Dossier thématique : Les règles de l’héritage

 

L’héritage et le droit d’aînesse

 

On peut envisager le problème sous l’angle biographique. Le fait que les aînés doivent tout recevoir n’était visiblement pas l’esprit de la famille : voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 864 sq. Jacqueline a eu une part de l’héritage de son père.

On peut aussi se rapporter à la situation des Roannez. Voir Mesnard Jean, Pascal et les Roannez, I, p. 108. La marquise de Boisy, le 16 juillet 1647, « considérant les grandes et excessives dépenses auxquelles la dignité de Monsieur le duc de Roannez son fils l’oblige, et qu’il est important à l’honneur de sa maison de lui laisser des biens convenables pour en soutenir le lustre et la splendeur », lui fait donation entière de ses biens. L’acte fixait aussi la part qui devait revenir aux filles de la marquise dans la double succession des Roannez et des Hennequin : p. 108-109. Acte de générosité par lequel elle se réserve seulement l’usufruit de quelques terres et la libre disposition de certaines sommes d’argent. Voir les conditions financières prévues pour les sœurs : p. 128 sq. L’aînée est une fille, Marguerite-Henriette. Le futur duc de Roannez n’est que le cadet : p. 89-90.

 

Les règles de l’héritage

 

Voir les Trois discours sur la condition des grands. Selon Pascal, les lois qui règlent les successions sont purement arbitraires, et dépendent de hasards enchaînés. Ce principe repose sur les conceptions juridiques de son temps en matière de succession.

Pillorget René et Suzanne, France baroque France classique, II, Dictionnaire, p. 30-31. Le droit qui accorde tout à l’aîné est une vieille disposition du droit féodal qui, à l’origine, a pour but d’assurer le service du fief au seigneur dont il relevait. Par la suite, il garantit à l’aîné, chargé de perpétuer le lignage, une part important des héritages. Certaines coutumes comme celle de Bretagne, vont très loin dans ce sens. Le droit d’aînesse est un droit absolu : les pères et mères ne peuvent disposer de leurs fiefs en faveur des puînés, ni ordonner qu’il en soit fait un partage égal. En revanche, pour ce qui concerne les successions roturières, le droit d’aînesse n’existe pas, et il y a prédominance du partage égal.

Domat Jean, Lois civiles, p. LVI sq. Les lois dites arbitraires, par opposition aux naturelles, sont celles qu’une autorité légitime peut établir, changer, abolir selon le besoin, et peuvent être changées sans violer l’esprit des lois fondamentales. Elles sont faites pour régler certaines difficultés nées de l’application des lois immuables, par exemple l’héritage, p. LVIII.

Domat Jean, Les lois civiles dans leur ordre naturel, Seconde partie, Des successions, p. 301 sq. Voir § II. Nécessité des successions, et comment elles ont été réglées par les lois, p. 301. « On voit assez que les successions sont naturelles dans l’ordre de la société des hommes, et quelle a été la nécessité de transmettre l’usage des biens de la génération qui passe à celle qui suit. Mais on ne voit pas aussi clairement de quelle manière ce changement a dû être réglé, et quel en est l’ordre naturel, c’est-à-dire si cet ordre est tel naturellement que les biens de ceux qui meurent doivent passer entièrement à leurs enfants, et au défaut des enfants à leurs autres proches ; ou s’ils peuvent en disposer entièrement, ou en partie, en faveur d’autres personnes étrangères : ou même s’il pourrait y avoir quelqu’autre manière de faire passer les biens d’une génération à l’autre successivement.

Si l’on suppose que dans le commencement de la société des hommes, les premiers qui l’ont composée eussent délibéré sur les manières de faire passer l’usage des biens d’une génération à l’autre ; il y en avait trois principales qu’ils auraient pu se proposer entre les autres qu’on aurait pu penser dans une telle délibération.

La première en considérant tous les biens comme s’ils devaient être communs à tous les hommes, chacun n’ayant en propre que ce qu’il consumerait pour son usage. Et dans cette supposition, de quelque manière que fût réglée cette communauté de tout entre tous, il n’y aurait eu ni héritiers ni successions, de même qu’il n’y en a point dans les communautés régulières, dont tous les biens appartiennent au corps, sans qu’aucun des particuliers qui les composent, en ait rien en propre.

Les deux autres manières supposent que tous les biens ne soient pas communs entre tous, mais que chacun puisse en avoir en propre. L’une est celle des successions légitimes, qu’on appelle ainsi parce qu’elles font passer tous les biens de ceux qui meurent sans en avoir disposé, aux personnes que les lois y appellent par la proximité, selon leur ordre de descendants, ascendants, et collatéraux. Et l’autre des successions testamentaires, qui fait passer les biens de ceux qui meurent aux personnes qu’ils y ont appelés par un testament.

De ces trois manières, la première qui rendrait toutes choses communes à tous, est si plein d’inconvénients, qu’on voit bien qu’elle est impossible. Car l’amour de la justice et de l’équité n’étant pas un bien commun, et qui soit le seul principe de la conduite de chaque particulier, la communauté universelle de tous les biens serait un système dont l’exécution ne conviendrait pas à un si grand nombre d’associés si pleins d’amour-propre. Et il serait également injuste et impossible que toutes choses fussent toujours en commun, et aux bons et aux méchants ; et à ceux qui travailleraient, et à ceux qui ne feraient rien… » Ce serait donc une injustice et une chimère : p. 302.

IV. Ordres des successions légitimes. « Il y a trois ordres des successions légitimes selon trois ordres de personnes qui les lois y appellent. Le premier est celui des enfants et autres descendants », les autres les ascendants et les collatéraux. « Le premier de ces trois ordres, qui appelle les enfants à la succession des parents, est tout naturel, comme une suite de l’ordre divin qui donne la vie aux hommes par la naissance qu’ils tiennent de leurs parents. Car comme la vie est unn don qui rend nécessaire l’usage des biens temporels, et que Dieu les donne par un second bienfait qui est une suite de ce premier, il est naturel que les biens étant un accessoire de la vie, ceux des parents passent aux enfants, comme un bienfait qui doit suivre celui de la vie. Et cette règle, qui est également de la loi divine et des lois humaines, est si juste et si naturelle, qu’elle est gravée dans le fond de tous les esprits ». En revanche, le « second ordre qui appelle les ascendants à la succession des descendants n’est pas naturel, comme l’est le premier » : p. 302. Dans ce second cas, « les propres ne remontent point », « le père et les ascendants paternels ne succèdent pas aux biens de leurs descendants qui leur sont venus du côté maternel », p. 302. Règle : paterna paternis, materna maternis, p. 303.

Les dispositions du droit français, contrairement au droit romain, ne laissent pas une liberté entière dans les dispositions par testament.

Les problèmes de succession ont des conséquences politiques sur lesquelles Pascal attire l’attention dans le fragment Raisons des effets 13 (Laf. 94, Sel. 128). Le plus grand des maux est les guerres civiles. Elles sont sûres si on veut récompenser les mérites, car tous diront qu’ils méritent. Le mal à craindre d’un sot qui succède par droit de naissance n’est ni si grand, ni si sûr.