Dossier thématique : L’orgueil dans les Pensées

 

Sur l’orgueil, l’édition GEF renvoie à Bossuet, Traité de la Concupiscence, ch. XXIII.

L’orgueil est capable de se satisfaire par une sorte de ruse, qui consiste à se sacrifier en apparence, pourvu que ce sacrifice même fasse l’objet de l’estime des hommes.

Laf. 628, Sel. 521. Du désir d’être estimé de ceux avec qui on est. L’orgueil nous tient d’une possession si naturelle au milieu de nos misères, erreur, etc. Nous perdons encore la vie avec joie pourvu qu’on en parle.

Ceux qui ignorent la religion chrétienne et la personne du Christ ne peuvent manquer de tomber dans l’orgueil, parce qu’ils ignorent la corruption de la nature humaine : voir Fausseté des autres religions 6 (Laf. 208, Sel. 240), Sans ces divines connaissances qu’ont pu faire les hommes sinon ou s’élever dans le sentiment intérieur qui leur reste de leur grandeur passée, ou s’abattre dans la vue de leur faiblesse présente ? Car ne voyant pas la vérité entière ils n’ont pu arriver à une parfaite vertu, les uns considérant la nature comme incorrompue, les autres comme irréparable, ils n’ont pu fuir ou l’orgueil ou la paresse, qui sont les deux sources de tous les vices, puisqu’ils ne peuvent sinon ou s’y abandonner par lâcheté, ou en sortir par l’orgueil. Car s’ils connaissaient l’excellence de l’homme, ils en ignorent la corruption, de sorte qu’ils évitaient bien la paresse, mais ils se perdaient dans la superbe, et s’ils reconnaissent l’infirmité de la nature ils en ignorent la dignité, de sorte qu’ils pouvaient bien éviter la vanité, mais c’était en se précipitant dans le désespoir.

Seule la religion chrétienne évite de faire du renoncement à l’orgueil matière d’une sorte d’orgueil nouveau. Voir Morale chrétienne 4 (Laf. 354, Sel. 386). Il n’y a point de doctrine plus propre à l’homme que celle‑là qui l’instruit de sa double capacité de recevoir et de perdre la grâce à cause du double péril où il est toujours exposé de désespoir ou d’orgueil.

Fausseté des autres religions 14 (Laf. 216, Sel. 249). La vraie religion enseigne nos devoirs, nos impuissances, orgueil et concupiscence, et les remèdes, humilité, mortification.

A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Quelle religion nous enseignera donc à guérir l’orgueil et la concupiscence ? Quelle religion enfin nous enseignera notre bien, nos devoirs, les faiblesses qui nous en détournent, la cause de ces faiblesses, les remèdes qui les peuvent guérir, et le moyen d’obtenir ces remèdes. Toutes les autres religions ne l’ont pu. Voyons ce que fera la sagesse de Dieu.

Excellence 5 (Laf. 192, Sel. 225). La connaissance de Dieu sans celle de sa misère fait l’orgueil. La connaissance de sa misère sans celle de Dieu fait le désespoir. La connaissance de Jésus‑Christ fait le milieu parce que nous y trouvons, et Dieu, et notre misère.

Morale chrétienne 2 (Laf. 352, Sel. 384)La misère persuade le désespoir. L’orgueil persuade la présomption. L’Incarnation montre à l’homme la grandeur de sa misère par la grandeur du remède qu’il a fallu.

La spiritualité chrétienne centrée sur le Christ, débarrasse l’homme de l’orgueil. Voir Fausseté des religions 10 (Laf. 212, Sel. 245). Jésus‑Christ est un Dieu dont on s’approche sans orgueil, et sous lequel on s’abaisse sans désespoir.

Morale chrétienne 8 (Laf. 358, Sel. 390). Avec combien peu d’orgueil un chrétien se croit-il uni à Dieu ! Avec combien peu d’abjection s’égale-t-il aux vers de la terre ! La belle manière de recevoir la vie et la mort, les biens et les maux !

Pensée n° 15P (Laf. 931, Sel. 759). Et je bénis tous les jours de ma vie mon Rédempteur, qui les a mis en moi et qui d’un homme plein de faiblesse, de misère, de concupiscence, d’orgueil et d’ambition a fait un homme exempt de tous ces maux par la force de sa grâce, à laquelle toute la gloire en est due, n’ayant de moi que la misère et l’erreur.

Laf. 774, Sel. 638. Comme les deux sources de nos péchés sont l’orgueil et la paresse, Dieu nous a découvert deux qualités en lui pour les guérir : sa miséricorde et sa justice. Le propre de la justice est d’abattre l’orgueil, quelque saintes que soient les œuvres : et non intres in judicium, etc., et le propre de la miséricorde est de combattre la paresse en invitant aux bonnes œuvres, selon ce passage : la miséricorde de dieu invite à pénitence, et cet autre des Ninivites : faisons pénitence pour voir si par aventure il aura pitié de nous.

Laf. 800, Sel. 652. L’Écriture a pourvu de passages pour consoler toutes les conditions, et pour intimider toutes les conditions. La nature semble avoir fait la même chose par ces deux infinis, naturels et moraux : car nous aurons toujours du dessus et du dessous, de plus habiles et de moins habiles, de plus élevés et de plus misérables, pour abaisser notre orgueil, et relever notre abjection.

On trouve dans les Pensées un fragment dans lequel Pascal tente de définir ce qu’est la juste part d’un orgueil bien réglé, qui ne serait pas vicieux : voir Pensée n° 17R (Laf. 933, Sel. 761).

Concupiscence de la chair, concupiscence des yeux, orgueil, etc.

Il y a trois ordres de choses. La chair, l’esprit, la volonté.

Les charnels sont les riches, les rois. Ils ont pour objet le corps.

Les curieux et savants, ils ont pour objet l’esprit.

Les sages, ils ont pour objet la justice.

Dieu doit régner sur tout et tout se rapporter à lui.

Dans les choses de la chair règne proprement sa concupiscence.

Dans les spirituels, la curiosité proprement.

Dans la sagesse l’orgueil proprement.

Ce n’est pas qu’on ne puisse être glorieux pour le bien ou pour les connaissances, mais ce n’est pas le lieu de l’orgueil, car en accordant à un homme qu’il est savant on ne laissera pas de le convaincre qu’il a tort d’être superbe.

Le lieu propre à la superbe est la sagesse, car on ne peut accorder à un homme qu’il s’est rendu sage et qu’il a tort d’être glorieux. Car cela est de justice.

Aussi Dieu seul donne la sagesse et c’est pourquoi : qui gloriatur in domino glorietur.