulières qui embarrassent les ouvriers : « Cette manière de pratiquer la perspective […] donne encore connaissance de la raison des effets généralement de toutes les choses auxquelles tous les peintres, sculpteurs et semblables essaient de parvenir à force de pratique en tâtonnant ».

La raison rend compte des effets d’une part en ce qu’elle résout les anomalies qui étonnent les savants, mais aussi en ce qu’elle explique des phénomènes qui paraissent contradictoires et inconciliables à première vue. La devise qui figure en tête des Œuvres mathématiques de Stevin traduites par Girard répond directement à cette exigence : Wonder en is gheen wonder, la merveille n’est pas merveille, ce qui dans la nature paraît extraordinaire est en fait explicable par les principes de la mécanique et les figures de la géométrie.

 

 

Comme le mot effet, raison a dans l’expression raison des effets un sens technique.

Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, Paris, P. U. F., 1993, p. 299 sq. La raison n’est pas de même ordre que les effets ; elle n’est pas visible, mais rationnelle : c’est une raison au sens mathématique de ratio, au sens de rapport. Ce rapport n’est vu que de l’esprit, alors que la perception de l’effet engage les sens. Dans L’équilibre des liqueurs, le paradoxe hydrostatique, qu’un « petit filet d’eau tient un grand poids en équilibre » se constate expérimentalement lorsqu’on observe des vases communicants.

 

 Vases communicants (Traité de l’équilibre des liqueurs)

 

Cet équilibre paradoxal a pour raison le principe de mécanique que Pascal formule après Descartes : une livre a « autant de force pour faire faire un pouce de chemin à cent livres, que cent livres pour faire faire cent pouces de chemin à une livre » ; donc lorsqu’un poids d’une livre d’eau est ajusté à un poids de cent livres sur un vaisseau de sorte que « les cent livres ne puissent se remuer un pouce qu’elles ne fassent remuer la livre de cent pouces », l’ensemble est en équilibre (L’équilibre des liqueurs, ch. II, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1045).

Un autre exemple permet de mieux comprendre comment une même raison permet de relier entre eux des phénomènes apparemment incompatibles : dans L’équilibre des liqueurs, ch. V, OC II, éd. J. Mesnard, p. 1053, Pascal prouve d’abord que, conformément au principe d’Archimède, un « corps dans l’eau est contrepesé par un volume d’eau pareil ». Suit la démonstration qui montre que, par une seule loi, selon le rapport de poids qui existe entre un corps solide et un volume d’eau égal, on observe que ce solide demeure immobile dans l’eau, ou au contraire y monte ou y descend.

 

 

La raison de l’effet est une loi abstraite qui énonce une proportion entre les différents éléments qui composent l’effet.

En rétablissant une proportion entre les phénomènes apparemment contraires, la raison rend possible les rapports de causalité, ce qui lui donne une valeur explicative. Il ne peut y avoir de relation de causalité entre choses qui n’ont pas de proportion, autrement dit entre hétérogènes : comme l’écrit Viète, Isagoge, Chapitre III, De lege homogeneorum et gradibus ac generibus magnitudinum comparatarum, p. 2. « quae sunt heterogenea quomodo inter se adfecta sint, cognoci non potest, ut dicebat Adrastus ». La commune mesure est condition sine qua non d’un rapport de causalité entre deux choses (Gueroult Martial, Malebranche, I, p. 30).

Il en résulte que, dans l’ordre moral, Laurent Thirouin oppose raison des effets et vanité ; voir Thirouin Laurent, “Raison des effets : un bilan sémantique”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 8-15. « Est vain un comportement inconsistant, qui ne repose sur aucune nécessité ni sur aucun dessein », c’est-à-dire qui n’a aucun fondement. La raison des effets est ce qui rend raison de l’incohérence apparente des effets, et leur apporte une explication, sous la forme d’une loi ou d’une règle. La liasse Raison des effets est donc directement liée à Vanité et à Misère : les conduites humaines et les faits sociaux qui ont été présentés dans ces liasses comme vains, ridicules, sans véritable raison d’être vont être ici expliqués, en montrant qu’ils ont en réalité un fondement très solide qui non seulement les justifie, mais qui rend compte aussi de leur apparente diversité.

 

Nature polémique de la raison des effets

 

La raison des effets est une notion d’ordre polémique dans la mesure où elle se dit contre certains adversaires. Voir Thirouin Laurent, Op. cit., p. 13 sq. Pascal use du modèle de la raison des effets contre les personnes qui dénoncent la vanité et l’inconsistance des conduites des hommes dans la société. La vanité est ce qui est dépourvu de fondement ; la raison des effets dévoile le fondement des effets dont on a pu croire qu’ils en étaient dépourvus.

Descotes Dominique, “La raison des effets, concept polémique”, Courrier du Centre International Blaise Pascal, n° 20, 1998, p. 39-46.

 

Raison des effets et interprétation

 

Force Pierre, Le problème herméneutique chez Pascal, Paris, Vrin, 1989, p. 223 sq.

Un effet peut être pris comme le signe de sa cause. Le peuple, le demi-habile, l’habile se déterminent par rapport à des signes (la haute naissance, le luxe du vêtement, l’accompagnement de laquais). Chacun d’entre eux adopte une conduite différente à l’égard de ces signes : le peuple les reçoit sans réfléchir ; le demi-habile dénonce leur vanité et les récuse ; l’habile les interprète non comme des signes d’une grandeur naturelle, mais d’une puissance effective reposant sur la force.

 

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