La sphère infinie.

Dans l’Antiquité grecque

Xénophane de Colophon, voir Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 9-10 : suivant Cicéron, Premiers Académiques, livre II, 37, Xénophane dit que toutes choses forment une substance, qui est Dieu et qui a la forme d’un globe : « Xenophanes [...] unum esse omnia, neque id esse mutabile, et id esse deum, neque natum unquam, et septiternum, conglobata figura » ; « Xénophane [...] disait que le monde entier était un seul être, immuable, qu’il appelait Dieu, et à qui il attribuait l’éternité et la forme sphérique ».

Parménide : d’après Boèce, Consolation philosophique, livre III, § XIII, la substance divine figure « en tout point une sphère parfaite » : Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 10. Voir Les écoles présocratiques, éd. J. P. Dumont, Folio, Gallimard, 1991, § XXXI, p. 335, qui renvoie à Aétius : « Parménide pense que Dieu est immobile et à la fois limité et sphérique ».

Empédocle : voir Les écoles présocratiques, éd. J. P. Dumont, § XXXII, p. 147. Selon Aétius, Empédocle disait que « l’Un est sphérique, éternel et immobile ». Voir Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 11-12. Empédocle est cité par Vincent de Beauvais, Miroir historique (première moitié du XIIIe siècle) : voir Pensées, éd. Havet, I, Delagrave 1866, p. 18-19.

On attribue la même image au dieu mythique Hermès Trismégiste. Voir dans Pensées, éd. Havet, I, 1866, p. 17-18, l’examen de cette source. Le renvoi est proposé par Rabelais, Le tiers livre, ch. XIII, éd. M. Huchon, Pléiade, Paris, Gallimard, 1994, p. 388-389, en parlant du sommeil de l’âme : « de là reçoit participation insigne de sa prime et divine origine, et en contemplation de cette infinie et intellectuelle sphère, le centre de laquelle est en chacun lieu de l’univers, la circonférence point (c’est Dieu selon la doctrine de Hermès Trismegistus) à laquelle rien ne advient, rien ne passe, rien ne déchet, tous temps sont présents ». En fait, Hermès Trismégiste ne parle, dans le treizième dialogue du Poemandrès, que du « cercle immortel de Dieu » : il songeait au cercle, et non à la sphère : Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 88. C’est apparemment Annibal Rosseli qui dans un commentaire publié en 1630, développe l’idée dans un sens qui n’était pas appelé par l’original : « il appelle Dieu cercle immortel, c’est-à-dire sphère infinie dont le centre est partout, car il est partout, la circonférence nulle part, car il n’est enfermé dans aucun lieu » ; Rosseli reprend dans ce passage de son tome III une définition qu’il a formulée dans son tome I, “Mercurius vocat Deum sphaeram intellectualem, cujus centrum ubique est, circumferentia vero nusquam”. La même référence est proposée par Blaise de Vigenère, Traité des chiffres, f° 68 r. « Si qu’Hermes diffinist Dieu estre un cercle dont le centre est par tout, et la circonference nulle part : Ce qui est tout apertement representé par ces deux notes de chiffre 10. faisans dix, dont la premiere qui vaut un, est comme un point indivisible ou le centre qui est par tout, car il n’y a nombre où l’unité ne se puisse trouver, d’autant qu’ils partent tous d’elle, et ne sont autre chose qu’un amoncellement d’unitez enfilees les unes aux autres, et le 0 ou zero, qui est rond en façon de circonference, est dict comme n’estre en aucun lieu, par ce que de soy il ne fait rien, parquoy il se rapporte à l’Ensoph, non finy, ou infiny. » Elle est reprise par La Mothe Le Vayer, De la divinité, in Cinq dialogues faits à l’imitation des anciens, éd. Pessel, Fayard p. 325. Mercure Trismégiste disant que Dieu est « une sphère intelligible, de laquelle le centre était partout, et la circonférence nulle part ».

Dans l’antiquité latine

Cicéron, De natura deorum, Livre II, XV, reprend l’idée que « mundus globosus est », par la bouche du stoïcien Balbus : Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 13. Dans sa République, I, et dans le Songe de Scipion, il présente Dieu comme un globe qui enferme tous les autres.

Dans l’ère chrétienne, en 533, le Ve concile œcuménique, de Constantinople est obligé de porter une sentence contre ceux qui soutiennent qu’à la résurrection, les hommes seront « de figure ronde et orbiculaire » : Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 75. Voir in Encyclopédie théologique, éd. Migne, t. XIII, le Dictionnaire des conciles, I, 1845, col. 731, qui cite des anathèmes, sur un document de la bibliothèque de Constantinople cité par Baluze : « 10e anathème. Si quelqu’un dit que le corps du Seigneur après sa résurrection est devenu éthéré et de figure sphérique, et qu’à la résurrection des morts tous les corps prendront une existence et une forme semblable [...], qu’il soit anathème. » Ces anathèmes ne figurent pas dans les documents officiels du concile.

La forme sphérique n’enferme pas par elle-même l’idée qu’étant infinie, son centre est partout et la circonférence nulle part.

Jovy signale un texte de saint Denys l’Aréopagite, Des noms divins, V, § VI, est cité dans Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 19 sq. « Également tous les rayons du cercle se trouvent unis dans un centre commun ; et ce centre indivisible comprend en lui-même tous les rayons qui sont absolument indistincts, soit les uns des autres, soit du point unique d’où ils partent. Entièrement confondus dans ce milieu, s’ils s’en éloignent quelque peu, dès lors ils commencent à se séparer mutuellement : s’ils s’en éloignent davantage, ils continuent à se séparer en la même proportion ; en un mot, plus ils sont proches ou distants du point central, plus aussi s’augmente leur proximité ou leur distance respective ». Mais le rapprochement est fragile.

Saint Augustin : Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 20 sq. Voir Confessions, VI, 3. « Deus ubique totus, et nusquam locorum », « Dieu est tout entier partout et n’est dans aucun lieu ». Le texte se trouve dans un passage consacré à l’idée que « humani corporis forma Deum terminari catholici non credunt » : « Tu enim, altissime et proxime, secretissime et praesentissime, cui membra non sunt alia maiora et alia minora, sed ubique totus es et nusquam locorum es, non es utique forma ista corporea, tamen fecisti hominem ad imaginem tuam, et ecce ipse a capite usque ad pedes in loco est. » L’édition de la Bibliothèque augustinienne, t. 13, p. 524-525, indique que cette formule est un écho d’une formule néoplatonicienne, πανταχο κα οδαμο ; voir Plotin, Ennéades, III, 4 et V, V, 8-9, et Porphyre, Aphormai, ch. XXVII-XXVIII, XXXIII et XXXVIII.

Le Moyen Âge reprend des expressions analogues.

C’est aux XIIe et XIIIe siècles qu’une formule proche de celle de Pascal se répand.

Koyré Alexandre, Du monde clos à l’univers infini, p. 30, n. 1, note que l’image apparaît pour la première fois dans une compilation anonyme du XIIe siècle, un écrit pseudo-hermétique, le Livre des XXIV philosophes. Voir sur ce livre dont les origines et l’auteur sont mystérieux, traduit ou compilé à Tolède au XIIe siècle, De Libera Alain, La philosophie médiévale, Paris, P. U. F., 1995, p. 352-353 ; et De Gandillac Maurice, “Pascal et le silence du monde”, in Blaise Pascal. L’homme et l’œuvre, Colloque de Royaumont, Paris, Éditions de Minuit, 1956, p. 354-355. L’ouvrage se présente comme un ensemble de vingt-quatre thèses ou propositions assorties d’un commentaire, supposées établies par vingt-quatre sages cherchant ensemble « à établir quelque chose d’assuré sur Dieu ». On y trouve deux propositions qui annoncent celle de Pascal : la Proposition II : « Deus est sphaera infinita cuius centrum est ubique, circumferentia nusquam. Haec definitio data est per modum imaginandi ut continuum ipsam primam causam in vita sua. Terminus quidem suae extensionis est supra, ubi et extra terminans. Propter hoc ubique est centrum eius, nullam habens in anima dimensionem. Cum quaerit circumferentiam suae sphaericitatis, elevatam in infinitum dicet, quia quicquid est sine dimensione sicut creationis fuit initium est ». On trouve dans le même texte la proposition : XVIII. « Deus est sphaera cuius tot sunt circumferentiae quot puncta. Ista sequitur ex secunda, quia cum sit totus sine dimensione, et etiam dimensionis infinitae, non erit in sphaera suae essentiae extremum. Igitur non est in extremo punctus quin exterius sit circumferentia. » La formule est appliquée à Dieu, et non, comme chez Pascal, à la Nature. Elle pousse le paradoxe plus loin que Pascal, puisqu’elle affirme d’une part que la circonférence de la sphère infinie n’est nulle part, mais aussi que Dieu est une sphère qui a autant de circonférences que de points.

Liber viginti quatuor philosophorum, éd. F. Hudry, Corpus Christianorum, Continuatio Mediaevalis, 143 A, Brepols, Turnhout 1997, p. 1-34. 2 a. « Deus est sphaera intelligibilis infinita cuius centrum est ubique, circumferentia nusquam ». On retrouve la formule chez les commentateurs, comme Thomas Eboracensis, Sapientiale, I, 18. 2a. Commentaire du Livre des 24 philosophes : « Deus est sphaera intelligibilis infinita cuius centrum est ubique, circumferentia nusquam. »

Alain de Lille (1128-1203), dit le Docteur universel, a enseigné la théologie à Paris et à Montpellier au XIIe siècle ; il a écrit un sermon Sur la sphère intelligible, inspiré de Boèce. Il commente dans ses Règles sur la sacrée théologie, Reg. VII, 447, in Migne, Patrologie, t. CCX, p. 627, la formule « Deus est sphaera intelligibilis, cujus centrum ubique, circumferentia nusquam », dans les termes suivants : « Ô que la différence est grande entre la sphère corporelle et la sphère intellectuelle ! Dans la sphère corporelle, le centre, à cause de sa petitesse, est à peine estimé se trouver en quelque endroit, et la circonférence est tenue pour être en plusieurs lieux. Mais dans la sphère intellectuelle, le centre est partout, la circonférence nulle part. Le centre, c’est la créature, parce que de même que le temps comparé à l’éternité est considéré comme un moment, de même la créature comparée à l’immensité de Dieu n’est qu’un point, ou centre. L’immensité de Dieu est dite la circonférence, parce qu’en disposant tout d’une certaine façon, elle enveloppe tout et renferme tout sous son immensité » (tr. Jovy) : p. 81. Il oppose sphère corporelle et sphère intelligible, p. 82. Sur Alain de Lille, voir l’article du Dictionnaire des philosophes, Encyclopaedia universalis, Albin Michel, 1998, p. 34-36.

Saint Bonaventure (1217-1274), au XIIIe siècle, précise l’idée en un sens neuf dans son Itinerarium mentis in Deum. Voir Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 84 sq. Dieu est à la fois le centre et la circonférence ; « parce qu’il est infiniment simple et infiniment grand, il est tout entier au-dedans et tout entier au-dehors de toutes choses, et partant il est la sphère intelligible dont le centre est partout et la circonférence nulle part » : p. 84.

Gerson (1363-1429) précise l’image dans le Sermo factus in loco sessionis concilii generalis post novum recessum Papae Joannis 23 eodem concilio, anno Domini 1415 : « Et c’est avec vérité que l’on dit, ô Seigneur, que dans l’enceinte de ton Être se trouvent tous les êtres, car tu es la sphère intelligible dont le centre est partout, la circonférence nulle part, que rien ne limite, que rien ne renferme, qui ne s’est élevé ni abaissé, et ainsi tout à fait grand, terrible, glorieux, exalté par-dessus tout à travers les siècles » (tr. Jovy).

Jovy ne mentionne pas Nicole Oresme, au XIVe siècle : mais il est cité dans Duhem Pierre, Le système du monde, VII, p. 154. Nicole Oresme s’élève contre Aristote, sur la possibilité d’un corps infini en acte. Aristote dit qu’un corps infini de parties semblables ne peut être mû en circuit, car tel corps n’a pas de milieu ou de centre. Oresme répond : « Par aventure cette raison n’est pas purement évidente, car l’on pourrait dire que, en tel corps, est le milieu et le centre du mouvement, mais non pas le milieu de sa quantité, qui ne dirait que, de tel corps, le centre est partout, et la circonférence nulle part ».

La place de Nicolas de Cues (1401-1464) dans cette histoire est capitale. Sur Nicolas Krebs, dit Nicolas de Cues, voir l’article du Dictionnaire des philosophes, Encylopaedia universalis, p. 1119-1121. Son ouvrage le plus important est De la docte ignorance, tr. Mouliner, Paris, La Maisnie, 1930. Sur ses conceptions cosmologiques, se reporter à Koyré Alexandre, Du monde clos à l’univers infini. Nicolas de Cues, au XVe siècle, transpose l’image de la sphère infinie au monde, mais il fonde cette idée sur l’infinité de Dieu : voir De la docte ignorance, éd. Moulinier, Livre II, ch. XII, p. 154 sq. : il note que pour ainsi dire le centre du monde est partout et sa circonférence nulle part, parce que proprement Dieu est partout et nulle part. Voir là-dessus Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 86 : « La machine du monde sera donc comme si elle avait son centre partout et sa circonférence nulle part, parce que la circonférence et le centre, c’est Dieu qui est partout et nulle part ». On ne sait pas si Pascal a connu Nicolas de Cues. C’est l’hypothèse de De Gandillac Maurice, “Pascal et le silence du monde”, p. 324 sq. Voir cependant p. 380, le correctif de J. Mesnard, sur le fait que Pascal n’a pas connu Nicolas de Cues directement. A. Koyré suppose que Pascal l’a connu à travers Bruno : p. 382.

L’image a encore cours à la Renaissance.

Sur Pierre La Ramée (Ramus), voir Jovy Ernest, Études pascaliennes, VII, p. 93 sq. L’image est toujours appliquée à Dieu dans les Commentaires sur la religion chrétienne (Francfort, 1576). La formule, dans ce cas, est surtout destinée à indiquer que Dieu est à la fois le principe, le centre et la fin, qu’il est partout et que rien ne le contient ni ne le limite. La sphère symbolise l’identité et l’égalité à soi-même.

On ne s’étonne pas de trouver la formule sous la plume de Giordano Bruno : Della causa, principe e uno, 4e dialogue : « Dans l’univers le corps ne diffère pas du point, ni le centre de la circonférence, ni le fini de l’infini, ni l’infiniment grand de l’infiniment petit. L’univers n’est que centre, ou plutôt son centre est partout, sa circonférence nulle part ». Comme le remarque Del Prete Antonella, Bruno, l’infini et les mondes, Paris, P. U. F., 1999, p. 79, la nouveauté consiste en ce que ce n’est plus Dieu, mais le monde qui est en cause. Voir Michel P.-H., La cosmologie de G. Bruno, p. 175 sq.

Dans sa préface de l’édition des Essais de Montaigne, Melle de Gournay (1595), renvoie à cette image chez Hermès Trismegiste. Voir Pensées, éd. Havet, I, Delagrave 1866, p. 17 sq.

La même image a toujours cours au XVIIe siècle chez divers auteurs.

Parmi les savants, on sent certaines réticences. Voir par exemple Galilée, Discours…, éd. Clavelin, p. 36. Il ne peut y avoir de cercle, ni de sphère infinie, ou plus exactement il ne peut y avoir de corps ou de surface à la fois figurata et infinie, ce qui signifie qu’il y a incompatibilité entre figure, (c’est-à-dire frontière à distance finie) et points à l’infini. Texte transcrit par Mersenne Marin, Nouvelles pensées de Galilée, éd. Costabel et Lerner, I, p. 25-26 et II, p. 161 : « Considérez alors la différence qui sépare un cercle fini d’un cercle infini, ce dernier changeant de nature au point de perdre et l’existence et la possibilité même d’exister, car nous comprenons clairement qu’il ne peut y avoir de cercle infini ; pas plus d’ailleurs qu’il ne peut y avoir de sphère infinie, ni en général de corps ou de surface à la fois déterminés et infinis. Que dirons-nous donc de telles métamorphoses liées au passage du fini à l’infini ? Pourquoi répugnerions-nous à les accepter après avoir admis que l’infini, que nous cherchions parmi les nombres, se trouve dans l’unité ».

Le P. Mersenne, qui n’hésite jamais devant les pensées inouïes, a repris plusieurs fois l’image, dans des ouvrages dont il est certain que Pascal a eu connaissance. Voir dans sa Correspondance, I, p. 131. La définition se trouve dans les Quaestiones in Genesim, col. 57 et 85. Mersenne Marin, Quaestiones in Genesim, col. 57. L’idée que le Chrétien, pour être parfait, doit regarder le centre, l’immuable volonté de la puissance divine, pour aller « à cette éternité circulaire où le centre est partout et la circonférence nulle part », « ad aeternitatem circularem, in qua centrum est ubique, circumferentia nusquam ». Et « Deus est circulus, cujus centrum ubique reperitur ; nunquid circuli centrum ubique residet, quatenus vim suam in omnes lineas, et totam circuferentiam diffundit » : col. 85.

Mersenne Marin, L’impiété des déistes, II, éd. D. Descotes, Chapitre XVIII, Dans lequel les raisons sont examinées, par lesquelles Jordano Bruno prétendait prouver que l’univers est infini, p. 609. « Le Théologien : Il me semble que vous avez pu voir jusques ici, que Bruno n’a rien avancé par ces prétendues raisons, je veux vous montrer que toutes les autres ne sont pas meilleurs, car bien qu’il compare Dieu à un centre, néanmoins nous savons qu’il est tellement centre, qu’il se trouve partout, et sa circonférence nulle part, car il ne peut être absent d’aucun lieu, non plus qu’il ne peut être limité par aucun lieu. C’est un centre qui n’aurait pas une plus grande perfection, s’il s’étendait dans une infinité de mondes en les produisant, qu’il ne s’étendait en aucun ; car il contient dans soi-même toute la beauté, la bonté, la splendeur, et la gloire, qui se peut concevoir, si bien que s’il n’y avait rien au monde, et qu’il n’y eût ni espace imaginaire, ni Univers, et s’il était impossible qu’il y eût aucune créature, Dieu n’en serait pas moins puissant, ni moins beau, et glorieux, car les perfections divines ne peuvent dépendre de ce qui n’est pas divin. » L’image est appliquée à Dieu.

Mersenne Marin, Essai des moralités tirées de la pure mathématique, in Harmonie Universelle, éd. C.N.R.S., t. 3, p. 78-79. Si l’on suppose que les créatures sont des rayons que Dieu envoie, ou si l’on « suppose qu’elles soient semblables à des circonférences de ce cercle lorsqu’elles sortent de sa puissance, en qualité d’effets, afin qu’il leur imprime le caractère de la sphère, à laquelle on le compare, quand on dit qu’il est une sphère, dont le centre est partout, et la circonférence en nul lieu, l’on peut dire qu’elles quittent leurs encyclies, et leurs cercles, lorsqu’elles ne reconnaissent pas leur auteur, et qu’elles suivent la ligne droite, qui s’éloigne toujours de son principe sans jamais y pouvoir retourner : quoique quelques-uns croient que la ligne droite infinie, et son mouvement droit convient avec le mouvement circulaire infini ».

Gassendi Pierre, Physica, Sectio I, Lib. II, cap. II, Dari inane spatium, ac primum, quid vocant separatum, extraque mundum, p. 190, rappelle la formule appliquée à Dieu, dans une discussion sur l’infinité du monde. Voir aussi dans l’Examen Philosophiae Roberti Fluddi medici, Pars prima, VIII, Opera, III, p. 220 A, sur les idées de Fludd sur la sainte Trinité : « ex quo existit admirabilis ille circulus, seu sphaera illa intelligibilis, cujus centrum est in omnibus, circumferentia extra omnia ».

Koyré Alexandre, Du monde clos à l’univers infini, p. 95, cite la formule de Kepler, De stella nova, Opera omnia, II, p. 691 : « Comment trouver dans l’infini un centre, puisque dans l’infini tout est centre ? Tout point pris dans une infinitude est, en effet, également, c’est-à-dire infiniment, distant des extrémités qui sont elles-mêmes infiniment lointaines. Il en résulterait que le même point serait et ne serait pas centre ». Mais Kepler considère que ces conséquences de l’idée d’un monde infini conduiraient à des contradictions.

On trouve aussi l’expression chez Jean-Pierre Camus, Diversités, VII, XXIV : Jovy Ernest, Études pascaliennes, Recueil de notes sur les Pensées, “La sphère infinie de Pascal”, p. 103. Voir aussi Le Guern Michel, “Pascal et les Diversités…”, p. 306, et la note de l’éd. des Œuvres de Pascal, II, éd. Le Guern, Pléiade, p. 1392. Camus écrit de Dieu, Diversités, t. VII, p. 268, que « Dieu est un cercle de qui le centre est partout, et la circonférence nulle part » ; au t. II, f° 246, la métaphore est appliquée à la fois à Dieu et au monde : « c’est un point, disait excellemment un ancien, qui est partout, et dont la circonférence n’est nulle part [...] où toutes choses sont comprises et abîmées, comme dans un gouffre sans fond et rive : [...] pourquoi ne l’appellerons-nous pas monde, puisqu’il est tout, et qu’il comprend et est toutes choses, par essence, présence, et puissance, d’une façon si merveilleuse, qu’elle surpasse toute notre intelligence ? »

Pascal, lui, part de l’idée de l’infinité de l’univers, mais les conséquences sont les mêmes. Appliquée à l’univers (même si, dans le cours du texte, Pascal note au passage que l’infinité du monde est la figure de l’infinité de Dieu), la formule prend un sens précis. Si la sphère est conçue réellement infinie, la circonférence n’est nulle part, parce que, rejetée à l’infini, elle est hors d’atteinte. Mais aussi, une fois admise qu’elle est rejetée à l’infini, tous les points de l’espace se trouvant à égale distance de l’infini, tous peuvent tenir lieu de centre de la sphère et d’origine des rayons. Si l’on se place dans le cadre de la géométrie arguésienne, on peut conclure que, dans le cas du cercle, à mesure que la circonférence s’éloigne vers l’infini, sa courbure diminue, et à l’infini elle se confond avec une droite ; et de même, dans le cas de la sphère, lorsque la surface sphérique s’éloigne à l’infini, elle finit par s’identifier à un plan. L’image de la sphère infinie est donc à classer parmi les incompréhensibles qui ne laissent pas d’être que mentionne A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182).