Dossier de travail - Fragment n° 11 / 35 – Papier original : RO 487-6

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 9 p. 193 / C2 : p. 4

Éditions de Port-Royal : Chap. II - Marques de la véritable religion : 1669 et janvier 1670 p. 19-20 / 1678 n° 2 p. 18

Éditions savantes : Faugère II, 141, I / Havet XI.2 / Brunschvicg 442 / Tourneur p. 302-1 / Le Guern 372 / Lafuma 393 / Sellier 12

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Bibliographie

 

 

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

 

 

Éclaircissements

 

La vraie nature de l’homme, son vrai bien et la vraie vertu et la vraie religion sont choses dont la connaissance est inséparable.

 

Pascal associe ici les uns avec les autres plusieurs problèmes, qui sont autant « d’ouvertures » qui conduisent à la vérité, comme il le dit ailleurs.

La répétition de l’adjectif vrai marque une insistance. C’est le point commun de tous les termes.

La vraie nature de l’homme est inséparable de son vrai bien : on ne sait quel est le vrai bien que lorsqu’on connaît la nature de l’homme, c’est-à-dire sa corruption et l’impuissance de faire le bien qui en résulte.

La nature de l’homme et inséparable de la vraie vertu, parce que les fausses conceptions de la nature, comme celles des stoïciens ou des sceptiques, conduisent à une conception erronée de la vertu. Seule la connaissance de la faiblesse de l’homme peut donner une bonne idée de ce que peuvent être ses devoirs, et par suite ses vertus.

La nature de l’homme est inséparable de la vraie religion, parce que la religion seule nous apprend comment notre nature est devenue ce qu’elle est.

Le vrai bien est inséparable de la vraie vertu, parce que ce n’est que par la vraie vertu qu’on acquiert le vrai bien.

La vraie vertu est inséparable de la vraie religion, parce qu’aucune philosophie ne nous apprend nos vrais devoirs, et que seule la Révélation peut le faire.

Le vrai bien est inséparable de la vraie religion parce que c’est Dieu qui est le vrai bien.

Ce principe explique pourquoi les exigences relatives à la connaissance de la nature de l’homme sont associées à des exigences d’ordre moral et religieux. Cette solidarité était implicite dans le fragment A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182) : Les grandeurs et les misères de l’homme sont tellement visibles qu’il faut nécessairement que la véritable religion nous enseigne et qu’il y a quelque grand principe de grandeur en l’homme et qu’il y a un grand principe de misère. Il faut encore qu’elle nous rende raison de ces étonnantes contrariétés. Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes. Qu’on examine sur cela toutes les religions du monde et qu’on voie s’il y en a une autre que la chrétienne qui y satisfasse.

Ce texte fait écho à la liasse Souverain bien, dans laquelle Pascal a montré comment une erreur dans la connaissance de Dieu entraîne la recherche du souverain bien dans des biens de substitution qui ne peuvent pas satisfaire vraiment l’homme, parce qu’ils ne répondent pas aux exigences de sa vraie nature. Le même thème est repris dans la liasse Fausseté des autres religions.

Fausseté 13 (Laf. 215, Sel. 248). Après avoir entendu toute la nature de l’homme il faut pour faire qu’une religion soit vraie qu’elle ait connu notre nature. Elle doit avoir connu la grandeur et la petitesse et la raison de l’une et de l’autre. Qui l’a connue que la chrétienne ?

Fausseté 14 (Laf. 216, Sel. 249). La vraie religion enseigne nos devoirs, nos impuissances, orgueil et concupiscence, et les remèdes, humilité, mortification.

Le fragment a donc aussi une portée pratique et morale. La solidarité de la vérité religieuse, de la vertu et du bien explique pourquoi, comme l’indique le fragment Morale chrétienne 7 (Laf. 357, Sel. 389), nul n’est heureux comme un vrai chrétien, ni raisonnable, ni vertueux, ni aimable. La religion chrétienne réalise la réconciliation de l’homme avec lui-même et avec Dieu. Voir Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., p. 242.

Pascal souligne ici la solidarité des différents aspects de la vérité qui s’enchaînent entre eux. Ce fragment signifie que la connaissance de l’un de ces termes, connaissance de la vraie religion, vrai bien, vraie vertu et vraie nature de l’homme implique nécessairement celle des autres, et que l’une d’elle mène nécessairement aux autres.

On devine dans ces lignes une rémanence de l’esprit géométrique.

Il associe en l’occurrence plusieurs problèmes les uns aux autres, comme il l’a fait par exemple dans les Lettres de A. Dettonville pour la connaissance des doubles onglets et des demi-solides de rotation des trilignes. Voir Lettre à Carcavy, OC IV, éd. J. Mesnard, p. 435 sq.

Pour trouver les dimensions du solide engendré par la rotation du triligne CAF autour de l’axe CF, Pascal le considère comme coupé par des demi-cercles RYS parallèles à sa base. Il construit ensuite un second solide, qu’il appelle double onglet, formé par des triangles rectangles isocèles MNZ, dont il est à même de trouver les mesures. Il lui suffit alors de greffer les deux solides l’un sur l’autre en prenant pour axe commun CF. Le rapport de chaque demi-cercle RYS à chaque triangle MNZ est constant. Les deux solides sont donc dans le même rapport que ces éléments, et l’un des solides, s’il est connu, conduit à la connaissance de l’autre. Voir Descotes Dominique, Pascal. Le calcul et la théologie, Pour la Science, coll. Les génies de la science, n° 16, août-novembre 2003, p. 47-49.

 

Demi solide - Double onglet - Greffe des deux solides

(Images © Pour la Science)

 

Mais, dans le présent fragment, Pascal ne se borne pas à associer deux termes ; il en associe jusqu’à quatre, qui étant tous solidaires, sont autant de voies qui conduisent chacun à la connaissance des autres.