Dossier thématique : Jésus-Christ

 

 

Ecce homo, par Philippe de Champaigne.

Musée des Granges de Port-Royal.

 

Principaux textes de Pascal relatifs à Jésus-Christ

 

Pascal a composé de nombreux textes relatifs à Jésus-Christ. Faute de pouvoir donner ici tous les fragments des Pensées relatifs à Jésus-Christ, nous proposons les plus significatifs, dans les dossiers desquels on trouvera toutes les références correspondantes.

Abrégé de la vie de Jésus-Christ, OC III, éd. J. Mesnard, p. 178 sq.

Abrégé de la vie de Jésus-Christ, éd. J. Mesnard, Paris, Desclée de Brouwer, 1992.

Pensée n° 6F (Laf. 919, Sel. 749). Le Mystère de Jésus.

Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339). J.-C. sans biens, et sans aucune production au dehors de science, est dans son ordre de sainteté. Il n’a point donné d’inventions. Il n’a point régné, mais il a été humble, patient, saint, saint, saint à Dieu, terrible aux démons, sans aucun péché. O qu’il est venu en grande pompe et en une prodigieuse magnificence aux yeux du cœur et qui voient la sagesse.

Il eût été inutile à Archimède de faire le prince dans ses livres de géométrie, quoiqu’il le fût.

Il eût été inutile à N.-S. J.-C. pour éclater dans son règne de sainteté, de venir en roi, mais il y est bien venu avec l’éclat de son ordre.

Il est bien ridicule de se scandaliser de la bassesse de J.-C., comme si cette bassesse était du même ordre duquel est la grandeur qu’il venait faire paraître.

Qu’on considère cette grandeur-là dans sa vie, dans sa passion, dans son obscurité, dans sa mort, dans l’élection des siens, dans leur abandonnement, dans sa secrète résurrection et dans le reste. On la verra si grande qu’on n’aura pas sujet de se scandaliser d’une bassesse qui n’y est pas.

 

Dossier de travail (Laf. 388, Sel. 7). J.-C. que les deux Testaments regardent, l’ancien comme son attente le nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre.

Dossier de travail (Laf. 417, Sel. 36). Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par J.-C. ; nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de J.-C. nous ne savons ce que c’est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes. Ainsi sans l’Écriture qui n’a que J.-C. pour objet nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.

Prophéties VII (Laf. 499, Sel. 736). Quel homme eut jamais plus d’éclat.

Le peuple juif tout entier le prédit avant sa venue. Le peuple gentil l’adore après sa venue.

Ces deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre.

Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat.

De 33 ans il en vit 30 sans paraître. Dans trois ans il passe pour un imposteur. Les prêtres et les principaux le rejettent. Ses amis et ses plus proches le méprisent, enfin il meurt trahi par un des siens, renié par l’autre et abandonné par tous.

Quelle part a-t-il donc à cet éclat ? Jamais homme n’a eu tant d’éclat, jamais homme n’a eu plus d’ignominie. Tout cet éclat n’a servi qu’à nous pour nous le rendre reconnaissable, et il n’en a rien eu pour lui.

Laf. 560, Sel. 467. Sépulcre de J.-C.

J.-C. était mort mais vu sur la croix. Il est mort et caché dans le sépulcre.

J.-C. n’a été enseveli que par des saints.

J.-C. n’a fait aucuns miracles au sépulcre.

Il n’y a que des saints qui y entrent.

C’est là que J.-C. prend une nouvelle vie, non sur la croix.

C’est le dernier mystère de la passion et de la rédemption.

J.-C. enseigne vivant, mort, enseveli, ressuscité.

J.-C. n’a point eu où se reposer sur la terre qu’au sépulcre.

Ses ennemis n’ont cessé de le travailler qu’au sépulcre.

Lettre de Pascal à Melle de Roannez n° 4, 29 octobre 1656, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1005. Texte p. 1035 sq. Voir p. 1006 pour la date. Voir l’article intitulé ci-dessous Divinité du Christ : Jésus-Christ Dieu caché.

 

Bibliographie

 

BARTMANN Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, Mulhouse, Salvator, 1941.

BOUYER L., Dictionnaire théologique, Tournai, Desclée, 1963.

BREMOND Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, IV, La conquête mystique, L’école de Port-Royal, Paris, Colin, 1967, p. 398 sq.

BUSSON Henri, La pensée religieuse de Charron à Pascal, Paris, Vrin, 1933.

BUSSON Henri, La religion des classiques, Paris, Montfort, 1982.

CELSE, Contre les Chrétiens, éd. Rougier, Livre I, ch. 1, p. 45, et ch. 2, Pauvert, 1965, p. 50.

DE NADAÏ Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005.

MESNARD Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 414-425.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

MESNARD Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 122 sq.

MICHON Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007.

SELLIER Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, Paris, Champion, 1999, p. 271 sq. ; 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 486 sq.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 293 sq.

Traité des trois imposteurs, § XVI, Universités de la région Rhône-Alpes, 1973, p. 55 sq.

 

Christologie

 

Voir la liasse Preuves de Jésus-Christ, Généralités.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 347 sq. La divinité du Christ : p. 350 sq. Perfections de l’humanité du Christ : p. 394 sq. Sacerdoce du Christ : p. 415 sq. Royauté du Christ : p. 444 sq. 

Encyclopédie saint Augustin, Paris, Cerf, 2005, p. 224 sq. Christologie. Voir p. 809 sq., sur Jésus-Christ.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 486 sq. La christologie comme « voie étroite » vers la théologie. Pascal ignore la distinction entre le Jésus de l’histoire et le Christ de la foi. Il est conscient que les évangélistes ont opéré des choix, mais il pense qu’ils ont transcrit ses paroles et ses actes sans les déformer.

Mesnard Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Paris, P. U. F., 1992, p. 414-425. 

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

Boucher, Les triomphes de la religion chrétienne, IV, Q. 47, p. 479 sq. ; voir p. 482. Le Christ : « il le vous faut présenter avec un Empire nouveau, nouvelles guerres, victoires nouvelles, nouveaux palais, nouvelles richesses, nouvelle épouse, enfants nouveaux : car ses guerres ne se font pas contre les hommes, mais contre les diables ; ses victoires ne consistent pas en l’effusion du sang de ses ennemis, mais en la conversion pacifique des âmes pécheresses ; son Royaume n’est pas temporel et mondain, mais spirituel et divin, non transitoire, mais perdurable... » Il y a des correspondances entre les deux textes, mais c’est aux saints que Pascal compare les grandeurs de chair, et non au Christ. La seule chose qui transparaisse, c’est le terrible aux démons, qui renvoie aux « guerres... contre les diables » ; Pascal s’est peut-être servi de Boucher, mais dans ce cas l’imitation est libre.

 

Christocentrisme

 

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 486 sq. Caractère immédiatement christocentrique de la foi de Pascal : p. 273. Pascal incline à partir toujours du Fils de Dieu, comme le suggère le Prologue de l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 293 sq. Le Christ centre de tout.

Mesnard Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, Enquêtes et synthèses, Paris, Presses Universitaires de France, 1992, p. 414-425.

Dossier de travail (Laf. 388, Sel. 7). J.-C. que les deux Testaments regardent, l’ancien comme son attente le nouveau comme son modèle, tous deux comme leur centre.

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008.

 

Généalogie du Christ

 

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Différence dans les deux généalogies du Christ. Les deux généalogies de saint Matthieu et saint Luc. Qu’y a-t-il de plus clair que cela n’a pas été fait de concert.

 

Divinité du Christ : Jésus-Christ Dieu caché

 

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 502 sq. Le Christ eucharistique, en rapport avec Isaïe, vere tu es Deus absconditus.

Lettre de Pascal à Melle de Roannez n° 4, 29 octobre 1656, OC III, p. 1005. Texte p. 1035 sq. Voir p. 1006 pour la date.

« [...] Il y a si peu de personnes à qui Dieu se fasse paraître par ces coups extraordinaires, qu’on doit bien profiter de ces occasions, puisqu’il ne sort du secret de la nature qui le couvre que pour exciter notre foi à le servir avec d’autant plus d’ardeur que nous le connaissons avec plus de certitude.

Si Dieu se découvrait continuellement aux hommes, il n’y aurait point de mérite à le croire ; et s’il ne se découvrait jamais, il y aurait peu de foi. Mais il se cache ordinairement, et se découvre rarement à ceux qu’il veut engager dans son service. Cet étrange secret, dans lequel Dieu s’est retiré, impénétrable à la vue des hommes, est une grande leçon pour nous porter à la solitude loin de la vue des hommes. Il est demeuré caché, sous le voile de la nature qui nous le couvre, jusque l’Incarnation ; et quand il a fallu qu’il ait paru, il est encore plus caché en se couvrant de l’humanité. Il était bien plus reconnaissable quand il était invisible, que non pas quand il s’est rendu visible. Et enfin, quand il a voulu accomplir la promesse qu’il fit à ses apôtres de demeurer avec les hommes jusqu’à son dernier avènement, il a choisi d’y demeurer dans le plus étrange et le plus obscur secret de tous, qui sont les espèces de l’Eucharistie. C’est ce sacrement que saint Jean appelle dans l’Apocalypse une manne cachée ; et je crois qu’Isaïe le voyait en cet état, lors qu’il dit en esprit de prophétie : « Véritablement tu es un Dieu caché. » C’est là le dernier secret où il peut être. Le voile de la nature qui couvre Dieu a été pénétré par plusieurs infidèles, qui, comme dit saint Paul, ont reconnu un Dieu invisible par la nature visible. Les chrétiens hérétiques l’ont connu à travers son humanité, et adorent Jésus-Christ Dieu et homme. Mais de le reconnaître sous des espèces de pain, c’est le propre des seuls catholiques : il n’y a que nous que Dieu éclaire jusque-là. On peut ajouter à ces considérations le secret de l’esprit de Dieu caché encore dans l’Écriture. Car il y a deux sens parfaits, le littéral et le mystique ; et les Juifs s’arrêtant à l’un ne pensent pas seulement qu’il y en ait un autre et ne songent pas à le chercher ; de même que les impies, voyant les effets naturels, les attribuent à la nature, sans penser qu’il y en ait un autre auteur ; et comme les Juifs, voyant un homme parfait en Jésus-Christ, n’ont pas pensé à y chercher une autre nature : « Nous n’avons pas pensé que ce fût lui », dit encore Isaïe ; et de même enfin que les hérétiques, voyant les apparences par faites du pain dans l’Eucharistie, ne pensent pas à y chercher une autre substance. Toutes choses couvrent quelque mystère ; toutes choses sont des voiles qui couvrent Dieu. Les Chrétiens doivent le reconnaître en tout. Les afflictions temporelles couvrent les maux éternels qu’elles causent. Prions Dieu de nous le faire reconnaître et servir en tout ; et rendons-lui des grâces infinies de ce que, s’étant caché en toutes choses pour les autres, il s’est découvert en toutes choses et en tant de manières pour nous. »

Le fragment Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339) développe la contrepartie de l’idée de Jésus-Christ Dieu caché : quoiqu’il soit caché, donc invisible aux gens de chair et d’esprit, il est venu avec la grandeur de son ordre, et si on le regarde dans cette perspective, sa grandeur éclate visiblement.

Busson Henri, La pensée religieuse de Charron à Pascal, Paris, Vrin, 1933, p. 516. Place de la preuve de la divinité du Christ dans les apologies antérieures à Pascal.

La Genèse, tr. Lemaistre de Sacy, I, p. XVIII sq. Nécessité de prouver aux Chrétiens la divinité du Christ.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 350 sq.

Charles-Daubert Françoise, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, p. 85 sq. Négation de la divinité du Christ par les libertins.

 

Humanité du Christ

 

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, p. 228 sq.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 363 sq. Le Christ possédait la même nature que l’homme et était véritablement homme. En tant qu’homme véritable, le Christ était véritablement passible : p. 366 sq. Il a souffert dans sa chair, est mort et est ressuscité. Les docètes et monophysites ne peuvent admettre la passibilité du Christ : p. 366-367.

 

Union hypostatique

 

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, Mulhouse, Salvator, 1941, p. 372 sq. Le Christ est une seule Personne et une seule Personne en deux natures. Les deux natures persistent même après l’union hypostatique sans mélange et sans changement : p. 382. Conséquences dogmatiques de l’union hypostatique : p. 385 sq.

Voir Abrégé de la vie de Jésus-Christ.

 

Humiliation du Christ et objection de l’abaissement du Christ

 

Les reproches d’humilité opposés au Christ touchent sa naissance et sa mort. Par sa naissance, il est d’une condition basse qui paraît incompatible avec la dignité de sa nature divine. Par sa mort, il a été ravalé au rang des criminels. L’incompatibilité entre l’indignité du supplice ignominieux de la croix, qui était réservé aux criminels, et l’excellence de la nature de fils de Dieu était une objection courante et particulièrement forte contre le christianisme.

Le Deutéronome, tr. de Lemaistre de Sacy, Paris, Desprez, 1694, Chapitre XXI, Verset 23, p. 288-289. « Celui qui est attaché et pendu au bois est maudit de Dieu ». Renvoi à la Genèse : nul n’est pendu au bois que par une suite du péché d’Adam. « Que si l’écriture attribue particulièrement cette malédiction au supplice de la croix, c’est parce que ceux qui étaient suspendus ainsi au bois, étaient exposés comme un signal éclatant, et en même temps infâme, de la malédiction du péché ». Jésus-Christ a voulu « participer à cette malédiction » sur la croix. Mais il s’est chargé du péché pour le détruire, « il n’est mort aussi sur la croix que pour en ôter l’infamie ; s’étant soumis à cette malédiction des hommes pécheurs, lui qui était parfaitement innocent, afin de les rétablir dans la bénédiction de Dieu son père, et dans l’innocence qu’ils avaient perdue par le péché. C’est donc sans raison [...] que les ennemis de l’Église », les manichéens, selon saint Augustin, « ne comprenant point ce grand mystère, prétendaient nous insulter comme à des disciples d’un homme qui avait été pendu au bois et maudit de Dieu », puisque ce qui était punition du péché chez les autres devait être « respecté dans Jésus-Christ comme une expiation du péché ».

Lévitique, éd. Lemaistre de Sacy, Préface, p. XVI sq., § III. Rapport de cette question avec les prophéties : p. XVI sq. Les Juifs attendaient un Messie couronné et chef politique, et le Christ finit misérablement sur la croix comme un criminel.

L’objection remonte à l’Antiquité et aux origines du christianisme ; voir Histoire des religions, éd. Pléiade, p. 102, sur le sort misérable du Christ. On la trouve chez Celse, Contre les Chrétiens, éd. Rougier, Livre I, ch. 1, p. 45, et ch. 2, Pauvert, 1965, p. 50, qui relève diverses incompatibilités de la vie de Jésus avec la condition de fils de Dieu.

Busson Henri, La pensée religieuse..., p. 517. À la fin de la Renaissance, on objecte que l’Incarnation suppose un incroyable abaissement pour le fils de Dieu. Voir Charron, Trois vérités, II, 11, p. 156. On reproche au Christ « l’extrême humilité et pauvreté en toute sa vie et ignominie en sa mort ». Les apologistes du christianisme s’en font l’écho. Voir p. 517, un renvoi à Garasse, La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, Livre II, section 10 ; voir aussi La doctrine curieuse des beaux esprits de ce temps, Livre III, section 11 : « La seconde raison que les libertins peuvent avoir de révoquer en doute l’incarnation du fils de Dieu, est prise de Charron, qui était un ignorant aussi dangereux que le personnage qui a mis la main à la plume il y a cent ans : car ce personnage d’humeur extravagante, et qui avait la teste pleine d’écrevisses combattant en secret la vérité de la religion chrétienne par des maximes qu’il n’entendait pas, dit en quelque lieu de sa sagesse, que c’est faire tort à Dieu de concevoir de lui quelque chose si basse, comme sont un gibet, une étable, une naissance ordinaire, et là dessus nos beaux esprits prétendus enchérissant sur la sotte pensée de Charron, qui était plus capable de faire des roues que des livres, disent que c’est une sottise injurieuse à la divinité, de croire, ce que nous avançons (p. 275) du fils de Dieu, et qu’après tout, il n’y a point d’apparence qu’il se soit fait homme. »

Grotius Hugo, De veritate..., V, § XIX. « Offendit multos humilis Jesus fortuna, inique vero. »

Busson Henri, La religion des classiques, p. 405. Bossuet insiste sur l’invraisemblance de l’humiliation du Christ, qui est un des arguments principaux des ennemis de la religion chrétienne. Il cite C. de Lingendes, Sermons sur les Évangiles de Carême, Paris, 2 vol., 1666 : « un impie vous dira qu’il y a de l’absurdité de s’imaginer qu’un Dieu soit devenu homme mortel et passible : ou bien il vous demandera comme cela se peut faire ; il protestera qu’il ne peut concevoir de semblables mystères ; et que peut-être cela n’est pas comme on le dit : qu’il est indigne de Dieu d’avoir soif, de se lasser, d’être couvert de crachat, de recevoir des coups de fouet, et d’être attaché à une croix comme un voleur... Et qu’enfin toutes ces choses lui paraissent incroyables. » Le texte de Bossuet réunit des objections différentes. Les impies jugent invraisemblable l’Incarnation du Fils de Dieu en premier lieu à cause de la disproportion entre l’excellence de la nature divine et l’abaissement de la condition humaine, toujours remplie de besoins et de faiblesses. Ils opposent ensuite la majesté divine et l’abaissement de la condition sociale de Jésus-Christ, qui va jusqu’à subir le traitement dégradant que les lois ont imposé aux criminels : la naissance du Christ et le supplice de la croix sont alors utilisés comme arguments contre lui. Ce dernier aspect de l’argument semble plus propre que les autres aux Juifs eux-mêmes, considérés comme ennemis du Christ : c’est que les prophètes annonçaient un Messie prince puissant et conquérant, qui restaurerait la puissance d’Israël, alors que Jésus a précisément déçu cette attente.

L’objection prend un caractère politique, lorsque l’on souligne que les prophéties annonçaient un prince politique puissant, et nullement un personnage de condition vile. Voir Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, IV, Q. 47, p. 479 sq., qui mentionne l’objection selon laquelle Jésus, annoncé comme roi puissant, ne peut par conséquent être le Messie.

La prédication du Christ fait du reste l’objet d’attaques analogues. Voir Histoire des religions, éd. Pléiade, p. 102. Le sort misérable du Christ. On s’en prend aussi à l’humilité de ses disciples, et à la naïveté des apôtres : la prédication du Christ a été adressée à des gens sans culture.

Ces objections débouchent souvent sur la dénonciation de l’invraisemblance et du ridicule de l’idée de l’incarnation. Busson Henri, La pensée religieuse..., p. 517, renvoie à Boucher Jean, Triomphes de la religion chrétienne, Livre IV, Q. XV, XXVII. L’incrédule Typhon s’attaque au mystère de l’Incarnation parce que la doctrine en est « si répugnante au sens et jugement humain, qu’elle semble plutôt monstrueuse et ridicule que raisonnable et digne de créance ». Il insiste sur l’enfantement virginal, que les libertins assimilent aux légendes de la mythologie. Voir Les délices de l’esprit, de Saint-Sorlin, qui reprend les termes de Jean Bodin, Heptaplomeres, éd. Chauviré, p. 177 : « Mais quand je croirais toutes ces étranges merveilles de l’Ancien Testament, je ne puis croire qu’un Dieu éternel et infini ait voulu prendre chair humaine, et se renfermer dans le ventre d’une Vierge, et ait pu être conçu par elle, sans opération d’homme, et sortir d’elle sans blesser sa virginité » (Xe journée, II, p. 28).

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 173. Excellence de la majesté de Dieu. Sur le véritable abaissement de Jésus-Christ, voir p. 19-20 : il a pris un corps mortel ; abaissement aussi dans le sacrement du corps de l’Église universelle, dans lequel et par lequel il continue de souffrir. C’est une manière de rendre gloire à son Père.

Les défenseurs et les apologistes de la religion chrétienne ont tenté diverses réponses à ces objections. Sur celles qui touchent l’abaissement du Christ, voir Busson Henri, La pensée religieuse..., p. 518. Ils répondent que ce qui est indigne de Dieu est utile pour notre salut. Busson renvoie à plusieurs auteurs, notamment Pollot, Discours 137 v°-140 ; Martinon, Disput. theol., III, p. 3 sq. ; Isambert, Disput. I, p. 6-9 ; Gamaches, Summa theol., t. 3, p. 11-15, et Caussin, La Cour sainte, II, VII p. 55-57.

Ces auteurs soutiennent que l’Incarnation n’est ni indigne d’un Dieu, ni impossible ; cet abaissement n’est qu’apparent ; Jésus-Christ garde par la sublimité de ses vertus le vrai caractère de la divinité. C’est un mystère du Christianisme.

Grotius Hugo, De veritate..., V, § XIX. « Offendit multos humilis Jesus fortuna, inique vero. » Les Écritures disent que Dieu élève les humbles à soi et abat les superbes. « Neque magis caetera ejus mala, et mors ipsa, invisum eum cuiquam facere debent », p. 84 B.

Boucher Jean, Les triomphes..., IV, Q. 47, p. 479 sq. « Les grandeurs du Messie proposées dans l’Écriture sainte doivent être entendues spirituellement... et non temporellement », p. 481.

La réponse de Pascal s’inspire de l’idée de saint Augustin, De vera religione, XVI, 31, que Jésus-Christ a tout fait à l’inverse des hommes : science, pouvoir, richesse, prestige, fécondité charnelle, horreur des outrages, douleurs.

Elle est développée dans Prophéties VII (Laf. 499, Sel. 736) : Quel homme eut jamais plus d’éclat.

Le peuple juif tout entier le prédit avant sa venue. Le peuple gentil l’adore après sa venue.

Ces deux peuples gentil et juif le regardent comme leur centre.

Et cependant quel homme jouit jamais moins de cet éclat.

De 33 ans il en vit 30 sans paraître. Dans trois ans il passe pour un imposteur. Les prêtres et les principaux le rejettent. Ses amis et ses plus proches le méprisent, enfin il meurt trahi par un des siens, renié par l’autre et abandonné par tous.

Quelle part a-t-il donc à cet éclat ? Jamais homme n’a eu tant d’éclat, jamais homme n’a eu plus d’ignominie. Tout cet éclat n’a servi qu’à nous pour nous le rendre reconnaissable, et il n’en a rien eu pour lui.

Elle est amplement développée dans Preuves de Jésus-Christ 11 (Laf. 308, Sel. 339), sur les trois ordres.

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, Pascal, 2e éd., p. 493 sq. Anéantissement du Christ et caractère catastrophique de l’Incarnation. Rapport avec l’exinanition selon Bérulle. Le Christ ne s’est incarné, selon Pascal, que pour souffrir. Renvoi à la Lettre aux Philippiens, reconnaissable dans le prologue de l’Abrégé de la vie de Jésus-Christ : p. 494. Kénose du Fils de Dieu : p. 494.

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, Paris, Vrin, 1962, p. 173. Excellence de la majesté de Dieu. Sur le véritable abaissement de Jésus-Christ, voir p. 19-20 : il a pris un corps mortel ; abaissement aussi dans le sacrement du corps de l’Église universelle, dans lequel et par lequel il continue de souffrir. C’est une manière de rendre gloire à son Père.

 

L’incarnation et la kénose du Christ

 

Voir Fondement 18 (Laf. 241, Sel. 273). Un Dieu humilié et jusqu’à la mort de la croix.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., Paris, Champion, 2010, p. 492 sq. Pascal se représente l’incarnation d’une manière « catastrophique ». Il voit dans l’existence de Jésus avant Pâques un avilissement de la divinité, une humiliation, un anéantissement. Le Christ ne s’est incarné que pour souffrir, à cause du péché des hommes. Pascal évoque continuellement la « bassesse » de « Dieu humilié ».

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, p. 40 sq. L’Incarnation comme anéantissement, dans l’héritage bérullien. Exinanition de la personne divine du Verbe en la nature créée : p. 41. L’anéantissement de la condition divine dans la condition humaine en Jésus : en se faisant homme, le Verbe de Dieu renoncerait à exercer sa puissance propre, de sorte que Jésus aurait à demander pour soi-même la puissance du Saint-Esprit ; Jésus se trouverait ainsi intéressé à l’exaucement de sa propre prière, alors que dans la christologie augustinienne, la prière du Christ ne vaut guère que pour apprendre aux chrétiens à prier : p. 164-165. L’âme du Christ représentée destituée de toute consolation divine selon le Mémorial : p. 166. Les clartés de l’Incarnation : « La vérité incréée et incarnée » : p. 239 sq.

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint-Cyran, p. 173. Excellence de la majesté de Dieu. Sur le véritable abaissement de Jésus-Christ, voir p. 19-20 : il a pris un corps mortel ; abaissement aussi dans le sacrement du corps de l’Église universelle, dans lequel et par lequel il continue de souffrir. C’est une manière de rendre gloire à son Père.

Saint Augustin, De vera religione, XVI, 31, t. 8, Bibliothèque augustinienne, p. 65. Jésus-Christ a tout fait à l’inverse des hommes : science, pouvoir, richesse, prestige, fécondité charnelle, horreur des outrages, douleurs.

Boucher Jean, Les triomphes..., IV, Q. 47, p. 479 sq. « Les grandeurs du Messie proposées dans l’Écriture sainte doivent être entendues spirituellement... et non temporellement », p. 481.

 

Le Christ à Gethsémani

 

Voir Abrégé de la vie de Jésus-Christ.

Pensée n° 6F (Laf. 919, Sel. 749). Le Mystère de Jésus.

Sellier Philippe, “Jésus-Christ chez Pascal”, in Port-Royal et la littérature, I, Pascal, 2e éd., p. 492 sq.

 

Résurrection du Christ

 

Voir Abrégé de la vie de Jésus-Christ.

 

Sur les hérésies relatives à la double nature, divine et humaine, du Christ

 

Pascal ne traite de cette longue suite d’hérésies que dans quelques passages, notamment dans la Provinciale XVII, 25-28 et XVIII. Mais il ne les mentionne guère que comme des exemples des faussetés qui ont pu avoir quelque crédit dans l’Église, et des erreurs qui ont pu être commises par les papes et les autorités ecclésiastiques.

Sur le monophysisme, voir Bouyer L., Dictionnaire théologique, p. 441. Doctrine d’après laquelle, à partir de l’Incarnation, il n’y aurait plus qu’une nature dans le Christ, la nature divine absorbant en elle la nature humaine. Cette hérésie a été suscitée par le moine Eutychès, appuyée par le patriarche d’Alexandrie Dioscore, et a été condamnée par le concile de Chalcédoine de 451. Voir sur ce point Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 371 sq.

Les textes du concile de Chalcédoine (451) se trouvent dans Conciliorum œcumenicorum decreta, Bologne, Edizioni Dehoniane Bologna, 1996, p. 75 sq. Note sur le déroulement des événements : p. 75-76. Epistula Papae Leonis ad Flavianum ep. Constantinopolitanum de Eutyche : p. 77 sq. Definitio fidei : p. 83 sq. Canons : p. 87.

Pour les aspects historiques de cette hérésie d’Eutychès, voir Gibbon Edward, Histoire du déclin et de la chute de l’empire romain, II, Byzance (de 455 à1500), coll. Bouquins, Paris, Robert Laffont, 1983, p. 334 sq.

Preuves de Jésus-Christ 10 (Laf. 307, Sel. 338). L’Église a eu autant de peine à montrer que J.-C. était homme, contre ceux qui le niaient qu’à montrer qu’il était Dieu. Et les apparences étaient aussi grandes.

Sur le monothélisme, voir Bouyer L., Dictionnaire, p. 442. Séquelle du monophysisme, le monothélisme maintient qu’il n’y a dans le Christ qu’une seule volonté, celle de sa personne divine. L’hérésie est soutenue par le patriarche Sergius. Le concile de Constantinople (680-681) définit la dualité des volontés, divine et humaine, dans le Christ, ainsi que la libre conformité de la seconde avec la première.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 383 sq. Dans le Christ, il y a deux volontés et deux modes d’action naturels sans partage et sans mélange. Le monothélisme consiste à n’admettre qu’une seule volonté.

 

Figures annonciatrices du Christ

 

Laf. 590, Sel. 489. Adam forma futuri. Voir saint Augustin, De Genesi contra manichaeos, I, XXIII. Commentaire.

Perpétuité 3 (Laf. 281, Sel. 313). Noé figure du Christ.

Prophéties II (Laf. 484, Sel. 719). Source dans Boucher Jean, Triomphes..., II, 4, p. 158-159. Moïse déclare que Dieu suscitera un prophète dont il sera la figure.

Laf. 570, Sel. 474. Joseph figure du Christ. Voir Genèse, XXXVI-XXXIX. Source : Jansénius, Pentateuchus, XL ; voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 50-52 ; et Le Guern Michel, éd. des Pensées, II, Folio, p. 306.

Delassault Geneviève, Lemaistre de Saci, p. 189-190. Les figures du Christ d’après Sacy :

La manne, Exode, XVI, 4, p. 241,

L’eau du rocher, Nombres, XX, 9-10,

Le serpent d’airain, Nombres, XXI, 8, p. 251,

La grappe de raisin rapportée de la Terre promise, Nombres, XII, 24, p. 149.

Les figures de l’union du Christ avec l’Église :

L’arche, Sagesse, XIV, 36, p. 522,

Sara mariée à Abraham, Sagesse, XII, 13, p. 408,

Mariage d’Isaac et de Rebecca, Sagesse, XXIV, 54-56, p. 645.

Figures spéciales :

Naissance de Zara et Pharès, plan divin de répartition des grâces, Sagesse, XXXVIII, 20, p. 816.

Ésaü et Jacob, réprouvés et élus, Sagesse, XXV, 22, p. 658.

 

Le Christ rédempteur pour tous

 

La question de savoir si le Christ est venu pour sauver tous les hommes a été l’un des points les plus controversés de l’histoire de Port-Royal.

Miracles III (Laf. 911, Sel. 451). J.-C. rédempteur de tous. Oui, car il a offert comme un homme qui a racheté tous ceux qui voudront venir à lui. Ceux qui mourront en chemin c’est leur malheur, mais quant à lui il leur offrait rédemption. Cela est bon en cet exemple où celui qui rachète et celui qui empêche de mourir font deux, mais non pas en J.-C. qui fait l’un et l’autre. Non car J.-C. en qualité de rédempteur n’est pas peut-être maître de tous, et ainsi en tant qu’il est en lui il est rédempteur de tous.

Voir Traité de la prédestination, 2, § 30, OC III, éd. J. Mesnard, p. 788 : « Que c’est seulement pour leur salut que Jésus-Christ est mort et que les autres, pour le salut desquels il n’est pas mort, n’ont pas été délivrés de cette perdition universelle et juste. » Voir aussi Traité de la prédestination, 3, OC III, éd. J. Mesnard, p. 794, qui précise ce point.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 270 sq. La volonté de salut en Dieu. Voir p. 289 sq. Le Christ est-il mort pour tous ?

Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, p. 61. On peut soutenir dans un sens large que le Christ est mort pour tous, dans la mesure où il est mort à cause du péché de l’humanité, ou parce que sa rédemption eût suffi à sauver tous les hommes, s’il l’eût décidé, ou, ce qui revient au même, s’ils l’eussent voulu. Saint Augustin se heurte à la déclaration nette de saint Paul : p. 61. Arnauld consacre le livre III de son Apologie pour les saints Pères de 1651 à ce problème « de la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes » (voir ci-dessous). Voir Prosper d’Aquitaine, Pro Augustino responsiones. Voir p. 61, n. 27, les différentes réponses envisagées par saint Augustin.

Delassault Geneviève, Lemaître de Saci et son temps, p. 50. La rédemption peut être dite universelle en ce sens que le Christ s’est revêtu de la nature commune à tous les hommes ; ou que le sang versé était un prix suffisant pour la rachat du monde. Hors de cela, il n’est plus question d’universalité, puisque le Christ n’a effectivement racheté que les élus. Saci, dans les Heures de Port-Royal, Office de l’Église et de la Vierge, pouvait donc traduire les expressions de saint Prosper, Pro Augustino responsiones ad capitula Gallorum, et dire que le Christ était rédempteur de tous les hommes, ou que le prix de son sang était suffisant pour le rachat du monde, ou que Jésus s’était revêtu de la nature humaine commune à tous les hommes. Il utilise ces formules équivalentes selon les besoins du vers. Lorsqu’une expression du latin, traduite, en laisse par aucun détail entrevoir que Redemptor omnium doit être interprété selon l’une des intentions du saint, et risquait donc d’être équivoque, laissant entendre une universalité étendue au salut de tous les hommes, elle n’est jamais traduite, et Saci adapte le vers au sens général de la strophe : p. 51.

Ce problème a été posé de manière aigüe par la controverse sur la cinquième proposition attribuée à Jansénius.

Lalane, Saint-Amour, Manessier, Desmares, Angran, Distinction abrégée des cinq propositions, 19 mai 1653 (ouvrage ordinairement désigné sous le titre d’Écrit à trois colonnes), p. 9, présente un état des opinions sur trois colonnes :

 

CINQUIÈME PROPOSITION

Fabriquée et exposée à la censure.

 

C’est parler en demipélagien de dire que Jésus-Christ est mort, ou qu’il a répandu son sang pour tous les hommes, sans en excepter un seul.

Le sens hérétique

que l’on peut malicieusement donner à cette cinquième proposition, qu’elle n’a pas néanmoins, si l’on la prend comme il faut.

 

Jésus-Christ est mort seulement pour les prédestinés, en sorte qu’il n’y a qu’eux seuls qui reçoivent la véritable foi et la justice par le mérite de la mort de Jésus-Christ.

Cette proposition est hérétique, Calviniste ou Luthérienne, et elle a été condamnée par le Concile de Trente.

 

 

 

Cinquième Proposition

dans le sens que nous l’entendons et que nous la défendons.

 

C’est parler en Demipélagien de dire que Jésus-Christ est mort pour tous les hommes en particulier, sans en excepter un seul, en sorte que la grâce nécessaire au salut soit présentée à tous, sans exception de personne, par sa mort, et qu’il dépende du mouvement et de la puissance de la volonté d’acquérir ce salut par cette grâce générale sans le secours d’une autre grâce efficace par elle-même.

Nous soutenons et nous sommes prêts de démontrer que cette proposition appartient à la foi de l’Église, et qu’elle est indubitable dans la doctrine de saint Augustin.

 

Proposition

contraire à la cinquième dans le sens qu’elle est défendue par nos adversaires.

 

Ce n’est pas une erreur des Demipélagiens, mais une proposition catholique de dire que Jésus-Christ a communiqué par sa mort à tous les hommes en particulier, sans en excepter un seul, la grâce prochainement et précisément nécessaire pour opérer, ou du moins pour commencer le salut et pour prier.

Nous soutenons et nous sommes prêts de démontrer que cette proposition, qui est de Molina et de nos adversaires, contient une doctrine contraire au Concile de Trente, et même qu’elle est Pélagienne ou Demipélagienne, parce qu’elle détruit la nécessité de la grâce de Jésus-Christ efficace par elle-même pour chaque bonne œuvre. Et il a été déclaré ainsi dans les Congrégations de auxiliis tenues à Rome.

 

Sainte-Beuve, Port-Royal, II, IX, t. 1, Pléiade, p. 583. Renvoi, pour un texte proche, à l’Augustinus, Pars III, Liv. II, ch. XXVII.

Gres-Gayer Jacques M., Le jansénisme en Sorbonne, 1643-1656, Paris, Klincksieck, 1996, p. 109. Selon la Sorbonne, la cinquième proposition est fausse et scandaleuse ; selon la bulle Cum Occasione, impie, blasphématoire, injurieuse, dérogeant à la divine piété et hérétique.

Chédozeau Bernard, Port-Royal et la Bible. Un siècle d’or de la Bible en France (1650-1708), Paris, Nolin, 2007, p. 112. La controverse à propos de l’expression Christe redemptor omnium dans les Heures de Port-Royal.

Dominicy Marc, La naissance de la grammaire moderne, Bruxelles, Mardaga, 1984, p. 108 sq. Problèmes linguistiques et logiques posés par la cinquième proposition.

Nicole Pierre, F. Nicolaï molinisticae theses, p. 21 sq. Saint Thomas : Christus pro omnibus sufficienter mortuum esse ; sed pro multis tantum efficienter.

Arnauld Antoine, Réponse au P. Annat, provincial des jésuites, touchant les cinq propositions attribuées à M. l’évêque d’Ypres, 1654, in Arnauld Antoine, Œuvres, XIX, p. 193 sq., où Arnauld remarque que le P. Petau est d’accord avec les augustiniens pour admettre que Jésus n’est pas mort pour tous les hommes. Pour les autres, il n’est pas mort pour qu’ils soient sauvés, mais seulement afin que cette grâce leur fût donnée.

Arnauld Antoine, Apologie pour les saints Pères, Livre III, Second point, Œuvres, XVIII, p. 162 sq. État de la question. Les molinistes disent que « Jésus-Christ est mort pour le salut de tous les hommes, non seulement quant à la suffisance du prix, qui pouvait être appliqué à tous ; mais encore avec une volonté sincère et efficace de sa part, de les faire tous jouir du fruit de sa passion » : p. 162. Les augustiniens disent « qu’on peut dire que Jésus-Christ est mort généralement pour tous les hommes à ne considérer que la suffisance du prix de sa mort, et la dette dont il s’est chargé en prenant la nature humaine, qui est commune à tous les hommes.

Mais qu’à proprement parler, et selon l’application du prix de son sang, il est mort pour tous les fidèles qui, par le baptême et les autres sacrements, ont part aux grâces qu’il a méritées par sa mort ; qui sont appelés du nom de tous les hommes, et de tout le monde, parce qu’ils sont répandus par tout le monde, selon l’Écriture (Joan, 11. 52), et non pas généralement pour tous les hommes, en y comprenant tous les impies, et les idolâtres, qui étaient déjà dans l’enfer, avant qu’il vint au monde (ce que les conciles ont condamné comme une erreur insupportable) (Conc. Val. C. 4) et ceux qui, depuis son incarnation, ne l’ont point reconnu pour leur Sauveur.

Et qu’il est mort encore plus particulièrement pour tous les élus ; parce que c’est sur eux qu’il répand ses plus grandes grâces, et qu’il a voulu que sa mort leur servit pour les rendre éternellement heureux, comme étant ces enfants de Dieu dispersés par toute la terre, pour lesquels il devait mourir, selon l’Évangile (Joan, 11, 52 ; Joan, 17, 6 ; 17, 9 ; 10, 11 ; 10, 28), afin de les rallier dans son Église : comme étant ceux que son Père lui a donnés, pour être particulièrement à lui, et pour lesquels il témoigne, qu’il le prie, et non pour le monde : et comme étant ses brebis chéries et bien aimées, pour lesquelles il déclare qu’il voulait donner sa vie, en assurant en même temps que nulle d’elles ne périrait » : p. 162-163.

Arnauld Antoine, Apologie de M. Jansénius, IIIe sermon, article XVII, p. 172 sq. En quel sens selon saint Augustin et les pères Jésus-Christ est mort pour tout le monde. Concordance de Jansénius et de saint Paul. Tous s’entend de toute l’Église, et non des païens : p. 173. En quel sens le Christ n’est pas mort pour les seuls prédestinés : p. 175. En quels termes la maxime que Jésus est mort pour tous les hommes se trouve dans Jansénius : p. 177. Voir article XXI, p. 215 sq., En quelle sorte Jésus-Christ est le rédempteur de tout le monde. Voir article XXVI, p. 227 sq., Explication de ce que dit le concile touchant la mort de Jésus-Christ pour tous les hommes. Et particulièrement article XXXI, p. 242, Que le mot de tous ne se prend pas toujours si universellement dans l’Écriture, qu’il comprenne tous les hommes en général, sans en excepter aucun. Le problème rhétorique est traité dans le même article XXXI, p. 244 sq., Que les explications que saint Augustin donne aux passages de saint Paul, Dieu veut que tous les hommes soient sauvés, et Jésus-Christ s’est donné pour la rédemption de tous, sont très raisonnables, et très conformes au langage de l’Écriture. Arnauld relève plusieurs procédés connus des logiciens, notamment la distributio commoda (distribution accommodée au sujet dont on parle, p. 245) et la distributio pro generibus singulorum, et non pro singulis generum (l’acception d’un terme universel pour les divers genres d’une chose, et non pas pour chaque chose en particulier de ces divers genres, p. 247).

 

Le Christ comme médiateur

 

Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221). Dieu par Jésus-Christ.

Laf. 781, Sel. 644. Ce n’est pas de cette sorte que l’Écriture qui connaît mieux les choses qui sont de Dieu en parle. Elle dit au contraire que Dieu est un Dieu caché et que depuis la corruption de la nature il les a laissés dans un aveuglement dont ils ne peuvent sortir que par J.-C., hors duquel toute communication avec Dieu est ôtée. Nemo novit patrem nisi filius et cui filius voluit revelare.

Excellence 2 (Laf. 190, Sel. 222), et Excellence 3 (Laf. 190, Sel. 223). Préface. Les preuves de Dieu métaphysiques sont si éloignées du raisonnement des hommes et si impliquées qu’elles frappent peu, et quand cela servirait à quelques-uns, cela ne servirait que pendant l’instant qu’ils voient cette démonstration, mais une heure après ils craignent de s’être trompés. [...] C’est ce que produit la connaissance de Dieu qui se tire sans J.-C. qui est de communiquer sans médiateur avec le Dieu qu’on a connu sans médiateur. Au lieu que ceux qui ont connu Dieu par médiateur connaissent leur misère.

Mesnard Jean, “Au cœur de l’apologétique pascalienne : Dieu par Jésus-Christ”, in La culture du XVIIe siècle, p. 414-425. En Jésus-Christ se résume tout le christianisme. En Jésus considéré non pas d’abord dans sa personne, ni même dans son message, mais dans sa mission salvatrice dans son rapport à Dieu et dans son rapport aux hommes. Prouver Dieu en chrétien, c’est prouver Jésus-Christ : p. 415. Les deux vérités centrales du christianisme sont réunies en Jésus-Christ : p. 416. Renvoi à Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Jésus-Christ est envoyé porteur d’un message, mais il signifie en sa personne la doctrine qu’il prêche : p. 416. La structure de la doctrine chrétienne est résumée en deux figures, Adam et le Christ ; on peut même la résumer en une seule, le Christ comme nouvel Adam, vers lequel convergent tout le drame de l’homme et tout le dessein de Dieu : p. 423.

Mesnard Jean, Pascal, coll. Les écrivains devant Dieu, Paris, Desclée de Brouwer, 1965, p. 122 sq.

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993, p. 235.

Saint Augustin, La cité de Dieu, IX, XV, 1, t. 34, Bibliothèque augustinienne, p. 387 sq. Le Christ est médiateur parce qu’il a des traits des deux extrêmes, de l’homme et de Dieu : il est mortel comme l’homme, et source de bonheur comme Dieu. Il fallait qu’il ne fût ni exclu de la mortalité, ni astreint à y rester. Mortel comme homme, source de bonheur comme Dieu, Jésus-Christ est le parfait médiateur. Il doit posséder une mortalité transitoire et une béatitude permanente : mortel pour un temps et bienheureux dans l’éternité. Voir p. 390, n. 1, l’argumentation sur l’unité nécessaire au Médiateur qui mène au bien ; ce ne peut être que Dieu même.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, I, p. 437 sq. En tant que prêtre sacrificateur du Nouveau Testament, le Christ est le médiateur entre la divinité et l’humanité pécheresse. Jésus est le médiateur unique, les saints et les prêtres ne le sont que de manière dérivée. Voir dans le même sens Bouyer L., Dictionnaire théologique, p. 428.

Michon Hélène, L’ordre du cœur. Philosophie, théologie et mystique dans les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2007, p. 186 sq. Le Christ et la connaissance de Dieu selon Pascal. Le Christ et la connaissance de soi : p. 189 sq.

De Nadaï Jean-Christophe, Jésus selon Pascal, Paris, Desclée, 2008, p. 243 sq. Le Médiateur, titre néotestamentaire : voir Galates, III, 19-20, I Timothée, II, 5, Hébreux, VIII, 6, IX, 15 et XII, 24. Le Christ est essentiellement médiateur selon une médiation descendante : il est celui par qui Dieu se fait connaître et se communique aux hommes.

 

L’homme ne se connaît lui-même que par Jésus-Christ

 

Voir Excellence 1 (Laf. 189, Sel. 221). Dieu par Jésus-Christ.

Dossier de travail (Laf. 417, Sel. 36). Non seulement nous ne connaissons Dieu que par Jésus-Christ mais nous ne nous connaissons nous-mêmes que par J.-C. ; nous ne connaissons la vie, la mort que par Jésus-Christ. Hors de J.-C. nous ne savons ce que c’est ni que notre vie, ni que notre mort, ni que Dieu, ni que nous-mêmes. Ainsi sans l’Écriture qui n’a que J.-C. pour objet nous ne connaissons rien et ne voyons qu’obscurité et confusion dans la nature de Dieu et dans la propre nature.

 

Prédiction et attente d’un Messie chez les Juifs

 

Cazelles Henri, Introduction à la Bible, tome 2, Introduction critique à l’Ancien Testament, p. 656 sq. Daniel et le messianisme. Selon le P. Lagrange, Daniel est le premier à envisager l’histoire du monde comme une préparation au règne de Dieu, à souder cette aurore aux espérances d’Israël, et à conduire le dessein de Dieu sur les hommes jusqu’au seuil de l’éternité.

Lods Adolphe, Les prophètes d’Israël, p. 324. Les Juifs attendent de Dieu des biens terrestres que Dieu réserve en récompense aux justes. Ils attendent du messie de plus grands miracles que Moïse, et ils voient en lui un grand prince terrestre. Voir Loi figurative 19 (Laf. 264, Sel. 295) et Perpétuité 9 (Laf. 287, Sel. 319).

Scholem Gershom, Le Talmud, Paris, Payot, 1967, p. 413 sq. L’attente du Messie chez les Juifs.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 476 sq. Sur l’annonce messianique.

 

Le Jésus-Christ politique des libertins

 

Charles-Daubert Françoise, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, p. 84. Habileté politique du Christ selon Vanini.

Traité des trois imposteurs, p. 52 sq. Voir p. 55 sq. Politique de Jésus-Christ. Voir p. 58 : sa méthode pour attirer les hommes, contraire à celle de Moïse.

Cardan Jérôme, De sapientia, Livre III, Opera, I, p. 561, où Cardan fait l’éloge de la sagesse humaine à l’aide de plusieurs épisodes de la vie du Christ : « Est et tertium sapientiae humanae genus laudabile, atque adeo, naturali proximum, ut parum ab illo differre putem. Estque admirabile, cum verbis cavillatoriis illum deludimus hoc, Servator ter usus est : Cum enim Judaei, calumniae causa illum interrogarent, adducta adultera, an eam deberent lapidare ? intelligens dolum : (nam absolventi, lex et malum exemplum obstabat, condemnanti, crudelitas objecta fuisset) : respondit, qui sine peccato est, illam vestrum primus adoriatur : atque ita, nec damnavit, nec absolvit, cum non esset, qui in illam, ex hac sententia, primus invaderet ; quo sublato, cum omnes per successionem, locus ille occuparet, mulier nullo accusante, nec poenam legis reposcente, dimissa est : Cum vero interrogaretur, an tributum Caesari dare liceret, undique angustiis urgentibus, (quod neganti, crimen in Caesarem intentatae seditionis objici poterat ; concedente, lex omnis Mosis ac divina solvebatur) nummum videre voluit, sciscitatusque imaginem, cum dicerent, Caesaris eam esse, respondit , quae Caesaris essent, Caesari reddenda, quae Dei, Deo. Rursus, cum interrogaretur, in qua potestate doceret, cognovit calumniam : nam divina auctoritas periculum ei afferebat, quod odiosa esset illis : sacerdotio autem carens, humanam praeferre non poterat. Respondit igitur interrogando et ipse, in qua potestate Ioannes baptizaret : cumque illi eodem in discrimine essent, siluerunt. Nam dicentibus inventum hominis fuisse, periculum ex populo imminebat : fatentibus a Deo habuisse originem, infamia praesens illis aderat, quod illi non credidissent : ita periculum periculo, infamiam infamiae opposuit. His ergo tribus responsis, tantae admirationi apud populum fuit, ut non magis miraculis ipsis celebraretur. Refert enim Apostolus, (quod in miraculis nunquam acciderat), tum maxime in secundo responso adeo illos obstupuisse, ut per totam diem nunquam vel interrogare, vel hiscere adversus eum aussi sint. In eodem etiam genere Sapientiae est, quae efficacibus rationibus ac veris, utilia persuadet : quale illud, quod ex contrariis sumitur. » Cette argumentation sur l’habileté politique du Christ est classique chez les esprits libres ; elle se trouve aussi chez Vanini ; on la retrouve plus tard dans le Traité des trois imposteurs, § XIII, éd. Retat, p. 55-57.

Lenoble Robert, Mersenne ou la Naissance du Mécanisme, p. 178, sur le Christ réaliste de Vanini.