Dossier thématique : La recherche de Dieu

 

Pascal appelle recherche l’action qui consiste, chez l’homme, à tendre à la connaissance et à l’amour de Dieu. La recherche est inséparable de la conversion, qui est son but réel. Elle peut prendre plusieurs formes selon le degré d’avancement de l’homme, en commençant par la recherche de l’information, puis avec la prière qui demande la foi, laquelle conduit à la prière de demande d’action. La recherche n’est jamais achevée avant les derniers instants de l’homme.

Le texte dans lequel Pascal a donné la description la plus détaillée de la manière dont il conçoit le processus de la recherche est son Écrit sur la conversion du pécheur, malheureusement inachevé.

 

Sur la conversion du pécheur

 

« La première chose que Dieu inspire à l’âme qu’il daigne toucher véritablement, est une connaissance et une vue tout extraordinaire par laquelle l’âme considère les choses et elle-même d’une façon toute nouvelle.

Cette nouvelle lumière lui donne de la crainte, et lui apporte un trouble qui traverse le repos qu’elle trouvait dans les choses qui faisaient ses délices.

Elle ne peut plus goûter avec tranquillité les choses qui la charmaient. Un scrupule continuel la combat dans cette jouissance, et cette vue intérieure ne lui fait plus trouver cette douceur accoutumée parmi les choses où elle s’abandonnait avec une pleine effusion de son cœur.

Mais elle trouve encore plus d’amertume dans les exercices de piété que dans les vanités du monde. D’une part, la présence des objets visibles la touche plus que l’espérance des invisibles, et de l’autre la solidité des invisibles la touche plus que la vanité des visibles. Et ainsi la présence des uns et la solidité des autres disputent son affection ; et la vanité des uns et l’absence des autres excitent son aversion ; de sorte qu’il naît dans elle un désordre et une confusion qu’[...].

Elle considère les choses périssables comme périssantes et même déjà péries ; et dans la vue certaine de l’anéantissement de tout ce qu’elle aime, elle s’effraye dans cette considération, en voyant que chaque instant lui arrache la jouissance de son bien, et que ce qui lui est le plus cher s’écoule à tout moment, et qu’enfin un jour certain viendra auquel elle se trouvera dénuée de toutes les choses auxquelles elle avait mis son espérance. De sorte qu’elle comprend parfaitement que son cœur ne s’étant attaché qu’à des choses fragiles et vaines, son âme se doit trouver seule et abandonnée au sortir de cette vie, puisqu’elle n’a pas eu soin de se joindre à un bien véritable et subsistant par lui-même, qui pût la soutenir et durant et après cette vie.

De là vient qu’elle commence à considérer comme un néant tout ce qui doit retourner dans le néant, le ciel, la terre, son esprit, son corps, ses parents, ses amis, ses ennemis, les biens, la pauvreté, la disgrâce, la prospérité, l’honneur, l’ignominie, l’estime, le mépris, l’autorité, l’indigence, la santé, la maladie et la vie même ; enfin tout ce qui doit moins durer que son âme est incapable de satisfaire le dessein de cette âme qui recherche sérieusement à s’établir dans une félicité aussi durable qu’elle-même.

Elle commence à s’étonner de l’aveuglement où elle a vécu ; et quand elle considère d’une part le long temps qu’elle a vécu sans faire ces réflexions et le grand nombre de personnes qui vivent de la sorte, et de l’autre combien il est constant que l’âme, étant immortelle comme elle est, ne peut trouver sa félicité parmi des choses périssables, et qui lui seront ôtées au moins à la mort, elle entre dans une sainte confusion et dans un étonnement qui lui porte un trouble bien salutaire.

Car elle considère que quelque grand que soit le nombre de ceux qui vieillissent dans les maximes du monde, et quelque autorité que puisse avoir cette multitude d’exemples de ceux qui posent leur félicité au monde, il est constant néanmoins que quand les choses du monde, auraient quelque plaisir solide, ce qui est reconnu pour faux par un nombre infini d’expériences si funestes et si continuelles, il est inévitable que la perte de ces choses, ou que la mort enfin nous en prive, de sorte que l’âme s’étant amassé des trésors de biens temporels de quelque nature qu’ils soient, soit or, soit science, soit réputation, c’est une nécessité indispensable qu’elle se trouve dénuée de tous ces objets de sa félicité ; et qu’ainsi, s’ils ont eu de quoi la satisfaire, ils n’auront pas de quoi la satisfaire toujours ; et que si c’est se procurer un bonheur véritable, ce n’est pas se proposer un bonheur bien durable, puisqu’il doit être borné avec le cours de cette vie.

De sorte que par une sainte humilité, que Dieu relève au-dessus de la superbe, elle commence à s’élever au-dessus du commun des hommes ; elle condamne leur conduite, elle déteste leurs maximes, elle pleure leur aveuglement, elle se porte à la recherche du véritable bien : elle comprend qu’il faut qu’il ait ces deux qualités, l’une qui dure autant qu’elle, et qu’il ne puisse lui être ôté que de son consentement, et l’autre qu’il n’y ait rien de plus aimable.

Elle voit que dans l’amour qu’elle a eu pour le monde elle trouvait en lui cette seconde qualité dans son aveuglement, car elle ne reconnaissait rien de plus aimable ; mais comme elle n’y voit pas la première, elle connaît que ce n’est pas le souverain bien. Elle le cherche donc ailleurs, et connaissant par une lumière toute pure qu’il n’est point dans les choses qui sont en elle, ni hors d’elle, ni devant elle (rien donc en elle, rien à ses côtés), elle commence de le chercher au-dessus d’elle.

Cette élévation est si éminente et si transcendante, qu’elle ne s’arrête pas au ciel (il n’a pas de quoi la satisfaire) ni au-dessus du ciel, ni aux anges, ni aux êtres les plus parfaits. Elle traverse toutes les créatures, et ne peut arrêter son cœur qu’elle ne se soit rendue jusqu’au trône de Dieu, dans lequel elle commence à trouver son repos et ce bien qui est tel qu’il n’y a rien de plus aimable, et qu’il ne peut lui être ôté que par son propre consentement.

Car encore qu’elle ne sente pas ces charmes dont Dieu récompense l’habitude dans la piété, elle comprend néanmoins que les créatures ne peuvent être plus aimables que le Créateur, et sa raison aidée de la lumière de la grâce lui fait connaître qu’il n’y a rien de plus aimable que Dieu et qu’il ne peut être ôté qu’à ceux qui le rejettent, puisque c’est le posséder que de le désirer, et que le refuser c’est le perdre.

Ainsi elle se réjouit d’avoir trouvé un bien qui ne peut lui être ravi tant qu’elle le désirera, et qui n’a rien au-dessus de soi. Et dans ces réflexions nouvelles elle entre dans la vue des grandeurs de son Créateur, et dans des humiliations et des adorations profondes. Elle s’anéantit en conséquence et ne pouvant former d’elle-même une idée assez basse, ni en concevoir une assez relevée de ce bien souverain, elle fait de nouveaux efforts pour se rabaisser jusqu’aux derniers abîmes du néant, en considérant Dieu dans des immensités qu’elle multiplie sans cesse ; enfin dans cette conception, qui épuise ses forces, elle l’adore en silence, elle se considère comme sa vile et inutile créature, et par ses respects réitérés l’adore et le bénit, et voudrait à jamais le bénir et l’adorer. Ensuite elle reconnaît la grâce qu’il lui a faite de manifester son infinie majesté à un si chétif vermisseau ; et après une ferme résolution d’en être éternellement reconnaissante, elle entre en confusion d’avoir préféré tant de vanités à ce divin maître, et dans un esprit de componction et de pénitence, elle a recours à sa pitié, pour arrêter sa colère dont l’effet lui paraît épouvantable dans la vue de ses immensités...

Elle fait d’ardentes prières à Dieu pour obtenir de sa miséricorde que comme il lui a plu de se découvrir à elle, il lui plaise la conduire et lui faire connaître les moyens d’y arriver. Car comme c’est à Dieu qu’elle aspire, elle aspire encore à n’y arriver que par des moyens qui viennent de Dieu même, parce qu’elle veut qu’il soit lui-même son chemin, son objet et sa dernière fin. En suite de ces prières, elle [...].

Elle commence à connaître Dieu, et désire d’y arriver; mais comme elle ignore les moyens d’y parvenir, si son désir est sincère et véritable, elle fait la même chose qu’une personne qui désirant arriver en quelque lieu, ayant perdu le chemin, et connaissant son égarement, aurait recours à ceux qui sauraient parfaitement ce chemin : [...] elle se résout de conformer à ses volontés le reste de sa vie ; et comme sa faiblesse naturelle, avec l’habitude qu’elle a aux péchés où elle a vécu, l’ont réduite dans l’impuissance d’arriver à cette félicité, elle implore de sa miséricorde les moyens d’arriver à lui, de s’attacher à lui, d’y adhérer éternellement. [...]

Ainsi elle reconnaît qu’elle doit adorer Dieu comme créature, lui rendre grâce comme redevable, lui satisfaire comme coupable, le prier comme indigente [...]. »

 

La recherche n’est par définition jamais acquise par l’homme grâce à ses propres forces ; c’est Dieu qui la lui donne et la lui conserve éventuellement, en rendant bonne sa volonté.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, p. 96. Dieu seul donne la volonté de chercher.

Pensées, éd. Sellier, Mercure de France, p. 447, renvoie à Saint Bernard de Clairvaux, De diligendo Deo, VII. « Dans sa bonté excessive il commence par nous prévenir, puis il réclame de nous un bien juste retour, et, dans l’avenir, il nous réserve les plus douces espérances. Il est riche pour tous ceux qui l’invoquent ; néanmoins, dans toute sa richesse, il n’a rien qui vaille mieux que lui. Il est le terme de nos mérites et notre récompense, il est l’aliment des âmes saintes et la rançon de celles qui sont captives. Si vous êtes déjà pour l’âme qui vous cherche (Thren., III, 25), une source de félicité, qu’êtes-vous donc, Seigneur, pour celle qui vous a trouvé ? Mais ce qui doit paraître étrange, c’est qu’on ne saurait vous chercher si déjà on ne vous a trouvé, si bien que vous voulez qu’on vous trouve pour qu’on vous cherche et qu’on vous cherche afin qu’on vous trouve : mais si on peut vous chercher et vous trouver, nul ne peut vous prévenir ; car, si nous disons : « Dès le matin ma prière vous préviendra, Seigneur (Psalm. LXXXVII, 14), » il n’en est pas moins certain qu’elle serait bien tiède, si votre inspiration, ô mon Dieu, ne commençait par la prévenir elle-même ».

 

La recherche est autant le fait de Dieu que le fait de l’homme

 

Dieu a toujours l’initiative dans le processus de la conversion. Il cherche l’homme pour l’amener à être cherché par lui, et c’est par son inspiration et sa grâce que l’homme commence à le rechercher.

Les Écrits sur la grâce sont largement consacrés à ce problème.

La Lettre sur la possibilité des commandements résout la question par des distinctions.

1. il y a deux manières dont Dieu recherche l’homme : la manière dont Dieu cherche l’homme lorsqu’il lui donne les faibles commencements de la foi pour faire que l’homme lui crie dans la vue de son égarement : Seigneur, cherchez votre serviteur, est bien différente de celle dont Dieu recherche l’homme quand il exauce cette prière, et qu’il le cherche pour se faire trouver.

2. il y a deux manières dont l’homme recherche Dieu : d’abord, l’homme a « les faibles commencements de la foi », et « crie dans la vue de son égarement : Seigneur, cherchez votre serviteur » ; et il y en a une autre, qui suit l’action par laquelle Dieu s’est fait trouver.

Les textes qui en témoignent sont les suivants.

Voir la Lettre sur la possibilité des commandements, 2, § 31-33, OC III, p. 656-657.

« 31. Il ne faut que remarquer qu’il y a deux manières dont l’homme recherche Dieu ; deux manières dont Dieu recherche l’homme ; deux manières dont Dieu quitte l’homme ; deux dont l’homme quitte Dieu ; deux dont l’homme persévère ; deux dont Dieu persévère à lui faire du bien, et ainsi du reste. 32. Car la manière dont Dieu cherche l’homme lorsqu’il lui donne les faibles commencements de la foi pour faire que l’homme lui crie dans la vue de son égarement : Seigneur, cherchez votre serviteur, est bien différente de celle dont Dieu recherche l’homme quand il exauce cette prière, et qu’il le cherche pour se faire trouver. Car celui qui disait : cherchez votre serviteur, avait sans doute déjà été cherché et trouvé. Mais parce qu’il savait bien, lui qui avait l’esprit de prophétie, qu’il y avait une autre manière dont Dieu pouvait le rechercher, il se servait de la première pour obtenir la seconde. 33. Ainsi la manière dont nous cherchons Dieu faiblement, quand il nous donne les premiers souhaits de sortir de nos engagements, est bien différente de la manière dont nous le cherchons, quand, après qu’il a rompu les liens, nous marchons vers lui en courant dans la voie de ses préceptes. »

On peut compléter avec la Lettre sur la possibilité des commandements, 4, § 11-12, OC III, p. 681.

« 11. C’est ainsi que saint Augustin n’est pas contraire à lui-même, lorsque ayant fait deux livres entiers pour montrer que la persévérance est un don de Dieu, il ne laisse pas de dire en un endroit de ses livres que la persévérance peut être méritée par les prières, car il est sans doute que la persévérance dans la justice peut être méritée par la persévérance dans la prière ; mais la persévérance dans la prière ne le peut être ; et c’est proprement elle qui est ce don spécial de Dieu dont parle le Concile ; et c’est ainsi que la persévérance en commun est un don spécial, et que la persévérance qui peut être méritée, est la persévérance des œuvres ; ce qui paraît par cette expression même : la persévérance peut être méritée par les prières. 12. C’est ainsi qu’il ne se contredit pas, lorsque, ayant établi par tous ces principes que la grâce est tellement efficace et nécessaire que l’homme ne quitte jamais Dieu, si Dieu ne le laisse auparavant sans ce secours, puisque, tant qu’il lui plaît de le retenir, l’homme ne s’en sépare jamais, il ne laisse pas de dire en quelques endroits que Dieu, ne quitte point le juste que le juste ne l’ait quitté, parce que ces deux choses subsistent ensemble, à cause de leur différent sens. Car Dieu ne cesse point de donner ses secours à ceux qui ne cessent point de les demander. Mais aussi l’homme ne cesserait jamais de les demander, si Dieu ne cessait de lui donner la grâce efficace de les demander : de sorte qu’en cette double cessation, il arrive qu’en Dieu commence l’une toujours, et qu’il ne commence jamais l’autre. »

Il y a donc :

1. une première recherche de l’homme par Dieu,

2. une première manière dont Dieu trouve l’homme, qui provoque une naissance faible de la foi, et la demande d’être cherché ; c’est dans ce sens que l’on peut dire que l’homme a déjà été trouvé par Dieu, ou qu’il a déjà trouvé Dieu.

3. une deuxième manière dont Dieu cherche l’homme ;

4. et une deuxième manière dont l’homme est trouvé.

On obtient la deuxième par la première : « la manière dont Dieu cherche l’homme lorsqu’il lui donne les faibles commencements de la foi pour faire que l’homme lui crie dans la vue de son égarement : Seigneur, cherchez votre serviteur, est bien différente de celle dont Dieu recherche l’homme quand il exauce cette prière, et qu’il le cherche pour se faire trouver. Car celui qui disait : cherchez votre serviteur, avait sans doute déjà été cherché et trouvé. Mais parce qu’il savait bien, lui qui avait l’esprit de prophétie, qu’il y avait une autre manière dont Dieu pouvait le rechercher, il se servait de la première pour obtenir la seconde ».

La formule célèbre de la Pensée n° 8H r° (Laf. 919, Sel. 751), Tu ne me chercherais pas si tu ne m’avais trouvé, et de la Pensée n° 13N (Laf. 929, Sel. 756), Tu ne me chercherais pas si tu ne me possédais. Ne t’inquiète donc pas, est une conséquence directe de cet état de choses. Elle est d’ailleurs directement dans Pascal dès la Lettre sur la possibilité des commandements, L2, § 31, OC III, p. 656: « celui qui disait : cherchez votre serviteur, avait sans doute déjà été cherché et trouvé. » Elle est tirée du Traité de l’amour de Dieu, et du sermon 84 sur le Cantique des cantiques, de saint Bernard, qui soutient que, puisque toute recherche est l’effet d’une grâce, chercher Dieu, c’est être cherché par lui. Voir Icard Simon, Port-Royal et saint Bernard de Clairvaux (1608-1709), Saint-Cyran, Jansénius, Arnauld, Pascal, Nicole, Angélique de Saint-Jean, Paris, Champion, 2010, p. 411 sq. Voir Descotes Dominique, “Paradoxes spirituels chez Pascal”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 455-468.

 

Un homme ne peut ni convertir un autre homme, ni même lui faire chercher sincèrement Dieu. Mais il peut au moins le troubler dans son repos de conscience et lui retirer sa tranquillité dans l’inertie

 

L’homme ne peut inspirer la recherche, qui est toujours l’effet de la grâce de Dieu. Le mieux qu’il puisse faire, c’est de troubler le repos de ceux qui ne cherchent pas, en espérant que le mouvement ainsi créé sera transformé par Dieu en un véritable mouvement de recherche spirituelle par une grâce de prière.

C’est le programme de Pascal : voir Ordre 2 (Laf. 4, Sel. 38) : Lettre pour porter à rechercher Dieu. Et puis le faire chercher chez les philosophes, pyrrhoniens et dogmatistes, qui travailleront celui qui les recherche.

La méthode de renversement du pour au contre qui renvoie le lecteur de l’affirmation de la misère à celle de la grandeur de l’homme est ainsi conçue pour l’empêcher de trouver refuge dans un système philosophique quel qu’il soit, et le conduire, notamment dans A P. R., à s’informer de la religion chrétienne.

Voir Descotes Dominique, L’argumentation chez Pascal, P.U.F., Paris, 1993, p. 424 sq.

 

La recherche n’est pas le seul fait de l’incrédule : elle s’impose aussi au chrétien

 

Il ne faut pas croire qu’une fois la conversion arrivée, le mouvement de la recherche devienne inutile et finisse par s’arrêter. La conversion ne se résume pas à un acte de foi ponctuel, après lequel le converti trouve un repos définitif. C’est un processus continuel de recherche de Dieu par l’homme, qui se traduit par la prière de demande de continuation de la grâce. Le repos véritable n’est pas dans une sorte de stabilité tranquille, mais dans l’état naturel du chrétien, qui est la recherche continuelle de Dieu.

Laf. 599, Sel. 496 : Différence entre repos et sûreté de conscience. Rien ne donne l’assurance que la vérité ; rien ne donne le repos que la recherche sincère de la vérité.

Voir sur ce point la mise au point de Mesnard Jean, “Pascal et le problème moral”, in La culture du XVIIe siècle, Paris, P. U. F., p. 360. La bonne conscience n’est pas une attitude morale saine aux yeux de Pascal. Le scrupule, l’insatisfaction et le désir sont nécessaires dans la vie spirituelle.

Il en résulte que la recherche doit nécessairement être un processus sans fin dans l’existence du chrétien, jusqu’à son dernier moment.

 

Cette préoccupation de la recherche a un pendant moral qui relie les Pensées aux Provinciales

 

Les casuistes sont, aux yeux de Pascal, des directeurs qui accordent abusivement à leurs dirigés une tranquillité de conscience qui les dispense de chercher la perfection morale. Ils les détournent ainsi de la prière, et à terme de la recherche de Dieu et de leur salut. Voir dans le dossier du fragment Laf. 599, Sel. 496, les notes composées sur ce sujet par Nicole pour la traduction des Provinciales en latin.

Paradoxe : comment chercher quand on a trouvé ? Commet peut-on avoir trouvé si on cherche encore ? pascal résout cela par changement de point de vue au cours d’une même phrase. Il faut distinguer plusieurs manières de chercher et d’être cherché.

Le paradoxe spirituel est donc une phrase impliquée, qu’on ne comprend qu’en l’expliquant. Le paradoxe répond à l’articulation des causes première et seconde.

Giraud Victor, “Sur le “Tu ne me chercherais pas” de Pascal”, Revue d’Histoire Littéraire de la France, 1909, p. 554.

Bremond Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, IV, p. 329 sq. Sur la confiance ferme de Pascal. Voir p. 377 sq., le commentaire de cette formule. Bremond risque la formule que ce n’est pas Pascal qui cherche Dieu, mais Dieu qui cherche Pascal, ce qui est conforme à la doctrine des Écrits sur la grâce : p. 378.

Bremond invoque la Lettre n° 9 de Pascal aux Roannez, de février 1657, OC III, p. 1045 sq. « Je ne crains plus rien pour vous, Dieu merci, et j’ai une espérance admirable. C’est une parole bien consolante que celle de Jésus-Christ : « Il sera donné à ceux qui ont déjà. Par cette promesse, ceux qui ont beaucoup reçu ont droit d’espérer davantage, et ainsi ceux qui ont reçu extraordinairement doivent espérer extraordinairement. »

Orcibal Jean, La spiritualité de Saint Cyran, p. 94. Confiance et tranquillité. Espérance ferme à la pensée de « la bonté infinie de Dieu » : cette vertu suit toujours la foi qui sait que « Jésus-Christ est venu à nous pour nous faire faire des choses qui sont impossibles aux seules forces humaines ». « Rien ne saurait empêcher que Dieu n’achève en ces âmes ce qu’il a commencé par la puissance de sa grâce » : p. 94-95.

Leduc-Fayette Denise, Pascal et le mystère du mal, p. 60. Renvoi à saint Bernard, « Celui-là seul peut te chercher qui t’a déjà trouvé » ; et à Grégoire, In evangelia homiliae, 30, I, « Celui qui de tout son esprit désire Dieu a déjà certainement celui qu’il aime ».

Busson, La religion des classiques, p. 316. La grâce de l’illumination étant, dans la théologie augustinienne, la première des grâces, le tu ne me chercherais pas a un sens précis : cette grâce étant gratuite, et efficace comme tous les dons de Dieu, celui qui cherche Dieu a été prévenu par la grâce de Dieu même, sans quoi il ne se serait jamais mis en marche vers la foi. Il n’a donc pas « trouvé » Dieu, car de lui-même il ne l’aurait pas cherché, mais il l’a rencontré. C’est Dieu qui l’a trouvé. Voir saint Augustin, Confessions, VIII, 1 et IX, 27. Saint Bernard a trouvé la même formule : In hoc mirum est quod nemo quaerere te valet, nisi qui prius invenerit. Vis igitur inveniri ut quaereris, quaeri ut inveniaris, De diligendo Deo, ch. VII ; voir Gilson, Introduction à l’étude de saint Augustin, p. 210, n. 5.

Arnauld Antoine, Œuvres, I, p. 166-167, lettre LXXX à une religieuse de Port-Royal du 28 mai 1657. « Relisant votre lettre j’ai été surpris de voir que vous demandiez à Dieu qu’il vous donnât quelques preuves de l’amour qu’il a pour vous, et qu’il ne vous laissât plus dans un doute qui vous tuait autant de fois que vous y pensiez, en même temps que vous êtes obligée de reconnaître qu’il vous en donne la plus grande preuve qu’il en puisse donner à une âme durant cette vie, qui est un vif sentiment de l’amour que vous lui portez. Car vous m’avouerez que vous n’êtes point en doute que vous ne l’aimiez beaucoup. Et comment donc pourrait-il être que vous n’en soyez beaucoup aimée, puisque votre amour envers lui n’est qu’un effet de son amour envers vous ? Avez-vous oublié ces belles paroles de saint Bernard, « que celui qui aime Dieu ne doit point entrer en défiance qu’il ne soit aimé de Dieu » ? Cessez donc, ma sœur, d’être en doute de la chose du monde la plus certaine, qui est que Dieu vous aime, puisque vous l’aimez ; et qu’il vous aime beaucoup, puisque vous l’aimez beaucoup. Il n’y a rien qui vous doive mettre dans une si grande paix parmi vos plus grandes peines, que ce témoignage que vous rend votre conscience que vous aimez beaucoup Dieu. Et j’ajoute encore ce que je crois vous avoir écrit autrefois, que n’ayant point d’autre crainte sur la terre que de n’être pas aimée de Dieu, c’est cela même qui vous doit assurer que vous en êtes aimée, parce que cette crainte chaste est la vraie marque de ses plus chères épouses, qui n’ont point d’autre appréhension dans le monde que de ne pas plaire à leurs époux. J’ai trouvé une pensée dans saint Thérèse, que je vous envoie, parce que je l’ai jugée propre à vous fortifier contre les troubles où votre ennemi vous veut jeter [...] », p. 166-167.

Mesnard Jean, “Pascal et la spiritualité des chartreux”, Équinoxe, 6, été 1990, Rinsen Books, p. 5-20. Rapprochement de ce passage avec le Discours en forme de lettre de Notre Seigneur Jésus-Christ à l’âme dévote, traduit du latin par Lanspergius (Jean Juste, Gerecht de son nom allemand, prieur de la Chartreuse de Juliers), approuvé par Thomas Fortin, ouvrage sans doute connu de Pascal : p. 11. Le Console-toi est bien dans l’esprit de Lanspergius.