Preuves par discours I  – Papier original : RO 3-1 r° / v° et RO 7-1 r° / v°

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 30 à 32 p. 201 à 207 v° / C2 : p. 411 à 417 v°

Éditions de Port-Royal :

     Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janv. 1670 p. 21 / 1678 n° 6 p. 19

     Chap. VII - Qu’il est plus avantageux de croire que de ne pas croire : 1669 et janv. 1670 p. 53-61 / 1678 n° 1 et 2 p. 55-62

     Chap. IX - Injustice et corruption de l’homme : 1669 et janv. 1670 p. 73-74 / 1678 n° 5 et 6 p. 74-75

     Chap. XXVIII - Pensées Chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 267 et 273-274 / 1678 n° 58 p. 259 et n° 80 p. 266

Éditions savantes : Faugère II, 163, I / Havet X.1, X.1 bis, XXV.38, XXV.91, XXIV.2, XXIV.56, XI.4 ter, XXV.39, XXV.39 bis, XXIV.5, XI.9 bis / Brunschvicg 233, 535, 89, 231, 477, 606, 542, 278, 277, 604 / Tourneur p. 307 / Le Guern 397 / Lafuma 418 à 426 (série II) / Sellier 680 (Discours de la Machine)

 

 

 

Infini rien.

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Notre âme est jetée dans le corps où elle trouve nombre, temps, dimensions, elle raisonne là‑dessus et appelle cela nature, nécessité, et ne peut croire autre chose.

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L’unité jointe à l’infini ne l’augmente de rien, non plus qu’un pied à une mesure infinie, le fini s’anéantit en présence de l’infini et devient un pur néant. Ainsi notre esprit devant Dieu. Ainsi notre justice devant la justice divine. Il n’y a pas si grande disproportion entre notre justice et celle de Dieu qu’entre l’unité et l’infini.

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Il faut que la justice de Dieu soit énorme comme sa miséricorde. Or la justice envers les réprouvés est moins énorme et doit moins choquer que la miséricorde envers les élus.

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Nous connaissons qu’il y a un infini, et ignorons sa nature, comme nous savons qu’il est faux que les nombres soient finis, donc il est vrai qu’il y a un infini en nombre, mais nous ne savons ce qu’il est. Il est faux qu’il soit pair, il est faux qu’il soit impair, car en ajoutant l’unité il ne change point de nature. Cependant c’est un nombre, et tout nombre est pair ou impair. Il est vrai que cela s’entend de tout nombre fini.

Ainsi on peut bien connaître qu’il y a un Dieu sans savoir ce qu’il est.

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Nous connaissons donc l’existence et la nature du fini parce que nous sommes finis et étendus comme lui.

Nous connaissons l’existence de l’infini, et ignorons sa nature, parce qu’il a étendue comme nous, mais non pas des bornes comme nous.

Mais nous ne connaissons ni l’existence ni la nature de Dieu, parce qu’il n’a ni étendue, ni bornes.

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Mais par la foi nous connaissons son existence, par la gloire nous connaîtrons sa nature.

Or j’ai déjà montré qu’on peut bien connaître l’existence d’une chose sans connaître sa nature.

Parlons maintenant selon les lumières naturelles.

S’il y a un Dieu, il est infiniment incompréhensible, puisque n’ayant ni parties ni bornes il n’a nul rapport à nous. Nous sommes donc incapables de connaître ni ce qu’il est, ni s’il est. Cela étant, qui osera entreprendre de résoudre cette question ? Ce n’est pas nous qui n’avons aucun rapport à lui.

Qui blâmera donc les chrétiens de ne pouvoir rendre raison de leur créance, eux qui professent une religion dont ils ne peuvent rendre raison ? Ils déclarent en l’exposant au monde que c’est une sottise, stultitiam : et puis vous vous plaignez de ce qu’ils ne la prouvent pas. S’ils la prouvaient, ils ne tiendraient pas parole. C’est en manquant de preuve qu’ils ne manquent pas de sens. – Oui, mais encore que cela excuse ceux qui l’offrent telle, et que cela les ôte du blâme de la produire sans raison, cela n’excuse pas ceux qui la reçoivent. Examinons donc ce point et disons : Dieu est ou il n’est pas. Mais de quel côté pencherons‑nous ? La raison n’y peut rien déterminer. Il y a un chaos infini qui nous sépare. Il se joue un jeu à l’extrémité de cette distance infinie, où il arrivera croix ou pile. Que gagerez‑vous ? Par raison vous ne pouvez faire ni l’un ni l’autre. Par raison vous ne pouvez défendre nul des deux.

Ne blâmez donc pas de fausseté ceux qui ont pris un choix, car vous n’en savez rien. – Non, mais je les blâmerai d’avoir fait, non ce choix, mais un choix, car encore que celui qui prend croix et l’autre soient en pareille faute, ils sont tous deux en faute. Le juste est de ne point parier.

Oui, mais il faut parier. Cela n’est pas volontaire, vous êtes embarqué. Lequel prendrez‑vous donc ? Voyons. Puisqu’il faut choisir, voyons ce qui vous intéresse le moins. Vous avez deux choses à perdre : le vrai et le bien, et deux choses à engager, votre raison et votre volonté, votre connaissance et votre béatitude ; et votre nature a deux choses à fuir, l’erreur et la misère. Votre raison n’est pas plus blessée, puisqu’il faut nécessairement choisir, en choisissant l’un que l’autre. Voilà un point vidé. Mais votre béatitude ? Pesons le gain et la perte en prenant croix que Dieu est. Estimons ces deux cas : si vous gagnez, vous gagnez tout, si vous perdez, vous ne perdez rien. Gagez donc qu’il est sans hésiter. – Cela est admirable. Oui, il faut gager. Mais je gage peut‑être trop. Voyons. Puisqu’il y a pareil hasard de gain et de perte, si vous n’aviez qu’à gagner deux vies pour une, vous pourriez encore gager. Mais s’il y en avait trois à gagner, il faudrait jouer (puisque vous êtes dans la nécessité de jouer), et vous seriez imprudent, lorsque vous êtes forcé à jouer, de ne pas hasarder votre vie pour en gagner trois à un jeu où il y a pareil hasard de perte et de gain. Mais il y a une éternité de vie et de bonheur. Et cela étant, quand il y aurait une infinité de hasards dont un seul serait pour vous, vous auriez encore raison de gager un pour avoir deux, et vous agiriez de mauvais sens, étant obligé à jouer, de refuser de jouer une vie contre trois à un jeu où d’une infinité de hasards il y en a un pour vous, s’il y avait une infinité de vie infiniment heureuse à gagner : mais il y a ici une infinité de vie infiniment heureuse à gagner, un hasard de gain contre un nombre fini de hasards de perte, et ce que vous jouez est fini. Cela ôte tout parti. Partout où est l’infini et où il n’y a pas infinité de hasards de perte contre celui de gain, il n’y a point à balancer, il faut tout donner. Et ainsi, quand on est forcé à jouer, il faut renoncer à la raison pour garder la vie plutôt que de la hasarder pour le gain infini aussi prêt à arriver que la perte du néant.

Car il ne sert de rien de dire qu’il est incertain si on gagnera, et qu’il est certain qu’on hasarde, et que l’infinie distance qui est entre la certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude de ce qu’on gagnera égale le bien fini qu’on expose certainement à l’infini qui est incertain. Cela n’est pas ainsi. Tout joueur hasarde avec certitude, pour gagner avec incertitude, et néanmoins il hasarde certainement le fini pour gagner incertainement le fini, sans pécher contre la raison. Il n’y a pas infinité de distance entre cette certitude de ce qu’on s’expose et l’incertitude du gain. Cela est faux. Il y a à la vérité infinité entre la certitude de gagner et la certitude de perdre, mais l’incertitude de gagner est proportionnée à la certitude de ce qu’on hasarde selon la proportion des hasards de gain et de perte. Et de là vient que, s’il y a autant de hasards d’un côté que de l’autre, le parti est à jouer égal contre égal. Et alors la certitude de ce qu’on s’expose est égale à l’incertitude du gain, tant s’en faut qu’elle en soit infiniment distante. Et ainsi notre proposition est dans une force infinie, quand il y a le fini à hasarder, à un jeu où il y a pareils hasards de gain que de perte, et l’infini à gagner.

Cela est démonstratif, et si les hommes sont capables de quelque vérité celle‑là l’est.

– Je le confesse, je l’avoue, mais encore... N’y a‑t‑il point moyen de voir le dessous du jeu ? Oui, l’Écriture et le reste, etc. – Oui, mais j’ai les mains liées et la bouche muette. On me force à parier, et je ne suis pas en liberté, on ne me relâche pas. Et je suis fait d’une telle sorte que je ne puis croire. Que voulez-vous donc que je fasse ? Il est vrai. Mais apprenez au moins que votre impuissance à croire, puisque la raison vous y porte et que néanmoins vous ne le pouvez, vient de vos passions. Travaillez donc, non pas à vous convaincre par l’augmentation des preuves de Dieu, mais par la diminution de vos passions. Vous voulez aller à la foi et vous n’en savez pas le chemin. Vous voulez vous guérir de l’infidélité et vous en demandez les remèdes. Apprenez de ceux qui ont été liés comme vous et qui parient maintenant tout leur bien, ce sont gens qui savent ce chemin que vous voudriez suivre et guéris d’un mal dont vous voulez guérir. Suivez la manière par où ils ont commencé. C’est en faisant tout comme s’ils croyaient, en prenant de l’eau bénite, en faisant dire des messes, etc. Naturellement même cela vous fera croire et vous abêtira. – Mais c’est ce que je crains. Et pourquoi ? Qu’avez‑vous à perdre ? Mais pour vous montrer que cela y mène, c’est que cela diminue les passions qui sont vos grands obstacles, etc.

– Ô ce discours me transporte, me ravit, etc. Si ce discours vous plaît et vous semble fort, sachez qu’il est fait par un homme qui s’est mis à genoux auparavant et après, pour prier cet Être infini et sans parties, auquel il soumet tout le sien, de se soumettre aussi le vôtre, pour votre propre bien et pour sa gloire, et qu’ainsi la force s’accorde avec cette bassesse.

Fin de ce discours.

 

Or quel mal vous arrivera‑t‑il en prenant ce parti ? Vous serez fidèle, honnête, humble, reconnaissant, bienfaisant, ami, sincère, véritable... À la vérité vous ne serez point dans les plaisirs empestés, dans la gloire, dans les délices. Mais n’en aurez‑vous point d’autres ?

Je vous dis que vous y gagnerez en cette vie, et qu’à chaque pas que vous ferez dans ce chemin, vous verrez tant de certitude de gain et tant de néant de ce que vous hasardez, que vous connaîtrez à la fin que vous avez parié pour une chose certaine, infinie, pour laquelle vous n’avez rien donné.

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N’y a‑t‑il point une vérité substantielle, voyant tant de choses vraies qui ne sont point la vérité même ?

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On a bien de l’obligation à ceux qui avertissent des défauts. Car ils mortifient ; ils apprennent qu’on a été méprisé, ils n’empêchent pas qu’on ne le soit à l’avenir, car on a bien d’autres défauts pour l’être. Ils préparent l’exercice de la correction, et l’exemption d’un défaut.

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La coutume est la nature. Qui s’accoutume à la foi la croit, et ne peut plus ne pas craindre l’enfer, et ne croit autre chose. Qui s’accoutume à croire que le roi est terrible, etc. Qui doute donc que notre âme, étant accoutumée à voir nombre, espace, mouvement, croie cela et rien que cela ?

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Croyez‑vous qu’il soit impossible que Dieu soit infini, sans parties ? – Oui. Je vous veux donc faire voir une chose infinie et indivisible.

C’est un point se mouvant partout d’une vitesse infinie.

Car il est un en tous lieux et est tout entier en chaque endroit.

Que cet effet de nature, qui vous semblait impossible auparavant, vous fasse connaître qu’il peut y en avoir d’autres que vous ne connaissez pas encore. Ne tirez pas cette conséquence de votre apprentissage qu’il ne vous reste rien à savoir, mais qu’il vous reste infiniment à savoir.

 

Il est faux que nous soyons dignes que les autres nous aiment. Il est injuste que nous le voulions. Si nous naissions raisonnables et indifférents, et connaissant nous et les autres, nous ne donnerions point cette inclination à notre volonté. Nous naissons pourtant avec elle, nous naissons donc injustes. Car tout tend à soi. Cela est contre tout ordre. Il faut tendre au général, et la pente vers soi est le commencement de tout désordre, en guerre, en police, en économie, dans le corps particulier de l’homme.

La volonté est donc dépravée. Si les membres des communautés naturelles et civiles tendent au bien du corps, les communautés elles‑mêmes doivent tendre à un autre corps plus général dont elles sont membres. L’on doit donc tendre au général. Nous naissons donc injustes et dépravés.

Nulle religion que la nôtre n’a enseigné que l’homme naît en péché. Nulle secte de philosophes ne l’a dit. Nulle n’a donc dit vrai.

Nulle secte ni religion n’a toujours été sur la terre que la religion chrétienne.

 

Il n’y a que la religion chrétienne qui rende l’homme aimable et heureux tout ensemble. Dans l’honnêteté on ne peut être aimable et heureux ensemble.

 

C’est le cœur qui sent Dieu et non la raison. Voilà ce que c’est que la foi. Dieu sensible au cœur, non à la raison.

 

Le cœur a ses raisons que la raison ne connaît point : on le sait en mille choses.

Je dis que le cœur aime l’être universel naturellement et soi‑même naturellement selon qu’il s’y adonne, et il se durcit contre l’un ou l’autre à son choix. Vous avez rejeté l’un et conservé l’autre. Est-ce par raison que vous vous aimez ?

 

La seule science qui est contre le sens commun et la nature des hommes, est la seule qui ait toujours subsisté parmi les hommes.

 

 

Le dossier Preuves par discours I est d’ordinaire présenté en plusieurs fragments, chacun distingué par son sujet. Les éditeurs ont en général préféré séparer le grand texte consacré à l’argument du pari des autres, de dimension moindre, et moins propres à frapper le lecteur que la démonstration célèbre de la « nécessité du pari ».

Le dossier doit en fait être considéré comme un ensemble. L’interprétation des fragments qui entourent l’argument du pari s’en trouve enrichie : alors que l’on a coutume de les considérer à part les uns des autres, il devient nécessaire de poser le problème de leur parenté avec le texte principal, ce qui réoriente la recherche dans une direction nouvelle.

Dans l’argument dit du pari, qui occupe la plus grande place de ce dossier, recourant à l’image du jeu de cartes dans lequel on engage une mise pour gagner un enjeu, Pascal tente de faire comprendre à son lecteur qu’il est déraisonnable, dans l’ignorance où la raison se trouve sur l’existence de Dieu et la vérité de la religion chrétienne, de ne pas se sentir engagé à entreprendre une recherche qui engage au fond toute sa vie sur terre, mais aussi tout son destin dans l’au-delà. L’argument du pari compte parmi les textes de Pascal qui ont suscité le plus de commentaires et de réactions, favorables ou hostiles. Depuis l’abbé de Villars et Voltaire, le raisonnement de Pascal a été attaqué et défendu sous tous les aspects, mathématique, apologétique, philosophique ou psychologique, sans avoir toujours été exactement compris. Chacun à leur manière, selon leur disposition propre, les Philosophes à l’époque des Lumières, les Romantiques au XIXe siècle, les existentialistes et les marxistes au XXe, se sont tous sentis engagés à répondre à l’injonction vous êtes embarqué, par laquelle Pascal cherche à entraîner son lecteur dans la recherche.

Stultitiam : stultitia se traduit bien par sottise, mais aussi par déraison et folie.

 

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Fragments connexes

 

Ordre 5 (Laf. 7, Sel. 41). Lettre qui marque l’utilité des preuves, par la machine.

La foi est différente de la preuve. L’une est humaine l’autre est un don de Dieu. Justus ex fide vivit. C’est de cette foi que Dieu lui-même met dans le cœur, dont la preuve est souvent l’instrument, fides ex auditu, mais cette foi est dans le cœur et fait dire non Scio mais Credo.

Ordre 9 (Laf. 11, Sel. 45). Ordre.

Après la lettre qu’on doit chercher Dieu, faire la lettre d’ôter les obstacles, qui est le discours de la machine, de préparer la machine, de chercher par raison.

Vanité 31 (Laf. 44, Sel. 78). Imagination.

[...] C’est ainsi que nos rois n’ont pas recherché ces déguisements. Ils ne se sont pas masqués d’habits extraordinaires pour paraître tels. Mais ils se sont accompagnés de gardes, de hallebardes. Ces troupes armées qui n’ont de mains et de force que pour eux, les trompettes et les tambours qui marchent au-devant et ces légions qui les environnent font trembler les plus fermes. Ils n’ont pas l’habit, seulement ils ont la force. Il faudrait avoir une raison bien épurée pour regarder comme un autre homme le Grand Seigneur environné dans son superbe sérail, de quarante mille janissaires.

Grandeur 6 (Laf. 110, Sel. 142). Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes. Pour vouloir y consentir qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir.

Contrariétés 8 (Laf. 125, Sel. 158). Qu’est-ce que nos principes naturels sinon nos principes accoutumés ? Et dans les enfants ceux qu’ils ont reçus de la coutume de leurs pères comme la chasse dans les animaux ?

Une différente coutume en donnera d’autres principes naturels. Cela se voit par expérience et s’il en a d’ineffaçables à la coutume. Il y en a aussi de la coutume contre la nature ineffaçables à la nature et à une seconde coutume. Cela dépend de la disposition.

Contrariétés 9 (Laf. 126, Sel. 159). Les pères craignent que l’amour naturel des enfants ne s’efface. Quelle est donc cette nature sujette à être effacée ?

La coutume est une seconde nature qui détruit la première.

Mais qu’est-ce que nature ? pourquoi la coutume n’est-elle pas naturelle ?

J’ai grand peur que cette nature ne soit elle-même qu’une première coutume, comme la coutume est une seconde nature.

Commencement 4 (Laf. 153, Sel. 186). Que me promettez-vous enfin, car dix ans est le parti, sinon dix ans d’amour propre, à bien essayer de plaire sans y réussir, outre les peines certaines ?

Commencement 5 (Laf. 154, Sel. 187). Partis.

Il faut vivre autrement dans le monde, selon ces diverses suppositions.

1. Si on pouvait y être toujours.

2. S’il est incertain si on y sera toujours ou non. Faux.

3. S’il est sûr qu’on n’y sera pas toujours, mais qu’on soit assuré d’y être longtemps.

4. S’il est certain qu’on n’y sera pas toujours et incertain si on y sera longtemps.

5. S’il est sûr qu’on n’y sera pas longtemps, et incertain si on y sera une heure.

Cette dernière supposition est la nôtre.

Commencement 8 (Laf. 158, Sel. 190). Par les partis vous devez vous mettre en peine de rechercher la vérité, car si vous mourez sans adorer le vrai principe vous êtes perdu. Mais, dites-vous, s’il avait voulu que je l’adorasse il m’aurait laissé des signes de sa volonté. Aussi a-t-il fait, mais vous les négligez. Cherchez-les donc ; cela le vaut bien.

Commencement 13 (Laf. 163, Sel. 195). Un homme dans un cachot, ne sachant pas si son arrêt est donné, n’ayant plus qu’une heure pour l’apprendre, cette heure suffisant s’il sait qu’il est donné pour le faire révoquer. Il est contre nature qu’il emploie cette heure-là, non à s’informer si l’arrêt est donné, mais à jouer au piquet.

Ainsi il est surnaturel que l’homme, etc. C’est un appesantissement de la main de Dieu.

Ainsi non seulement le zèle de ceux qui le cherchent prouve Dieu, mais l’aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas.

Commencement 14 (Laf. 164, Sel. 196). Commencement.

Cachot.

Je trouve bon qu’on n’approfondisse pas l’opinion de Copernic. Mais ceci.

Il importe à toute la vie de savoir si l’âme est mortelle ou immortelle.

Transition 4 (Laf. 199, Sel. 230). Dans la vue de ces infinis tous les finis sont égaux et je ne vois pas pourquoi asseoir son imagination plutôt sur un que sur l’autre. La seule comparaison que nous faisons de nous au fini nous fait peine. Pour ce qui touche la condition humaine, Pascal précise : Ce milieu qui nous est échu en partage étant toujours distant des extrêmes, qu’importe qu’un autre ait un peu plus d’intelligence des choses s’il en a, et s’il les prend un peu de plus haut, n’est-il pas toujours infiniment éloigné du bout et la durée de notre vie n’est-elle pas également infime de l’éternité pour durer dix ans davantage.

Fondement 5 (Laf. 228, Sel. 260). Que disent les prophètes de Jésus-Christ ? qu’il sera évidemment Dieu ? non mais qu’il est un Dieu véritablement caché, qu’il sera méconnu, qu’on ne pensera point que ce soit lui, qu’il sera une pierre d’achoppement, à laquelle plusieurs heurteront, etc.

Qu’on ne nous reproche donc plus le manque de clarté puisque nous en faisons profession.

Fondement 11 (Laf. 234, Sel. 266). Dieu veut plus disposer la volonté que l’esprit.

Fondement 21 (Laf. 244, Sel. 277). Objection des athées.

Mais nous n’avons nulle lumière.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Perpétuité.

Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses.

Perpétuité 4 (Laf. 282, Sel. 314). Perpétuité.

Le Messie a toujours été cru.

Perpétuité 6 (Laf. 284, Sel. 316). La seule religion contre la nature, contre le sens commun, contre nos plaisirs est la seule qui ait toujours été.

Preuves de Moïse 2 (Laf. 291, Sel. 323). Cette religion si grande en miracles, saints, purs, irréprochables, savants et grands témoins, martyrs ; rois - David - établis ; Isaïe prince du sang ; si grande en science après avoir étalé tous ses miracles et toute sa sagesse. Elle réprouve tout cela et dit qu’elle n’a ni sagesse, ni signe, mais la croix et la folie. Car ceux qui par ces signes et cette sagesse ont mérité votre créance et qui vous ont prouvé leur caractère, vous déclarent que rien de tout cela ne peut nous changer et nous rendre capable de connaître et aimer Dieu que la vertu de la folie de la croix, sans sagesse ni signe et point non les signes sans cette vertu. Ainsi notre religion est folle en regardant à la cause efficace et sage en regardant à la sagesse qui y prépare.

Morale chrétienne 7 (Laf. 357, Sel. 389). Nul n’est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable.

Dossier de travail (Laf. 387, Sel. 6). Ordre.

J’aurais bien plus peur de me tromper et de trouver que la religion chrétienne soit vraie, que non pas de me tromper en la croyant vraie.

Dossier de travail (Laf. 396, Sel. 15). Il est injuste qu’on s’attache à moi quoiqu’on le fasse avec plaisir et volontairement. Je tromperais ceux à qui j’en ferais naître le désir, car je ne suis la fin de personne et n’ai de quoi les satisfaire. Ne suis-je pas prêt à mourir et ainsi l’objet de leur attachement mourra. Donc comme je serais coupable de faire croire une fausseté, quoique je la persuadasse doucement, et qu’on la crût avec plaisir et qu’en cela on me fît plaisir ; de même je suis coupable de me faire aimer. Et si j’attire les gens à s’attacher à moi, je dois avertir ceux qui seraient prêts à consentir au mensonge, qu’ils ne le doivent pas croire, quelque avantage qui m’en revînt ; et de même qu’ils ne doivent pas s’attacher à moi, car il faut qu’ils passent leur vie et leurs soins à plaire à Dieu ou à le chercher.

Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681). Il faut qu’il y ait un étrange renversement dans la nature de l’homme pour faire gloire d’être dans cet état, dans lequel il semble incroyable qu’une seule personne puisse être. Cependant l’expérience m’en fait voir un si grand nombre, que cela serait surprenant, si nous ne savions que la plupart de ceux qui s’en mêlent se contrefont et ne sont pas tels en effet. Ce sont des gens qui ont ouï dire que les belles manières du monde consistent à faire ainsi l’emporté. C’est ce qu’ils appellent avoir secoué le joug, et qu’ils essayent d’imiter. Mais il ne serait pas difficile de leur faire entendre combien ils s’abusent en cherchant par là de l’estime. Ce n’est pas le moyen d’en acquérir, je dis même parmi les personnes du monde qui jugent sainement des choses et qui savent que la seule voie d’y réussir est de se faire paraître honnête, fidèle, judicieux et capable de servir utilement son ami, parce que les hommes n’aiment naturellement que ce qui peut leur être utile. Or quel avantage y a-t-il pour nous à ouïr dire à un homme qu’il a donc secoué le joug, qu’il ne croit pas qu’il y ait un Dieu qui veille sur ses actions, qu’il se considère comme seul maître de sa conduite, et qu’il ne pense en rendre compte qu’à soi-même ? Pense-t-il nous avoir porté par là à avoir désormais bien de la confiance en lui, et en attendre des consolations, des conseils et des secours dans tous les besoins de la vie ?

Pensées diverses (Laf. 577, Sel. 480). S’il ne fallait rien faire que pour le certain on ne devrait rien faire pour la religion, car elle n’est pas certaine. Mais combien de choses fait-on pour l’incertain, les voyages sur mer, les batailles. Je dis donc qu’il ne faudrait rien faire du tout, car rien n’est certain. Et qu’il y a plus de certitude à la religion que non pas que nous voyions le jour de demain.

Car il n’est pas certain que nous voyions demain, mais il est certainement possible que nous ne le voyions pas. On n’en peut pas dire autant de la religion. Il n’est pas certain qu’elle soit mais qui osera dire qu’il est certainement possible qu’elle ne soit pas.

Or quand on travaille pour demain et pour l’incertain on agit avec raison, car on doit travailler pour l’incertain par la règle des partis qui est démontrée.

Saint Augustin a vu qu’on travaille pour l’incertain sur mer, en bataille, etc. mais il n’a pas vu la règle des partis qui démontre qu’on le doit.

Pensées diverses (Laf. 604, Sel. 501). Église, pape.

Unité - Multitude. En considérant l’Église comme unité le pape qui en est le chef est comme tout ; en la considérant comme multitude le pape n’en est qu’une partie. Les Pères l’ont considérée tantôt en une manière, tantôt en l’autre. Et ainsi ont parlé diversement du pape.

[...] La multitude qui ne se réduit point à l’unité est confusion. L’unité qui ne dépend pas de la multitude est tyrannie.

Il n’y a presque plus que la France où il soit permis de dire que le concile est au-dessus du pape.

Pensées diverses (Laf. 630, Sel. 523). La nature de l’homme est Tout nature. Omne animal.

Il n’y a rien qu’on ne rende naturel. Il n’y a naturel qu’on ne fasse perdre.

Pensées diverses (Laf. 682, Sel. 561). Mouvement infini.

Le mouvement infini, le point qui remplit tout, le mouvement en repos. Infini sans quantité, indivisible et infini.

Pensées diverses (Laf. 688, Sel. 567). Qu’est-ce que le moi ?

Un homme qui se met à la fenêtre pour voir les passants ; si je passe par là, puis-je dire qu’il s’est mis là pour me voir ? Non ; car il ne pense pas à moi en particulier ; mais celui qui aime quelqu’un à cause de sa beauté, l’aime-t-il ? Non : car la petite vérole, qui tuera la beauté sans tuer la personne, fera qu’il ne l’aimera plus.

Et si on m’aime pour mon jugement, pour ma mémoire, m’aime-t-on, moi ? Non, car je puis perdre ces qualités sans me perdre moi-même. Où est donc ce moi, s’il n’est ni dans le corps, ni dans l’âme ? et comment aimer le corps ou l’âme, sinon pour ces qualités, qui ne sont point ce qui fait le moi, puisqu’elles sont périssables ? car aimerait-on la substance de l’âme d’une personne, abstraitement, et quelques qualités qui y fussent ? Cela ne se peut, et serait injuste. On n’aime donc jamais personne, mais seulement des qualités.

Pensées diverses (Laf. 695, Sel. 574). Le péché originel est folie devant les hommes, mais on le donne pour tel. Vous ne me devez donc pas reprocher le défaut de raison en cette doctrine, puisque je la donne pour être sans raison. Mais cette folie est plus sage que toute la sagesse des hommes, sapientius est hominibus. Car, sans cela, que dira-t-on qu’est l’homme ? Tout son état dépend de ce point imperceptible. Et comment s’en fût-il aperçu par sa raison, puisque c’est une chose contre la raison, et que sa raison, bien loin de l’inventer par ses voies, s’en éloigne, quand on le lui présente ?

Pensées diverses (Laf. 701, Sel. 579). Quand on veut reprendre avec utilité et montrer à un autre qu’il se trompe, il faut observer par quel côté il envisage la chose, car elle est vraie ordinairement de ce côté‑là, et lui avouer cette vérité, mais lui découvrir le côté par où elle est fausse. Il se contente de cela, car il voit qu’il ne se trompait pas et qu’il manquait seulement à voir tous les côtés. Or on ne se fâche pas de ne pas tout voir, mais on ne veut pas être trompé. Et peut-être que cela vient de ce que naturellement l’homme ne peut tout voir, et de ce que naturellement il ne se peut tromper dans le côté qu’il envisage, comme les appréhensions des sens sont toujours vraies.

Pensées diverses (Laf. 775, Sel. 640). Contre ceux qui abusent des passages de l’Écriture et qui se prévalent de ce qu’ils en trouvent quelqu’un qui semble favoriser leur erreur.

[...] Explication de ces paroles : « Qui n’est pas pour moi est contre moi. » Et de ces autres : « Qui n’est point contre vous est pour vous. » Une personne qui dit : « Je ne suis ni pour ni contre » ; on doit lui répondre...

Pensées diverses (Laf. 809, Sel. 656). Incompréhensible que Dieu soit et incompréhensible qu’il ne soit pas, que l’âme soit avec le corps, que nous n’ayons point d’âme, que le monde soit créé, qu’il ne soit pas, etc., que le péché originel soit et qu’il ne soit pas.

Pensées diverses (Laf. 816, Sel. 659). J’aurais bientôt quitté les plaisirs, disent-ils, si j’avais la foi. Et moi je vous dis : vous auriez bientôt la foi si vous aviez quitté les plaisirs. Or c’est à vous à commencer. Si je pouvais je vous donnerais la foi. Je ne puis le faire ni partant éprouver la vérité de ce que vous dites, mais vous pouvez bien quitter les plaisirs et éprouver si ce que je dis est vrai.

Pensées diverses (Laf. 821, Sel. 661). Car il ne faut pas se méconnaître, nous sommes automate autant qu’esprit, et de là vient que l’instrument par lequel la persuasion se fait n’est pas la seule démonstration. Combien y a-t-il peu de choses démontrées ? Les preuves ne convainquent que l’esprit, la coutume fait nos preuves les plus fortes et les plus crues. Elle incline l’automate qui entraîne l’esprit sans qu’il y pense. Qui a démontré qu’il sera demain jour et que nous mourrons, et qu’y a-t-il de plus cru ? C’est donc la coutume qui nous en persuade. C’est elle qui fait tant de chrétiens, c’est elle qui fait les Turcs, les païens, les métiers, les soldats, etc. Il y a la foi reçue dans le baptême de plus aux chrétiens qu’aux païens. Enfin il faut avoir recours à elle quand une fois l’esprit a vu où est la vérité afin de nous abreuver et nous teindre de cette créance qui nous échappe à toute heure, car d’en avoir toujours les preuves présentes c’est trop d’affaire. Il faut acquérir une créance plus facile qui est celle de l’habitude qui sans violence, sans art, sans argument nous fait croire les choses et incline toutes nos puissances à cette croyance, en sorte que notre âme y tombe naturellement.

Miracles III (Laf. 905, Sel. 450). Pyrrhonisme.

Chaque chose est ici vraie en partie, fausse en partie. La vérité essentielle n’est point ainsi, elle est toute pure et toute vraie. Ce mélange la déshonore et l’anéantit. Rien n’est purement vrai et ainsi rien n’est vrai en l’entendant du pur vrai. On dira qu’il est vrai que l’homicide est mauvais : oui, car nous connaissons bien le mal et le faux. Mais que dira-t-on qui soit bon ? La chasteté ? Je dis que non, car le monde finirait. Le mariage ? non, la continence vaut mieux. De ne point tuer ? non, car les désordres seraient horribles, et les méchants tueraient tous les bons. De tuer ? non, car cela détruit la nature. Nous n’avons ni vrai, ni bien que en partie, et mêlé de mal et de faux.

 

Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759). J’aime la pauvreté parce qu’il l’a aimée. J’aime les biens parce qu’ils donnent le moyen d’en assister les misérables. Je garde fidélité à tout le monde. Je ne rends point le mal à ceux qui m’en font, mais je leur souhaite une condition pareille à la mienne où l’on ne reçoit pas de mal ni de bien de la part des hommes. J’essaye d’être juste, véritable, sincère et fidèle à tous les hommes et j’ai une tendresse de cœur pour ceux à qui Dieu m’a uni plus étroitement.

Pensée n° 19T (Laf. 936, Sel. 751). Les pénitences extérieures disposent à l’intérieure, comme les humiliations à l’humilité, ainsi les...

Pensée n° 24Aa (Laf. 944, Sel. 767). Il faut que l’extérieur soit joint à l’intérieur pour obtenir de Dieu ; c’est-à-dire que l’on se mette à genoux, prie des lèvres, etc., afin que l’homme orgueilleux qui n’a voulu se soumettre à Dieu soit maintenant soumis à la créature. Attendre de cet extérieur le secours est être superstitieux ; ne vouloir pas le joindre à l’intérieur est être superbe.

 

Mots-clés : AbêtirAimableÂmeAmiAmour – Apprentissage – Avenir – Avertir – BassesseBéatitudeBien – Bienfaisant – BlâmeBorneCapableCertainChaos – Chemin – ChoixChrétien – Civil – CœurCommencement – Communauté – Connaissance – Conséquence – Corps – Correction – Coutume – Crainte – Créance (voir Croire) – Défaut – Délice – Dépravé – Désordre – Dieu – Digne – Dimension – Discours – Disproportion – EauÉconomieEffetÉluEmpesté – Endroit – EnferErreurEspaceEsprit – Étendue – ÉternitéExercice – Existence – Faux – Fidèle – Fin – Fini – FoiForceGagerGagnerGain – Général – GloireGuerreHasard – Heureux – HommeHonnêteHumbleImpairImpossibleIncertainInclinationIncompréhensibleIndifférentIndivisibleInfiniInjusteIntérêtJeuJoueur (voir Jeu)JusticeLieuLumièreMalMéprisMesseMisèreMiséricordeMortifierMouvementNaîtreNatureNéantNécessitéNombreObligationObstacleOrdre – Pair – ParierPartiPartiePassionPéché – Perte – PhilosophePlaisirPoint – Police – PreuvePrierRaisonRaisonnableRapportReconnaissantReligion – Remède – RienRoiSavoirScienceSecteSensSensibleSincère – Soi – SottiseSoumission – Subsister – Substantiel – TempsTerre – Toujours – UnitéUniverselVéritéVie – Vitesse – VoirVolonté (voir Vouloir).