Dossier thématique : Le sermon

 

 

C’est un événement religieux qui tient une place importante dans la liturgie (fêtes, avent, carême), mais c’est aussi un événement social : le sermon a lieu en général en cours d’après-midi ; il dure environ une heure, ce qui l’apparenterait plutôt à une conférence actuelle. Les assemblées pieuses au cours desquelles il est prononcé sont annoncées par la gazette et par voie d’affichage, ce qui en fait un événement à voir comparable à certains grands spectacles. Il y a même parfois des reprises (voir lettre de Mme de Sévigné, I, p. 202). Le sermon attire un public parfois important : il y a « une presse à mourir », dit Mme de Sévigné, aux prêches de Bourdaloue, avec un encombrement de voitures et de piétons, si bien que, dans certains cas, il faut envoyer les laquais deux jours à l’avance pour réserver les places. Au cours du sermon, il y a même du monde sur l’autel, notamment les tachygraphes qui notent le discours, parfois une vingtaine sous une chaire (ils travaillent pour des prédicateurs stériles ou pour des amateurs d’inédits).

La composition de l’auditoire de la prédication est parfois homogène, comme c’est le cas des carêmes prêchés dans une communauté religieuse ou à des corps officiels, parfois plus mêlé, notamment dans le cas des carêmes prêchés à la cour (public moins dévot dans son ensemble). Les sermons publics attirent l’élite de la société polie, aristocrates et grandes dames, parfois même le roi, la reine, la famille royale en tout ou partie. L’attitude de ce public est variée et variable : il converse, parfois sans écouter le prêche, dans une ambiance proche de celle du théâtre. Il a fallu une ordonnance de 1686 pour interdire qu’on parle dans les églises et pour que certaines femmes de la haute société se donnent en spectacle par leur posture indécente. L’ambiance est celle de mondanité : chez les dames, déploiement de tenues et de grâces ; gorges et épaules découvertes, contre lesquelles protestent les orateurs. On rapporte que le P. Le Boux reproche aux dames de la cour « d’étaler jusqu’au pied des autels la plus affreuse nudité et de paraître sous un extérieur qui annonce une chasteté mourante » ; le P. de Lingendes s’exclame : « pourquoi viennent-elles dans ce saint lieu parées et ajustées de manière à tourner sur elles tous les regards ; sein dévoilé, épaules nues, bras découverts..., le visage coloré de fard, les cheveux frisés et poudrés ? » (Conciones, I, 304). Cela n’est parfois pas absolument innocent : certaines dames visent à se faire remarquer, non seulement du roi, mais du prédicateur : l’une d’elles paria qu’elle ôterait le sang-froid au P. Rainaud, durant qu’il prêcherait ; elle gagna son pari : troublé par les œillades, les agaceries, les provocations de la dame, l’orateur se vit contraint de descendre de chaire vers le milieu de son sermon (selon Huret, p. LXXIX-LXXX ; Goncourt, La Femme au XVIIIe s., p. 396 ; Massillon, par A. Bayle, V). Il faut dire que certains prédicateurs étaient à l’avenant : voir le chapitre des Historiettes de Tallemant sur le petit père André... Les raisons de ce succès des sermons est d’ordre social : par l’attrait de l’éloquence et le spectacle des yeux, des oreilles et de l’esprit, les sermons sont un objet de conversations, dans les salons parfois même une sorte d’amusement. On apprécie les « portraits » en chaire, dont le gros succès vient de ce qu’on a souvent les gens sous les yeux : lorsque le P. Séraphin s’écrie : « sans Dieu point de cervelle ! », tout le monde regarde Villeroy... Il y a des effets de mode et de vedettariat : on vient voir les prédicateurs tendance, le P. Séraphin, Massillon, Fléchier, Mascaron, entre lesquels joue une certaine concurrence.

Enfin le sermon est une affaire financière aussi : les tarifs sont approximativement les suivants : un Avent de Bourdaloue à la Cour : 1 500 Livres ; un Carême à Saint-Sulpice : 600 Livres ; le P. Séraphin : 500 Livres par carême. Les sermons, avec ce que les siens peuvent avoir d’exceptionnel, sont surtout des opérations publiques, et la dévotion n’y occupe pas nécessairement la meilleure part. On comprend mieux dans ce contexte l’expression choisie par Pascal : quoique le sermon consiste en une conférence pieuse, ce n’est pas un office sacré, et l’ambiance qui y règne parfois rend vraisemblable la scène imaginaire du magistrat qui perd son sérieux.