Fragment Perpétuité n° 3 / 11  – Papier original : RO 218

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Perpétuité n° 322 p. 145 à 147 / C2 : p. 175 à 177

Éditions de Port-Royal : Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 21-25  / 1678 n° 8 p. 20-23

Éditions savantes : Faugère II, 199, XX / Havet XI.5 bis / Brunschvicg 613 / Tourneur p. 271-2 / Le Guern 264 / Lafuma 281 / Sellier 313

 

 

 

 

 

Dans l’édition de Port-Royal

 

Chap. II - Marques de la véritable Religion : 1669 et janvier 1670 p. 21-25  / 1678 n° 8 p. 20-23

       

 

Différences constatées par rapport au manuscrit original

 

Ed. janvier 1670 1

Transcription du manuscrit

 

 Cette Religion qui consiste à croire que l’homme est tombé d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence, et d’éloignement de Dieu, mais qu’enfin il serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, et celle-là a subsisté pour laquelle sont toutes choses. [Dossier de travail - Laf. 392, Sel. 11] 2 néanmoins comme dans ce premier âge du monde ils se laissèrent emporter à toutes sortes de désordres, il y avait cependant des Saints, comme Énoch, Lamech, et d’autres qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde. [Dossier de travail - Laf. 392, Sel. 11] 3 qui a vu la malice des hommes au plus haut degré ; [Dossier de travail - Laf. 392, Sel. 11] 4 qui était tout environné d’idolâtres 5, et il lui fit connaître le mystère du Messie qu’il devait envoyer. Au temps d’Isaac et de Jacob l’abomination était répandue sur toute la terre ; mais ces Saints vivaient en la 5 foi ; et Jacob mourant, et bénissant ses enfants s’écrie par un transport qui lui fait interrompre son discours : J’attends, ô mon Dieu, le Sauveur que vous avez promis, salutare tuum expectabo 5 Domine (en marge : Genès. 49. 18.).

Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie ; le peuple de Dieu même était entraîné par leurs exemples 5. Mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant les biens 5 éternels qu’il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses divinités ; les Poètes ont fait diverses théologies ; les Philosophes se sont séparés en mille sectes 7 différentes : et cependant il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux.

Il est venu enfin en la consommation des temps : et depuis, quoiqu’on ait vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses ; cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable, et tout à fait divin, c’est que cette Religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle ; et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. C’est ce qui est étonnant, et 5 qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans.

 

Cette religion qui consiste à croire que l’homme est déchu d’un état de gloire et de communication avec Dieu en un état de tristesse, de pénitence et d’éloignement de Dieu, mais qu’après cette vie on serait rétabli par un Messie qui devait venir, a toujours été sur la terre. Toutes choses ont passé, et celle‑là a subsisté pour laquelle sont toutes choses.

 

Les hommes dans le premier âge du monde ont été emportés dans toutes sortes de désordres, et il y avait cependant des saints comme Énoch, Lamech et d’autres qui attendaient en patience le Christ promis dès le commencement du monde.

 

Noé a vu la malice des hommes au plus haut degré et il a mérité de sauver le monde en sa personne par l’espérance du Messie, dont il a été la figure.

Abraham était environné didolâtries quand Dieu lui a fait connaître le mystère du Messie qu’il a salué de loin. Au temps d’Isaac et de Jacob, l’abomination était répandue sur toute la terre, mais ces saints vivaient en leur foi, et Jacob mourant et bénissant ses enfants s’écrie par un transport qui lui fait interrompre son discours : J’attends, ô mon Dieu, le sauveur que vous avez promis, Salutare tuum exspectabo, Domine.

Les Égyptiens étaient infectés et d’idolâtrie et de magie, le peuple de Dieu même était entraîné par leur exemple, mais cependant Moïse et d’autres voyaient celui qu’ils ne voyaient pas, et l’adoraient en regardant aux dons éternels qu’il leur préparait.

Les Grecs et les Latins ensuite ont fait régner les fausses déités, les poètes ont fait cent 6 diverses théologies, les philosophes se sont séparés en mille sectes différentes. Et cependant, il y avait toujours au cœur de la Judée des hommes choisis qui prédisaient la venue de ce Messie qui n’était connu que d’eux. Il est venu enfin en la consommation des temps, et depuis on a vu naître tant de schismes et d’hérésies, tant renverser d’États, tant de changements en toutes choses, et cette Église qui adore celui qui a toujours été adoré a subsisté sans interruption. Et ce qui est admirable, incomparable et tout à fait divin, c’est que cette religion qui a toujours duré a toujours été combattue. Mille fois elle a été à la veille d’une destruction universelle, et toutes les fois qu’elle a été en cet état Dieu l’a relevée par des coups extraordinaires de sa puissance. Et ce qui est étonnant est qu’elle s’est maintenue sans fléchir et plier sous la volonté des tyrans, car il n’est pas étrange qu’un État subsiste lorsque l’on fait quelquefois céder ses lois à la nécessité. Mais que... Voyez le rond dans Montaigne.

 

 

1 Conventions : rose = glose des éditeurs ; vert = correction des éditeurs ; marron = texte non retenu par les éditeurs.

2 « Car Dieu voulant se former un peuple saint qu’il séparerait de toutes les autres nations, qu’il délivrerait de ses ennemis, qu’il mettrait dans un lieu de repos, a promis de le faire, et de venir au monde pour cela ; et il a prédit par ses Prophètes le temps et la manière de sa venue. Et cependant pour affermir l’espérance de ses élus dans tous les temps, il leur en a toujours fait voir des images et des figures, et il ne les a jamais laissés sans des assurances de sa puissance et de sa volonté pour leur salut. Car dans la création de l’homme, Adam en était le témoin, et le dépositaire de la promesse du Sauveur qui devait naître de la femme. Et quoi que les hommes étant encore si proches de la création ne pussent avoir oublié leur création, et leur chute, et la promesse que Dieu leur avait faite d’un Rédempteur, ».

3 « Ensuite Dieu a envoyé Noé, ».

4 « et il l’a sauvé en noyant toute la terre par un miracle qui marquait assez, et le pouvoir qu’il avait de sauver le monde, et la volonté qu’il avait de le faire, et de faire naître de la femme celui qu’il avait promis. Ce miracle suffisait pour affermir l’espérance des hommes ; et la mémoire en étant encore assez fraîche parmi eux, Dieu fit ses promesses à Abraham ».

5 La différence provient des Copies C1 et C2.

6 La différence provient de la Copie C1 dans laquelle le mot a été omis.

7 La Copie C1 transcrit sorte[s]. Ce mot a été corrigé sectes dans C2 conformément à la lecture actuelle du ms original. Il est possible que l’original ait été relu à la demande du Comité.

 

Commentaire

 

Ce fragment est caractéristique du travail de réécriture que les éditeurs ont cru bon d’effectuer en intégrant différents fragments les uns dans les autres, en cherchant à préserver une suite des idées que la multitude des fragments du manuscrit peut dissimuler aux lecteurs. Les suppressions elles-mêmes sont significatives : les éditeurs effacent par exemple l’idée que Noé a pu être la figure du Christ, parce qu’elle entre mal dans le fil du raisonnement, ou tout au moins que l’intention de Pascal lorsqu’il a noté ce point n’était pas assez explicite.