Fragment Vanité n° 27 / 38 Papier original : RO 21-4

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 47 p. 82 / C2 : p. 23

Éditions savantes : Faugère I, 206, LXXXIV / Havet VII.31 / Brunschvicg 134 / Tourneur p. 173-2 / Le Guern 37 / Maeda I p. 183 / Lafuma 40 / Sellier 74

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Bibliographie

 

GANDELMAN Claude, “La dé-iconisation janséniste de l’art : Pascal, Philippe de Champaigne”, The Hebrew University Studies in literature, automne 1977, vol. 5, n° 2, p. 213-247.

MALRAUX André, Les voix du silence, Paris, Gallimard, 1951.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, éd. 1993, p. 190.

MESNARD Jean, “Point de vue et perspective dans les Pensées de Pascal”, in Treize études sur Blaise Pascal, Clermont-Ferrand, P. U. B. P., 2004, p. 11-24.

MOUTAUX Jacques, “La vanité de la peinture”, in Pascal et la géométrie, Cahiers pédagogiques de philosophie et d’histoire des mathématiques, 5, 1993, p. 111-114.

SELLIER Philippe, “Les tulipes et la peinture : vanités littéraires et humus augustinien”, La Morale des moralistes, textes recueillis par Jean Dagens, Paris, Champion, 1999, pp. 139-148.

SHIOKAWA Tetsuya, “Pourquoi la peinture est-elle vaine ?” [novembre 1979], in Considérations sur Pascal – Recueil des articles choisis par auteur, Tokyo, Librairie Iwanami, 2003 (en japonais).

THIROUIN Laurent, L’aveuglement salutaire, Paris, Champion, 1997, p. 203.

VOLTAIRE, Lettres philosophiques, éd. Naves, Paris, Garnier, 1964, p. 274-275.

 

Éclaircissements

 

Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance des choses dont on n’admire point les originaux !

 

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, éd. 1993, p. 190. Il n’y a pas là l’expression d’un mépris pour la peinture, fruit d’un rigorisme moral. Pascal constate seulement ce fait paradoxal qu’un modèle laid peut donner lieu à une belle peinture. La perfection de l’art consiste dans la perfection de l’imitation et non dans celle du modèle, selon une théorie que Boileau prend encore à son compte. Ce qui attire l’admiration n’est donc pas dans l’objet lui-même, mais dans sa seule et vaine ressemblance.

 

Ressemblance

 

L’insistance sur le goût de l’homme pour la ressemblance comme signe de la vanité peut permettre de rapprocher ce fragment de Vanité 1 (Laf. 13, Sel. 47) : Deux visages semblables, dont aucun ne fait rire en particulier, font rire ensemble par leur ressemblance. La pointe des deux textes est en effet la ressemblance, qui est présentée comme marque de la vanité.

Voir Thirouin Laurent, “Les premières liasses des Pensées”, p. 458, le développement consacré au statut logique de ce texte, dans un rapprochement avec le premier fragment de la liasse.

Thirouin Laurent, L’aveuglement salutaire, p. 203. Paradoxe selon lequel nous « prenons plaisir à contempler les images les plus exactes de choses dont la vue nous est pénible dans la réalité, comme les formes d’animaux les plus méprisés et des cadavres », Aristote, Poétique, 1448 b 10, rapproché de cette réflexion de Pascal. Les haines, les violences, les meurtres font l’objet de la tragédie, et suscitent du plaisir chez les spectateurs : p. 204.

Shiokawa Tetsuya, “Pourquoi la peinture est-elle vaine ?”, 1979 (en japonais).

Dans un article intitulé “Les tulipes et la peinture : vanités littéraires et humus augustinien”, La Morale des moralistes, textes recueillis par Jean Dagens, Paris, Champion, 1999, p. 139-148, Philippe Sellier commente le fragment Laf. 40, Sel. 74. Selon lui, il s’agit d’une note de lecture de l’ouvrage du P. Senault, L’Homme criminel ou la corruption de la nature par le péché selon la doctrine de saint Augustin, 1644. Voici le texte de Senault : « L’amour de la peinture est encore plus inutile que celle des fleurs, car quelque effort que fassent les peintres, ils ne sauraient égaler la nature, leurs ouvrages seront toujours moins achevés que ses productions, et leurs pinceaux pour savants qu’ils puissent être ne représenteront jamais parfaitement les roses et les lis qui croissent dans nos parterres. Cependant, nous voyons des hommes de condition qui font des cabinets de peinture, qui tirent vanité des tableaux dont les peintres ont tiré du profit, qui passent leur vie à remarquer le coloris du Bassan ou du Caravage, qui s’étudient à discerner une copie d’un original [...] On appelle cet exercice un honnête divertissement, on ne s’accuse jamais d’avoir donné tout son temps, son bien, son amour à cette occupation inutile, et on ne croit pas être coupable quand on a fait une idole de l’ouvrage d’un sculpteur ou d’un peintre » (p. 686-687). Ce texte fait suite à la dénonciation par Senault des collectionneurs de tulipes. Les collectionneurs de tableaux se livrent donc à une activité plus inutile, car la peinture est une imitation. Il ne s’agit pas d’un propos d’ordre esthétique, mais d’un propos moral qui condamne la curiosité. Le texte de Pascal n’est pas à proprement parler une citation, mais un résumé du passage. P. Sellier commente ainsi le rapport entre les deux textes : « Pascal s’empare de la remarque de Senault sur les originaux et les copies en peinture, la détourne du sens que l’oratorien lui donnait, mais pour la mettre au service de la pensée qui anime l’ensemble du texte : c’est une folie de gaspiller son temps à s’intéresser à des copies du réel, à des ombres, à des fantômes, alors que les originaux sont là, qui nous invitent à nous élever à la souveraine Beauté, à Dieu », art. cit., p. 147. On retrouve bien la logique de la liasse Vanité, c’est-à-dire la disproportion entre les causes et les effets : l’activité de toute une vie de collectionneur est déployée pour de simples copies de la réalité.

 

Rapports externes et échos ultérieurs

 

Bord André, La vie de Blaise Pascal, p. 223-224. Pascal répète Plotin, qui répète Platon. Voir Ennéades, IV 3, 10, 17, et VI 2, 22, 39, 7, 5, 15 : « l’art est postérieur à la nature, il l’imite et ne produit que des imitations effacées et sans forces, et des jouets méprisables [...] » Plotin célèbre pourtant la beauté des chefs d’œuvre (ibid., VI, 4, 10) : « ce n’est pas le modèle (matériel) qui fait le portrait, c’est le peintre [...]. Les arts [...] suppléent aux défauts des choses parce qu’ils possèdent la beauté [...], beauté bien plus grande que toute celle qui est dans l’objet extérieur » (V, 8, 1, 38, 27).

Boileau, Art poétique, III, 1-4.

« Il n’est point de serpent, ni de monstre odieux,

Qui, par l’art imité, ne puisse plaire aux yeux :

D’un pinceau délicat l’artifice agréable

Du plus affreux objet fait un objet aimable ».

Voltaire, Lettres philosophiques, éd. Naves, Paris, Garnier, 1964, p. 274-275, daté du 10 mai 1738. Voltaire note : « j’ai lu, depuis peu, des pensées de Pascal qui n’avaient point encore paru. Le P. Desmolets les a eues écrites de la main de cet illustre auteur, et on les a fait imprimer ». Le n° LXVII, p. 275, comporte le commentaire suivant : « Ce n’est pas dans la bonté du caractère d’un homme que consiste assurément le mérite de son portrait : c’est dans la ressemblance. On admire César en un sens, et sa statue ou image sur toile en un autre sens. » Ce jugement trouve écho dans la note de Giraud dans les Œuvres choisies, Hatier, 1938, p. 464 : « Conception décidément trop purement esthétique de la peinture : la perfection du travail, le rendu de la vie sont aussi des éléments qui peuvent justifier “l’admiration” tout comme la beauté du modèle ».

Sur ce passage de Voltaire, voir Mesnard Jean, “Voltaire et Pascal”, in La culture du XVIIe siècle, p. 593.

Malraux André, Les voix du silence, Paris, Gallimard, 1951, p. 70. Au XVIIe siècle, « l’art religieux tout entier était devenu fiction. Dans la création d’un univers fictif, le dessinateur se sentait roi. Plus précis que le musicien, au moins égal au poète tragique il commençait d’ailleurs à dessiner en alexandrins. Nul ne pouvait mieux que lui concevoir une femme d’une beauté idéale, parce qu’il la concevait moins qu’il ne l’élaborait parce qu’il rectifiait, harmonisait, idéalisait son dessin déjà harmonieux et idéalisé, et que son art - même sa technique - servaient son imagination autant que celle-ci servait son art. La phrase de Pascal : « Quelle vanité que la peinture, qui attire l’admiration par la ressemblance de choses dont on n’admire point les originaux ! » n’est pas une erreur, c’est une esthétique. Elle exigeait pourtant moins la peinture de beaux objets que celle d’objets imaginaires qui, devenus réels, eussent été beaux. Et trouvait sa justification dans le style des antiques : c’était celui qui unissait l’alexandrinisme aux copies romaines des quelques grandes œuvres athéniennes, dont il était radicalement différent. Si le pauvre Michel-Ange fut bouleversé par le Laocoon, il n’avait jamais vu, et ne vit jamais, une figure du Parthénon... Ce style ramenait les originaux de cinq siècles à une dérisoire, mais puissante unité par lui la technique antique avait une histoire, mais l’art n’en avait pas. »