Miracles I  – Fragment n° 1 / 2 – Le papier original est perdu

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 191 p. 435 à 437 / C2 : p. 229 à 232

Éditions savantes : Brunschvicg appendice à la section XIII / Le Guern 678 / Lafuma 830 (série XXXII, notée XXXI par erreur) / Sellier 419

______________________________________________________________________________________

 

 

Bibliographie

 

 

ADAM Michel, “La signification du miracle dans la pensée de Pascal”, Revue philosophique de la France et de l’étranger, CVI, 1981, p. 401-423.

ARMOGATHE Jean-Robert, L’Antéchrist à l’âge classique. Exégèse et politique, Paris, Fayard, 2005.

GAZIER Augustin, “Pascal et Claude de Lingendes”, Revue bleue, 9 mars 1907.

GOUHIER Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., Paris, Vrin, 1971.

GUSDORF Georges, La révolution galiléenne, Payot, Paris, 1969, 2 vol.

JOUSLIN Olivier, La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, Clermont-Ferrand, Presses Universitaires Blaise Pascal, 2007.

LE GUERN Michel, Pascal et Arnauld, Paris, Champion, 2003.

LE GUERN Michel, “Expérience et théorie du miracle chez Pascal”, Études sur la vie et les Pensées de Pascal, Paris, Champion, 2015, p. 47-57.

Les deux abbés de Saint-Cyran, Chroniques de Port-Royal, n° 26-27-28, Bibliothèque Mazarine, 1977-1978-1979.

LINGENDES Claude de, Concionum in Quadragesimam révérend patris Claudii de Lingendes e societatis Jesu, Tomus secundus, Paris, F. Muguet, 1665.

LINGENDES Claude de, Sermons sur tous les Évangiles du carême, par le R. P. Claude de Lingendes, de la Compagnie de Jésus, Paris, F. Muguet, 1666.

MESNARD Jean, “Martin de Barcos et les disputes internes de Port-Royal”, Chroniques de Port-Royal, n° 26-27-28, 1977-1978-1979, p. 73-94 ; La culture du XVIIe siècle, p. 274-291.

MESNARD Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320.

ORCIBAL Jean, “La signification du miracle et sa place dans l’ecclésiologie pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 66-82.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

Indispensable sur les miracles est le livre de SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

 

 

Éclaircissements

 

Les points que j’ai à demander à Monsieur l’abbé de Saint-Cyran sont principalement ceux‑ci. Mais, comme je n’en ai point de copie, il faudrait qu’il prît la peine de renvoyer ce papier avec la réponse qu’il aura la bonté d’y faire.

 

Datation du texte du questionnaire adressé par Pascal à Martin de Barcos

 

Voir les Pensées, dans l’éd. Lafuma Luxembourg, Notes, p. 154-155. Cette consultation sur les miracles a été adressée par Pascal à Martin de Barcos, abbé de Saint-Cyran et neveu et successeur de Duvergier de Hauranne. Lafuma la date de 1657. Il y est question du P. de Lingendes, qui a prêché le carême à Saint-Jacques-de-la-Boucherie cette année, précisément sur les miracles.

La datation de ce questionnaire dépend de celle des sermons du jésuite Claude de Lingendes mentionnés dans le texte, qui eurent lieu fin février 1657 à Saint-Merri, et que Tetsuya Shiokawa a été le premier à signaler dans Pascal et les miracles, p. 113 sq. et p. 132-152.

Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, p. 300-320. Voir p. 315 sq. Séries XXXII, XXXIII, XXXIV. Les sermons de Lingendes ont eu lieu, en l’église Saint-Merri avant le 9 mars, date à laquelle Saint-Gilles mentionne le « dernier sermon du P. de Lingendes » dans une lettre à Florin Périer, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1067.

Baudry de Saint-Gilles d’Asson Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, p. 269, lettre de Saint-Gilles à Florin Périer du 9 mars 1657.

Rapin mentionne les sermons de Claude de Lingendes dans ses Mémoires, éd. Aubineau, II, p. 418-422 ; voir OC III, éd. J. Mesnard, p. 857-858 ; il mentionne la paroisse de Saint-Jacques-de-la-Boucherie pour le lieu des sermons, et ne dit rien du nombre de jours.

L’édition Le Guern, II, Pléiade, p. 1539, suggère que les trois sermons ont été prononcés trois jours successifs. Elle propose pour dates les mercredi 21, jeudi 22 et vendredi 23 février 1657. Elle hésite entre les paroisses de Saint-Merri et Saint-Jacques-de-la-Boucherie (sans doute suivant Rapin).

La lettre de Saint-Gilles à Florin Périer du 9 mars 1657 mentionne explicitement la paroisse Saint-Merri.

Quel que soit le nombre de jours auxquels Lingendes a prêché, l’édition de ses Conciones de 1664 rattache ces sermons à la date du 21 février 1657. Il en résulte que l’on peut fixer la date de la fin février pour les débuts de la réflexion de Pascal sur les miracles, et le questionnaire à Barcos doit être à peu près contemporain.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, 2e éd., Paris, Vrin, 1971, p. 160 sq.

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970, p. 602 sq.

Lafuma Louis, Histoire des Pensées de Pascal, Paris, éd. du Luxembourg, 1954, p. 91-92.

 

M. de Saint-Cyran

 

Sur Martin de Barcos, abbé de Saint-Cyran après Duvergier de Hauranne, voir le Dictionnaire de Port-Royal, art. Barcos, Paris, Champion, 2004, p. 143-144.

Bluche François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, p. 161.

Lesaulnier Jean, Port-Royal insolite. Édition critique du Recueil de choses diverses, Klincsieck, Paris, 1992, p. 761. Notice.

Les deux abbés de Saint-Cyran, Chroniques de Port-Royal, n° 26-27-28, Bibliothèque Mazarine, 1977-1978-1979.

Adam Michel, “La signification du miracle dans la pensée de Pascal”, Revue philosophique de la France et de l’étranger, CVI, 1981, p. 401-423. Voir p. 413.

Mesnard Jean, “Martin de Barcos et les disputes internes de Port-Royal”, Chroniques de Port-Royal, n° 26-27-28, 1977-1978-1979, p. 73-94 ; La culture du XVIIe siècle, p. 274-291.

Orcibal Jean, Jean Duvergier de Hauranne, abbé de Saint-Cyran et son temps, Les origines du jansénisme, III, Paris, Vrin, 1948, p. 56-60 et p. 148-152.

[Barcos Martin de], Correspondance de Martin de Barcos, abbé de Saint-Cyran, avec les abbesses de Port-Royal et les principaux personnages du groupe janséniste, éd. L. Goldmann, Paris, P. U. F., 1956. L. Goldmann fournit, p. 269-272, le texte avec une présentation différente de celle des Copies. En revanche, j’ignore ce qui peut justifier que le texte des p. 264-268 soit écrit à l’intention de Pascal.

Orcibal Jean, “Martin de Barcos et sa correspondance”, Revue d’Histoire ecclésiastique, n° 4, 1957.

Fontaine Nicolas, Mémoires ou histoire des Solitaires de Port-Royal, éd. Pascale Thouvenin, Paris, Champion, 2001. Voir l’index, qui donne des références utiles.

Lancelot Claude, Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran, éd. Donetzkoff, Nolin, passim. Nombreuses références à Barcos (voir l’index).

On trouve le portrait de Martin de Barcos dans les ouvrages suivants :

Philippe de Champaigne et Port-Royal, Musée national des Granges de Port-Royal, Réunion des Musées nationaux, Paris, 1995.

Tapié Alain et Garnot Nicolas Sainte Fare (dir.), Philippe de Champaigne, 1602-1674. Entre politique et dévotion, Réunion des Musées nationaux, 2007, p. 166-167.

 

Pourquoi Pascal s’est-il adressé à Barcos ?

 

La question est posée par Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 137 sq. L’éd. Le Guern, Pléiade, II, p. 1539 sq., pose aussi le problème de la raison du choix de Barcos comme consultant sur la question du miracle. Elle indique que cette demande a ceci de surprenant que Pascal, lorsqu’il établit ce questionnaire, se trouve engagé dans la campagne des Provinciales, à laquelle Barcos n’était pas favorable.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, p. 160-161, pense que Pascal entend faire une enquête auprès d’une autorité admise dans le milieu de Port-Royal.

Lafuma invoque le chapitre consacré à Barcos par Dom Clémencet dans son Histoire littéraire de Port-Royal, Bibliothèque Mazarine, ms. 4534, pour dire que la réputation de Barcos justifiait cette consultation.

Lancelot Claude, Mémoires touchant la vie de M. de Saint-Cyran, éd. Donetzkoff, Nolin, p. 387 sq. Saint-Cyran appréciait la science de Barcos.

Mesnard Jean, “Martin de Barcos et les disputes internes de Port-Royal”, La culture du XVIIe siècle, p. 282. En 1654-1655, lors des discussions sur la signature, Antoine Arnauld a proposé des questions à Martin de Barcos, à l’avis duquel il semble déférer.

Il est donc beaucoup moins étrange que Pascal adresse à son tour à Barcos des questions sur les miracles.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, Nizet, Paris, 1977, p. 136 sq. L’évolution de la polémique sur le miracle de la sainte Épine conduit les jésuites à invoquer des miracles semblables aux vrais arrivés chez les hérétiques et les païens, pour pouvoir alléguer que le miracle de Port-Royal était du même genre ; ils devaient donc montrer d’abord que les non-catholiques peuvent opérer des prodiges qui semblaient les favoriser, pour prouver ensuite que ces miracles étaient soit faux, soit favorables à la religion catholique, même s’ils s’étaient produits chez des hérétiques. Cela conduit à poser le problème de la définition et du discernement des miracles. Voir p. 113-116 et 132-152.

Le Guern Michel, Pascal et Arnauld, p. 95 sq., fait un rapprochement du fragment Miracles II (Laf. 846, Sel. 429), soit LG 687, et du questionnaire adressé par Pascal à Barcos avec le De l’autorité des miracles d’Arnauld. M. Le Guern considère que cet ouvrage est, pour sa première partie, le résultat d’une collaboration entre Pascal et Arnauld : p. 95. Les ressemblances sur quelques passages sont intéressantes, mais ne permettent guère de confirmer la supposition hâtive d’une collaboration pour l’ensemble du De l’autorité des miracles.

Arnauld Antoine, De l’autorité des miracles, Œuvres, XXIII, Lausanne, 1735-1783, Voir p. VI sq., la notice sur les écrits d’Arnauld en faveur des miracles de la sainte Épine.

 

Stratégie des ennemis de Port-Royal contre le miracle de la sainte Épine

 

OC III, éd. J. Mesnard, p. 883-884, lettre de la Mère Angélique à la reine de Pologne du 5 mai 1656, où elle remarque que la trêve semble se dessiner dans la persécution à la suite du miracle de la sainte Épine ; Arnauld d’Andilly est revenu et on ne parle plus d’ôter leurs confesseurs aux religieuses.

Gouhier Henri, Blaise Pascal. Commentaires, p. 152. Résumé par la mère Angélique de la tactique des ennemis de Port-Royal contre le miracle de la sainte Épine, dans une lettre du 5 mai 1656 à la reine de Pologne. Les jésuites veulent bien ne pas mettre en question le caractère surnaturel de la guérison de Marguerite Périer. Ils acceptent le combat sur le terrain choisi par Port-Royal, mais contre lui : l’Église a condamné les jansénistes ; comme elle est la voix de Dieu, il est impossible que celui-ci se contredise par un miracle signifiant que les jansénistes ont raison contre Rome. La guérison de la malade devrait éclairer les disciples de Jansénius. Ce n’est pas la première fois que Dieu fait des miracles chez les incrédules, même endurcis, pour les convertir : p. 152. Voir p. 157-159, sur l’évolution de cette stratégie.

Voir plus bas sur les sermons du P. de Lingendes.

 

1. S’il faut, pour faire qu’un effet soit miraculeux, qu’il soit au‑dessus de la force des hommes, des démons, des anges et de toute la nature créée.

 

« Les théologiens disent que les miracles sont surnaturels ou dans leur substance, quoad substantiam, comme la pénétration de deux corps ou la situation d’un même corps en deux lieux en même temps ; ou qu’ils sont surnaturels dans la manière de les produire quoad modum, comme quand ils sont produits par des moyens qui n’ont nulle vertu naturelle de les produire : comme quand Jésus-Christ guérit les yeux de l’aveugle avec la boue et la belle‑mère de saint Pierre en se penchant sur elle, et la femme malade du flux de sang en touchant le bord de sa robe. Et la plupart des miracles qu’il a faits dans l’Évangile sont de ce second genre. Telle est aussi la guérison d’une fièvre, ou autre maladie faite en un moment, ou plus parfaitement que la nature ne porte, par l’attouchement d’une relique ou par l’invocation du nom de Dieu, de sorte que la pensée de celui qui propose ces difficultés est vraie et conforme à tous les théologiens, même de ce temps. »

 

2. S’il ne suffit pas qu’il soit au‑dessus de la force naturelle des moyens qu’on y emploie, ma pensée étant que tout effet est miraculeux lequel surpasse la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi j’appelle miraculeux la guérison d’une maladie faite par l’attouchement d’une sainte relique, la guérison d’un démoniaque faite par l’invocation du nom de Jésus, etc., parce que ces effets surpassent la force naturelle des paroles par lesquelles on invoque Dieu ; et la force naturelle d’une relique ne peut guérir les maladies et chasser les démons. Mais je n’appelle pas miracle de chasser les démons par l’art du diable, car, quand on emploie la puissance du diable pour chasser le diable, l’effet ne surpasse pas la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Et ainsi il m’a paru que la vraie définition des miracles est celle que je viens de dire.

« Ce que le diable peut faire n’est pas miracle, non plus que ce que peut faire une bête, quoique l’homme ne le puisse faire par lui‑même. »

 

La recherche d’une définition du miracle

 

Miracle : manifestation extraordinaire de la volonté divine dans la nature. Événement qui illumine le rapport des ordres de réalité. Les apologistes soutiennent que le miracle manifeste le surnaturel dans l’ordre de la nature.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 435 sq. La notion chrétienne du miracle y voit non seulement une action extraordinaire, passant les forces de la nature, mais un « signe » de Dieu ; signe est le terme que saint Jean emploie lorsqu’il parle des miracles de Jésus.

Voir le commentaire de Adam Michel, “La signification du miracle dans la pensée de Pascal”, Revue philosophique de la France et de l’étranger, CVI, 1981, p. 413.

Pascal cherche à établir une définition du miracle qui soit à la fois juste et efficace pour permettre de discerner les vrais miracles des faux, et d’en trouver le sens spirituel. Il déplace la question de la cause du miracle à l’objet qui en est le moyen.

Les commentateurs ont cherché à préciser si la conception du miracle que Pascal propose est influencée par les théologiens de la tradition, notamment saint Thomas d’Aquin et saint Augustin. Voir plus bas sur ces questions.

Orcibal Jean, “La signification du miracle et sa place dans l’ecclésiologie pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 66-82. Voir p. 86 sq. Accent thomiste des arguments de Pascal sur les miracles : p. 88.

La présente question est dessinée dans le fragment Miracle III (Laf. 891, Sel. 445). Miracle. C’est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Et non-miracle est un effet qui n’excède pas la force naturelle des moyens qu’on y emploie. Ainsi ceux qui guérissent par l’invocation du diable ne font pas un miracle. Car cela n’excède pas la force naturelle du diable ; mais...

Pascal s’inquiète de ce que si l’on dit que le miracle demande que le phénomène prodigieux dépasse toutes les forces de la nature, la guérison de Marguerite ne peut être considérée à coup sûr comme miraculeuse, dans la mesure où l’on ne connaît pas les limites de toutes les forces de la nature. Pascal, note T. Shiokawa, p. 140, ne pense d’ailleurs pas à faire état de l’avis des médecins qui disent que la guérison de sa nièce « surpasse les forces ordinaires de la nature ».

Lhermet J., Pascal et la Bible, Paris, p. 480 sq. Nécessité de donner une bonne définition du miracle et de sa portée : p. 481. Le miracle défini comme effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie : p. 481.

Gusdorf Georges, La révolution galiléenne, p. 202. Différents types : les miracula proprement dits, les mirabilia. La définition de Pascal : p. 208 : miracle est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie. En d’autres termes, cela suppose les moyens employés connus, donc les mécanismes naturels possibles à l’œuvre. Pascal semble insister sur un problème de mesure, ou plutôt de proportion.

Cette définition permet d’établir une proportion concevable entre l’effet et le moyen naturel du miracle, ce qui n’était pas le cas de la définition du miracle comme phénomène dépassant les forces de la nature. Voir ce qu’écrit Magnard Pierre, Nature et histoire dans l’apologétique de Pascal, Paris, Belles Lettres, 1980, p. 161 : « L’ordre naturel mettant de la proportion entre la cause et l’effet, l’indice du surnaturel sera dans l’excès de l’effet sur la cause. »

Cependant, il ne faut pas considérer pour autant que le miracle est impensable. C’est plutôt la définition classique qui empêche d’en concevoir la nature et le sens. Pascal refuse de définir le miracle comme infraction aux lois de la nature, ou comme effet dépassant toutes les forces de la nature, car cela aboutit à rendre le miracle indiscernable : comme dans un univers dont l’infinité échappe à la connaissance humaine, on ne connaît pas ces lois de la nature dans leur totalité, il n’est pas possible de discerner si un phénomène qui paraît extraordinaire est ou non miraculeux. On s’expose à croire miraculeux un effet dont les causes sont mal connues, mais aussi à passer à côté d’un vrai miracle en le prenant pour une simple dérogation un peu inhabituelle à l’ordre habituel des choses. Cette manière même de définir le miracle le rend indiscernable.

La définition de Pascal a pour avantage de permettre de concevoir la disproportion qui existe entre le phénomène miraculeux et les moyens qui le suscitent.

Voir les analyses de Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 144. Si le miracle était un phénomène dépassant les forces de la nature, il semblerait survenir une impasse avec les œuvres de physique, où la nature n’est jamais présentée comme une totalité dont les lois sont connaissables par l’homme. Pascal ne peut donc pas définir le miracle en fonction des forces de la nature, puisqu’il admet ne pouvoir connaître. Mais il propose une autre définition, qui elle semble opératoire : le miracle est un effet qui excède la force naturelle des moyens qu’on y emploie : p. 145. Cette définition ne prétend en aucune façon que la nature soit incapable de produire un effet extraordinaire ; ce qu’elle met en cause, c’est seulement la possibilité qu’ont les choses déterminées, et non pas la nature entière, de produire un effet. La possibilité que Pascal appelle la « force naturelle des moyens qu’on emploie » est connaissable, sans pénétrer l’essence des choses. On peut connaître les effets de la lumière sans en connaître la nature : p. 146. Une relique ou les sons émis qui constituent le nom de Jésus ne provoquent pas la guérison d’une maladie ; cela suffit pour affirmer qu’ils ne possèdent pas la force inhérente naturelle de guérir une maladie : p. 164. La définition de Pascal substitue le moyen à la manière : elle suppose donc ce moyen déjà connu ; elle n’a donc pas besoin d’envisager la nature dans sa totalité : il suffit qu’elle considère le rapport qui existe entre le moyen et l’effet : p. 147.

Comme le note Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 142 sq., cette définition est au fond de caractère thomiste, car, comme le remarque Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 603, Thomas a dit qu’il considérait le miracle comme excédant les forces de la nature, les effets découlant d’une cause qui n’est pas leur cause naturelle. Voir plus bas.

Formée sur le terrain thomiste, la définition de Pascal est donc personnelle. Cependant elle reste théorique, et ne fournit pas à elle seule un critère de discernement des miracles : elle ne précise pas en effet comment on peut trouver la chaîne qui relie la cause à l’effet.

Elle suppose qu’on connaisse sinon toute la puissance de la nature, du moins ses lois, appliquées aux choses qui servent de support au miracle. Il y a miracle lorsqu’il y a une disproportion entre le moyen et l’effet : p. 147. Une fois cette définition acquise, le problème du discernement des miracles et l’application aux miracles de la Bible obligent Pascal à chercher si la définition qu’il donne correspond à celle que la Bible admet : p. 153. « Miracle ne signifie pas toujours miracle » : p. 154. Exemple du mot portentum : p. 154.

D’autre part, rien n’exclut que l’attouchement d’une relique entraine une guérison merveilleuse, et que ce soit l’œuvre du démon.

La Genèse, tr. Sacy, I, éd. de 1700, p. VII sq. Miracles opérés par le démon par l’intermédiaire de magiciens hostiles à Moïse.

Il faut donc prendre en compte le problème de la signification du miracle.

OC III, éd. J. Mesnard, p. 806 sq. Problème de l’essence du miracle, à propos du miracle de la Sainte Épine. J. Mesnard insiste sur le caractère spirituel qui doit être inhérent au miracle, faute de quoi il se réduit à un fait extraordinaire.

Pascal semble noter qu’il faut tenir compte du contexte concret du miracle, comme il le fait à propos de Port-Royal dans le fragment Miracles II (Laf. 854, Sel. 434). Voici une relique sacrée, voici une épine de la couronne du sauveur du monde en qui le prince de ce monde n’a point puissance, qui fait des miracles par la propre puissance de ce sang répandu pour nous. Voici que Dieu choisit lui-même cette maison pour y faire éclater sa puissance. Ce ne sont point des hommes qui font ces miracles par une vertu inconnue, et douteuse qui nous oblige à un difficile discernement. C’est Dieu même, c’est l’instrument de la passion de son fils unique, qui, étant en plusieurs lieux, choisit celui-ci et fait venir de tous côtés les hommes pour y recevoir ces soulagements miraculeux dans leurs langueurs. Mais il est clair que Port-Royal est un lieu d’exception, et l’épine un objet sur lequel le diable n’a pas de puissance. Quand c’est un objet religieux aussi sacré que l’épine, qui est le moyen d’un miracle, il n’est pas besoin de craindre par la ruse du démon. Mais cela suppose en effet que l’on entre dans le problème de la signification du miracle et de sa finalité.

Julien Eymard d’Angers, Pascal et ses précurseurs, p. 181-185.

 

La définition du miracle par un jésuite ennemi de Port-Royal, le P. Annat

 

Annat François, Défense de  la vérité catholique touchant les miracles, contre les déguisements et artifices de la réponse faite par Messieurs de Port-Royal à un écrit intitulé Observations nécessaires sur ce qu’on dit être arrivé à Port-Royal au sujet de la Sainte Épine, par le sieur de Sainte Foy, Paris, 1657. Privilège du 30 décembre 1656. Enregistrement du 7 janvier 1657. Cette Défense de la vérité catholique touchant les miracles est attribuée au P. Annat ou parfois au P. Morel, selon Provinciales, éd. Cognet, p. 328.

La publication est annoncée pour bientôt par Guy Patin le 26 décembre 1656, et par Saint-Gilles le 12 janvier 1657. Voir GEF VI, p. 311. Voir p. 306, la lettre de Guy Patin ; et p. 309-310, la lettre d'un ami à Périer.

Jouslin Olivier, La campagne des Provinciales de Pascal. Étude d’un dialogue polémique, p. 583 sq. Il s’agit de « reprendre » le miracle à Port-Royal : p. 584.

Le plan comporte une première partie sur les miracles en général, et une seconde consacrée à chercher pourquoi Dieu a fait un miracle à Port-Royal : p. 2.

Définition du miracle : p. 3. « Le nom de miracle, selon la doctrine de saint Augustin, de saint Thomas et de tous les théologiens, signifie un effet qui est contre le cours ordinaire de la nature, et qui surpasse le pouvoir de toutes les créatures, tant corporelles que spirituelles ; et par conséquent qui ne peut être produit que par la toute-puissance de Dieu ». Le P. Annat cite saint Augustin, De utilitate credendi, cap. 6 ; saint Thomas, Somme théologique, I p. q. 105, art. 7 ; q. 113, art. 10, 22 ; q. 178, art. 1, 2 et 4 ; De potentia, q. 6. A. 2, 3 et 4. « Nous disons en premier lieu que le miracle est un effet produit contre le cours ordinaire de la nature, pour distinguer les effets qui sont vraiment miraculeux d’avec ceux qui sont seulement admirables : car il y a plusieurs choses dans la nature qui donnent de l’admiration à ceux qui en ignorent les causes, et néanmoins qui ne sont pas tenues pour miracles, d’autant qu’elles ne sont pas contre le cours ordinaire de la nature, dans l’étendue de laquelle se trouvent les causes de ces effets merveilleux, quoiqu’inconnues à la plupart des hommes » : p. 4. « Nous disons ensuite, qu’il faut que cet effet surpasse le pouvoir de toutes les créatures, tant corporelles que spirituelles : car selon le commun sentiment des docteurs, il faut qu’un effet, pour être vraiment miraculeux, soit tel que ni les anges, ni les hommes, ni les démons ne le puissent produire par leurs forces et industries naturelles en la manière dont il est produit. Et c’est là ce qui donne le plus de difficulté, quand il est question de déterminer ce que l’on doit tenir, ou ne pas tenir pour miracle : d’autant que selon saint Thomas, les démons étant de purs esprits, qui ont une très grande activité, jointe à une très parfaite connaissance de la vertu et faculté de toutes les causes naturelles, peuvent faire par leurs seules forces beaucoup de choses qui surpassent toute l’industrie et capacité des hommes, et par conséquent qui semblent quelquefois être des miracles et qui néanmoins ne le sont pas » : p. 3. « Enfin  nous disons que c’est à Dieu seul auquel il appartient de faire des miracles, parce que c’est à lui seul à qui toute la nature est parfaitement sujette, et aux volontés duquel toutes les créatures rendent une entière et absolue obéissance, et par conséquent c’est lui seul qui en peut disposer souverainement comme il lui plaît » : p. 4.

Pourquoi Dieu fait des miracles : p. 5. « Il est bien vrai que Dieu fait toutes choses pour lui-même, et pour être glorifié en ses œuvres, comme l’Écriture sainte nous le déclare : mais comme il peut tirer sa gloire en plusieurs manières des miracles qu’il fait, s’en servant quelquefois pour faire ressentir les effets de sa miséricorde, d’autres fois pour exercer sa justice, ou bien pour faire éclater la grandeur de sa puissance, de sa sagesse, et de ses autres perfections, nous ne saurions connaître avec certitude quels sont les desseins particuliers de Dieu dans les miracles qu’il opère, si lui-même ne nous le manifeste par les voies ordinaires dont il se sert pour faire connaître ses volontés » : p. 5.

« Premièrement il faut tenir pour indubitable la doctrine de saint Thomas, qui dit que ceux qui soutiennent ou enseignent une fausse doctrine ne peuvent jamais faire aucun véritable miracle pour la confirmation de cette doctrine, bien qu’ils en pussent faire quelques-uns pour l’exaltation du nom de Jésus-Christ qu’ils invoquent, ou par la vertu des choses saintes qu’ils emploient. Et par conséquent c’est une fausseté de dire, et une impiété de vouloir persuader que Dieu fasse des miracles pour approuver une hérésie, et une contumace et rébellion contre son Église, ou pour justifier aucun hérétique, schismatique, ou rebelle à cette même Église » : p. 5. Citation de saint Thomas, Somme théologique, Sec. Secundae, q. 178, art. 2 ad 3.

« Il faut tenir pour très constant et très assuré que le miracle qui s’est fait à Port-Royal, ni tous les autres qui s’y pourraient faire, ne sont point pour approuver la doctrine condamnée de Jansénius, ni pour justifier en quelque façon que ce soit ceux qui s’opiniâtrent à la soutenir contre les décrets de notre saint Père le Pape et les déclarations de Nosseigneurs les Évêques » : p. 7.

« Mais supposons que tous ces miracles aient été examinés selon l’ordre prescrit par l’Église, qu’ils soient reconnus et approuvés pour véritables, et même qu’il y en ait encore d’autres plus authentiques et plus signalés, qui aient été faits dans l’église de Port-Royal par les mains des plus opiniâtres jansénistes, quand bien cela serait ainsi ; il est très faux de dire que ces miracles soient une marque que Dieu approuve leur doctrine, ou qu’il rend témoignage de leur innocence et de leur vertu. Davantage lorsque Dieu fait des miracles en quelque lieu, ou par les mains de quelques personnes, il ne s’ensuit pas que ceux qui demeurent ou qui font leurs assemblées en ce lieu, ni que ceux par les mains desquels, ou par la guérison desquels ces miracles sont faits, soient en état de justice et de grâce, ou que la doctrine qu’ils professent soit saine et orthodoxe, puisque l’Écriture, les Pères, l’histoire ecclésiastique et la véritable théologie nous enseignent le contraire ; et nous font voir que Dieu fait quelquefois des miracles en des lieux qui servent de retraite et d’habitation aux pécheurs et aux infidèles, et par les mains des pécheurs et des infidèles, et pour le soulagement corporel des pécheurs et des infidèles ; quoique nonobstant ces miracles, ils demeurent toujours dans leurs péchés et dans leur infidélité » : p. 7-8. Suivent des autorités de théologiens et de saints.

Pourquoi Dieu fait-il un miracle à Port-Royal ?, p. 15. Selon saint Clément, Dieu ne fait pas nécessairement des miracles pour l’utilité de ceux dont il se sert pour les faire : p. 15. On ne peut donc en conclure que les religieuses de Port-Royal sont plus saintes que les autres : p. 16. « Quand Dieu opère quelque miracle dans les lieux infectés ou suspects d’hérésie ou entre les mains des personnes qui n’ont pas une foi saine et orthodoxe, c’est ordinairement pour les avertir de renoncer à leurs erreurs et de reconnaître et confesser la vérité » : p. 17. « Et selon ce principe, il y a un très juste sujet de croire que c’est pour cette même fin que le miracle dont il est question a été fait à Port-Royal, et que Dieu a voulu par une conduite toute particulière de sa miséricorde faire éclater la vertu de la Passion de Jésus-Christ, en se servant d’un instrument de cette passion pour opérer un miracle devant les yeux de ceux-là mêmes qui s’obstinent à impugner le mérite et l’effet de la Passion du même Jésus-Christ, et qui osent dire que ce divin Rédempteur n’a non plus offert son sang, ni prié pour le salut des pécheurs qui se perdent par leur impénitence, que pour celui  des diables : afin que la vue de ce miracle leur touche le cœur, et leur fasse déposer les armes de leur obstination, pour se soumettre avec sincérité et humilité au jugement de l’Église » : p. 17. Le P. Annat étudie ensuite les circonstances du miracle de la sainte Épine, pour montrer qu’elles correspondent à sa thèse.

1. L’Église a tout fait pour persuader les jansénistes de quitter leurs erreurs ; mais ils s’obstinent ;

2. Le lieu est celui des conspirations hérétiques ;

3. La guérison des yeux de Marguerite Périer pousse les jansénistes à réfléchir sur leur aveuglement.

 

3. Si saint Thomas n’est pas contraire à cette définition, et s’il n’est pas d’avis qu’un effet pour être miraculeux doit surpasser la force de toute la nature créée.

« Saint Thomas est de même opinion que les autres, quoiqu’il divise en deux la seconde espèce de miracles, savoir en miracles quoad subjectum et miracles quoad ordinem naturæ. Il dit que les premiers sont ceux que la nature peut produire absolument, mais non dans un tel sujet comme elle peut produire la vie, mais non dans un corps mort ; et que les seconds sont ceux qu’elle peut produire dans un sujet, mais non par tels moyens avec tant de promptitude, etc., comme guérir en un moment et par un seul attouchement une fièvre ou une autre maladie quoique non incurable. »

 

Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 143. Pascal demande si la définition qu’il a donnée est bien conforme à la pensée thomiste, ou si ce n’est pas seulement une opinion commune des théologiens.

Quoad subjectum : quant au sujet (la chose elle-même). Une épine est un sujet qui n’a pas de soi-même la puissance de guérir.

Quoad ordinem naturae : quant à l’ordre de la nature. L’ordre normal de la nature est qu’une maladie guérisse progressivement, et non pas d’un seul coup.

 

Saint Thomas sur la définition du miracle

 

Voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 602 sq. La parenté avec saint Thomas : p. 602. Le questionnaire se réfère à la définition du miracle de saint Thomas, Somme théologique, Ia, q. 110, art. 4, et q. 114, art. 4. Pascal cherche à préciser plus que saint Thomas la définition du miracle : p. 603.

Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, q. 110, art. 4, 3 : « Quando effectus aliquis naturalium causarum producitur absque ordine naturalis causae, hoc dicimus esse miraculum ; puta cum aliquis sanatur a febre, non per operationem naturae ». Et 4 : « Dicendum quod miraculum proprie dicitur, cum aliquid fit praeter ordinem naturae. Sed non sufficit ad rationem miraculi si aliquid fiat praeter ordinem naturae alicujus particularis, quia sic, cum aliquis projicit lapidem sursum, miraculum faceret, cum hoc sit praeter ordinem naturae lapidis. Ex hoc ergo aliquid dicitur esse miraculum, quod fit praeter ordinem totius naturae creatae ».

Thomas d’Aquin, Somme théologique, 2a 2ae, q. 178, 1, 3 : « Dicendum quod in miraculis duo possunt attendi. Unum quidem est id quod fit, quod quidem est aliquid excedens facultatem naturae. Et secundum hoc, miracula dicuntur virtutes. Aliud est id propter quod miracula fiunt, scilicet ad manifestandum aliquid supernaturale. Et secundum hoc, communiter dicuntur signa, propter excellentiam autem, dicuntur portenta vel prodigia, quasi procul aliquid ostendentia ».

Voir aussi Thomas d’Aquin, Somme théologique, Ia, q. 114, art. 4, sur l’action des démons.

Sur la hiérarchie des miracles, voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 141 sq. Il y a selon saint Thomas, Somme théologique, I, q. 105, art. 8, trois façons d’excéder la puissance de toute la nature créée.

La première concerne la substance même du fait produit, quantum ad substantiam facti, comme c’est le cas pour la coexistence de deux corps en un lieu ou la rétrogression du soleil dans sa course.

La seconde concerne le sujet dans lequel le miracle se réalise, quantum ad id in quo fit, comme la résurrection des morts ou la guérison des aveugles, car la nature est capable de produire la vie, mais non pas dans un cadavre.

La troisième concerne l’ordre et la manière selon lesquels le miracle est produit, quantum ad modum et ordinem faciendi, comme la guérison de la fièvre qui se fait en quelques secondes et sans recourir à aucun remède.

Barcos note que ces distinctions ont été simplifiées et réduites à deux espèces de miracles, quoad substantiam et quoad modum. Il n’est pas nécessaire de supposer que Pascal a lu saint Thomas pour poser cette question et proposer cette définition : p. 143.

Les plus grands miracles sont quoad substantiam facti, les moyens quoad illud in quo sit et les moindres : I, q. 105, Utrum unum miraculum sit majus alio : « Dicitur aliquid miraculum per comparationem ad facultatem naturae, quam excedit. Et ideo secundum quod magis excedit facultatem naturae, secundum hoc majus miraculum dicitur. Excedit autem aliquid facultatem naturae tripliciter. Uno modo, quantum ad substantiam facti, sicut quod duo corpora sint simul, vel quod sol retrocedat, aut quod corpus humanum glorificetur ; quod nullo modo natura facere potest. Et ista tenent summum gradum in miraculis. Secundo aliquid excedit facultatem naturae, non quantum ad id quod fit, sed quantum ad id in quo fit, sicut resuscitatio mortuorum, et illuminatio caecorum, et similia. Potest enim natura causare vitam, sed non in mortuo, et potest praestare visum, sed non caeco. Et haec tenent secundum locum in miraculis. Tertio modo excedit aliquid facultatem naturae, quantum ad modum et ordinem faciendi, sicut cum aliquis subito per virtutem divinam a febre curatur absque curatione et consueto processu naturae in talibus, et cum statim aer divina virtute in pluvias densatur absque naturalibus causis, sicut factum est ad preces Samuelis et Eliae. Et hujusmodi tenent infimum locum in miraculis. Quaelibet tamen horum habent diversos gradus, secundum quod diversimode excedunt facultatem naturae. » Voir aussi Ia 2ae, q. 113, 10 c, Utrum justificatio impii sit miraculosa, qui appplique cette gradation au cas de la justification.

Solus Deus potest per se facere vera miracula : I, q. 110, 4, conclusio : « Miraculum est praeter ordinem totius naturae creatae ; Deus igitur cum non sit non creatura, solus etiam virtute propria miracula facere potest ».

Angeli et alii sancti faciunt miracula : I, q. 110, 4, 3 : « Spirituales potestates possunt facere ea quae visibiliter fiunt in hoc mundo, adhibendo corporalia semina per motum localem. »

Cependant, selon I, q. 110, 4, Utrum angeli possint facere miracula : « Ad quartum dicendum quod, licet angeli possint aliquid facere praeter ordinem naturae corporalis, non tamen possunt aliquid facere praeter ordinem totius creaturae, quod exigitur ad rationem miraculi, ut dictum est. »

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 603, présente les mêmes distinctions que T. Shiokawa ci-dessus. Thomas a résolu d’avance la question de savoir si une relique dont un traitement triompherait en un jour serait miraculeuse, en disant qu’il considérait comme excédant les forces de la nature, les effets découlant d’une cause qui n’est pas leur cause naturelle (miracula quantum ad modum et ordinem faciendi) : p. 604.

Orcibal Jean, “La signification du miracle et sa place dans l’ecclésiologie pascalienne”, Chroniques de Port-Royal, n° 20-21, 1972, p. 66-82. Voir p. 86 sq. Accent thomiste des arguments de Pascal sur les miracles : p. 88.

 

Saint Augustin et la définition du miracle

 

Pascal s’inspire assez peu de la définition donnée par saint Augustin, De utilitate credendi, XVI, 34, Œuvres de saint Augustin, t. 8, Bibliothèque augustinienne, p. 293 : « miraculum voco, quidquid arduum aut insolitum supra spem vel facultatem mirantis apparet ». Augustin appelle miracle tout événement insolite qui manifestement dépasse l’attente ou les capacités de celui qu’il étonne. Il y a en deux catégories : ceux qui provoquent l’étonnement et ceux qui inspirent, en plus, reconnaissance et sympathie.

Saint Augustin, La cité de Dieu, XXI, Œuvres de saint Augustin, 37, Bibliothèque augustinienne, p. 798, XVI, 34, et de La cité de Dieu, XVI, V. La définition du De utilitate credendi n’insiste que sur l’aspect extraordinaire du fait, celle de La cité de Dieu sur son sens : par le miracle, Dieu montre sa présence.

Sur les réminiscences augustiniennes dans les textes de Pascal sur les miracles, voir Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 606-617.

 

4. Si les hérétiques déclarés et connus peuvent faire de vrais miracles pour confirmer une erreur.

5. Si les hérétiques déclarés et connus peuvent faire des miracles comme la guérison des maladies qui ne sont pas incurables. Par exemple, s’ils peuvent guérir une fièvre pour confirmer une proposition erronée comme le P. Lingendes prêche que oui.

« Il ne se peut jamais faire de vrais miracles par qui que ce soit, catholique ou hérétique, saint ou méchant, pour confirmer une erreur, parce que Dieu confirmerait et approuverait par son sceau l’erreur comme faux témoin ou plutôt comme faux juge. Cela est assuré et constant. »

 

Cette question correspond à l’idée formulée par les ennemis de Port-Royal que si les infidèles et les hérétiques peuvent faire des miracles, il serait imprudent de s’appuyer sur eux pour approuver leur doctrine.

 

Les sermons du P. Claude de Lingendes

 

Grente Georges (dir.), Dictionnaire des lettres françaises, Le XVIIe siècle, art. « Lingendes », Livre de Poche, p. 759. Né à Moulins, jésuite en 1607. Il est recteur des collèges de Tours et de Moulins. C’est un prédicateur à succès. Ses sermons, publiés en latin, ont été adaptés en français.

Bluche François (dir.), Dictionnaire du grand siècle, p. 882.

Les sermons du P. de Lingendes, dans l’édition de Paris, Muguet, 1665, sont les suivants :

Concio XXXIV. Quae prima est de miraculis Christi, probat ex iis ejus divinitatem, p. 1-24.

Concio XXXV. Quae secunda est de miraculis Christi, solvit objectiones quae fiunt contra ea, et disputationem satis implicatam de falsis magorum et haereticorum miraculis evolvit, p. 25-50.

Concio XXXVI. Quae tertia est de miraculis Christi, refellit valide eos qui fidem illorum, aliorumve impugnant, et exprditam Evangelii defensionem contra atheos subjucit, p. 59-77.

Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 139. L’origine de cette question de Pascal est liée aux sermons du P. de Lingendes. Pascal doit avoir eu en main le texte latin du P. de Lingendes, Concionum II, car le passage correspondant manque dans la version en français.

Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 316. Contrairement à ce que l’on peut attendre, la polémique contre Port-Royal est discrète dans ces trois sermons : elle est restreinte au deuxième, où le prédicateur se contente de présenter les miracles du Christ comme preuves de la vérité du christianisme. « L’élément polémique se donne pour simplement destiné à écarter des objections tenant à l’existence éventuelle de miracles dépourvus d’autorité ».

En tout cas, les assistants ne pouvaient pas remarquer le contexte de ces sermons. Voir ce qu’en dit Saint-Gilles dans sa lettre à Périer du 9 mars 1657, OC III, éd. J. Mesnard, p. 1067 : « Pour le dernier sermon du P. de Lingendes à Saint-Merri sur les miracles, je croyais vous avoir mandé qu’il n’avait rien dit contre, mais, comme on s’y attendait, il s’y trouva des colporteurs qui, devant et après le sermon, criaient aux trois portes, à pleine tête la sentence du premier miracle et disaient : Voici les grands et nouveaux miracles arrivés à Port-Royal, recommandés par le P. Lingendes, prédicateur ! » Voir aussi ce texte dans Baudry De Saint-Gilles d’Asson Antoine, Journal d’un solitaire de Port-Royal, éd. Ernst et Lesaulnier, Paris, Nolin, 2008, p. 269.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 113-116 et 132-152. Voir p. 137 sq. Résumé des sermons prononcés par Claude de Lingendes : p. 138 sq. Lingendes distingue différentes sortes de miracles. Les miracles de la première espèce sont ceux qui dépassent toutes les forces de la nature et ne peuvent être attribués qu’à Dieu : p. 138. Les miracles de la seconde espèce ne dépassent que la puissance ordinaire des hommes, et qui peuvent être faits par les démons pour soutenir une erreur : p. 138. Cette typologie suit de près la Somme théologique de saint Thomas. Sur les équivoques dans la manière dont le P. de Lingendes distingue les miracles, voir p. 140.

Le P. Rapin rapporte les événements, vus dans la perspective des jésuites.

Rapin René, Mémoires, éd. Aubineau, II, Paris, Gaume et Duprey, 1865, p. 422 sq. ; cité in OC I, éd. J. Mesnard, p. 857-858.

« Le P. de Lingendes, prêchant le Carême d’après à Saint-Jacques-de-la-Boucherie avec sa vogue ordinaire, fut obligé de faire quelques sermons sur les miracles pour détromper le peuple, qui donnait trop aisément son approbation à ceux de Port-Royal, vrais ou faux, par une pure préoccupation. Il expliqua l’intention principale des miracles, dont Dieu ne se sert que comme d’une voix pour annoncer aux hommes la vérité ; il dit qu’il y a de faux miracles comme il y en a de vrais ; les faux ne peuvent être que des instruments de la fausseté, tels que furent les miracles des magiciens de la cour de Pharaon pour les opposer à ceux que faisait Moïse ; qu’il était impossible que Dieu fît des miracles pour autoriser la doctrine de Port-Royal, qui venait d’être condamnée par le Saint-Siège, sans se détruire lui-même ne détruisant ce qui lui est de plus essentiel, que son immuable vérité ; qu’au reste, s’il avait dessein de faire des miracles en faveur de Port-Royal et de ceux qui y vivaient, ce ne pourrait être que pour leur ouvrir les yeux, leur toucher le cœur et les convertir, et non pas pour les endurcir et pour les aveugler ; qu’enfin il y a autant de crime à prétendre honorer Dieu par la fausseté qu’à déshonorer la vérité par le mensonge.

Ces raisons, débitées en chaire par un homme du poids du P. de Lingendes, furent bien reçues du public, qui se détrompa enfin, après plusieurs écrits de part et d’autre pour et contre les miracles de Port-Royal, dont la dévotion ne dura dans le peuple qu’autant qu’en dura la nouveauté, qui est toujours pour lui une espèce de ragoût qui a souvent cours sans conséquence. Tout le monde n’était pas d’humeur à chercher des secours par des miracles aussi nuisibles à la religion que ceux de Port-Royal ».

Les sermons de Lingendes ont paru en latin en trois tomes en 1661, sous le titre Concionum in Quadragesimam Reverendi Patris Claudii de Lingendes e Societate Jesu. Je cite d’après l’édition F. Muguet, Paris, 1665. Voir dans le tome II les sermons XXXIV, Quae prima est de miraculis Christi probat ex iis ejus divinitatem, p. 1-24 ; XXXV, Quae secunda est de miraculis Christi ; solvit objectiones quae fiunt ea, et disputationem satis implicatam de falsis magorum vel hereticorum miraculis evolvit, p. 25-49 ; XXXVI, Quae tertia est de miraculis Christi, refellit valide eos qui fidem illorum, aliorumve, et expeditam Evangelii defensionem contra Atheos subjicit, p. 50-77. Ces sermons, composés en latin, étaient prononcés en français. La traduction française publiée en deux tomes en 1666 sous le titre Sermons sur tous les Évangiles de Carême, n’est pas due à l’auteur. Elle est partielle. Seul le n° XXXV, La défense des véritables miracles qui autorisent notre religion contre les faux miracles des magiciens et des hérétiques, p. 156 sq., est fourni dans cette édition. Dans ces sermons, le prédicateur ne parle pas de Port-Royal. Mais comme l’indique H. Gouhier, op. cit., p. 160, une lettre de Saint-Gilles à Florin Périer du 9 mars 1657, écrit : « Pour le dernier sermon du P. de Lingendes à Saint-Merry sur les miracles, je croyais vous avoir mandé qu’il n’avait rien dit contre, mais comme on s’y attendait, il s’y trouvera des colporteurs, qui, devant et après le sermon, criaient aux trois portes, à pleine tête la sentence du premier miracle, et disaient : Voici les grands et nouveaux miracles arrivés à Port-Royal recommandés par le P. Lingendes, prédicateur ». Le texte complet de cette lettre se trouve dans OC III, éd. J. Mesnard, p. 1067-1068 ; voir aussi Baudry De Saint-Gilles d’Asson, Journal d’un solitaire de Port-Royal, Édition présentée et annotée par Jean Lesaulnier, texte établi par Pol Ernst, Paris, Nolin, 2008, p. 269-270. Lors du sermon qui a alerté les Messieurs de Port-Royal, le P. de Lingendes fait étroitement écho aux arguments du P. Annat dans le Rabat-joie des jansénistes.

H. Gouhier conclut que le récit du P. Rapin révèle clairement le sens de ce qui pouvait paraître douteux dans le sermon du prédicateur : p. 160.

Mesnard Jean, “Achèvement et inachèvement dans les Pensées de Pascal”, Studi francesi, 143, anno XLVIII, maggio-agosto 2004, p. 300-320. Voir p. 315 sq., sur les séries XXXII, XXXIII, XXXIV (éd. Lafuma). Contrairement à ce qu’on peut croire, les sermons du P. de Lingendes ne consacrent pas une grande place à la polémique contre Port-Royal : l’orientation essentielle est de caractère apologétique : il s’agit de présenter les miracles de Jésus-Christ comme preuve de la vérité du christianisme ; l’élément polémique ne se présente que pour écarter des objections relatives à l’existence éventuelle de miracles dépourvus d’autorité. Le jésuite engage Pascal à dépasser la défense de Port-Royal pour s’engager dans une entreprise apologétique : p. 316.

Gazier Augustin, “Pascal et Claude de Lingendes”, Revue bleue, 9 mars 1907.

Voir la note de l’éd. Le Guern, II, Pléiade, p. 1540, sur les sermons du P. de Lingendes.

Voir Shiokawa, Pascal et les miracles, p. 149. Le P. de Lingendes part de la définition thomiste du miracle, mais il la développe de manière passablement confuse, l’appuyant sur des exemples tirés de la Bible et l’histoire ecclésiastique.

Les véritables miracles sont, conformément à la définition classique, ceux qui dépassent toutes les forces de la nature, et qui ne sont par conséquent que le fait de Dieu : c’est le cas par exemple de la résurrection d’un mort, ou de la guérison instantanée d’un aveugle. Et comme tout ce qui vient de Dieu, la fin de ces miracles est la révélation de la vérité.

Mais Lingendes distingue aussi une deuxième sorte de miracles qui ne sont tels que de manière éloignée, car ils ne dépassent pas la puissance de la nature, mais seulement les forces ordinaires des hommes. Ils peuvent donc être produits par les démons ou par des hommes qui ne sont pas inspirés par l’Esprit saint, savoir des païens ou des hérétiques, auxquels Dieu permet de les réaliser. Par conséquent l’on ne doit pas approuver sans réflexion la doctrine de ceux qui les font.

Mais cette seconde espèce de miracles, ne peut que difficilement être distinguée des prodiges plus ou moins étonnants. La doctrine thomiste n’admet pas de véritables miracles en dehors de ceux de la première espèce, et Lingendes, tout en considérant qu’il s’agit bien de vrais miracles, admet qu’ils ne dépassent pas les forces de la nature, mais seulement celles des hommes ou des créatures. Un grand nombre de prodiges ne sont que de faux miracles.

Pascal aborde la question de savoir si les infidèles et les hérétiques accomplissent de vrais miracles : p. 149.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 149. Le P. de Lingendes soutenait que les hérétiques faisaient parfois de tels miracles.

Voir Conciones, II, éd. de 1664, p. 19. « Et ejusmodi signa fieri possunt in confirmationem mendacii, unde dixit Christus. Ita ut in errorem inducantur, si fieri potest, etiam electi. Itaque cum pleraeque sanationes fieri possint hoc modo, hoc est vel per motum localem, vel per applicationem occultam agentium naturalium, quando morbi non sunt omnino incurabiles, nullum certum veritatis alicujus argumentum ex illis praecise sumi potest ».

La plupart des miracles des idolâtres, des mages et des hérétiques, sont faux, ou simulés, et ne sont pas de vrais miracles : p. 15. « Certum est [...] quod si apud Gentiles et infideles fuerunt vera aliqua miracula, qualia fortasse fuerunt aliqua, nulla tamen patrata fuisse ad alicujus falsitatis, aut erroris confirmationem, sed propter aliquam veritatem confirmandam, aut propter aliquam utilitatem facte fuisse » : p. 17. Plus bas : « multi improbae vitae omines, immo et haeretici et Judaei, et pagani vera miracula fecerunt, ut videre est in historia ecclesiastica » : p. 17.

Mais ces vera miracula ne confirment pas la vérité de ce que disent ceux qui les exécutent.

« Si haereticis talia signa fiant seu miracula, ad sui erroris confirmationem, non ad Deum, ut causam, sed ad daemonum referanda sunt. Nam cum ex se sint aequivoca, ad diversas causas referri possunt ; sed determinatio quae sit ad aliquod malum, qualis est erroris confirmatio tollit omnem aequivocationem. Itaque si post definitum aliquod dogma ab Ecclesia, aliquid tale fieret ab haeretico contra idem dogma, et in alicujus rei falsam confirmationem, talis sanantio verbi gratia referenda esset ad daemonem, qui potest illus esse author, cum non superet vires creatas. Et consequenter cum Daemon, illius author esse possit et de facto convincatur esse tali applicatione facta ad re falsa confirmanda, rejiciendum est talem miraculum, propter authorem et propter finem » : p. 19. Les miracles ne prouvent donc pas l’orthodoxie ni la sainteté de ceux qui les réalisent.

Le P. de Lingendes appelle vrais miracles de la seconde espèce ce que l’on appelle des prodiges, ce qui introduit une confusion dans la question.

Il commence par affirmer que les hérétiques peuvent accomplir des miracles, mais il déclare ensuite que ces miracles, qui tendent à confirmer une erreur, ne sont pas au-dessus des forces de la nature, ce qui suppose que ce ne sont que des prodiges, et non des miracles véritables. Il y revient plus bas : « Proprie dicta miracula, ea scilicet quae superant omnes vires creatas, et quae solum Deum habere possunt ut causam principalem ; licet communius fiant instrumentaliter per homines pios et sanctos, aliquando tame fieri per homines improbos, immo per haereticos et infidèles, uti dictum est in objectione, de Balaam prophata, et de illis, qui in extremo judicio dicent se in nomine Christi prophetasse, et daemones ejecisse », ce qui n’empêche pas qu’ils seront rejetés par le Christ. « Unde falsae sunt illae consequentia : Aliquis facit miraculum, igitur ille homo approbatur, ejusque doctrina » : p. 21.

« Hinc sequi ejusmodi miracula fieri non posse in confirmationem erroris ; licet ab haereticis fieri possunt, sed non in confirmationem erroris ipsorum, alioqui Deus mentiretur : cum enim F_Deus solus causa esse possit principalis ejusmodi miraculorum, in Deum, ut authorem referrentur, cujus rei nullum exemplum afferri potest. Non idem dico de aliis miraculis improprie dictis : nam quid de illis sentiri debeat, supra dixi, cum ejusmodi miracula non semper habeant Deum pro authore, sed habere etiam possint pro causa Daemonem, unde in erroris confirmationem fieri possunt » : p. 21. Par suite, « primo quidem modi Christus sua omnia miracula peregit, et plerique sancti [...]. Sed hoc modo, neque impii, neque haeretici, nec infideles, miracula aliquando perpetrarunt : sed secundo modo id potuerunt, et infideles, et haeretici, adhibito aliquo signo sacro, aut Christi, aut Ecclesiae, aut sanctorum, ut eorum reliquis [...]. Qua ratione non illi ipsi testimonium ullum acquirunt, aut commendantur. Si igitur videris aliquem haereticum, aut hominem improbum miracula facientem, adhibito signo aliquo sacro, ut aqua benedicta, Jesu nomine aut scripto, aut prolato, vel applicatis reliquiis Christi, aut sanctorum, hoc tibi certum sit, neque illum probari, neque ejus fidem et doctrinam ; sed esse testimonium ejus rei, quae adhibetur et ejus cujus signum est, seu ad quem pertinet, tanquam causam, et principium ».

Lingendes poursuit d’une manière qui semble rendre la confusion inextricable :

« Porro cum ejusmodi signa adhiberi possint, tum a fidelibus, tum ab infidelibus, tum a bonis, tum a malis, ab illis omnibus miracula fieri possunt, inter utroque tamen hoc discrimen intercedit, [...], quod boni christiani miracula faciant per publicam justitiam, hos est per legitimam potestatem, qua legitime utuntur ; mali christiani, per signa publicae justitiae quia illegitime utuntur utuntur usurpata potestate, ad quam nullum jus habent. »

Pascal aborde la question de savoir si les infidèles et les hérétiques accomplissent de vrais miracles : voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 149.

Ce que Pascal a dû retenir dans cette doctrine, c’est d’une part que Lingendes semble soutenir que les hérétiques peuvent faire des miracles, et que si ces miracles ne sont pas vrais, on comprend que le miracle de la sainte Épine est un faux miracle, c’est-à-dire un simple prodige, ourdi par des jansénistes qui sont hérétiques. Le miracle de la saint Épine est pour lui un vrai miracle, qui montre que Dieu approuve Port-Royal.

Il est clair qu’aucune de ces deux conclusions n’est acceptable pour lui, d’autant plus que les Sermons de Carême du P. de Lingendes à Saint-Merri ont lieu à partir du 21 février 1657, alors que la sentence d’approbation du miracle de la sainte Épine date du 22 octobre 1656 ; voir OC III, éd. J. Mesnard, p. 962 sq.

Voir l’éd. Lafuma Luxembourg, Notes, p. 154-155, qui indique que, dans son sermon, le P. de Lingendes dit le contraire du propos que Pascal lui attribue : « Dieu ne peut mentir, lui qui est la vérité même, et qui ne peut ni être trompé, puisqu’il sait tout, ni tromper puisqu’il est infiniment bon et véritable. D’où il suit : 1. que Dieu n’a pu donner à personne le pouvoir d’opérer des miracles ad libitum, et pour confirmer une proposition erronée ; en premier lieu, parce que Dieu, par ce moyen donnerait témoignage au mensonge, et ainsi ne serait pas infiniment véritable ; ou bien parce que, par ce moyen, il serait trompé ou trompeur ; laquelle alternative est également impossible... Dieu a juré le contraire. » Lafuma ne donne aucune référence, et je n’ai pas trouvé ce texte dans les Sermons de Lingendes.

 

6. Si les hérétiques déclarés et connus peuvent faire des miracles qui soient au‑dessus de toute la nature créée par l’invocation du nom de Dieu ou par une sainte relique.

« Ils le peuvent pour confirmer une vérité et il y en a des exemples dans l’histoire. »

 

Il faut entendre ici que, dans l’esprit de Pascal comme dans celui de Barcos, il s’agit des vrais miracles, et non des simples prodiges. L’état de la question est donc différent de celui du P. de Lingendes.

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 151.

Le Guern Michel, “Expérience et théorie du miracle chez Pascal”, Études sur la vie et les Pensées de Pascal, p. 56-57. 

 

7. Si les hérétiques couverts et qui, ne se séparant pas de l’Église, sont néanmoins dans l’erreur, et qui ne se déclarent pas contre l’Église afin de pouvoir plus facilement séduire les fidèles et fortifier leur parti, peuvent faire, par l’invocation du nom de Jésus ou par une sainte relique, des miracles qui soient au‑dessus de la nature entière, ou même s’ils en peuvent faire qui ne soient qu’au‑dessus de l’homme, comme de guérir sur‑le‑champ des maux qui ne sont pas incurables.

« Les hérétiques couverts n’ont pas plus de pouvoir sur les miracles que les hérétiques déclarés, rien n’étant couvert à Dieu qui est le seul auteur et opérateur des miracles, quels qu’ils soient, pourvu qu’ils soient vrais miracles. »

 

Lingendes Claude de, Conciones, II, éd. Muguet, de 1665, Feria quarta dominicae primae in Quadragesima concio II de miraculis, Solvuntur objectiones quas fiunt contra miracula Christi et disputatio satis implicata de falsis magorum vel haereticorum miraculis plane evolvitur : p. 39 (le titre est légèrement différent de celui de la table des matières, mentionné plus haut). « Et ejusmodi signa fieri possunt in confirmationem mendacii, unde dixit Christus Ita ut in errorem inducantur, si fieri potest, etiam electi. Itaque cum pleraeque sanationes fieri possint hoc modo hoc est vel per motum localem, vel per applicationem occultam agentium naturalium, quando morbi non sunt omnino incurabiles, nullum certum veritatis alicujus argumentum, ex illis praecise sumi potest ».

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 151 sq., remarque que Pascal se place ici dans la perspective de la distinction du P. de Lingendes entre d’une part les miracles « qui sont au-dessus de la nature entière » et sont opérés « par l’invocation du nom de Jésus ou par une sainte relique » correspondant à la première espèce de miracles accomplis par l’application d’une chose sainte, et d’autre part ceux qui « ne [sont] qu’au-dessus de l’homme » qui correspondent à la seconde espèce de miracle.

Le Guern Michel, “Expérience et théorie du miracle chez Pascal”, Études sur la vie et les Pensées de Pascal, p. 57. 

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 151. Barcos ne trouve pas nécessaire de distinguer entre hérétiques couverts et hérétiques déclarés. Les miracles sont toujours des marques de la vérité enseignée par l’Église, et il n’est pas nécessaire de distinguer les hérétiques couverts des déclarés. Voir l’article suivant : quand il arrive, rarement, mais parfois, que des hérétiques fassent des miracles, il s’agissait malgré tout de miracles qui témoignaient de la vérité de l’enseignement de l’Église catholique.

La distinction des hérétiques avoués et dissimulés est imposée par l’état de la polémique : les jésuites distinguent les hérétiques ouverts, savoir les calvinistes, des hérétiques dissimulés, qui sont selon eux les jansénistes. La Compagnie de Jésus a publié de nombreux ouvrages dénonçant ce que leurs auteurs appellent l’hérésie janséniste. Voir par exemple :

L’un des arguments les plus dangereux publiés par les jésuites contre Port-Royal était le reproche de collusion avec les calvinistes.

Annat François, La Bonne foi des Jansénistes en la citation des auteurs reconnue dans les lettres que le secrétaire du Port-Royal a fait courir depuis Pâques ; suivie de : réponse à la plainte que font les Jansénistes de ce qu’on les appelle hérétiques, par le P. François Annat, de la Compagnie de Jésus, chez Florentin Lambert, Paris, 1657, 64 p. (2e éd.).

Dans le Recueil des réponses des jésuites aux Provinciales, on trouve un opuscule intitulé Autre lettre du même auteur sur la conformité des reproches et des calomnies que les jansénistes publient contre les Pères de la Compagnie de Jésus avec celles que le ministre Du Moulin a publiées devant eux contre l’Église romaine dans son livre des Traditions, imprimé à Genève en l’année 1632, p. LXVII dans l’édition de 1657, et p. 59 sq., dans l’édition de 1658.

Annat François, La conduite de l’Église et du Roy justifiée dans la condamnation de l’hérésie des jansénistes, Sébastien Cramoisy et Sébastien Mabre Cramoisy, Paris, 1664.

Pascal a consacré les deux dernières Provinciales (XVII et XVIII) à se défendre lui-même, et tout le groupe de Port-Royal, contre le reproche d’être hérétique.

Les Messieurs de Port-Royal ont toujours soutenu que le jansénisme était un fantôme inventé par les jésuites pour les faire condamner comme hérétiques.

 

8. Si les miracles faits par le nom de Dieu et par l’interposition des choses divines ne sont pas les marques de la vraie Église, et si tous les catholiques n’ont pas tenu l’affirmative contre tous les hérétiques.

« Tous les catholiques en demeurent d’accord et surtout les auteurs jésuites : il ne faut que lire Bellarmin. Lors même que les hérétiques ont fait des miracles, ce qui est arrivé quelquefois, quoique rarement, ces miracles étaient marques de l’Église parce qu’ils n’étaient faits que pour confirmer la vérité que l’Église enseigne et non l’erreur des hérétiques. »

 

Voir dans les commentaires sur A P. R. 2 (Laf. 149, Sel. 182), l’explication du sens du mot marques dans ce contexte.

Miracles III (Laf. 894, Sel. 448)Les trois marques de la religion : la perpétuité, la bonne vie, les miracles. Ils détruisent la perpétuité par la probabilité, la bonne vie par leur morale, les miracles en détruisant ou leur vérité, ou leur conséquence. Si on les croit l’Église n’aura que faire de perpétuité, sainteté, ni miracles. Les hérétiques les nient, ou en nient la conséquence, eux de même, mais il faudrait n’avoir point de sincérité pour les nier, ou encore perdre le sens pour nier la conséquence.

Arnauld Antoine, Réponse à quelques raisons par lesquelles on prétend démontrer que ceux qui sont persuadés que les cinq propositions ne sont point dans Jansénius doivent néanmoins signer la nouvelle bulle, 27 avril 1657, Œuvres, XXI, p. 20. « Tous les théologiens demeurent d’accord qu’afin d’être obligé de croire même les articles de foi, il faut que l’on ait des motifs qui fassent voir que l’on doit croire ; ce qu’ils appellent motiva credibilitatis. »

Les miracles sont de telles marques de l’Église.

Il ne faut que lire Bellarmin : voir dans Bellarmin Robert, Disputationum Roberti Bellarmini Politiani S. J., De controversiis christianae fidei adversus hujus temporis haereticos tomus secundus, Liber quartus, De notis Ecclesiae, Caput XIV, Neapoli, apud Josephum Giuliano, 1857, p. 132-136, ce que Bellarmin dit sur les miracles comme notes de la vérité de l’Église. « Ubi est verum miraculum, ibi est vera religio ». Référence fournie par M. Le Guern qui renvoie aux Disputationes de Bellarmin, t. II, livre IV, De Ecclesia, ch. XIV, Cologne, 1619.

Boulenger, Manuel d’apologétique, Introduction à la doctrine catholique, § 340 sq., p. 356 sq. Notes : signes extérieurs et visibles grâce auxquels on peut reconnaître la vraie Église et la discerner de celles qui sont fausses. Quatre notes sont données par le concile de Nicée-Constantinople au IVe siècle. Les notes sont soit négatives, soit positives, p. 357, § 343. La note négative est celle dont l’absence démontrerait la fausseté d’une Église, mais dont la présence ne suffit pas à en démontrer la vérité. Les notes négatives peuvent être multipliées à l’infini et appartenir à n’importe quelle Église ou n’importe quelle religion : qu’une religion enseigne le monothéisme, qu’elle prescrive le bien et défende la mal, cela ne suffit pas à prouver que c’est la vraie religion. La note positive est celle dont la présence démontre la vérité de l’Église où elle se trouve ; c’est la propriété exclusive de la vraie Église. Critères insuffisants : § 345, p. 358. L’infaillibilité est un critère essentiel, mais ce n’est pas un critère visible : p. 358. L’exigence de visibilité des notes fait qu’on ne peut retenir comme notes ni la prédication exacte de l’Évangile, ni l’administration correcte des sacrements (contre les protestants) : p. 358-359. Les quatre notes du concile de Nicée-Constantinople et leur valeur respective : p. 359 sq.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, ch. III, p. 198 sq. Propriétés et notes de l’Église. Propriétés essentielles : p. 198-199. Les notes ou signes distinctifs sont des propriétés essentielles de l’Église qui ont pour particularité de la rendre visible et par suite reconnaissable : p. 199. Le nombre des notes s’élève à quatre selon le symbole de Nicée : p. 199. La preuve de la visibilité de l’Église se fait en démontrant que ses éléments essentiels sont visibles : p. 204. L’Église a toujours été en possession des quatre notes, mais ce sont les hérésies qui l’ont conduite à les revendiquer : p. 216.

En fait, c’est le concile de Constantinople (381) qui ajoute au Symbole de Nicée in unam, sanctam, catholicam et apostolicam ecclesiam dans l’Expositio fidei CL patrum ; voir Conciliciorum oecumenicorum decreta, p. 24.

Hurter H., Theologiae dogmaticae compendium in usum studiosorum theologiae, Tomus 1, Oeniponte, 1896, Tract. III, de Ecclesia, Caput IV, De notis Ecclesiae, § 315, p. 328 sq. Inquirendum restat quomodo Christi Ecclesia agnosci dignoscique possit. Thesis LXII, Pura Evangelii praedicatio et legitima sacramentiorum administratio haberi nequeunt tamquam notae sive solae sive praecipuae Ecclesiae verae, § 317, p. 329. Thesis LXIII, Unitas, sanctitas, catholicitas et apostolicitas, quae sunt proprietates Ecclesiae Christi, jure optimo ejusdem notae necessariae et sufficientes existimantur, § 319, p. 330. Visibilité des notes : p. 330. Caractère essentiel des notes : p. 330. Thesis LXIV, Recensitae notae illi soli coetui competunt, qui communione cum romano pontifice sociatur : ideoque ille solus vera Christi Ecclesia censeri debet : § 321, p. 331.

Hurter H., Theologia generalis, I, Tractatus III, De Ecclesia Christi, Caput III, De proprietatibus Ecclesiae, et caput IV, De notis Ecclesiae, Oeniponte, Libraria academica wagneriana, 1896, p. 304 sq. et p. 329 sq.

 

9. S’il n’est jamais arrivé que les hérétiques aient fait des miracles et de quelle nature sont ceux qu’ils ont faits.

« Il y en a fort peu d’assurés, mais ceux dont on parle sont miraculeux seulement quoad modum, c’est‑à‑dire des effets naturels produits miraculeusement et en une manière qui surpasse l’ordre de la nature. »

 

10. Si cet homme de l’Évangile, qui chassait les démons au nom de Jésus-Christ et dont Jésus‑Christ dit qui n’est point contre vous est pour vous, était ami ou ennemi de Jésus-Christ, et ce qu’en disent les interprètes de l’Évangile. Je demande cela parce que le P. Lingendes prêcha que cet homme‑là était contraire à Jésus-Christ.

« L’Évangile témoigne assez qu’il n’était pas contraire à Jésus-Christ, et les Pères le tiennent et presque tous les auteurs jésuites. »

 

Marc, IX, 37-39. « Alors Jean, prenant la parole, lui dit : Maître, nous avons vu un certain homme qui chasse les démons en votre nom, quoiqu’il ne nous suive pas, et nous l’avons empêché. 38. Mais Jésus leur répondit : Ne l’en empêchez pas, car il n’y a personne, qui ayant fait un miracle en mon nom, puisse aussitôt après parler mal de moi. 39. Qui n’est pas contre vous est pour vous ».

Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 149. Le P. de Lingendes soutenait que les hérétiques faisaient parfois de vrais miracles, donc que l’on ne doit pas approuver sans réflexion la doctrine de ceux qui les font. Pascal aborde la question de savoir si les infidèles et les hérétiques accomplissent de vrais miracles : p. 149. Les miracles ne prouvent donc pas l’orthodoxie ni la sainteté de ceux qui les réalisent : p. 149. Voir p. 151, la réponse de Barcos.

Le P. de Lingendes aborde en effet le passage de Marc à plusieurs reprises dans la Concio XXXV. Quae secunda est de miraculis Christi, solvit objectiones quae fiunt contra ea, et disputationem satis implicatam de falsis magorum et haereticorum miraculis evolvit, p. 25-50 (éd. Muguet, 1665). Voir p. 36 : « Marci 9 Joannes Apostolus dixit Christo Vidimus quemdam in nomine tuo ejicientem daemonie qui non sequitur nos, et prohibuimus eum. Quod tamen Christus improbavit ». Mais immédiatement, Lingendes poursuit avec des exemples dans lesquels Jésus condamne les faux faiseurs de miracles : « Matth. 7. ait Christus multos sibi dicturos in die judicii : Domine, Domine, nonne in nomine tuo prophetavimus, et in nomine tuo daemonia ejicimus, et in nomine tuo virtutes multas fecimus ? Et tunc confitebor illis : Quia umquam novi vos, Discedite a me, qui operamini iniquitatem. Item legimus Matth. 24. Surgent pseudochristi, et pseudoprophetae et dabunt signa magna, et prodigia, ita ut in errorem inducantur, si fieri potest, etiam electi ». Lingende évoque alors l’Antéchrist.

Plus bas, p. 45, Lingendes revient sur ce passage de Marc. « Ita quidem Marci 9 in nomine Jesu ejiciebat daemones a corporibus, licet in Christum non crederet : sed in nomine Christi edens miracula, fidem Christi confirmabat, non quam haberet, nam non credebat ; sed tamen quae esset : ex illo enim signo declarabat, propter quem, et per quem opus illud fieret : nempe Christum. »

Dans la version française de ce sermon, p. 168, on retrouve une allusion au même passage : « En saint Marc chap. 9, l’apôtre saint Jean dit à Notre Seigneur : Nous avons vu un certain homme qui chassait en votre nom les démons des corps des possédés, lequel n’est pas d’avec nous. Vidimus quemdam in nomine tuo ejicientem daemonia, qui non sequitur nos ». Suit l’exemple de saint Matthieu, où Jésus-Christ au jugement dernier rejettera ceux qui lui diront qu’ils ont chassé les démons et fait des miracles en son nom. Mais aucun passage ne vient ensuite mentionner la réponse du Christ reprochant à ses disciples d’avoir chassé l’homme en question, dans l’Évangile de Marc, IX, 39-40.

Il est difficile de savoir si les publications imprimées des sermons de Lingendes reflètent ses discours oraux. Quoi qu’il en soit, si Pascal a assisté, il a dû être frappé par la manière dont la réponse du Christ était ignorée par le prédicateur.

 

11. Si l’Antéchrist fera ses signes au nom de Jésus-Christ ou en son propre nom.

« Comme il ne viendra au nom de Jésus-Christ mais au sien propre, selon l’Évangile, ainsi il ne fera point des miracles au nom de Jésus-Christ mais au sien et contre Jésus-Christ, pour détruire la foi et son Église. Et à cause de cela ce ne seront point vrais miracles. »

 

Voir le dossier thématique sur l’Antéchrist.

Voir la liasse Preuves de Jésus-Christ.

Bouyer Louis, Dictionnaire théologique, p. 63 sq. L’Antéchrist est un personnage mystérieux évoqué dans les deux premières épîtres de saint Jean (I, 2, 22, et 4, 3 et II, 7), et sous le nom de la Bête dans l’Apocalypse ; saint Paul en parle dans l’Épître aux Thessaloniciens, II, 3 sq. L’Antéchrist doit apparaître à la fin des temps pour mener contre l’Église et le Christ une lutte suprême, dont la Parousie marquera l’échec.

Bartmann Bernard, Précis de théologie dogmatique, II, p. 535. Il est difficile de se faire une idée de sa nature : homme de péché selon saint Paul, ou type de l’incrédulité selon saint Jean. Il doit selon les Pères produire une grande apostasie des fidèles du Christ, établira sa domination sur Jérusalem, mais il sera anéanti par le Christ et précipité en enfer.

 

12. Si les oracles ont été miraculeux.

« Les miracles des païens et des idoles n’ont été non plus miraculeux que les autres opérations des démons et des magiciens. »

 

Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles.

Les oracles : réponse d’ordinaire ambiguë et obscure que les prêtres païens faisaient au peuple sur les choses à venir. Oracle se dit aussi en parlant du lieu où l’on allait chercher cette réponse, et du faux dieu qu’on croyait consulter. L’oracle de Delphes a été le plus fameux de l’Antiquité : tous les princes envoyaient consulter cet oracle : c’était l’oracle d’Apollon (Furetière). L’Histoire des oracles de Fontenelle ne date que de 1686 ; Pascal ne pouvait pas la connaître.

En revanche, Pascal pouvait connaître un argumentaire contre les miracles et les oracles des païens développé dans Grotius Hugo, De veritate religionis christianae, Livre IV, § VIII-IX, p. 66-67, Solutio objectionis paganorum sumptae a miraculis apus ipsos et Et ab miraculis. Le texte des Opera présente l’intérêt de fournir d’abondantes références en notes. On peut cependant en cas de besoin, recourir à la traduction française de Le Pelletier.

« Il faut appliquer presque tout cela à la preuve que les païens tirent de leurs oracles : surtout, ce que nous avons dit, que ces peuples ayant négligé les connaissances que la raison et la tradition la plus ancienne leur donnaient sur le culte du vrai Dieu, ils avaient bien mérité d’être le jouet des démons. De plus, il faut considérer qu’il y avait presque toujours dans ces oracles une ambiguïté qui faisait que de quelque manière que les choses tournassent, ils se trouvaient véritables. S’il y en a eu qui marquant l’avenir précisément et sans équivoque aient eu leur accomplissement, rien n’oblige à les attribuer à une science infinie, telle qu’est celle de Dieu : puisque les choses qu’ils prédisaient, par exemple des sécheresses, des inondations, sont de celles qui ayant leurs causes naturelles et fixes, s’y peuvent découvrir par le secours des sciences. C’est ainsi qu’il y a eu des médecins qui ont prédit de certaines maladies. Si ces prédictions regardaient des événements fortuits, et dépendant d’une cause libre, ce n’étaient que d’heureuses conjectures, tirées du cours ordinaire des affaires du monde. L’histoire nous parle de certaines personnes habiles dans la politique, qui par les seules lumières qu’elle leur fournissait, ont prédit avec beaucoup de justesse le tour que devaient prendre les affaires publiques.

S’il est arrivé parmi les païens que Dieu, par le ministère de quelques personnes, ait prédit certains événements, dont les causes n’étaient ailleurs qu’en lui-même et dans sa volonté, ce n’était nullement dans le dessein de confirmer la religion que nous combattons ici, mais plutôt de préparer les choses à sa ruine. Qu’on lise par exemple, ce bel endroit que Virgile a tiré des oracles de la sibylle de Cumes, et inséré dans sa quatrième Églogue, et l’on y verra que ce poète a dépeint sans le savoir l’avènement de Jésus-Christ et les biens que le Sauveur apporterait aux hommes. D’autres endroits des vers des Sibylles, ordonnaient que l’on eût à reconnaître pour roi celui qui serait véritablement notre roi, et marquaient qu’il viendrait de l’Orient un homme qui règnerait sur tout l’univers. On lit dans Porphyre un oracle d’Apollon qui porte qu’il ne fallait adorer que le Dieu des Hébreux, et pour ce qui est des autres dieux, ce n’étaient que des esprits aériens, c’est-à-dire habitant dans l’air. Or je demande à un païen qui reconnaît Apollon pour un dieu véritable, s’il ajoute foi à cet oracle, ou non : le premier détruit directement la divinité d’Apollon, et de tous les autres dieux, le second le fait indirectement, en accusant de mensonge ou d’erreur un dieu si pénétrant et si éclairé.

Mais un défaut général de tous les oracles des païens, et qui fait voir que les esprits qui en sont les auteurs, n’ont pas eu dessein de travailler par là au bonheur des hommes, c’est que ces esprits n’ont ni proposé des règles générales de bien vivre, ni promis avec certitude une récompense après la mort. Même, comme si c’eût peu que de laisser leurs adorateurs dans l’ignorance de ces choses si nécessaires, ils semblent ne leur avoir parlé que pour donner de l’encens aux rois, quelque indignes qu’ils en fussent, que pour décerner les honneurs divins à des athlètes, que pour engager les hommes dans un amour impur, et dans la passion basse et sordide d’un gain illégitime, ou enfin, pour les animer à se détruire les uns les autres. »

Si Pascal a préalablement consulté les passages relatifs aux miracles des païens et à leurs oracles sur ce sujet, on comprend que l’argumentation relativement sommaire de Grotius l’ait poussé à poser à Barcos des questions précises.

Pascal fait un usage flatteur du mot oracle dans la Lettre dédicatoire de sa machine arithmétique au chancelier Séguier : voir OC II, éd. J. Mesnard, p. 333 : « En effet, Monseigneur, quand je me représente que cette même bouche, qui prononce tous les jours des oracles sur le trône de la justice, a daigné donner des éloges au coup d’essai d’un homme de vingt ans, que vous l’avez jugé digne d’être plus d’une fois le sujet de votre entretien, et d’avoir place dans votre cabinet parmi tant d’autres choses rares et précieuses dont il est rempli, je suis comblé de gloire, et je ne trouve point de paroles pour faire paraître ma reconnaissance à Votre Grandeur, et ma joie à tout le monde ».