Fragment Fondement n° 9 / 21  – Papier original : RO 45-7

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Fondement n° 285 p. 117 v° / C2 : p. 144

Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 145  / 1678 n° 24 p. 143

Éditions savantes : Faugère II, 116, VI / Havet XX.19 / Brunschvicg 566 / Tourneur p. 251-5 / Le Guern 217 / Lafuma 232 / Sellier 264

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

Saint AUGUSTIN, La cité de Dieu, XVII, Bibliothèque augustinienne, p. 451.

BOUCHER Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, contenant les résolutions de trois cent soixante et dix questions sur le sujet de la foi, de l’Écriture sainte, de la création du monde, de la rédemption du genre humain, de la divine providence, et de l’immortalité de l’âme, proposées par Typhon, maître des impies et libertins de ce temps et répondues par Dulithée, I, XI, Paris, 1628.

BOURZEIS Amable, Lettre d’un abbé à un abbé, 1649, p. 9.

HAVET, éd. Pensées, II, p. 52 sq., Remarques sur l’article XX.

KOLAKOWSKI Leszek, Dieu ne nous doit rien, Brève remarque sur la religion de Pascal et l’esprit du jansénisme, Paris, Albin Michel, 1997, p. 188 sq.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 610.

THOMAS D’AQUIN, Somme théologique, Ia IIae, Q. LXXIX, article III, Utrum Deus sit causa excaecationis et indurationis ; article IV, IV, Utrum excaecatio et obduratio semper ordinentur ad salutem ejus qui excaecatur et obduratur.

TRUCHET Jacques, La prédication de Bossuet, étude de thèmes, Cerf, Paris, 1960.

 

 

Éclaircissements

 

On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.

 

Le lien de ce fragment avec Commencement 1 (Laf. 150, Sel. 183), tel que le révèle la reconstitution de Pol Ernst, est fragile. Peut-être faut-il rapprocher l’idée que Dieu veut aveugler certaines personnes de ce que Pascal écrit plus haut sur le fait qu’elles négligent de regarder au détail de leur condition, alors qu’il y va de tout. Le rapport avec l’addition marginale (voir la transcription diplomatique), sans doute tardive, relative au fait que si la religion ne rend pas compte de l’obscurité qui entoure la condition humaine, elle peut au moins la faire connaître, est douteux. Quoi qu’il en soit, le présent fragment, qui prolongeait peut-être à l’origine Commencement 1, en a été disjoint, et une fois placé dans Fondement, il y a pris une signification nouvelle, puisqu’il est élevé au rang de principe fondamental de tout le dernier mouvement de l’apologie.

C’est un dessein formel des prophètes, selon Fondement 5 (Laf. 228, Sel. 260), que des obscurités voulues par Dieu aveuglent les hommes. Voir dans Prophéties VI (Laf. 489, Sel. 735), sur Isaïe, 29, des passages marquant la volonté de Dieu d’aveugler les hommes.

Prophéties 26 (Laf. 347, Sel. 379). Que Dieu les frappera d’aveuglement et qu’ils tâtonneront en plein midi comme les aveugles.

Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia IIae, Q. LXXIX, art. III, p. 599, Utrum Deus sit causa excaecationis et indurationis ; article IV, Utrum excaecatio et obduratio semper ordinentur ad salutem ejus qui excaecatur et obduratur, p. 601 sq.

Excaeca : Isaïe, traduit en français, Paris, Desprez, 1686 (traduction Le Maître de Sacy), Chapitre VI, 10, p. 46 sq. Explication du Chapitre VI : p. 49 sq. Verset 10, « Excaeca cor... », p. 52. « Aveuglez le cœur de ce peuple. Quand Dieu dit à Isaïe Aveuglez le cœur de ce peuple, ce n’est pas que celui qui est la bonté et la sainteté même, puisse avoir aucune part à la malice de l’homme : mais il prédit l’effet que la prédication de sa parole doit produire dans le cœur des Juifs, comme s’il lui disait : Éclairez ce peuple, faits-lui entendre ma volonté ; mais la lumière que vous lui présenterez ne servira qu’à l’aveugler davantage. Il se bouchera les oreilles, et il fermera les yeux, de peur que ses yeux ne voient, que ses oreilles n’entendent, et que son cœur ne se convertisse.

C’est pourquoi l’on peut dire dans ces rencontres, que toute gloire est due à Dieu, et la confusion à l’homme ; parce que Dieu ne tend qu’à éclairer l’homme, et à la guérir, et que l’homme au contraire s’endurcit le cœur par les mêmes choses qui auraient dû le porter à se convertir. Ainsi lorsque l’œil qui est gâté par une mauvaise humeur, s’expose au soleil, il en devient encore plus malade. Et alors on n’accuse pas le soleil de cet effet si mauvais, mais on l’attribue à l’indisposition de l’œil. »

Loi figurative 26 (Laf. 271, Sel. 302). J.-C. n’a fait autre chose qu’apprendre aux hommes qu’ils s’aimaient eux-mêmes, qu’ils étaient esclaves, aveugles, malades, malheureux et pécheurs ; qu’il fallait qu’il les délivrât, éclairât, béatifiât et guérît, que cela se ferait en se haïssant soi-même et en le suivant par la misère et la mort de la croix.

Pascal parle rarement de l’obscurcissement sans parler aussi de la manière dont d’autres seront éclairés.

Fondement 12 (Laf. 235, Sel. 267). J.-C. est venu aveugler ceux qui voient clair et donner la vue aux aveugles, guérir les malades, et laisser mourir les sains, appeler à pénitence et justifier les pécheurs, et laisser les justes dans leurs péchés, remplir les indigents et laisser les riches vides.

Mais si Jésus-Christ est venu pour aveugler et éclaircir à la fois, il n’aveugle et n’éclaircit pas les mêmes en même temps.

Voir Prophéties V (Laf. 487, Sel. 734). Les prophéties doivent être inintelligibles aux impies. Da. 12. - Osée. ult. 10. mais intelligibles à ceux qui sont bien instruits.

À cet effet, l’obscurité n’est jamais telle qu’elle entraîne nécessairement l’aveuglement.

Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Aveugler éclaircir. [...] Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.

Miracles II (Laf. 835, Sel. 423). Les prophéties, les miracles mêmes et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu’on puisse dire qu’ils sont absolument convaincants, mais ils le sont aussi de telle sorte qu’on ne peut dire que ce soit être sans raison que de les croire. Ainsi il y a de l’évidence et de l’obscurité pour éclairer les uns et obscurcir les autres, mais l’évidence est telle qu’elle surpasse ou égale pour le moins l’évidence du contraire, de sorte que ce n’est pas la raison qui puisse déterminer à ne la pas suivre, et ainsi ce ne peut être que la concupiscence et la malice du cœur. Et par ce moyen il y a assez d’évidence pour condamner, et non assez pour convaincre, afin qu’il paraisse qu’en ceux qui la suivent c’est la grâce et non la raison qui fait suivre, et qu’en ceux qui la fuient c’est la concupiscence et non la raison qui fait fuir.

Prophéties 16 (Laf. 337, Sel. 369). Pour faire qu’en voyant ils ne voient point et qu’en entendant ils n’entendent point rien ne pouvait être mieux fait.

Entre ceux qui sont obscurcis et ceux qui sont éclairés, il existe une sorte de lien dialectique : les premiers servent d’instruction aux seconds.

 

Pour approfondir…

 

L’idée de l’aveuglement a été exposée de manière éclairante par Arnauld.

Arnauld Antoine, Apologie pour les saints Pères, Œuvres, XVIII, Liv. VI, ch. II, p. 556-559. Exploitation de la métaphore contre le P. Le Moyne, en un sens qui rappelle Saint-Cyran. Le Moyne argue de Jean I, « Erat lux vera quae illuminat omnem hominem venientem in hunc mundum ». L’homme reçoit des rayons de la foi en Jésus-Christ.

« C’est cette lumière spirituelle, dont parle si souvent saint Augustin, qui est toujours présente à nos âmes, qui leur luit toujours, même dans les plus épaisses ténèbres, et dont nous pouvons toujours être éclairés, pourvu que nous ayons des yeux pour la voir. Et en ce sens il est la lumière qui éclaire généralement tous les hommes et tous les anges.

Mais comme le soleil visible éclaire durant le jour tous les yeux corporels, et leur donne à tous le moyen de voir, en ce qui dépend de la seule présence de sa clarté, quoique ceux qui ont la vue obscurcie ne puissent la voir, si l’on ne guérit leur aveuglement : ainsi ce soleil invisible illumine sans cesse toutes les créatures intelligentes, et leur présente à toutes ses rayons divins et éternels, par lesquels seuls elles peuvent contempler la vérité. Mais parce que le péché a rendu tous les hommes aveugles, et a couvert leurs yeux de ténèbres, quoique cette lumière immortelle ne laisse pas de leur nuire, parce qu’elle n’a point changé de nature ; le changement qui est arrivé en eux fait qu’ils ne sont plus maintenant au même état d’en jouir, qu’ils étaient avant que de s’être détournés d’elle, et s’être aveuglés en s’en détournant.

C’est pourquoi ce n’est plus assez que cette lumière les éclaire en cette manière générale, dont elle les éclairait avant que leur vue eût été altérée et corrompue par le péché, et dont elle a éclairé généralement tous les anges, il faut qu’elle le fasse d’une manière toute particulière, et en ne se présentant pas seulement à eux pour en être vue, mais en leur donnant des yeux par lesquels elle en puisse être vue. Car autrement, selon la parole de l’Évangile au même endroit, lux in tenebris lucet, et tenebrae eam non comprehenderunt, comme le soleil ne peut être vu des aveugles, quoiqu’il les environne de toutes parts de sa clarté et de ses rayons. Sicut sol iste a caecis non videtur, quamvis eos suis radiis quodammodo vestiat, sic lumen aeternum, quod etiam in tenebris lucet, a stultitia tenebris non comprehenditur (Aug. De pecc. mer. I, 25).

Mais l’avantage qu’a ce soleil de nos âmes au-dessus de celui de nos corps, est que ce dernier nous donne moyen de voir si nous avons la vue saine, et si nous nous tournons vers lui ; mais il ne guérit pas nos yeux, s’ils sont malades, et ne fait pas que nous nous tournions vers lui si nous en sommes détournés. Au lieu que le premier fait l’un et l’autre : Etiam ut convertamur ipse adjuvat, quod certe oculis corporis lux ista non praestat (Aug. De pecc. mer. I, 5).

Or comment est-ce qu’il le fait ? Comment est-ce que cette lumière qui luit à nos yeux, lors même qu’ils sont aveugles, les rend, d’aveugles, clairvoyants et capables de jouir de sa splendeur ? En faisant ce qu’il a figuré dans l’Évangile, en mêlant sa salive à notre boue, et l’appliquant à nos yeux. C’est-à-dire que le Verbe, qui est cette lumière éternelle, qui par lui-même et selon sa nature divine, illumine toutes les âmes, comme leur soleil, en ce qu’ils ne peuvent rien voir que par sa clarté, les illumine, comme leur médecin, en leur rendant la vue intérieure que le péché avait obscurcie, que s’étant fait chair, que s’étant couvert de notre ombre, pour se proportionner à notre faiblesse, et ayant uni, par un prodige d’amour envers ses élus, cette salive sacrée qui découle de la tête du Père, avec la boue de notre humanité : afin que ce remède, étant appliqué aux yeux de notre âme, ce qui ne peut être que par la foi, il lui rende l’usage de la vue, et lui donne moyen de voir ce soleil divin, qui était toujours présent à elle pour l’illuminer, mais dont son aveuglement la rendait absente, et incapable d’en être illuminée, comme remarque excellemment saint Augustin en divers endroits.

Je demande donc à M. Le Moyne de quelle illumination il entend ces paroles de l’Évangile, que Jésus-Christ était la lumière qui illumine tous les hommes, lorsqu’il les allègue pour prouver que ceux qui n’ont aucune foi en Jésus-Christ, comme les infidèles et les Juifs, ne manquent point de grâce suffisante pour faire le bien.

Car s’il l’entend simplement de l’illumination générale, qui convient à Jésus-Christ comme Verbe, et selon laquelle la lumière luit dans les ténèbres, quoique les ténèbres en l’aperçoivent point, il est lui-même couvert de grandes ténèbres, s’il ne voit pas que vouloir établir par là une grâce suffisante pour tous les infidèles qui demeurent infidèles, et à qui cette lumière invisible n’est présente que comme le soleil est présent aux yeux des aveugles, demeurant aveugles, ont un moyen suffisant pour voir, parce que le soleil ne cesse point de leur présenter sa lumière.

Que s’il les entend de l’illumination particulière qui convient au même verbe, comme revêtu de notre chair, et selon laquelle il témoigne qu’il est venu dans le monde pour faire voir ceux qui ne voyaient pas (Jean, 9, 39), et pour les faire passer de leurs ténèbres dans son admirable lumière (I. Petr. 2, 9), en ne présentant pas seulement la clarté à leurs yeux malades, mais en les guérissant pour les rendre capables de l’apercevoir : il est lui-même encore plus aveugle, s’il ne voit pas ce que l’Écriture nous assure en tant de lieux, que la condition essentielle, pour être en cette manière illuminé par Jésus-Christ, est de croire en Jésus-Christ ; et qu’ainsi ces infidèles, dont il parle, qui n’y ont jamais cru, n’ont pu avoir aucune part à cette illumination médicinale du sauveur du monde, sans laquelle l’autre illumination ne peut de rien servir à des âmes aveuglées, qui demeurant dans l’aveuglement et dans les ténèbres de l’infidélité, sont incapables de voir la lumière, quelque présente qu’elle puisse être à leurs yeux. »

 

Qui a été aveuglé par Dieu, et est tombé dans l’obscurcissement ?

Pascal semble d’abord penser aux Juifs charnels. Sur la condition des Juifs charnels, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin.

Miracles III (Laf. 892, Sel. 446). Les Juifs s’aveuglaient en jugeant des miracles par l’Écriture.

Laf. 793, Sel. 646. Les ténèbres des Juifs effroyables et prédites. Eris palpans in meridie. Dabitur liber scienti litteras et dicet non possum legere.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures. Les Juifs avaient vieilli dans ces pensées terrestres : que Dieu aimait leur père Abraham, sa chair et ce qui en sortait, que pour cela il les avait multipliés et distingués de tous les autres peuples sans souffrir qu’ils s’y mêlassent, que quand ils languissaient dans l’Égypte il les en retira avec tous ses grands signes en leur faveur, qu’il les nourrit de la manne dans le désert, qu’il les mena dans une terre bien grasse, qu’il leur donna des rois et un temple bien bâti pour y offrir des bêtes, et, par le moyen de l’effusion de leur sang qu’ils seraient purifiés, et qu’il leur devait enfin envoyer le Messie pour les rendre maîtres de tout le monde, et il a prédit le temps de sa venue.

Le monde ayant vieilli dans ces erreurs charnelles. J.-C. est venu dans le temps prédit, mais non pas dans l’éclat attendu, et ainsi ils n’ont pas pensé que ce fût lui. Après sa mort saint Paul est venu apprendre aux hommes que toutes ces choses étaient arrivées en figure, que le royaume de Dieu ne consistait pas en la chair, mais en l’esprit, que les ennemis des hommes n’étaient pas leurs Babyloniens, mais leurs passions, que Dieu ne se plaisait pas aux temples faits de main, mais en un cœur pur et humilié, que la circoncision du corps était inutile, mais qu’il fallait celle du cœur, que Moïse ne leur avait pas donné le pain du ciel, etc.

Mais Dieu n’ayant pas voulu découvrir ces choses à ce peuple qui en était indigne et ayant voulu néanmoins les produire afin qu’elles fussent crues, il en a prédit le temps clairement et les a quelquefois exprimées clairement mais abondamment en figures afin que ceux qui aimaient les choses figurantes s’y arrêtassent et que ceux qui aimaient les figurées les y vissent.

[...] Les Juifs ont tant aimé les choses figurantes et les ont si bien attendues qu’ils ont méconnu la réalité quand elle est venue dans le temps et en la manière prédite. »

Mais il est clair que l’aveuglement frappe aussi les chrétiens charnels. On trouve déjà cette idée par exemple chez Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, II, Q. 46, p. 233 sq. Les Juifs ont été aveuglés par la vue de Jésus-Christ ; auparavant ils avaient la vraie foi ; ils étaient clairvoyants parmi les païens. Ils ont été aveuglés à l’avènement du Christ. De même pour les impies : ils ont reçu la lumière de la vraie foi ; la vanité les perd.

L’aveuglement a partie liée avec l’endurcissement.

Voir Truchet Jacques, La prédication de Bossuet, I, p. 181 sq. L’endurcissement est l’état du pécheur qui s’est tant abandonné au mal qu’il en est arrivé à se retirer toute possibilité de conversion, donc de salut. Ce n’est pas seulement un phénomène psychologique, explicable par une habitude de pécher si invétérée qu’elle ne peut plus cesser de s’exercer ; c’est une réalité d’ordre spirituel : il vient un moment, impossible à déterminer pour la sagesse humaine, où Dieu décide de retirer sa grâce au coupable ; celui-ci est dès lors perdu sans remède, voué à l’impénitence finale. La permission par laquelle Dieu permet le péché a alors une valeur de châtiment. « Il y a un jour que Dieu sait, après lequel il n’y a plus pour l’âme aucune ressource » (Œuvres complètes VI, p. 100). « Dieu qui nous voit périr, nous avertit qu’il viendra un point où il cessera de pardonner, et auquel à la fin nous tomberons au dernier degré d’endurcissement et à l’impénitence finale » : p. 183 (Œuvres complètes VI, p. 578).

Boucher Jean, Les triomphes de la religion chrétienne, II, Q. 45, p. 231 sq. Qu’est-ce qu’aveuglement et obstination ? « Ce cœur est dit être endurci quand il n’est pas enclin à aimer et vouloir quelque chose ». L’aveuglement suppose une vue antérieure. Aveuglement concerne l’esprit ; endurcissement concerne le cœur. Comment se fait l’endurcissement du pécheur ? Il a plusieurs causes : Dieu aveugle et endurcit en permettant qu’on tombe dans le péché, en le laissant au milieu de la tentation, en endurcissant par soustraction de la grâce, ou par l’abondance des faveurs dont on abuse. Voir Q. 46, p. 233 sq. Comment se fait l’aveuglement.

L’obscurcissement, qui suscite l’aveuglement entraîne aussi à échéance l’endurcissement. Pascal décrit par exemple ce processus d’endurcissement dans le mal à propos de la Compagnie de Jésus dans le Sixième écrit des curés de Paris, § 22. Il y a eu différents degrés de l’endurcissement chez les jésuites : « Les Jésuites sont si aveuglés en leurs erreurs, qu’ils les prennent pour des vérités, et qu’ils s’imaginent ne pouvoir souffrir pour une meilleure cause. C’est l’extrême degré d’endurcissement. Le premier est de publier des maximes détestables. Le second de déclarer, qu’on ne veut point les condamner, lors même que tout le monde les condamne. Et le dernier, de vouloir faire passer pour saints et pour compagnons des martyrs, ceux qui souffrent la confusion publique pour s’obstiner à les défendre. Les Jésuites sont aujourd’hui arrivés à cet état. »

Le fait de l’aveuglement des hommes est visible ; mais surtout, il est si extraordinaire que Pascal y voit un effet d’une cause qui ne peut être que hors de la nature.

A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). J’ai créé l’homme saint, innocent, parfait, je l’ai rempli de lumière et d’intelligence, je lui ai communiqué ma gloire et mes merveilles. L’œil de l’homme voyait alors la majesté de Dieu. Il n’était pas alors dans les ténèbres qui l’aveuglent, ni dans la mortalité et dans les misères qui l’affligent.

Commencement 13 (Laf. 163, Sel. 195). Un homme dans un cachot, ne sachant si son arrêt est donné, n’ayant plus qu’une heure pour l’apprendre, cette heure suffisant s’il sait qu’il est donné pour le faire révoquer, il est contre nature qu’il emploie cette heure-là, non à s’informer si l’arrêt est donné, mais à jouer au piquet.

Ainsi il est surnaturel que l’homme, etc. C’est un appesantissement de la main de Dieu.

Ainsi non seulement le zèle de ceux qui le cherchent prouve Dieu, mais l’aveuglement de ceux qui ne le cherchent pas.

La manière dont Dieu obscurcit les esprits et les cœurs des méchants et des cœurs charnels est représentée dans la tragédie Athalie de Racine. Athalie, reine lucide et décidée qui gouverne avec autorité le peuple juif, y a perdu son esprit aigu, hésite et cède à des sentiments de tendresse troubles qu’elle n’a jamais ressentis jusque-là. C’est explicitement un appesantissement de la main de Dieu.

Du point de vue apologétique, le fait que les Écritures, outre les prophéties, déclarent qu’elles obscurciront à dessein certaines personnes, et en éclaireront d’autres, montre que non seulement les auteurs sont conscients de la manière dont leur discours sera reçu, mais aussi qu’ils connaissent bien l’état actuel de l’homme, avec les réticences à son égard. Il est de ce fait une preuve de plus que la religion est vénérable, parce qu’elle connaît bien l’homme.

Prophéties 23 (Laf. 344, Sel. 376). Que peut-on avoir sinon de la vénération d’un homme qui prédit clairement des choses qui arrivent et qui déclare son dessein et d’aveugler et d’éclaircir et qui mêle des obscurités parmi des choses claires qui arrivent.