Dossier thématique : La coutume, les coutumes

 

Domat Jean, Traité des lois, ch. XI, article XLVI, fait remarquer la distinction « qui est celle qu’on fait communément du droit écrit et des coutumes. On appelle droit écrit les lois qui sont écrites, et on donne particulièrement ce nom à celles qui sont écrites dans le droit romain. Les coutumes sont les lois qui sans leur origine n’ont pas été écrites, mais qui se sont établies, ou par le consentement d’un peuple et par une espèce de convention de les observer, ou par un usage insensible qui les a autorisées ». Les coutumes sont donc le plus bas degré de la loi. Voir aussi le ch. XII, art. IV : « les coutumes et les usages servent de lois, d’où il s’ensuit que si les coutumes et les usages ont la force de lois, ils servent aussi à plus forte raison pour l’interprétation des autres lois. ». En revanche, « l’autorité des coutumes et des usages est fondée sur cette raison qu’on doit présumer que ce qui a été longtemps observé est utile et juste ; d’où il s’ensuit que si quelque loi, ou quelque coutume a cessé longtemps d’être en usage, elle est abolie. Et comme elle avait eu son autorité sur le long usage, cette même cause peut la lui ôter. Car elle fait voir que ce qu’on a cessé d’observer n’était plus utile » (art. V). « Les coutumes ont leur autorité particulière et chacune est bornée dans l’étendue de la province ou du lieu où elle s’observe » (ch. XIII, art. IX). Par conséquent après avoir discrédité les lois en leur reprochant leur instabilité, Pascal aboutit ironiquement à la conclusion que la meilleure solution consiste à se conformer au plus bas degré des lois, à la coutume qui est tout aussi sujette à variation et à abolition.

Lemaitre Antoine, Plaidoyers, XII, p. 235 sq. Nature des coutumes. Les coutumes sont égales entre elles, mais on reconnaît une prééminence à la coutume de Paris. Le fondement des coutumes est la seule volonté des peuples, ce qui explique leur diversité.

McKenna Antony, “Coutume/Nature : la fortune d’une pensée de Pascal”, Équinoxe, n° 6, été 1990, p. 83-98.

Ferreyrolles Gérard, “Pascal critique de la coutume”, Équinoxe, n° 6, été 1990, p. 99-115.

 

Trope sceptique d’Enésidème par les modes de vie et les coutumes

 

La critique de la coutume est un très ancien argument sceptique. Voir Long et Sedley, Les philosophes hellénistiques, III, Les Académiciens. La renaissance du pyrrhonisme, p. 71-72.

Sextus Empiricus, Esquisses pyrrhoniennes, I, 145 sq., éd. P. Pellegrin, p. 133 sq.

Le P. Mersenne, dans ses ouvrages de polémique contre les libertins, reproduit certains arguments sceptiques dont Pascal s’est peut-être souvenu. Voir La vérité des sciences, I, p. 34 sq. « La Morale n’est pas moins douteuse, car on fait une infinité de chimères sur ce principe, bonum amplectendum, malum fugiendum est, l’un disant qu’une chose est bonne, et l’autre qu’elle est mauvaise : un troisième viendra, qui la tiendra pour indifférente, car un chacun suit le plus souvent son affection, quand il juge des choses morales : dirons-nous pas plutôt, que quod placet licet ? loi faite par Sémiramis en Babylone, comme on dit : nous voyons que les diverses fins lesquelles les hommes se proposent, sont causes qu’ils embrassent diverses manières de vivre et de créance : quels principes peuvent avoir ceux qui ont mis le souverain bien en la volupté du corps, et le souverain mal en sa douleur ? d’autres l’ont mis au lucre, et au profit, en la vertu, en l’honneur, en la sagesse spéculative, et en d’autres choses fort diverses. Les uns disent qu’il est bon d’avoir plusieurs femmes ; les autres mauvais : quelques uns attribuent une loi à Solon, laquelle approuvait la Sodomie : le larcin a été approuvé par les Lacédémoniens : les Turcs pensent que ce soit péché de boire du vin : beaucoup d’Américains tiennent à honneur de manger de la chair humaine : à qui nous pourrons-nous rapporter pour savoir ce qui est bon ou mauvais, puisqu’un chacun en pense, et en juge diversement ? Ceux du Brésil gardent le lit après que leurs femmes sont accouchées, comme s’ils avaient enfanté. Pour la justice, si on la rend, on sera estimé fol : que dirait-on si les Romains et les Espagnols rendaient tout ce qu’ils ont acquis du bien d’autrui, et s’en retournaient habiter les petites cases, qu’ils avaient auparavant : et Salomon a-t-il pas dit lui-même que justus perit in justitia sua, et impius multo vivit tempore in malitia sua ? à quoi il ajoute, noli ergo esse justus multum, neque plus sapias quam necesse est, ne obstupescas. »

Diogene Laërce, Vies, IX, 83, éd. Goulet-Cazé, p. 1119 sq.