La liasse RABBINAGE

 

 

La Table des matières propose le titre Rabbinage dans la deuxième colonne, entre Loi figurative et Perpétuité.

 

Composition de la liasse Rabbinage

 

La « liasse » Rabbinage est composée de trois fragments. Le troisième fragment, dont le papier a été perdu, correspondait peut-être à une des notes que Pascal a ajoutées dans la marge du second fragment.

Rabbinage 1 est autographe. Rabbinage 2 a été dicté par Pascal à son secrétaire assidu puis complété par lui-même.

Ces deux papiers ont été conservés dans le Recueil des originaux, p. 202 (cahier 17) et 267 (cahier 23). Ils sont tous les deux percés d’un trou d’enfilage en liasse.

Le titre de la liasse n’est connu que par les Copies C1 et C: aucune étiquette ne porte ce titre dans le Recueil et les fragments ne portent pas ce titre : Rabbinage 1 et Rabbinage 2 sont respectivement intitulés « Chronologie du rabbinisme » et « Tradition ample du péché originel selon les Juifs ».

 

Mots-clés

 

Rabbinage 1 : Ase – Barajetot – Bar Nachmoni – Bereschit – Chronologie – Citation – Commentaire – Gemara – Hakadosch – Histoire – Jérusalem – Juif – Livre – Loi – Mischna – Osaia – Pugio fidei – Rabbinisme – Siphra – Talmud – Théologie – Tosiphtot – Vocal.

Rabbinage 2 : Âme – Aquilon – Bereschit – Charbon – Cœur – Dieu – Eau – Écriture – Enfance – Ennemi – Esprit – Genèse – Haddarschan – Immonde – Immortalité – Impie – Juifs – Kohelet – Levain – Mal – Malignité – Membre – Midrasch - Nature – Pain – Pauvre – Péché originel – Prépuce – Proverbes – Résurrection – Roi – Sagesse – Tillim – Tradition – Vieillesse – Ville.

Rabbinage 3 : Messie – Principe – Rabbin.

 

Rabbinage et l’édition de Port-Royal

 

Ces fragments n’on retenu ni l’attention de Port-Royal ni celle de Louis Périer dont une copie a été conservée. Il faut attendre l’édition Faugère (1844) pour qu’ils soient publiés.

 

Aspects stratigraphiques des fragments de Rabbinage

 

Le premier papier (RO 202-2) ne porte pas de filigrane. Il correspond à la moitié d’un feuillet non identifié, utilisée parallèlement aux pontuseaux.

Le second papier (RO 267-1) porte un filigrane B ♥ C. Il provient d’un feuillet (23,5 cm x 37,5 cm) de type Cadran & B C.

 

Bibliographie

 

COHEN A., Le Talmud, Paris, Payot, 1976, p. 23 sq.

COHN Lionel (Yehuda Arye), Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, in Pascal. Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963, p. 195-224.

Dictionnaire encyclopédique du Judaïsme, Paris, Cerf, 1993.

GHEERAERT Tony, À la recherche du Dieu caché. Introduction aux Pensées de Pascal, La Bibliothèque électronique de Port-Royal, 2007, p. 97 sq.

GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, V, XX.

IFRAH Georges, Histoire universelle des chiffres, coll. Bouquins, I, Paris, Robert Laffont, 1994.

LEDUC-FAYETTE Denise, Pascal et le mystère du mal, Paris, Cerf, 1996, p. 109.

MARTINUS Raymundus, Pugio fidei Raymundi Martii ordinis praedicatorum adversus Mauros et Judaeos [...], Paris, M. et J. Henault, 1651.

Port-Royal et le royaume d’Israël, Chroniques de Port-Royal, 53, Paris, Bibliothèque Mazarine, 2004.

SIMON Marcel et BENOIT André, Le judaïsme et le christianisme antique d’Antiochus Épiphane à Constantin, Paris, Presses Universitaires de France, 1968.

STOW, The Church and the Jews, in Bibliographical essays in medieval Jewish studies, The Study of Judaism, vol. II, 1975.

 

La liasse Rabbinage

 

La liasse Rabbinage est l’une des moins fournies et les moins développées de l’ensemble des dossiers que Pascal a mis en ordre en vue de la rédaction de son ouvrage. Il est manifeste qu’elle correspond à un point encore primitif de sa recherche. Elle n’en est pas moins très intéressante, dans la mesure où elle permet d’assister aux premiers efforts que fait Pascal pour aborder un sujet nouveau, qu’il traite de manière originale.

Pascal connaît très bien l’ancien et le nouveau Testaments. Gilberte en témoigne dans sa Vie de M. Pascal, § 36, OC I, éd. J. Mesnard, p. 582-583 : « Tout son temps était employé à la prière et à la lecture de l’Écriture Sainte. Il y prenait un plaisir incroyable, et il disait que l’Écriture Sainte n’était pas une science de l’esprit, mais la science du cœur, qu’elle n’était intelligible que pour ceux qui ont le cœur droit, et que tous les autres n’y trouvent que des obscurités. C’est dans cette disposition qu’il la lisait, renonçant à toutes les lumières de son esprit ; et il s’y était si fortement appliqué, qu’il la savait quasi toute par cœur ; de sorte qu’on ne pouvait la lui citer à faux. Car dès qu’on lui disait une parole sur cela, il disait positivement : « Cela n’est pas de l’Écriture Sainte », ou « Cela en est » ; et alors il marquait précisément l’endroit. Il lisait aussi tous les commentaires avec grand soin : car ce respect pour la religion dans lequel il avait été élevé dès sa jeunesse était alors changé en un amour ardent et sensible pour toutes les vérités de la foi ; soit pour celles qui regardent la soumission de l’esprit, soit pour celles qui regardent la pratique dans la morale, à quoi toute la religion se termine ; et cet amour le portait à travailler sans cesse à détruire tout ce qui pouvait s’opposer à ces vérités. » En revanche, rien dans sa formation ne le disposait à connaître la pensée religieuse juive postérieure à la prédication du Christ, et à la période rabbinique.

Pour y parvenir, Pascal a eu recours à l’un des ouvrages les plus solides connus de son temps, quoiqu’il fût ancien, le Pugio fidei Raymundi Martii ordinis praedicatorum adversus Mauros et Judaeos [...], Paris, M. et J. Henault, 1651, ouvrage médiéval qui avait été récemment publié avec des annotations et des éclaircissements par Joseph de Voisin. Voir sur cet ouvrage Rabbinage 1 (Laf. 277, Sel. 308).

On retrouve dans cette liasse la technique de dépouillement des textes que Pascal a pratiquée sur saint Augustin dans les Écrits sur la grâce, pour assimiler la doctrine de la possibilité des commandements. La lecture de ces notes sur le Pugio fidei, qui peut paraître à première vue énigmatique rébarbative, peut être fructueusement éclairée par l’étude proposée par J. Mesnard dans son introduction aux Écrits sur la grâce, OC III, éd. J. Mesnard, p. 527 sq. La rédaction de l’Entretien avec M. de Sacy, composé à partir de textes de Montaigne et d’Épictète, en fournit un exemple achevé. Pascal, qui n’en est ici qu’au commencement de son travail, commence par recueillir des excerpta dont il donne une traduction ou un résumé aussi fidèle que possible. L’étape suivante, qu’il n’a pas atteinte dans le cas présent, consiste à perfectionner la traduction, à remembrer les passages connexes, et à intégrer les citations dans un discours plus ample. Au terme du processus, les extraits sont quasi fondus dans un texte qui est proprement nouveau et personnel. Mais dans les fragments de la liasse Rabbinage, Pascal n’a pas pu aller au-delà d’une prise de notes sommaires, sans parvenir même à une esquisse de rédaction.

Dès cette première opération, l’originalité de sa méthode est pourtant visible. Il commence par se forger une sorte de bibliographie talmudique, afin de mettre en place la chronologie des ouvrages qu’il compte exploiter (Rabbinage 1). D’autre part, il centre ce dépouillement initial sur un concept clé, le figmentum malum, c’est-à-dire péché originel, sur lequel il recueille des références et de brefs excerpta (Rabbinage 2).

Il est symptomatique que, contrairement à l’habitude de certains défenseurs de la religion chrétienne, Pascal ne cherche pas à recueillir ici des arguments contre les doctrines religieuses des rabbins. Il envisage ailleurs la tragédie du destin du peuple juif après la mort du Christ.

Mais dans Rabbinage, il vise au contraire à déterminer les points sur lesquels Juifs et chrétiens sont d’accord, notamment sur l’idée fondamentale du péché originel. Quoique les Juifs n’aient pas reconnu le Christ comme Dieu, leur religion n’en a pas moins conservé des idées qui permettront à Pascal de soutenir, sous le titre Perpétuité, qu’il y a une étroite continuité entre Juifs et chrétiens. De sorte que, même après la rupture entre chrétiens et Juifs, et même après que la Synagogue a cessé d’être porteuse du message vivant que Dieu adresse aux hommes, les rabbins sont restés très solidement attachés à des notions aussi essentielles que le péché originel, qu’ils partagent avec les chrétiens. La nécessité de cette approche s’impose lorsque l’on sait que Pascal compte s’appuyer sur l’argument de la perpétuité, qui implique que Dieu s’est révélé continuellement depuis le début de l’histoire des hommes, et que la doctrine du péché originel a pour ainsi dire toujours été. Il ne lui est dès lors pas possible de considérer que la doctrine des rabbins n’est pas porteuse de quelque vérité, même si une partie essentielle leur en échappe. En d’autres termes, Pascal trouve ainsi le moyen de défendre la religion chrétienne sans couvrir les Juifs d’anathèmes. Pascal n’aborde pas la religion juive dans un esprit de réfutation polémique. On remarque par exemple qu’il ne reprend pas dans cette liasse les sarcasmes que certains apologistes adressent aux spéculations obscures de la Kabbale. Il aborde plutôt le rabbinage avec une intention de compréhension qu’inspire une certaine sympathie pour un peuple qui durant des siècles a été seul défenseur de la vérité, et qui a, pour des raisons sur lesquelles Pascal reviendra, perdu l’esprit de cette vérité.

 

Rabbinage

 

Le Dictionnaire de l’Académie fournit les indications suivantes : « RABBINAGE. s. m. Ce nom n’a d’usage que pour signifier L’étude qu’on fait des livres des Rabbins. C’est un homme qui passe sa vie dans le rabbinage. Il ne se dit guère que par mépris. » Furetière donne seulement les mots rabbin et rabbiniste.

Mersenne Marin, Correspondance, IV, p. 35, lettre de Mersenne à Rivet du 8 février 1634 : le P. Philippeau « fait état de ne rien imprimer de tout ce qui se trouve dans les autres auteurs et il est tout rempli de passages tirés de Misne Thora, des manuscrits Grecs et Arabes, qu’il tourne en latin après les avoir cités ; il ponctue aussi le rabbinage pour le rendre plus aisé ». Voir p. 71, lettre à Rivet du 12 mars 1634, sur le P. Philippeau et son livre sur Osée : « il y aura grande quantité de Rabinage, de Grec et d’Arabe ».

Rabbin est le titre conféré chez les Juifs à un personnage faisant autorité en matière religieuse. De titre honorifique, le mot est devenu un titre officiel conféré aux membres du Sanhédrin experts en matière de loi juive. La cérémonie ne pouvant se tenir qu’en Israël, les sages qui avaient un statut analogue en Babylonie recevaient le titre de Rav, et n’usaient jamais de celui de Rabbi. Avec la Diaspora, les rabbins devinrent les interprètes qualifiés en matière de littérature talmudique et les interlocuteurs avec les souverains des pays où séjournaient des groupes juifs. On parle de judaïsme rabbinique après la destruction du Temple de Jérusalem, à partir du moment où un Sanhédrin fut créé au centre d’études rabbiniques à Jabneh, où fut entrepris un travail de commentaire suivi du texte de la Bible (midrasch, d’un mot qui signifie enseigner), et la Mischna (d’un mot signifiant répéter), commentaire plus lâche.

Sur la naissance et le développement de l’exégèse juive à l’époque rabbinique, voir le Dictionnaire encyclopédique du judaïsme, article Bible, Commentaire juif de la Bible, p. 166 sq. Voir aussi l’article Halakhah, du terme qui désigne l’exégèse rabbinique, p. 459 sq. Il s’agit de la branche de la littérature rabbinique qui traite des obligations religieuses auxquelles doivent se soumettre les Juifs, aussi bien dans leurs relations avec leur prochain que dans leurs rapports à Dieu. Elle englobe pratiquement tous les aspects de l’existence, naissance, mariage, joies et peines, agriculture et commerce, éthique et théologie. Le mot halakhah dérive du verbe halakh, qui signifie marcher. Ce système de lois enseigne en effet la voie que doit suivre le peuple juif. Au sens restreint, une halakhah, halakhot au pluriel, est une décision rabbinique transmise par les autorités religieuses. Par la suite, le terme a évolué pour désigner l’opinion admise lorsqu’une question est demeurée en suspens. Le terme est également utilisé de façon générique, la Halakhah, pour désigner les parties juridiques de la tradition juive, par opposition à la Aggadah, qui est l’ensemble des homélies des sages. La Aggadah appartient uniquement à la période rabbinique classique et elle figure essentiellement dans deux textes, le Talmud et le Midrasch. Dans le Talmud, elle émaille les discussions juridiques des sages, avec des chapitres d’histoire, de philosophie, de théologie, d’éthique et de folklore. Voir Cohen A., Le Talmud, p. 35 sq. La Aggadah comprend les secteurs de la littérature rabbinique dépourvus du caractère légal. Elle complète la Halakha.