Fragment Prophéties n° 26 / 27  – Papier original : RO 165-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Prophéties n° 359 p. 171 v° / C2 : p. 205-206

Éditions de Port-Royal : Chap. XV - Preuves de Jésus-Christ par les prophéties : 1669 et janvier 1670 p. 118  / 1678 n° 6 p. 118

Éditions savantes : Faugère II, 308, XXXV / Havet XVIII.7 / Michaut 401 / Brunschvicg 735 / Tourneur p. 288-4 / Le Guern 328 / Lafuma 347 / Sellier 379

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Bibliographie

 

 

ERNST Pol, Approches pascaliennes, Gembloux, Duculot, 1970.

GOYET Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, Paris, Presses Universitaires de France, 1979, p. 63-74.

PERATONER Alberto, Blaise Pascal, Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, I, Venise, Cafoscarina, 2002.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

 

 

Éclaircissements

 

Prophétie[s].

 

Que les Juifs réprouveraient Jésus-Christ et qu’ils seraient réprouvés de Dieu par cette raison. 

 

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 489 sq. Misère effrayante et prédite des Juifs.

Goyet Thérèse, “La méthode prophétique selon Pascal”, in Méthodes chez Pascal, p. 69 sq.

Ernst Pol, Approches pascaliennes, p. 461 sq.

Peratoner Alberto, Blaise Pascal, Ragione, rivelazione e fondazione dell’etica. Il percorso dell’Apologie, I, p. 719 sq.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Raison pourquoi figures. [...] Il fallait que pour donner foi au Messie il y eût eu des prophéties précédentes et qu’elles fussent portées par des gens non suspects et d’une diligence et fidélité et d’un zèle extraordinaire et connu de toute la terre.

Pour faire réussir tout cela Dieu a choisi ce peuple charnel auquel il a mis en dépôt les prophéties qui prédisent le Messie comme libérateur et dispensateur des biens charnels que ce peuple aimait.

Et ainsi il a eu une ardeur extraordinaire pour ses prophètes et a porté à la vue de tout le monde ces livres qui prédisent leur Messie assurant toutes les nations qu’il devait venir et en la manière prédite dans les livres qu’ils tenaient ouverts à tout le monde. Et ainsi ce peuple déçu par l’avènement ignominieux et pauvre du Messie ont été ses plus cruels ennemis, de sorte que voilà le peuple du monde le moins suspect de nous favoriser et le plus exact et zélé qui se puisse dire pour sa loi et pour ses prophètes qui les porte incorrompus.

De sorte que ceux qui ont rejeté et crucifié Jésus-Christ qui leur a été en scandale sont ceux qui portent les livres qui témoignent de lui et qui disent qu’il sera rejeté et en scandale, de sorte qu’ils ont marqué que c’était lui en le refusant et qu’il a été également prouvé et par les justes Juifs qui l’ont reçu et par les injustes qui l’ont rejeté, l’un et l’autre ayant été prédit.

On peut être tenté de voir dans cette réprobation du Christ par le peuple juif, et par suite du peuple juif par Dieu un exemple de ces délaissements de Dieu par l’homme, puis de l’homme par Dieu dont Pascal a traité dans le premier des Écrits sur la grâce, la Lettre sur la possibilité des commandements.

 

Que la vigne élue ne donnerait que du verjus.

 

Verjus : suc acide d’un raisin cueilli avant maturité.

Que la vigne élue ne donnerait que du verjus : Isaïe, V, 1-7. « Cantabo dilecto meo canticum patruelis mei vineae suae. Vinea facta est dilecto meo in cornu filio olei. 2 Et sepivit eam, et lapides elegit ex illa, et plantavit eam electam, et aedificavit turrim in medio ejus et torcular extruxit in ea : et expectavit ut faceret uvas, et fecit labruscas. 3. Nunc ergo habitatores Jerusalem et viri Juda, judicate inter me et vineam meam. 4. Quid est quod debui ultra facere vineae meae, et non feci ei ? An quod expectavi ut faceret uvas et fecit labruscas ? 5. Et nunc ostendam vobis quid ego faciam vineae meae : auferam sepem ejus, et erit in direptionem : diruam maceriam ejus et erit in conculcationem. 6. Et ponam eam desertam : non putabitur, et non fodietur : et ascendent vepres et spinae : et nubibus mandabo ne pluant super eam imbrem. 7. Vinea enim Domini exercituum domus Israël est : et vir Juda, germen ejus delectabile : et expectavi ut faceret judicium, et ecce iniquitas, et iustitiam et ecce clamor ».

Traduction : « Je chanterai maintenant à mon bien-aimé le cantique de mon proche parent pour sa vigne. Mon bien-aimé avait une vigne sur un lieu élevé, gras et fertile. 2. Il l’environna d’une haie, il en ôta les pierres, et la planta d’un plant rare et excellent ; il bâtit une tour au milieu, et il y fit un pressoir ; il s’attendait qu’elle porterait de bons fruits, et elle n’en a porté que de sauvages. 3. Maintenant donc, vous habitants de Jérusalem, et vous hommes de Juda, soyez les juges entre moi et ma vigne. 4. Qu’ai-je dû faire de plus à ma vigne que je n’aie point fait ? Est-ce que je lui ai fait tort d’attendre qu’elle portât de bons raisins, au lieu qu’elle n’en a produit que de mauvais ? 5. Mais je vous montrerai maintenant ce que je m’en vais faire à ma vigne : J’en arracherai la haie et elle sera exposée au pillage ; je détruirai tous les murs qui la défendent, et elle sera foulée aux pieds. 6. Je la rendrai toute déserte, et elle ne sera point taillée, ni labourée : les ronces et les épines la couvriront, et je commanderai aux nuées de ne pleuvoir plus sur elle. 7. La maison d’Israël est la vigne du Seigneur des armées ; et les hommes de Juda étaient le plant auquel il prenait ses délices ; j’ai attendu qu’ils fissent des actions justes, et je ne vois qu’iniquité ; et qu’ils portassent des fruits de justice, et je n’entends que les cris de ceux qui sont dans l’oppression » (Traduction de la Bible de Port-Royal).

Prophéties VI (Laf. 489, Sel. 735). Captivité des Juifs sans retour.

Jér. 11. 11. Je ferai venir sur Juda des maux desquels ils ne pourront être délivrés.

Figures.

Le Seigneur a eu une vigne dont il a attendu des raisins et elle n’a produit que du verjus. Je la dissiperai donc et la détruirai. La terre n’en produira que des épines et je défendrai au ciel d’y...

Is. 5. 7. 8. La vigne du Seigneur est la maison d’Israël. Et les hommes de Juda en sont le germe délectable. J’ai attendu qu’ils fissent des actions de justice, et ils ne produisent qu’iniquité.

Le passage est susceptible d’interprétations différentes. Pascal l’entend manifestement ici comme l’annonce prophétique du fait que, les Juifs ayant rejeté le Christ, ils seront à leur tour rejetés au profit des chrétiens. En revanche, le commentaire de la Bible de Port-Royal interprète le texte en un sens spirituel assez différent, appliqué à l’Église elle-même : « Le cantique dont le prophète parle ici, est un chant lugubre, puisqu’il nous apprend à pleurer avec lui les maux de l’Église qui est le peuple de Dieu, qu’il compare ii à une vigne à l’imitation de David, et comme Jésus-Christ a fait depuis dans l’Évangile. Le prophète marque au long toutes les grâces que Dieu a faites à son peuple, pour faite paraître davantage la grandeur de son ingratitude et de la peine qu’il a méritée. Dieu est plein de miséricorde. Il use d’une longue patience envers ceux qui pèchent. Mais quand on abuse de sa bonté, et qu’au lieu de porter de bon fruit on ne produit que des épines, c’est-à-dire comme Jésus-Christ l’explique lui-même dans l’Évangile, lorsqu’on s’abandonne aux soins et aux plaisirs du siècle, et que l’on ne travaille point sérieusement à son salut, il change sa patience en fureur. Il abandonne une vigne qui lui avait été chère, il fait sécher jusqu’à la racine un bois qui ne portait que des feuilles ou de mauvais fruits, et ce qui est le comble des maux, il défend à ses nuées d’arroser davantage cette vigne ingrate ». Les deux commentaires ne sont pas incompatibles. L’abandon par Dieu des Juifs qui ont renoncé le Christ est la figure de l’abandon par Dieu des pécheurs qui s’obstinent à abuser de sa patience. Mais dans la liasse Prophéties, Pascal s’intéresse surtout à l’aspect historique des prophéties. L’interprétation mystique de l’histoire ne peut prendre place que dans une réflexion d’ordre supérieur.

 

Que le peuple choisi serait infidèle, ingrat et incrédule : Populum non credentem et contradicentem.

 

Voir Saint Paul, Rom. X, 21. « Ad Israël autem dicit : tota die expandi manus meas ad populum non credentem et contradicentem » ; « Et il dit contre Israël : J’ai tendu les bras durant tout le jour à ce peuple incrédule et rebelle à mes paroles » (traduction de la Bible de Port-Royal).

Voir Havet, éd. Pensées, II, 1866, p. 24, qui note que dans Isaïe, LXV, 2, on lit seulement populum incredulum : « expandi manus meas tota die ad populum incredulum qui graditur in via non bona post cogitationes suas » ; mais Pascal donne le verset d’après saint Paul, où on lit non credentem et contradicentem.

 

28. 28. Que Dieu les frappera d’aveuglement et qu’ils tâtonneraient en plein midi comme les aveugles.

 

Deutéronome, XXVIII, 28-29. « Percutiat te Dominus amentia et caecitate ac furore mentis ; 29. et palpes in meridie sicut palpare solet caecus in tenebris, et non dirigas vias tuas. Omnique tempore calumniam sustineas, et opprimaris violentia, nec habeas qui liberet te » ; « Le Seigneur vous frappera de frénésie, d’aveuglement d’esprit et de fureur ; 29. en sorte que vous marcherez à tâtons en plein midi, comme l’aveugle au milieu des ténèbres. Vous ne réussirez point en ce que vous aurez entrepris. Vous serez noirci en tout temps par des calomnies, et opprimé par des violences, sans que vous ayez personne pour vous délivrer » (traduction de la Bible de Port-Royal).

Dans le verset 30 qui suit, il est de nouveau question de vigne.

Sur la notion d’aveuglement, voir le commentaire des fragments Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264) et Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268).

 

Qu’un précurseur viendrait avant lui.

 

Malachie, III, 1. « Et ego mitto angelum meum, et praeparabit viam ante faciem meam » ; « Je vais vous envoyer mon ange, qui préparera ma voie devant ma face… » Voir le commentaire de la Bible de Port-Royal : le Christ a vu dans ce messager son propre précurseur Jean-Baptiste ; voir Matthieu XI, 14, qui déclare que Jean est « cet Élie qui doit venir ».