Fragment Contrariétés n° 4 / 14 – le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Contrariétés n° 165 p. 45 v° / C2 : p. 66

Éditions savantes : Faugère II, 85, XV / Havet I.7 bis / Michaut 507 / Brunschvicg 418 / Le Guern 112 / Lafuma 121 / Sellier 154

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Bibliographie

 

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, t. 1, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 288 sq.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, p. 139.

FRIES H. (dir.), Encyclopédie de la foi, article Ange, t. 1, Paris, Cerf, 1967, p. 83 sq.

RODIS-LEWIS Geneviève, L’anthropologie cartésienne, Paris, P. U. F., 1990, p. 40 sq.

Saint AUGUSTIN, La cité de Dieu, livres XI et XII. Voir notamment Cité de Dieu, IX, 13, Bibliothèque augustinienne, t. 34, p. 384.

 

 

Éclaircissements

 

 

Il ne faut pas que l’homme croie qu’il est égal aux bêtes ni aux anges, ni qu’il ignore l’un et l’autre, mais qu’il sache l’un et l’autre.

 

La nature spirituelle des anges, intermédiaires entre l’homme et Dieu, semble dessiner une hiérarchie, au bas de laquelle se trouve la bête, que surpassent l’homme, et plus encore l’ange, et au sommet de laquelle se trouve Dieu. Saint Augustin traite longuement des anges et de leur création dans La cité de Dieu, livres XI et XII. Voir notamment Cité de Dieu, IX, 13, Bibliothèque augustinienne, t. 34, p. 384. Medius homo est inferior angelis, superior pecoribus : L’homme tient le milieu entre la bête et l’ange. La bête est un animal sans raison et mortel. L’ange est animé, doué de raison et immortel. L’homme est animé, doué de raison et mortel.

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 13 : « Quelques philosophes païens ont dit que l’âme est une substance qui tient le milieu entre les anges et les bêtes, et que les hommes ont rapport par leur partie supérieure à quelqu’un des anges ». Mais appuyé sur la révélation, Saint-Cyran bouleverse la hiérarchie : « au-dessus de nous il n’y a rien de plus grand que Dieu » ; « et même pas les anges », si nous sommes « vrais chrétiens ».

Voir dans Havet Ernest, Pensées, I, p. 100. Montaigne, Essais, III, 13 : « ils veulent se mettre hors d’eux et échapper à l’homme ; c’est folie : au lieu de se transformer en anges, ils se transforment en bêtes ; au lieu de se hausser, ils s’abattent ».

Rodis-Lewis Geneviève, L’anthropologie cartésienne, Paris, P. U. F., 1990, p. 40 sq., fournit quelques références sur la comparaison de l’homme avec l’ange et la bête.

Voir Bérulle, Œuvres complètes, éd. Migne, 1856, CXV, col. 1137 ; Œuvres de piété, 1644, p. 969 : « c’est un ange, c’est un animal ». René Du Pont, La philosophie des esprits, Rouen, 1628 (3e éd.), f. 223, emploie l’expression animal-ange.

Voir Senault, De l’usage des passions, Second Traité, Premier discours, 1658, p. 58 : « plus monstrueux que les centaures de la fable », l’homme est « ange et bête tout ensemble ». Dans L’homme criminel, du même auteur, 1656, p. 5, on lit aussi que la Providence a formé l’homme en unissant l’ange et la bête. « Tous les philosophes confessent que l’homme est composé de corps et d’esprit, et que, quand la providence divine le forma, elle unit la bête avec l’ange, et qu’elle assembla le ciel avec la terre pour achever le plus noble ouvrage de ses mains ». Mais on lit aussi, dans De l’usage des passions, p. 75 : « l’humilité chrétienne est ennemie de la vanité des stoïques, et sachant bien que nous ne sommes pas des anges, mais des hommes, elle ne fait pas de vains efforts pour détruire une partie de nous-mêmes ».

En tout état de cause, Pascal ne dit nulle part que l’homme est ange et bête à la fois, il dit qu’il n’est ni l’un ni l’autre, mais qu’il peut être ou se rendre égal à l’un ou à l’autre. Se rendre égal à l’ange, c’est dans son esprit se rendre coupable du même orgueil démesuré que les stoïciens. En revanche, se rendre égal à la bête, c’est le but des épicuriens ; mais c’est surtout le fait des libertins, comme en témoigne le fragment Dossier de travail (Laf. 410, Sel. 29) : Cette guerre intérieure de la raison contre les passions a fait que ceux qui ont voulu avoir la paix se sont partagés en deux sectes. Les uns ont voulu renoncer aux passions et devenir dieux, les autres ont voulu renoncer à la raison et devenir bête brute. Des Barreaux. Mais ils ne l’ont pu ni les uns ni les autres... Mais ces deux options tournent également à la confusion de l’homme, parce qu’elles renvoient l’une à l’autre dans une sorte de renversement du pour au contre : comme l’écrit Pascal dans le fragment Laf. 678, Sel. 557, L’homme n’est ni ange ni bête, et le malheur veut que qui veut faire l’ange fait la bête. Mais dans un sens, Pascal rejoint ici un thème que l’on trouve chez certains contemporains : la condamnation de l’orgueil stoïcien donne en effet lieu à des variations sur ce motif : voir Julien-Eymard d’Angers, Pascal et ses précurseurs, Paris, Nouvelles éditions latines, 1954, p. 153. Selon Zacharie de Lisieux, « pour empêcher que l’homme devienne une bête, ils en font un démon » ; pour élever l’homme, ils ont essayé d’abaisser Dieu.

 

Pour approfondir…

 

Anges

 

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, article Anges, p. 54-61. Le mot ange vient du grec angelos, messager, qui traduit l’hébreu mal’ak (ou Malakh), qui signifie messager. La Bible ne parle des anges que dans la mesure où ils interviennent pour le salut des hommes comme transmetteurs de la parole divine et se faire les agents de Dieu auprès des hommes.

Sur la conception des anges dans la religion juive, voir Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, article Ange, Paris, Cerf, 1993, p. 70-74. Le terme Malakh a fini par désigner des créatures surnaturelles au service de Dieu. L’étude des anges n’a pas occupé une place importante dans la réflexion juive. On en admet l’existence en raison de la transcendance divine, qui exige des intermédiaires entre le créateur et le monde créé. Mais la Bible ne distingue pas toujours clairement entre l’ange et Dieu : dans Exode, II, c’est l’ange de Dieu qui interpelle Moïse dans le buisson ardent. La conception des anges évolue selon les temps, principalement selon que l’action de Dieu dans le monde humain est conçue comme plus ou moins évidente et éloignée. Les anges ont reçu une attention considérable à l’époque du Talmud et dans la mystique juive, où ils se trouvent hiérarchisés et dotés de fonctions spécifiques.

Sur la doctrine chrétienne des anges, voir l’exposé très clair de Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, t. 1, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 288 sq. Par sa nature, l’ange est esprit. Voir Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, article Ange, t. 1, Paris, Cerf, 1967, p. 83 sq., et notamment p. 88-89. Créés par Dieu avant les autres créatures, les anges sont doués de raison, libres de prendre des décisions personnelles et morales. Les anges servent Dieu, et Dieu agit par leur intermédiaire. Les idées sur la nature de leur office ont évidemment évolué : sur les différentes tâches que, selon les époques, on leur a attribuées dans la création, voir p. 91-92.

On trouve un résumé de la pensée de saint Augustin sur les anges, avec les références nécessaires dans son œuvre dans Encyclopédie saint Augustin, article Anges, Paris, Cerf, 2005, p. 40 sq. Saint Augustin traite longuement des anges et de leur création dans La cité de Dieu, livres XI et XII. Voir notamment IX, 13, Bibliothèque augustinienne, t. 34, p. 384. Selon saint Augustin, In Psalmum 103 Enarratio, 15, l’existence des anges est connue par la foi : « Qui facit angelos suos spiritus, et ministros suos ignem flagrantem. Et hoc, quamvis non videamus apparitionem Angelorum ; abscondita est enim ab oculis nostris, et est in quadam republica magna imperatoris Dei, tamen esse Angelos novimus ex fide, et multis apparuisse scriptum legimus, et tenemus, nec inde dubitare fas nobis est. » Saint Augustin précise que par nature, ce sont des esprits, et que le nom d’ange désigne précisément une fonction : « Spiritus autem Angeli sunt ; et cum spiritus sunt, non sunt angeli ; cum mittuntur, fiunt angeli. Angelus enim officii nomen est, non naturae. Quaeris nomen huius naturae, spiritus est ; quaeris officium, angelus est : ex eo quod est, spiritus est ; ex eo quod agit, angelus est. Vide illud in homine. Nomen naturae homo, officii miles : nomen naturae vir, officii praeco ; homo enim fit praeco, id est, qui homo erat fit praeco ; non qui erat praeco fit homo. Sic ergo qui erant iam spiritus conditi a creatore Deo, facit eos angelos, mittendo eos nuntiare quod iusserit ; et ignem flagrantem facit ministros suos. Legimus apparuisse ignem in rubo, legimus etiam missum ignem desuper, et implesse quod praeceptum est. Ministravit ergo, cum impleret : cum esset, in natura sua erat ; cum egit quod iussum est, ministerium implevit. Sic secundum litteram in creatura. »