Hugo Grotius, De veritate religionis christianae.

 

Hugo de Groot, dit Grotius, (1583-1645), est un juriste d’origine hollandaise, qui fut un grand humaniste érudit. Sa vie aventureuse le conduisit successivement en Hollande, en France où il fut ambassadeur, en Allemagne, en Suède. Il tâta même de la prison. Son œuvre compte des traités de droit, qui lui valurent une grande réputation. Le De jure belli ac pacis (Du droit de la guerre et de la paix), dédié à Louis XIII, est l’un des ouvrages de philosophie politique essentiels du XVIIe siècle. Ses qualités de théologien protestant sont attestées par la publication du De veritate religionis christianae (1627) dont Pascal a tiré des informations pour l’ouvrage qu’il préparait en faveur de la religion chrétienne. Une traduction française en a été procurée par P. Le Jeune, mais il est préférable d’utiliser le texte latin, qui contient une abondante annotation et des références précieuses, qui témoignent de l’érudition de l’auteur.

Sur sa vie, on peut recourir à l’article Grotius du Dictionnaire du Grand Siècle de François Bluche. En revanche, il semble qu’une étude approfondie de la manière dont Pascal a pu exploiter le livre de Grotius attende encore son auteur.

Le livre I traite de l’existence, de la nature et des attributs de Dieu, par des preuves métaphysiques et rationnelles, dont on sait que Pascal les a rejetées. Grotius y aborde aussi les questions « de Mosis veracitate et antiquitate », et plusieurs points d’histoire du peuple juif. Le livre II aborde l’histoire et la personne de Jésus, et l’excellence de la religion qu’il a prêchée, la sainteté de ses préceptes, ses miracles. Le Livre III traite de l’autorité du Nouveau Testament : Pascal a pu y trouver des preuves en faveur de la sincérité des évangélistes (§ V-VI), et la réponse à l’objection des différences entre les évangiles (« solutio objectionis quod his libris quaedam inter se repugnantia contineantur », § XIII).

Le livre IV aborde les autres religions que la chrétienne : Grotius commence par le paganisme, notamment sur le fait de savoir si les miracles et les oracles accomplis parmi les païens peuvent être crus (§ VIII, IX), problème que Pascal a évoqué dans ses textes sur les miracles.

Le Livre V propose une « refutatio Judaïsmi » générale, qui répond aux attaques opposées par les Juifs à la religion chrétienne. Grotius consacre un important paragraphe VI au fait que la loi de Jésus n’a pas contredit, mais perfectionné la loi de Moïse, point sur lequel repose en partie l’argumentation sur les Preuves de Moïse et les Preuves de Jésus-Christ (« Pars vero illa legis cujus necessitas a Christo sublata est nihil continebat sui natura honestum »). Le cas de la circoncision, qui a donné lieu aux textes de Pascal sur la circoncision du cœur, est abordé dans le § XI. Enfin, dans le § XVII, Grotius confirme par les prophéties que Jésus-Christ a été le Messie annoncé dans l’Ancien Testament.

Le Livre VI est consacré à la « refutatio Mahumetismi ». Il semble que ce soit de cette source que Pascal ait tiré les idées principales de la liasse Fausseté des autres religions, alors que, sur les sujets traités dans les cinq premiers livres, son information provient d’autres sources. Sur le sixième livre de Grotius, il a effectué une sélection toute personnelle.

 

JE destine ce sixième livre à réfuter le Mahométisme. Avant la naissance de cette fausse Religion, Dieu avait déployé sur l’Église chrétienne de très sévères jugements, qu’elle n’avait que trop mérités. Cette piété solide et pure, qui avait fleuri parmi les chrétiens dans les cruelles persécutions, dont ils avaient été l’objet, s’était peu à peu altérée, depuis que la conversion de Constantin, et la profession que les empereurs suivants firent du christianisme, eurent fait succéder le calme au trouble, attaché de l’honneur et de la gloire à notre religion, et confondu le monde avec l’Église, en y introduisant la pompe et les maximes mondaines. On vit alors les princes chrétiens se consumer les uns les autres par des guerres continuelles, qu’ils auraient souvent pu terminer par une heureuse paix. Alors les évêques commencèrent à se disputer le rang avec une chaleur indigne de leur caractère. Alors il arriva ce qui était arrivé au premier homme. Il avait préféré l’arbre de science à l’arbre de vie, et attiré par là sur lui et sur ses descendants une infinité de maux. De même l’Église, dans cette période dont nous parlons, prit plus de goût à une science curieuse et téméraire, qu’à la véritable piété, et fit de la religion un art méthodique et une matière à raisonnement. Cette dépravation de goût eut bientôt de fâcheuses suites. Dieu avait autrefois confondu l’orgueil de ceux qui bâtissaient la tour de Babel en confondant leur langage. On vit alors quelque chose de semblable dans l’ Église. Cette affectation hardie de connaître à fond les plus sublimes mystères de la religion, mit de la diversité dans les expressions des docteurs, et par cela même, des sentiments de désunion dans leur cœur. La vue de ces malheurs naissants jeta le Peuple dans le doute et dans l’incertitude sur les objets de sa foi ; et une fausse préoccupation pour ses maîtres le retenant dans le respect, il aima mieux chercher la cause de ces nouveaux troubles dans l’Écriture même, que dans la témérité de ces esprits inquiets et curieux. Il s’accoutuma donc à regarder la parole de Dieu comme une chose qui cachait un poison dangereux, et contre laquelle il fallait se tenir sur ses gardes. Ce mal fut suivi d’un autre. Comme si l’on eût voulu rappeler le Judaïsme, on commença à faire consister la religion, non dans la pureté de l’âme, mais dans des cérémonies. On l’appliqua à certaines choses plus propres à exercer le corps, qu’à corriger le cœur. On vint à élever le zèle de parti, et l’attachement à certaines opinions, au-dessus de toutes les autres vertus : ainsi le christianisme intérieur et véritable devint aussi rare, que l’extérieur et l’apparent était ordinaire.

Dieu ne put voir cette corruption sans témoigner par ses châtiments combien elle lui était odieuse. Du fond de la Scythie et de l’Allemagne il tira des armées innombrables, dont il couvrit le monde chrétien. Mais voyant que les ravages effroyables que firent ces armées, et les sanglantes victoires qu’elles remportèrent sur les chrétiens, n’étaient d’aucune efficace pour l’amendement de ceux qui échappèrent à ces terribles ennemis : il permit dans sa juste colère, qu’il s’élevât dans l’Arabie un faux prophète, le fameux Mahomet, et qu’il formât une nouvelle religion, directement contraire à la religion chrétienne, mais assez conforme à la vie de la plupart des chrétiens de ce temps-là. Les premiers qui embrassèrent cette nouvelle doctrine, furent les Sarrazins, qui s’étaient révoltés contre l’empereur Héraclius. Ces peuples subjuguèrent en fort peu de temps l’Arabie, la Syrie, la Palestine, l’Égypte, et la Perse. L’Afrique et l’Espagne eurent aussi le même sort. Quelques siècles s’étant écoulés, les Turcs, peuples très belliqueux, vinrent enlever aux Sarrazins une bonne partie de ce qu’ils avaient conquis ; et après plusieurs combats, ils acceptèrent l’offre que ceux-ci leur firent d’entrer par une alliance dans les mêmes intérêts. Ils se laissèrent ensuite aisément persuader de recevoir la Religion de leurs nouveaux alliés : religion commode, et qui flattait par ses maximes la licence de leurs mœurs. Peu à peu ils devinrent les maîtres, et jetèrent les fondements d’un puissant Empire, qui ayant commencé par la prise des villes de l’Asie, et continué par la conquête de la Grèce, s’est étendu par ses victoires jusqu’à la Hongrie, et jusqu’aux frontières de l’Allemagne.

Contre la soumission aveugle, qui est le fondement du Mahométisme.

II. Cette religion a en général deux caractères, l’un d’inspirer la cruauté, et de porter ses sectateurs à répandre du sang ; l’autre, d’exiger une soumission aveugle, de défendre l’examen de ses dogmes, et d’interdire au peuple, par une suite naturelle de ce principe, la lecture des livres qu’elle leur fait recevoir comme sacrés. Dès là, il est aisé de voir l’injustice et le peu de droiture de son auteur, et l’on ne peut qu’on ne le tienne pour suspect. Cette conduite, en effet, ressemble assez à celle d’un marchand qui ne voudrait vendre ce dont il trafique, qu’à condition qu’on l’achetât sans le voir et sans l’examiner. Il est vrai qu’en matière de religion, tout le monde n’a pas les yeux également propres à discerner le vrai d’avec le faux ; et que la présomption, les passions, et le préjugé de la coutume obscurcissent l’Esprit de la plupart des hommes ; et l’engagent dans l’erreur. Mais d’ailleurs, on ne saurait, sans faire injure à la bonté de Dieu, s’imaginer qu’il ait rendu le chemin du salut inaccessible à ceux qui le cherchent préférablement aux avantages et à la gloire du monde ; qui pour y parvenir soumettent à Dieu, et leurs personnes, et tout ce qu’ils possèdent, et lui demandent un secours. Et puisqu’il a donné à tous les hommes le pouvoir de juger des choses, pourquoi n’exerceraient-ils pas leur jugement sur les objets les plus dignes d’être connus, et que l’on ne peut ignorer sans courir le risque de perdre la félicité éternelle ?

Preuve contre les mahométans, tirée de l’Écriture Sainte dont ils avouent en partie la divinité.

III. Mahomet et ses sectateurs avouent que Moïse et Jésus-Christ ont été envoyés de Dieu, et que ceux qui ont travaillé à répandre et à établir la religion chrétienne ont été des personnes saintes et pieuses. Cependant l’Alcoran, qui est la loi de Mahomet, oblige à croire quantité de choses contraires à celles que Moïse et Jésus-Christ nous apprennent. Je n’en rapporterai qu’un exemple. Tous les apôtres et tous les disciples de Jésus-Christ disent d’un commun consentement, qu’après que notre Seigneur fut mort sur la croix, il ressuscita le troisième jour, et fut vu par un grand nombre de personnes. Mahomet, au contraire, enseigne que Jésus-Christ fut enlevé secrètement dans le ciel, et que ce ne fut qu’un fantôme qui fut attaché à la croix ; qu’ainsi il ne mourut pas, et qu’il trompa les Juifs par cette illusion.

Que l’Écriture n’a pas été corrompue.

IV. Les mahométans ne peuvent répondre à cette objection, qu’en disant que les livres de Moïse et des disciples de Jésus-Christ ne sont pas demeurés tels qu’ils étaient du commencement, et qu’ils ont été corrompus. C’est précisément ce que répond Mahomet. Mais nous avons déjà fait voir la vanité de cette chicane dans notre troisième livre. Si quelqu’un disait aux mahométans que leur Alcoran est corrompu, ils le nieraient, et prétendraient que cette réponse suffit ; tant qu’on ne leur prouve pas cette corruption. D’ailleurs ils ne peuvent pas apporter en faveur de leurs livres, les arguments que nous alléguons pour les nôtres. Nous disons, par exemple, qu’aussitôt que nos livres sacrés eurent été composés, il s’en répandit par tout le monde une infinité de copies ; qu’ils furent traduits en plusieurs langues, et fidèlement conservés par toutes les sectes du christianisme fort éloignées les unes des autres par la diversité de leurs sentiments : et c’est, encore une fois, ce qu’ils ne peuvent prouver de leurs livres.

Ils se persuadent que dans le Chapitre XIV de l’Évangile de S. Jean où Jésus-Christ promet qu’il envoiera un consolateur, il y avait quelque chose touchant Mahomet, et que les chrétiens l’ont fait éclipser. Là-dessus je leur demande, s’ils croient que les chrétiens ont commis cette fraude avant ou après le temps auquel Mahomet vint au monde ? S’ils disent que cela arriva après que Mahomet eut paru, je soutiens que c’était une chose absolument impossible ; puisque, dès ce temps-là, il y avait par tout le Monde un nombre presque infini d’exemplaires du Nouveau Testament, en grec, en syriaque, en arabe, en éthiopique, en latin même de plus d’une sorte de version, et que tous ces exemplaires s’accordent sur ce passage du chap. XIV sans qu’il y ait la moindre diversité de leçon. S’ils disent que cette corruption se fit avant que Mahomet vînt au monde, je réponds que cela ne se peut dire, puisqu’alors aucune raison n’obligeait les chrétiens à en user ainsi. Car comment auraient-ils pu prendre les devants, à moins que de savoir ce que Mahomet enseignerait un jour ? Et c’est ce qu’ils ignoraient tout à fait. De plus, si les chrétiens eussent trouvé de la conformité entre la doctrine de Mahomet et celle de Jésus-Christ, pourquoi auraient-ils fait plus de difficulté de recevoir les livres de ce nouveau docteur, qu’ils n’en avaient fait d’admettre ceux de Moïse et des autres prophètes du peuple juif ? Enfin supposons que ni les mahométans ni nous, n’ayons aucuns livres qui nous instruisent, eux, de la doctrine de Mahomet, et nous, de celle de Jésus-Christ ; l’équité voudrait sans doute, en ce cas, que l’on regardât comme doctrine de Jésus-Christ, celle que tous les chrétiens reconnaissent pour telle, et comme doctrine de Mahomet, celle que les mahométans disent qu’il a enseignée.

Preuve tirée de la comparaison de la Religion Chrétienne et de la Mahométane et 1. de la comparaison de Jésus-Christ.

V. Comparons à présent ces deux Religions dans ce qu’elles ont et d’essentiel et d’accessoire, et voyons laquelle est la meilleure. Je commence par les auteurs de l’une et de l’autre. Mahomet même avoue que Jésus-Christ est le Messie qui avait été promis dans la Loi et dans les prophètes. Il l’appelle la Parole, l’Intelligence et la Sagesse de Dieu, et il dit qu’il n’a point eu proprement de Père selon la chair : au lieu que pour lui, ses sectateurs croient qu’il est né selon les voies ordinaires. Jésus-Christ a mené une vie pure et irrépréhensible : Mahomet a exercé longtemps l’infâme métier de voleur, et pendant toute sa vie il s’est plongé dans les voluptés criminelles. Jésus-Christ a été élevé dans le ciel, de l’aveu même de Mahomet : et pour ce qui est de lui, il est encore aujourd’hui renfermé dans un sépulcre. Qu’on juge après cela, lequel des deux mérite le plus d’être suivi.

 De la comparaison des actions de l’un et de l’autre.

VI. Examinons ensuite les actions de l’un et de l’autre. Jésus-Christ a rendu la vue aux aveugles, et la santé aux malades ; il a fait marcher les boiteux ; il a fait revivre des personnes mortes, et Mahomet en tombe d’accord ; Mahomet donne pour preuves de sa mission, non le pouvoir de faire des miracles, mais l’heureux succès de ses armes. Quelques-uns néanmoins de ses disciples ont prétendu qu’il en avait fait. Mais c’étaient, ou des choses que l’art seul pouvait produire, comme ce qu’ils disent d’un pigeon qui volait à son oreille ; ou des choses dont ils ne citent aucuns témoins, par exemple, qu’un chameau lui parlait de nuit ; ou qui, enfin, sont si absurdes qu’il ne faut que les proposer pour en faire voir l’extravagance, comme ce que les mêmes auteurs rapportent, qu’une grande partie de la Lune étant tombée dans sa manche, il la renvoya au ciel pour rendre à cet astre la rondeur qu’il avait perdue. Là-dessus, qui ne prononcera que l’on doit s’en tenir à celle de ces deux lois qui a de son côté les témoignages les plus certains de l’approbation divine ?

De la comparaison de ceux qui ont les premiers embrassé le christianisme et le mahométisme.

VII. Jetons aussi les yeux sur ceux qui ont les premiers embrassé ces deux lois. Ceux qui se soumirent d’abord à l’Évangile étaient des personnes qui craignaient Dieu, et dont la vie était simple et sans faste. Or il est de la bonté de Dieu de ne pas souffrir que des personnes, qui ne tâchent qu’à lui plaire, soient trompées par des apparences de miracles. Les premiers sectateurs de Mahomet étaient des voleurs de grand chemin, et qui, bien loin d’avoir quelques sentiments de piété, n’avoient pas même ceux de l’humanité.

De la comparaison des moyens par lesquels ces deux religions se sont établies.

VIII. la religion chrétienne n’a pas moins d’avantage sur celle de Mahomet, à l’égard de la manière dont l’une et l’autre se sont répandues dans le monde. La première doit ses progrès tant aux miracles de Jésus-Christ, et à ceux de ses disciples et de leurs Successeurs, qu’à la confiance qu’ils témoignèrent dans les supplices. Les docteurs du mahométisme n’ont fait aucuns miracles, et n’ont souffert ni misères ni mort violente pour la défense de leurs sentiments. cette religion ne s’est étendue qu’à la faveur des armes, et ses progrès se sont réglés sur le succès des guerres de ses sectateurs ; de sorte qu’elle servait en quelque manière d’accessoire aux victoires qu’ils remportaient. Cela est si vrai, que les docteurs mahométans ont fait de ces succès et de la grande étendue de pays que leurs princes ont subjuguée, l’unique preuve de la vérité de leur religion. Mais qu’y a-t-il de plus équivoque et de moins sûr que cette espèce de preuve ? Ils rejettent avec nous la religion païenne. Cependant personne n’ignore, ni les victoires signalées qu’ont remportées les Perses, les Macédoniens, et les Romains ; ni la vaste étendue de leurs empires. Ces grands succès mêmes, dont nos adversaires se vantent, n’ont pas été constants et perpétuels. Sans parler des désavantages qu’ils ont eus dans leurs guerres tant par terre que par mer, on les a contraints d’abandonner l’Espagne dont ils s’étaient rendus maîtres. Or ce qui doit servir de caractère à la véritable religion, ne doit être ni commun aux méchants et aux personnes vertueuses, ni sujet au changement.

J’ajoute que ce caractère ne doit avoir en lui-même rien d’injuste : c’est ce que les Mahométans ne peuvent pas dire de leurs guerres. Ils les ont entreprises pour la plupart contre des Peuples qui ne les avaient pas inquiétés, et dont ils n’avoient aucun lieu de se plaindre ; de sorte qu’ils en étaient réduits à colorer ces guerres du prétexte de la religion : ce qui choque directement les fondements de la religion même. Dieu ne peut agréer le service que les hommes lui rendent, à moins qu’il ne parte d’une volonté pleine et entière. Or la volonté ne se peut fléchir, ni par les menaces, ni par la violence, mais par l’instruction et par la persuasion. Lorsqu’on ne croit que parce qu’on y est contraint, on ne croit pas proprement, mais on fait semblant de croire pour se soustraire à la persécution. On peut dire aussi que ceux qui par la violence des maux ou par la terreur des menaces, veulent tirer des autres un consentement forcé, se font beaucoup plus de tort qu’ils ne pensent, puisqu’ils découvrent par là qu’ils se défient de la force de leurs raisons. Outre ce défaut que les mahométans ont de commun avec tous les Persécuteurs, ils en ont un autre qui leur est particulier. C’est qu’après avoir pris pour prétexte de leurs guerres le désir d’étendre les bornes de leur Religion, ils détruisent ensuite ce prétexte par la permission qu’ils donnent aux Peuples qu’ils ont vaincus, de suivre telle religion qu’il leur plait ; et par l’aveu public que quelques-uns d’entr’eux font, que ceux qui vivent dans la profession du christianisme peuvent être sauvés.

De la comparaison de la morale chrétienne avec celle de Mahomet.

IX. Comparons enfin la morale de Jésus-Christ, avec celle de Mahomet. L’une nous ordonne de souffrir patiemment les maux, et d’aimer même ceux qui nous les causent : l’autre autorise la vengeance. L’une affermit l’union du mari et de la femme, en les obligeant à se supporter mutuellement : l’autre permet le divorce pour quelque raison que ce soit.

L’une oblige le mari à faire pour la femme ce que la femme fait pour le mari, et veut qu’il lui montre par son exemple à ne partager pas son affection : l’autre veut bien qu’il prenne plusieurs femmes, et qu’il ranime par là sa passion refroidie. la loi de Jésus-Christ ramène la religion de l’extérieur à l’intérieur, et la cultive dans le cœur pour lui faire produire des fruits propres à édifier le prochain : la loi de Mahomet borne presque tous ses préceptes et toute son efficace à la circoncision, et à d’autres choses indifférentes par elles-mêmes.

Celle là permet l’usage du vin et de toutes sortes de viandes, pourvu que cet usage soit modéré : celle-ci défend de manger de la chair de porc, et de boire du vin : quoi que dans le fond le vin soit un don de Dieu, utile au corps et à l’esprit, lorsqu’on en use avec sobriété.

Il est vrai que la loi de Jésus-Christ a été précédée de certains rudiments grossiers, et dont l’extérieur semblait avoir quelque chose de puéril : ce qui ne doit pas plus nous surprendre que de voir une ébauche grossière et imparfaite précéder un ouvrage très parfait. Mais qu’après la publication de cette loi excellente, on retourne encore aux ombres et aux figures, c’est en vérité un renversement bien étrange : à moins que l’on n’allègue de bonnes raisons qui prouvent, qu’après une Religion aussi parfaite que la religion chrétienne, il était de la sagesse de Dieu d’en donner une autre aux hommes.

Réponse à l’objection que les mahométans tirent de la qualité de Fils de Dieu que nous donnons à Jésus-Christ.

X. Les Mahométans paraissent scandalisés, de ce que nous disons que Dieu a un Fils, puisque Dieu, disent-ils, n’a point de femme. Mais ils ne prennent pas garde que nous donnons à Jésus-Christ le nom de Fils dans un sens digne de Dieu, et qui n’a rien de charnel. De plus, il ne leur sied guère de nous faire de pareils reproches, après les choses basses et indignes que leur prophète attribue à Dieu. Il dit que les mains de Dieu sont froides, et qu’il le sait parce qu’il les a touchées ; que Dieu se fait porter en chaise, et telles autres puérilités. Lorsque nous disons que Jésus-Christ est le Fils de Dieu, nous n’entendons autre chose que ce que Mahomet dit lui-même, que Jésus-Christ est la parole de Dieu. Car la parole est en quelque façon engendrée par l’entendement. Deux autres raisons de ce titre de Fils de Dieu, sont que Notre Seigneur est né d’une vierge par la seule puissance divine, qui lui a servi de Père, et que par la même puissance, il a été élevé dans le ciel. Mahomet ne le nie pas. Il doit donc reconnaître que ces glorieux privilèges fondent avec raison le nom de Fils de Dieu que nous donnons à Jésus-Christ.

Que les livres des mahométans sont pleins d’absurdités.

XI. Si nous voulions user de récrimination, rapporter ici tout ce qu’il y a de faux, de ridicule, et de contraire à la foi des histoires dans les écrits des mahométans, nous aurions une ample matière de leur insulter et de les couvrir de confusion. Tel est le conte qu’ils font d’une certaine femme très belle, à qui quelques anges, après s’être enivrés, enseignèrent une chanson, par le moyen de laquelle on monte au Ciel, et l’on en descend : à quoi ils ajoutent que cette femme s’étant déjà élevée extrêmement haut par la vertu de cette chanson, Dieu, qui s’en aperçut, l’arrêta tout court, et en fit l’étoile de Vénus.

Tel est cet autre conte, que dans l’Arche de Noé le rat naquit de la fiente de l’éléphant, et le chat de l’haleine du lion. En voici encore quelques autres qui ne valent pas mieux. Ils disent que la mort sera métamorphosée en un bélier, qui aura son siège au milieu de l’espace qui séparera l’Enfer d’avec le Ciel : que dans la vie à venir, ce que l’on mangera se dissipera par les sueurs : qu’à chaque homme seront assignées des troupes de femmes pour assouvir sa passion. En vérité, il faut avoir irrité Dieu, et reçu une grande mesure de l’esprit d’étourdissement, pour admettre des rêveries aussi grossières et aussi sales ; surtout, lorsqu’on est environné de toutes parts, de la lumière de l’Évangile.