Fragment Vanité n° 36 / 38 – Papier original : RO 21-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Vanité n° 70 p. 13 v° / C2 : p. 32

Éditions savantes : Faugère I, 185, XVIII / Havet V.8 / Michaut 43 / Brunschvicg 305 / Tourneur p. 179-3 / Le Guern 46 / Maeda II p. 187 / Lafuma 50 / Sellier 83

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Bibliographie

 

 

VOLTAIRE, Lettres philosophiques, éd. Naves, Dernières remarques, LXVII, Garnier, p. 293.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 292.

 

Éclaircissements

 

Les Suisses s’offensent d’être dits gentilshommes, et prouvent leur roture de race pour être jugés dignes des grands emplois.

 

Prouver sa roture : on dit prouver sa noblesse. L’expression roture de race est étrange.

Roture : un roturier est un homme qui n’est pas noble (Furetière). Voir l’article Roturier du Dictionnaire du Grand Siècle dirigé par F. Bluche, p. 1360. Les roturiers sont bourgeois, marchands, officiers, ou artisans, laboureurs, fermiers, etc. Ils forment le troisième état de la nation. Ils sont des hommes libres, mais ils ne jouissent d’aucun des privilèges des nobles ou des clercs.

Cette idée revient à plusieurs reprises chez Pascal.

Second discours sur la condition des Grands : « Il y a dans le monde deux sortes de grandeurs ; car il y a des grandeurs d’établissement et des grandeurs naturelles. Les grandeurs d’établissement dépendent de la volonté des hommes, qui ont cru avec raison devoir honorer certains états et y attacher certains respects. Les dignités et la noblesse sont de ce genre. En un pays on honore les nobles, en l’autre les roturiers ; en celui-ci les aînés, en cet autre les cadets. Pourquoi cela ? Parce qu’il a plu aux hommes. La chose était indifférente avant l’établissement : après l’établissement elle devient juste, parce qu’il est injuste de la troubler.

Les grandeurs naturelles sont celles qui sont indépendantes de la fantaisie des hommes, parce qu’elles consistent dans des qualités réelles et effectives de l’âme ou du corps, qui rendent l’une ou l’autre plus estimable, comme les sciences, la lumière de l’esprit, la vertu, la santé, la force.

Nous devons quelque chose à l’une et à l’autre de ces grandeurs ; mais comme elles sont d’une nature différente, nous leur devons aussi différents respects. »

Laf. 828, Sel. 668. Les cordes qui attachent le respect des uns envers les autres en général sont cordes de nécessité ; car il faut qu’il y ait différents degrés, tous les hommes voulant dominer et tous ne le pouvant pas, mais quelques-uns le pouvant.

Figurons-nous donc que nous les voyons commencer à se former. Il est sans doute qu’ils se battront jusqu’à ce que la plus forte partie opprime la plus faible, et qu’enfin il y ait un parti dominant. Mais quand cela est une fois déterminé alors les maîtres qui ne veulent pas que la guerre continue ordonnent que la force qui est entre leurs mains succédera comme il leur plaît : les uns le remettent à l’élection des peuples, les autres à la succession de naissance, etc.

Et c’est là où l’imagination commence à jouer son rôle. Jusque-là la pure force l’a fait. Ici c’est la force qui se tient par l’imagination en un certain parti, en France des gentilshommes, en Suisse des roturiers, etc.

Or ces cordes qui attachent donc le respect à tel et à tel en particulier sont des cordes d’imagination.

Selon ce fragment, l’opposition est une opposition de partis. Cela relie le thème à l’imagination.

On trouve cette idée reproduite dans le Dictionnaire de l’académie française : il y a de certaines républiques où il faut faire preuve de roture pour être admis dans les charges.

Pensées, éd. Havet, 1925, I, p. 68. On n’a jamais en Suisse fait preuve de roture pour les emplois, mais de bourgeoisie. On est à la fois noble et bourgeois, membre de la cité. Lorsque les petites républiques d’Italie passèrent, au XIVe siècle, du gouvernement des nobles à celui des corps d’État et des marchands, les nobles furent exclus à perpétuité des emplois, et dans certaines villes on ordonna que si une famille troublait l’ordre établi, elle serait inscrite, par décision des juges, au rôle des nobles, et déchue de ses droits à l’administration de la cité. Voir Simler, République des Suisses, tr. Gentillet, Paris, 1578 ; Sismondi, République italienne, t. IV, p. 96, 165.

Voltaire, Lettres philosophiques, éd. Naves, Dernières remarques, LXVII, p. 293. « Pascal était mal informé. Il y avait en son temps, et il y a encore dans le sénat de Berne, des gentilshommes aussi anciens que la maison d’Autriche ; ils sont respectés, ils sont dans les charges ; il est vrai qu’ils n’y sont pas par droit de naissance, comme les nobles y sont à Venise. Il faut même, à Bâle, renoncer à sa noblesse pour entrer dans le sénat ».

Mesnard Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., 1993, p. 292.