Fragment Preuves de Moïse n° 4 / 7  – Papier original : RO 491-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Preuves de Moïse n° 331 p. 153 v° / C2 : p. 184

Éditions de Port-Royal : Chap. X - Juifs : 1669 et janvier 1670 p. 90  / 1678 n° 23 p. 89-90

Éditions savantes : Faugère II, 191, IX / Havet XV.13 bis / Brunschvicg 703 / Tourneur p. 275-2 / Le Guern 276 / Lafuma 294 / Sellier 325

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Bibliographie

 

 

COHN Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, Reprint of Bar Ilan, volume in Humanities and social sciences, Jérusalem, 1969.

COHN Lionel, “Pascal et le judaïsme”, Pascal, Textes du tricentenaire, Paris, Fayard, 1963, p. 206-224.

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970.

GROTIUS Hugo, De veritate religionis christianae, V, § XVI.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Tandis que les prophètes ont été pour maintenir la loi le peuple a été négligent. Mais depuis qu’il n’y a plus eu de prophètes le zèle a succédé.

 

Les Juifs ont montré beaucoup de zèle pour conserver les preuves du Messie ; au contraire, ils n’en avaient pas eu pour se mettre en état de connaître le Messie, ce qui eût été leur salut (Havet).

Tandis que : tant que. Tandis que les prophètes ont été pour maintenir la loi : la Bible contient de nombreux épisodes au cours desquels le peuple a montré son infidélité à l’égard de Dieu. Des épisodes comme le veau d’or sont parmi les plus célèbres, mais on trouve dans Athalie de Racine une description prenante de la manière dont le peuple juif en vient, dans certaines circonstances, à déserter son Dieu et son temple.

Depuis qu’il n’y a plus eu de prophètes : autrement dit, depuis que le Christ est arrivé. À partir de son avènement, les prophètes n’étaient plus nécessaires. Les Juifs auraient alors dû se détacher de la loi mosaïque pour se convertir à l’Évangile ; mais tout au contraire un attachement nouveau à la loi s’est manifesté au moment même où celle-ci perdait sa valeur effective. Cet attachement est d’autant plus paradoxal que la loi juive est rigoureuse, sévère et composée de cérémonies très contraignantes.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 488. Sur le soin dont les Juifs ont entouré leurs livres. Pascal fait allusion dans ce fragment à toute la littérature qui s’est développée autour de la Thora (Talmud, Midrashim, Zohar) après la naissance du christianisme ; il pense aussi au travail des Massorètes sur la lettre des Écritures du VIe au XIIe siècles.

Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, V, § XVI, p. 82-83. Les Juifs n’ont plus de prophètes et rien ne présage leur retour dans leur terre ; cependant, malgré leur dispersion, ne se sont jamais tournés vers le culte des faux dieux, ils prient Dieu et tentent de l’apaiser par des jeûnes, sans être pour autant écoutés.

Pascal fournit dans la liasse suivante un exemple concret de la fidélité du peuple juif à son culte, à un moment où le Christ a déjà vécu. Voir Preuves de Jésus-Christ 19 (Laf. 317, Sel. 348). Le zèle des Juifs pour leur loi et leur temple. Josèphe et Philon juif, ad Caium. Quel autre peuple a un tel zèle, il fallait qu’ils l’eussent.

Sur le fait que les Juifs observent la même loi que sous Moïse, voir Cohn Lionel, Une polémique judéo-chrétienne au Moyen Âge et ses rapports avec l’analyse pascalienne de la religion juive, qui rapporte les développements des Perouchey Agadoth, de R. Adereth. Voir sur le même sujet, Cohn Lionel, “Pascal et le judaïsme”, p. 206-224, notamment p. 213-214.

Cette fidélité est d’autant plus étonnante qu’elle s’attache à un message qui va contre eux. Voir Preuves par les Juifs II (Laf. 452, Sel. 692). Sincérité des Juifs. Ils portent avec amour et fidélité ce livre où Moïse déclare qu’ils ont été ingrats envers Dieu toute leur vie, qu’il sait qu’ils le seront encore plus après sa mort, mais qu’il appelle le ciel et la terre à témoin contre eux, qu’il le leur a [enseigné] assez.

Il déclare qu’enfin Dieu s’irritant contre eux les dispersera parmi tous les peuples de la terre, que comme ils l’ont irrité en adorant les dieux qui n’étaient point leurs dieux, de même il les provoquera en appelant un peuple qui n’est point son peuple, et veut que toutes ses paroles soient conservées éternellement et que son livre soit mis dans l’arche de l’alliance pour servir à jamais de témoin contre eux.

Le fragment Laf. 589, Sel. 488 donne une explication religieuse à ce paradoxe : Le diable a troublé le zèle des Juifs avant J.-C. parce qu’il leur eût été salutaire, mais non pas après.

La reconstitution de Pol Ernst confirme le rapprochement de ce dernier fragment avec Preuves de Moïse 4. Voir cette reconstitution partielle (Album, p. 2).

Mais l’explication par l’action du diable n’est pas la plus profonde : le refus des Juifs d’abandonner leur loi et de suivre le Christ est une partie du plan de Dieu pour donner aux chrétiens des témoins « irréprochables ». Si les Juifs avaient tous suivis le Christ, celui-ci n’aurait pas eu de témoins insoupçonnables, capables de témoigner en sa faveur malgré leur inimitié.

Laf. 592, Sel. 492. Si les Juifs eussent été tous convertis par J.-C. nous n’aurions plus que des témoins suspects. Et s’ils avaient été exterminés, nous n’en aurions point du tout.

Prophéties V (Laf. 488, Sel. 734). Les Juifs en le tuant pour ne le point recevoir pour Messie, lui ont donné la dernière marque du Messie. Et en continuant à le méconnaître ils se sont rendus témoins irréprochables. Et en le tuant et continuant à le renier ils ont accompli les prophéties.

On retrouve des idées analogues sous la plume de Sacy.

La Genèse, tr. Sacy, Ie partie, Préface, § V.

« Il est important d’ajouter ici quelques réflexions sur l’état présent des Juifs, parce qu’ils sont une des marques les plus claires de la vérité de notre foi. [...] Ceci nous fait voir combien il est vrai que Dieu est le maître et l’arbitre de tout ce qui se passe sur la terre, et que le cours du monde n’a point d’autre loi que son ordre souverain, et l’accomplissement de ses desseins éternels.

Car qui n’admirera, selon la réflexion très judicieuse de saint Augustin, les marques de la sagesse et de la toute-puissance de Dieu, qui éclatent sensiblement dans toute la manière dont il a conduit le peuple Juif ? Il choisit ce peuple quinze siècles avant Jésus-Christ. Il lui donne sa loi. Il le rend dépositaire de sa parole et de ses promesses. Et il fait que tout ce peuple devient comme un grand prophète : magnus quidam propheta, dit saint Augustin ; en sorte que dans son élévation, dans son abaissement, dans ses victoires, dans ses défaites, dans son sacerdoce, dans ses sacrifices, dans son temple, dans ses Juges, dans ses rois, dans ses prophéties ; et enfin dans tout ce qui lui arrive, selon ce qui vient d’être cité de saint Paul, il est la figure vivante et animée de tout ce qui devait arriver à Jésus-Christ et à son Église.

Et après que Jésus-Christ a paru dans le monde, et que ces mêmes Juifs qui mettaient toute leur gloire à attendre le Messie, l’ont rejeté, et l’ont fait mourir cruellement, Dieu les a rejetés aussi par une très grande justice. Mais en même temps il a fait que leur réprobation est devenue plus utile à l’Église, que n’aurait été leur conversion.

Car s’ils avaient embrassé la foi, ils auraient pu être suspects aux Gentils, auxquels ils devaient apprendre la vérité des prophéties, puisqu’il est aisé que les Chrétiens soutiennent tout ce qui favorise Jésus-Christ. « Au lieu que maintenant Dieu les a dispersés, et les fait subsister depuis dix-sept siècles dans toute la terre, comme des témoins irréprochables qui déposent en tous lieux en faveur de Jésus-Christ et de sa Religion au même temps qu’ils détestent l’un et l’autre ; et qui conservant avec un grand respect l’Écriture sainte, à la lettre de laquelle ils s’attachent inviolablement, présentent cette même Écriture en tous lieux, afin que tous les hommes y lisent en des termes très clairs et très convaincants la justification de notre foi, et la condamnation de leur perfidie » : Gens Judeorum, dit saint Augustin, reproba per infidelitatem, a sedibus extirpata per mundum usquequaque dispergitur, ut ubique portet codices sanctos : Ac sic prophetiæ testimonium, quâ Christus et Ecclesia prœnuntiata est, ne ad tempus à nobis fictum existimaretur, ab ipsis adversariis proferatur ; ubi etiam ipsos prædictum est non fuisse credituros ».