Dossier thématique : Le milieu

 

La notion de milieu est l’une des plus riches dans l’œuvre de Pascal.

À l’origine, le terme milieu a un sens mathématique et logique.

En géométrie et en arithmétique, dans une proportion, c’est le moyen terme qui se trouve dans chacun des rapports, dans l’un comme conséquent, dans l’autre comme antécédent : dans la proportion a : b = b : c, b est le moyen terme, qui a pour intérêt que si l’on connaît a et le moyen b, on peut parvenir à la connaissance du terme inconnu c.

En logique, le moyen terme est celui qui lie la majeure et la mineure ; voir Arnauld Antoine et Nicole Pierre, Logique, III, ch. I, éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2011, p. 344 (à vérifier). « La nécessité du raisonnement n’est fondée que sur les bornes étroites de l’esprit humain, qui ayant à juger de la vérité ou de la fausseté d’une proposition, qu’alors on appelle question, ne le peut pas toujours faire par la considération des deux idées qui la composent, dont celle qui en est le sujet est aussi appelée le petit terme, parce que le sujet est d’ordinaire moins étendu que l’attribut, et celle qui en est l’attribut est aussi appelée le grand terme par une raison contraire. Lors donc que la seule considération de ces deux idées ne suffit pas pour faire juger si l’on doit affirmer ou nier l’une de l’autre, il a besoin de recourir à une troisième idée ou incomplexe ou complexe [...], et cette troisième idée s’appelle moyen. » Voir Pierre d’Espagne, Summulae, Tr. V, Quid argumentum, conclusio, quaestio, ac medium sit, p. 139 v sq.

 

Le milieu peut être considéré comme un composé en équilibre entre des extrêmes, qui combine des caractères de chacun d’entre eux

 

Le milieu tient donc des caractères qui appartiennent à chacun des extrêmes, et permet ainsi d’établir des rapports qui ne seraient pas connus sans lui.

Voir par exemple saint Augustin, Cité de Dieu, IX, Bibliothèque Augustinienne, p. 381. Les démons font médiation entre dieux et hommes, car ils ont un caractère de chacun.

Dans la Generatio conisectionum, Pascal écrit que « la parabole tient le milieu entre l’antobole et l’hyperbole » ; voir plus bas.      

Bkouche Rudolf, "Naissance du projectif : de la perspective à la géométrie projective", in Rashed Roshdi, Mathématiques et philosophie de l’Antiquité à l’âge classique, p. 241. Kepler, Paralipomènes..., indique que la parabole est une position intermédiaire entre l’hyperbole et l’ellipse, la droite et le cercle étant les courbes extrêmes. « Entre ces lignes, ... il y a un ordre, dépendant de leurs propriétés, qui est le passage de la ligne droite à la parabole par l’intermédiaire d’une infinité d’hyperboles, puis de là au cercle par l’intermédiaire d’une infinité d’ellipses ».

Kepler, Paralipomena in Vitellionem, ch. IV, De coni sectionibus, Opera, II, éd. Frisch, p. 185-188, l’avait déjà dit : « Inter has lineas hic est ordo causa proprietatis suae, et analogice magis quam geometrice loquendo: quod a linea recta per hyperbolas infinitas in parabolen, inde per ellipses infinitas in circulum est transitus. Etenim omnium hyperbolarum obtusissima est linea recta, acutissima parabole: sic omnium ellipsium acutissima est parabole, obtusissima circulus. Parabole igitur habet ex altera parte duas natura infinitas, hyperbolen et rectam, ex altera duas finitas et in se redeuntes, ellipsin et circulum. Ipsa loco medio media natura se habet. Infinita enim et ipsa est, sed finitionem ex altera parte affectat, quo magis enim producitur, hoc magis fit sibi ipsi parallelos, et brachia, ut ita dicam, non ut hyperbole expandit, sed contrahit ab infiniti complexu semper plus quidem complectens, at semper minus appetens; cum hyperbole, qui plus actu inter brachia complectitur, hoc plus etiam appetat. Sunt igitur oppositi termini, circulus et recta, illic pura est curvitas, hic pura rectitudo. Hyperbole, parabole, ellipsis interjectae et recto et curvo participant; parabole ex æquo, hyperbole plus de rectitudine, ellipsis plus de curvitate. Propterea hyperbole qui longius producitur, hoc magis rectae seu asymptoto suae fit similis. Ellipsis quo longius ultra medium continuatur, hoc magis circulitatem affectat tandemque coit iterum secum ipsa: parabole loco medio, semper curvior est hyperbola, si aequalibus interstitiis producantur, semperque rectior ellipsi Cumque, ut circulus et recta extrema claudunt, sic parabole teneat medium: ita etiam ut rectae omnes similes, itemque et circuli omnes, sic sunt et parabolae omnes similes solaque quantitate differunt. »

Pascal use du même concept pour ordonner les différentes doctrines théologiques qui s’opposent sur le problème de la grâce.

D’après le Traité de la prédestination, III, OC III, p. 570 sq., la doctrine de saint Augustin, identifiée à celle de l’Église, tient le milieu entre les erreurs contraires des molinistes et des calvinistes. « Voilà les trois opinions qui sont aujourd’hui en vigueur. Celle des Calvinistes est si horrible, et frappe d’abord l’esprit avec tant de force par la vue de la cruauté de Dieu envers ses créatures, qu’elle est insupportable. Celle des Molinistes, au contraire, est si douce, si conforme au sens commun, qu’elle est très agréable et très charmante. Celle de l’Église tient le milieu, et elle n’est ni si cruelle que celle de Calvin ni si douce que celle de Molina. »

Voir sur ce sujet Wanegffelen Thierry, “Pascal, la frontière et le milieu : à propos du catholicisme moderne. Les Écrits sur la grâce et le concile de Trente”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 13-30.

Par nature, le milieu tient donc une place centrale. Voir sur ce point Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 57 sq., sur le milieu et le centre chez Pascal. Sur le milieu, voir p. 248 sq.

 

Pascal présente souvent la situation d’un milieu entre des extrêmes sous la forme d’un système combinatoire

 

La méthode des combinaisons permet de construire des milieux. Voir Commencement 10 (Laf. 160, Sel. 192). Il n’y a que trois sortes de personnes, les uns qui servent Dieu l’ayant trouvé, les autres qui s’emploient à le chercher ne l’ayant pas trouvé, les autres qui vivent sans le chercher ni l’avoir trouvé. Les premiers sont raisonnables et heureux, les derniers sont fous et malheureux, ceux du milieu sont malheureux et raisonnables.

Perpétuité 11 (Laf. 289, Sel. 321). Les Juifs charnels tiennent le milieu entre les chrétiens et les païens. Les païens ne connaissent point Dieu et n’aiment que la terre, les juifs connaissent le vrai Dieu et n’aiment que la terre, les chrétiens connaissent le vrai Dieu et n’aiment point la terre. Les juifs et les païens aiment les mêmes biens. Les juifs et les chrétiens connaissent le même Dieu.

Les juifs étaient de deux sortes. Les uns n’avaient que les affections païennes, les autres avaient les affections chrétiennes.

Provinciale XVI, § 14, sur l’eucharistie sa convenance à l’état des chrétiens, intermédiaire entre celui des bienheureux et celui des Juifs : « Et si vous ignorez la raison de cette diversité, je vous dirai, mes Pères, que la cause pour laquelle Dieu a établi ces différentes manières de recevoir une même viande, est la différence qui se trouve entre l’état des Chrétiens en cette vie et celui des bienheureux dans le Ciel. L’état des Chrétiens, comme dit le cardinal Du Perron après les Pères, tient le milieu entre l’état des bienheureux et l’état des Juifs. Les bienheureux possèdent Jésus-Christ réellement sans figure et sans voile. Les Juifs n’ont possédé de Jésus-Christ que les figures et les voiles, comme était la manne et l’agneau pascal. Et les Chrétiens possèdent Jésus-Christ dans l’Eucharistie véritablement et réellement, mais encore couvert de voiles. Dieu, dit saint Eucher, s’est fait trois tabernacles : la synagogue, qui n’a eu que les ombres sans vérité ; l’Église, qui a la vérité et les ombres ; et le Ciel où il n’y a point d’ombres, mais la seule vérité. Nous sortirions de l’état où nous sommes, qui est l’état de foi, que saint Paul oppose tant à la loi qu’à la claire vision, si nous ne possédions que les figures sans Jésus-Christ, parce que c’est le propre de la loi de n’avoir que l’ombre, et non la substance des choses. Et nous en sortirions encore, si nous le possédions visiblement; parce que la foi, comme dit le même Apôtre, n’est point des choses qui se voient. Et ainsi l’Eucharistie est parfaitement proportionnée à notre état de foi, parce qu’elle enferme véritablement Jésus-Christ, mais voilé. De sorte que cet état serait détruit, si Jésus-Christ n’était pas réellement sous les espèces du pain et du vin, comme le prétendent les hérétiques : et il serait détruit encore, si nous le recevions à découvert comme dans le Ciel ; puisque ce serait confondre notre état, ou avec l’état du Judaïsme, ou avec celui de la gloire. »

 

Le milieu ne se présente jamais comme un compromis facile entre des voies plus radicales, mais au contraire comme une position qui concilie des éléments contraires en apparence, que les extrêmes, plus simplistes, sont incapables de prendre en compte

 

Le milieu désigne souvent un objet nécessairement complexe, puisqu’il combine des éléments tirés des extrêmes opposés ; il est donc plus difficile à maintenir, mais c’est lui qui, en général, permet de tenir compte des exigences les plus différentes de la vérité.

Voir L’esprit géométrique, 10, qui définit l’ordre géométrique comme un milieu : « Cet ordre, le plus parfait entre les hommes, consiste, non pas à tout définir ou à tout démontrer, ni aussi à ne rien définir ou à ne rien démontrer, mais à se tenir dans ce milieu de ne point définir les choses claires et entendues de tous les hommes, et de définir toutes les autres ; et de ne point prouver toutes les choses connues des hommes, et de prouver toutes les autres. Contre cet ordre pèchent également ceux qui entreprennent de tout définir et de tout prouver, et ceux qui négligent de le faire dans les choses qui ne sont pas évidentes d’elles mêmes. »

Dans la Lettre à Melle de Roannez du 29 octobre 1656, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 1035 sq., Pascal présente comme un milieu l’étrange secret dans lequel se tient le Dieu qui se cache : « il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d’autant plus d’ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude. Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché sous le voile de la nature qui nous le couvre jusques à l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il s’est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s’est rendu visible. Et enfin quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses Apôtres de demeurer avec les hommes jusques à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lorsqu’il dit en esprit de prophétie : Véritablement tu es un Dieu caché. C’est là le dernier secret où il peut être. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques ; il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque là... »

C’est pourquoi, Pascal, ne présente pas la médiocrité comme un état méprisable, mais au contraire l’état le plus difficile à conserver, et le plus naturel à l’homme. Voir Laf. 518, Sel. 452. C’est sortir de l’humanité que de sortir du milieu. La grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir tant s’en faut que la grandeur soit à en sortir qu’elle est à n’en point sortir.

 

Le milieu peut être un moyen d’unification

 

Exemple d’unification : dans la Generatio conisectionum, la parabole tient le milieu entre antobole (ellipse) et hyperbole, ce qui permet à Pascal de constituer une théorie générale unifiée des sections coniques, suivant en cela l’exemple de Girard Desargues.

 

Le milieu est apte à effectuer une transition dynamique entre les extrêmes

 

Le milieu peut être pris comme mi-lieu, un lieu entre deux. Ce qui est entre deux extrémités au sens topologique, de sorte qu’il constitue un centre. Au sens plus précis, on entend ce qui est à égale distance des extrémités : voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 1177 et 1191. À partir de là, on peut prendre le milieu comme point de transition qui permet de passer d’un extrême à l’autre ; le milieu sert parfois à faire passer d’un terme à un autre qui semble incompatible : il devient facteur d’homogénéité là où il pourrait y avoir disproportion. Par suite, le milieu peut se présenter comme ce par quoi le système tient, dans la mesure où il supprime les ruptures. Il arrive que Pascal, pour renforcer une opposition, supprime le milieu : voir Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141), et Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164), où il supprime les Académiciens, qui font le moyen terme entre pyrrhoniens et dogmatistes.

Le milieu comme transition et achèvement : voir Commencement 10 (Laf. 160, Sel. 192). Voir saint Augustin, Cité de Dieu, IX, p. 387. Le Christ achemine les hommes de leur mortalité misérable à l’immortalité bienheureuse. Fonction de médiation : p. 381. Pour faire médiation, il faut que les démons aient un caractère de chaque extrême. Concept de participation : p. 391.

Mersenne Marin, L’impiété des déistes, II, ch. V, p. 164 sq., éd. D. Descotes, Paris, Champion, 2005, p. 542 sq. « Je pense que cela suffit pour vous contenter ; néanmoins j’ajouterai une des spéculations de Kepler sur les lignes desquelles j’ai parlé ci-devant, afin que votre contentement en soit plus grand, laquelle lui fait dire que nous passons de la ligne droite par une infinité d’hyperboles à la parabole, et de la parabole au cercle par une infinité d’ovales, parce que la ligne droite est la plus obtuse de toutes les hyperboles, et la parabole est la plus aiguë de toutes les mêmes hyperboles, aussi bien que de toutes les ellipses, desquelles le cercle est la plus obtuse ; de sorte que la parabole a d’un côté deux lignes qui sont infinies de leur nature, savoir est l’hyperbolique, et la droite, et deux finies de l’autre côté, savoir est l’ellipse, et le cercle, mais elle se tient au milieu, car elle participe autant de la ligne droite que de la circulaire, l’hyperbole tient davantage de la ligne droite, et l’ellipse de la circulaire, c’est pourquoi tant plus vous allongez l’hyperbole, et plus devient-elle semblable à la ligne droite, et tant plus vous approchez de la fin de l’ellipse, plus est-elle semblable au cercle ; mais la parabole est toujours plus courbée que l’hyperbole, et plus droite que l’ellipse, et en plus ne moins que tout cercle, et toute ligne droite est semblable à chaque cercle, et à chaque ligne droite, de même chaque parabole est semblable à quelque parabole que ce soit. Enfin les côtés, ou les bras de la parabole semblent vouloir se rendre parallèles à l’axe de ladite parabole, comme s’ils voulaient fuir l’infini, et qu’ils désirassent d’embrasser moins qu’ils ne font, à mesure qu’ils embrassent davantage. »

 

           

De l’ellipse à la parabole. Soient les foyers F et F’ d’une ellipse et A le sommet de l’axe focal le plus rapproché de ce foyer F. Cette ellipse est le lieu des points équidistants du foyer F et du cercle directeur de centre F’ ; en particulier, le sommet A de l’ellipse est équidistant du point F et du point D où le cercle directeur de centre F’ rencontre le prolongement dans le sens F’a de la droite F’A. On prend sur le prolongement de FA la longueur AD égale à AF. On laisse fixes A et D, et on éloigne F’ du foyer F sur AA’, dans le sens de AF. L’ellipse se déforme. Le cercle directeur de centre F’ passe toujours par D, tangent à DL ; quand F’ passe à l’infini, il se confond avec la droite DL. L’ellipse, qui est le lieu des points équidistants du point F et du cercle de centre F’, se confond alors avec le lieu des points équidistants du point F et de la droite DL autrement dit avec la parabole qui a F pour foyer et DL pour directrice.

 

 

 

De l’hyperbole à la parabole. On prend F et F’ pour foyers d’une hyperbole et A pour sommet de l’axe focal le plus voisin du foyer F. La branche de cette hyperbole qui enveloppe F est le lieu des points équidistants de F et du cercle directeur de centre F’. En particulier, le sommet A de l’hyperbole est équidistant du point F et du point D où le cercle directeur de centre F’ rencontre la droite FF’ entre F et F’. Si on laisse fixes A et F, et si on éloigne indéfiniment F’ de F sur FA dans le sens FA, l’hyperbole se déforme : celle de ses branches qui enveloppe le foyer fixe F passe toujours par le point A, l’autre disparaît à l’infini. Le cercle passe toujours par D, tangeant à DL. Quand F’ passe à l’infini, le cercle se confond avec la droite DL. La branche d’hyperbole qui enveloppe le foyer F est le lieu des points équidistants de F et du cercle directeur de centre F’, ici de la droite DL : c’est donc la parabole qui a pour foyer F et pour directrice DL.

 

 

 

Milieu et moyen d’accès

 

On peut prendre le milieu comme point de transition qui permet d’accéder à un degré auquel on n’aurait normalement pas accès. Ainsi le Christ est médiateur parce qu’il tient le milieu entre Dieu et l’homme, étant l’un et l’autre tout ensemble. C’est pourquoi il faut avoir recours à lui pour avoir accès à Dieu (c’est le thème de la liasse Excellence de cette manière de prouver Dieu). Le milieu comme transition et achèvement : voir Commencement 10 (Laf. 160, Sel. 192). Voir saint Augustin, Cité de Dieu, IX, Bibliothèque augustinienne, p. 387. Le concept de milieu conduit à terme à celui de participation.

 

Le milieu peut être considéré comme un composé en équilibre fragile entre des extrêmes

 

Pascal marque souvent que si l’on enlève un des éléments composants, on détruit l’équilibre qui constitue le milieu.

Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225). La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil.

La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir.

La connaissance de J.-C. fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu et notre misère.

Laf. 518, Sel. 452. Pyrrh[onisme].

L’extrême esprit est accusé de folie comme l’extrême défaut ; rien que la médiocrité n’est bon : c’est la pluralité qui a établi cela et qui mord quiconque s’en échappe par quelque bout que ce soit. Je ne m’y obstinerai pas, je consens bien qu’on m’y mette et me refuse d’être au bas bout, non pas parce qu’il est bas, mais parce qu’il est bout, car je refuserais de même qu’on me mît au haut. C’est sortir de l’humanité que de sortir du milieu.

La grandeur de l’âme humaine consiste à savoir s’y tenir tant s’en faut que la grandeur soit à en sortir qu’elle est à n’en point sortir.

La suppression d’un extrême, retirant au milieu sa place centrale, peut déséquilibrer tout un système.

Laf. 519, Sel. 453. Nature ne p...

La nature nous a si bien mis au milieu que si nous changeons un côté de la balance nous changeons aussi l’autre. Je faisons, zoa trekei.

Cela me fait croire qu’il a des ressorts dans notre tête qui sont tellement disposés que qui touche l’un touche aussi le contraire. (texte barré)

 

Suppression d’un milieu

 

Il arrive que, pour renforcer une opposition, Pascal supprime le milieu : voir Grandeur 5 (Laf. 109, Sel. 141), et Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164), où il supprime les Académiciens, qui font le moyen terme entre pyrrhoniens et dogmatistes.

 

Il existe des situations dans lesquelles il n’y a pas de milieu ; à partir du moment où l’on considère la situation dans l’infinité, le milieu devient un lieu indécis et indéfinissable

 

C’est particulièrement le cas lorsque l’infini, qui supprime les limites extrêmes, entre en jeu.

Transition 2 (Laf. 194, Sel. 227). Pourquoi ma connaissance est-elle bornée, ma taille, ma durée à 100 ans plutôt qu’à 1 000 ? quelle raison a eu la nature de me la donner telle et de choisir ce milieu plutôt qu’un autre dans l’infinité, desquels il n’y a pas plus de raison de choisir l’un que l’autre, rien ne tentant plus que l’autre ?

Laf. 723, Sel. 604. Deux Infinis. Milieu. Quand on lit trop vite ou trop doucement on n’entend rien.

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). Car enfin qu’est-ce que l’homme dans la nature ? Un néant à l’égard de l’infini, un tout à l’égard du néant, un milieu entre rien et tout, infiniment éloigné de comprendre les extrêmes ; la fin des choses et leurs principes sont pour lui invinciblement cachés dans un secret impénétrable.

Également incapable de voir le néant d’où il est tiré et l’infini où il est englouti.

Que fera-t-il donc sinon d’apercevoir quelque apparence du milieu des choses dans un désespoir éternel de connaître ni leur principe ni leur fin. Toutes choses sont sorties du néant et portées jusqu’à l’infini. Qui suivra ces étonnantes démarches ? l’auteur de ces merveilles les comprend. Tout autre ne le peut faire. [...].

Notre intelligence tient dans l’ordre des choses intelligibles le même rang que notre corps dans l’étendue de la nature.

Bornés en tout genre, cet état qui tient le milieu entre deux extrêmes se trouve en toutes nos puissances. Nos sens n’aperçoivent rien d’extrême, trop de bruit nous assourdit, trop de lumière éblouit, trop de distance et trop de proximité empêche la vue. Trop de longueur et trop de brièveté de discours l’obscurcit, trop de vérité nous étonne. J’en sais qui ne peuvent comprendre que qui de zéro ôte 4 reste zéro. Les premiers principes ont trop d’évidence pour nous ; trop de plaisir incommode, trop de consonances déplaisent dans la musique, et trop de bienfaits irritent. Nous voulons avoir de quoi surpasser la dette. Beneficia eo usque laeta sunt dum videntur exsolvi posse. Ubi multum antevenere pro gratia odium redditur. Nous ne sentons ni l’extrême chaud, ni l’extrême froid. Les qualités excessives nous sont ennemies et non pas sensibles, nous ne les sentons plus, nous les souffrons. Trop de jeunesse et trop de vieillesse empêche l’esprit ; trop et trop peu d’instruction.

Enfin les choses extrêmes sont pour nous comme si elles n’étaient point et nous ne sommes point à leur égard ; elles nous échappent ou nous à elles.

Voilà notre état véritable. C’est ce qui nous rend incapables de savoir certainement et d’ignorer absolument. Nous voguons sur un milieu vaste, toujours incertains et flottants, poussés d’un bout vers l’autre ; quelque terme où nous pensions nous attacher et nous affermir, il branle, et nous quitte, et si nous le suivons il échappe à nos prises, nous glisse et fuit d’une fuite éternelle ; rien ne s’arrête pour nous. C’est l’état qui nous est naturel et toutefois le plus contraire à notre inclination. Nous brûlons du désir de trouver une assiette ferme, et une dernière base constante pour y édifier une tour qui s’élève à (l’)infini, mais tout notre fondement craque et la terre s’ouvre jusqu’aux abîmes.

Ne cherchons donc point d’assurance et de fermeté ; notre raison est toujours déçue par l’inconstance des apparences : rien ne peut fixer le fini entre les deux infinis qui l’enferment et le fuient.

Cela étant bien compris je crois qu’on se tiendra en repos, chacun dans l’état où la nature l’a placé.

Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu’importe qu’un autre ait un peu plus d’intelligence des choses s’il en a, et s’il les prend un peu de plus haut, n’est-il pas toujours infiniment éloigné du bout et la durée de notre vie n’est-elle pas également infirme de l’éternité pour durer dix ans davantage.

Dans la vue de ces infinis tous les finis sont égaux et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l’autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine.