Fragment Conclusion n° 3 / 6  – Papier original : RO 485-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Conclusion n° 370 p. 185 / C2 : p. 217

Éditions savantes : Faugère II, 233, XXV / Havet XXV.42 / Brunschvicg 825 / Tourneur p. 296-3 / Le Guern 359 / Lafuma 379 / Sellier 411

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Bibliographie

 

 

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Conversion et apologétique, Paris, Vrin, 1986.

KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997.

Saint THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, Iª-IIae q. 113 a. 10 arg. 2.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

 

 

Éclaircissements

 

Les miracles ne servent pas à convertir mais à condamner. I. p. q. 113, a. 10, ad. 2.

 

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 175, n. 178. La référence est incomplète : il faut lire Ia IIae au lieu de I. p.

Saint Thomas d’Aquin, Somme théologique, Iª-IIae q. 113 a. 10 arg. 2. « Praeterea, motus voluntatis ita est in anima, sicut inclinatio naturalis in rebus naturalibus. Sed quando Deus aliquid operatur in rebus naturalibus contra inclinationem naturae, est opus miraculosum, sicut cum illuminat caecum, vel suscitat mortuum. Voluntas autem impii tendit in malum. Cum igitur Deus, justificando hominem, moveat eum in bonum, videtur quod justificatio impii sit miraculosa. »

Pour l’interprétation, voir la note de l’éd. Sellier-Ferreyrolles, p. 255-256. Pour Pascal, il y a dans les miracles assez d’évidence pour condamner mais non pour convaincre.

Miracles II (Laf. 835, Sel. 423). Les prophéties, les miracles mêmes et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu’on puisse dire qu’ils sont absolument convaincants, mais ils le sont aussi de telle sorte qu’on ne peut dire que ce soit être sans raison que de les croire. Ainsi il y a de l’évidence et de l’obscurité pour éclairer les uns et obscurcir les autres, mais l’évidence est telle qu’elle surpasse ou égale pour le moins l’évidence du contraire, de sorte que ce n’est pas la raison qui puisse déterminer à ne la pas suivre, et ainsi ce ne peut être que la concupiscence et la malice du cœur. Et par ce moyen il y a assez d’évidence pour condamner, et non assez pour convaincre, afin qu’il paraisse qu’en ceux qui la suivent c’est la grâce et non la raison qui fait suivre, et qu’en ceux qui la fuient c’est la concupiscence et non la raison qui fait fuir.

Voir le fragment précédent, Conclusion 2 (Laf. 378, Sel. 410). Ce fragment confirme l’idée de Conclusion 3 : si l’on présentait un miracle à la vue d’un incrédule, il ne le verrait même pas. C’est pourquoi les miracles ne servent pas à convertir. Mais si on ne voit pas le miracle, c’est en raison de l’aveuglement du cœur mauvais : le miracle sert donc à condamner.

C’est du reste pourquoi Pascal, estimant que les miracles peuvent difficilement servir d’argument apologétique, a renoncé à les invoquer dans son ouvrage, en dehors du fait de la prophétie, qui est un miracle subsistant. Mais on peut raisonner sur la prophétie comme sur les miracles : elles ne servent pas à convertir, mais elles condamnent ceux qui ne les reçoivent pas.

Kolakowski Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997, p. 191 sq.

Le rapport de cette maxime et de la référence à saint Thomas demande une explication.

Voir la note sur ce fragment de l’éd. de Ph. Sellier, Garnier, 2011, p. 341 : Pascal s’insurge contre un lieu commun de la « piété » : les vrais miracles seraient ceux qui s’opèrent dans les cœurs. Appuyé sur saint Thomas, qui dénie tout caractère miraculeux aux conversions (en dehors des « chemins de Damas »), il conclut que les vrais miracles servent à condamner ceux qui y résistent.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 174-175, propose le commentaire suivant, en s’appuyant sur une référence à la XVIIIe Provinciale, § 5, éd. Cognet, Garnier, 1992, p. 359, et § 17, p. 365, où Pascal cite à l’appui du principe qu’on a toujours le pouvoir de résister à la grâce un passage de l’Augustinus (t. 3, l. 8, c. 20). Pascal s’aperçoit que, si l’on peut résister à la grâce intérieure, à plus forte raison on peut désobéir à la preuve par les miracles, qui ne sont que le signe extérieur de la religion. Il n’appartient pas aux miracles de contraindre l’homme à embrasser la foi, alors même que la cause efficace de la foi qu’est la grâce ne détruit pas la liberté humaine. Saint Thomas confirme cette idée sous une forme inverse, affirmant que la justification de l’impie n’est pas un miracle : en effet, on ne peut parler de miracle que lorsque l’effet produit dépasse la puissance de sa cause propre : la conversion de l’impie ne pouvant avoir d’autre cause que Dieu lui-même, elle constitue peut-être une œuvre admirable (mira), mais pas miraculeuse (miraculosa). Ce qui équivaut à la proposition suivante : le miracle n’est pas la justification de l’impie, la conversion du pécheur. Les miracles n’ont pas de rapport direct avec la conversion. Saint Thomas est donc sur ce point d’accord avec Jansénius. Pascal trouve un prolongement dans l’expérience quotidienne, qu’il indique dans le fragment Laf. 574, Sel. 477. Un miracle, dit-on, affermirait ma créance, on le dit quand on ne le voit pas. Les raisons qui, étant vues de loin, paraissent borner notre vue, mais quand on y est arrivé on commence à voir encore au-delà. Rien n’arrête la volubilité de notre esprit. Il n’y a point, dit-on, de règle qui n’ait quelque exception ni de vérité si générale qui n’ait quelque face par où elle manque. Il suffit qu’elle ne soit pas absolument universelle pour nous donner sujet d’appliquer l’exception au sujet présent, et de dire, cela n’est pas toujours vrai, donc il y a des cas où cela n’est pas. Il ne reste plus qu’à montrer que celui-ci en est et c’est à quoi on est bien maladroit ou bien malheureux si on ne trouve quelque joint.

 

Pour approfondir…

 

Les références à saint Thomas dans l’œuvre de Pascal

 

Ferreyrolles Gérard, “Les citations de saint Thomas dans les Écrits sur la grâce ”, in Descotes Dominique (dir.), Pascal auteur spirituel, Paris, Champion, 2006, p. 143-159.

Ferreyrolles Gérard, “Saint Thomas et Pascal : les règles de la polémique chrétienne”, in Séries et variations. Études littéraires offertes à Sylvain Menant, Paris, P. U. P. S., 2010, p. 687-703.

Mesnard Jean, “Thomisme espagnol et jansénisme français”, L’Âge d’or de l’influence espagnole. La France et l’Espagne à l’époque d’Anne d’Autriche 1615-1666, Éd. interuniversitaires, 1991, p. 415-426.

De Franceschi Sylvio Hermann, La puissance et la gloire. L'orthodoxie thomiste au péril du jansénisme (1663-1724) : le zénith français de la querelle de la grâce, Paris, Nolin, 2011.