Miracles II  – Fragment n° 10 / 15 – Papier original : RO 465-5

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 449 v° / C2 : p. 248

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 225-226 /

1678 n° 7 p. 219

Éditions savantes : Faugère II, 223, XIII / Havet XXIII.10 / Brunschvicg 821 / Tourneur p. 149 / Le Guern 689 / Lafuma 850 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 431

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Bibliographie

 

 

BOULENGER l’abbé, La doctrine catholique, Seconde partie, La morale, Paris, Vitte, 1941, § 185.

BREMOND Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, IV, Paris, Colin, 1967 (rééd. de l’édition Bloud et Gay, 1923).

NICOLE Pierre, Des diverses manières dont on tente Dieu, in Essais de morale, éd. L. Thirouin, Paris, Presses Universitaires de France, 1999, p. 417-440.

SELLIER Philippe, Pascal et saint Augustin, Paris, Colin, 1970.

SELLIER Philippe, Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., Paris, Champion, 2012.

SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977.

THIROUIN Laurent, “Tenter ou chercher Dieu ? Une alternative au cœur des Pensées de Pascal”, Revue de langue et littérature françaises, 49, Université de Tokyo, octobre 2016, p. 613-639.

 

 

Éclaircissements

 

Il y a bien de la différence entre tenter et induire en erreur. Dieu tente mais il n’induit pas en erreur. Tenter est procurer les occasions que, n’imposant point de nécessité, si on n’aime pas Dieu, on fera une certaine chose. Induire en erreur est mettre l’homme dans la nécessité de conclure et suivre une fausseté.

 

Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 155. Pascal propose une double définition nominale, qui distingue deux sens du verbe tenter, selon qu’on l’emploie en parlant de Dieu ou en parlant de l’homme.

Pascal pose en axiome que Dieu n’induit pas les hommes en erreur par le miracle, qui a pour objet la vérité ; voir p. 225-226. Voir le fragment Miracles II (Laf. 840, Sel. 428) : Il y a un devoir réciproque entre Dieu et les hommes. Il faut pardonner ce mot, Quod debui. Accusez-moi dit Dieu dans Isaïe. Dieu doit accomplir ses promesses, etc. Les hommes doivent à Dieu de recevoir la religion qu’il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur.

Il suit saint Augustin qui souligne que l’expression est équivoque selon que l’on rapporte l’on entend que Dieu ou diable tentent l’homme, ou que l’homme tente Dieu. Voir Saint Augustin, La cité de Dieu, Livre XVI, Bibliothèque augustinienne, p. 291 sq. Sur les différentes sortes de tentation, voir p. 728, n. 31.

Le diable tente l’homme pour corrompre ; Dieu tente pour l’éprouver et le récompenser lorsque l’homme a résisté à la tentation. Selon saint Ambroise, De Abraham patriarcha, I, 8, Aliter tentat Deus, aliter diabolus. Diabolus tentat ut subruat, Deus tentat ut coronet et probet.

Pascal pose en axiome que Dieu doit aux hommes de ne pas les induire en erreur, et ne peut pas les placer dans une condition telle qu’ils soient nécessités à aller à l’erreur. Ce principe est lié au fragment Miracles II (Laf. 840, Sel. 428) : Dieu doit accomplir ses promesses, etc. Les hommes doivent à Dieu de recevoir la religion qu’il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur.

Induire en erreur est mettre l’homme dans la nécessité de conclure et suivre une fausseté : Dieu, qui ne peut ni se tromper ni tromper les hommes, ne peut évidemment pas les induire en fausseté. Dans l’esprit de Pascal, penser que Dieu pourrait induire l’homme en erreur de cette manière correspond à une conception calviniste de la divinité. Voir Écrits sur la grâce, Traité de la prédestination, 3, Rédaction plus élaborée de la partie centrale, OC III, p. 792 sq., et les § 27-28.

Voir McKenna Antony, Entre Descartes et Gassendi. La première édition des Pensées de Pascal, Paris et Oxford, Voltaire Foundation, 1993, p. 14 sq. Principe de la véracité divine, affirmé par Pascal comme par Descartes.

En effet, la nécessité exclut la responsabilité : si Dieu tentait l’homme en le mettant dans une situation telle que celui-ci serait nécessairement conduit à l’erreur, il n’en serait pas coupable. Il faut que la liberté subsiste en l’homme.

Dieu le tente parfois, mais c’est pour l’éprouver, et le récompenser lorsqu’il a résisté à la tentation : Deus tentat ut coronet et probet. Il préserve donc sa liberté et il ne le détermine pas par nécessité : il lui procure des occasions, telles que, s’il en profite, c’est par l’effet de sa volonté libre, et non d’une force irrésistible qui s’impose à lui. Ce point est assez important pour que Pascal l’ait précisé dans une addition écrite en interligne, que n’imposant point de nécessité. Il dépend donc de la volonté de l’homme de choisir la bonne voie, s’il aime Dieu, ou la mauvaise s’il ne l’aime pas.

Procurer des occasions : l’occasion n’est pas une cause qui provoque nécessairement un effet, mais la création d’une possibilité. Occasion : rencontre, conjoncture où l’on se trouve un temps, ou un lieu favorable pour faire quelque chose ; hasard, fortune. Se dit aussi au sens de cause, sujet : il ne faut pas donner occasion de parler (Furetière).

La question est directement liée aux condamnations qui ont frappé les propositions imputées à Jansénius, particulièrement la troisième : Pour mériter et démériter dans l’état de nature déchue, il n’est pas nécessaire qu’il y ait dans l’homme une liberté qui soit exempte de nécessité ; c’est assez qu’il y ait une liberté qui soit exempte de contrainte. Voir Provinciales, éd. Cognet, Garnier, p. XIII.

Voir sur ce sujet la mise au point de Sellier Philippe, Port-Royal et la littérature, II, 2e éd., 2012, p. 89 sq. Les jansénistes ont toujours dénoncé l’ambiguïté et maladresse de la troisième proposition imputée à Jansénius. Traduction : Pour mériter et démériter dans l’état de nature déchue, il n’est pas requis que l’homme possède une liberté exempte de nécessité, il suffit que sa liberté soit exempte de contrainte. Il est clair qu’une action imposée par contrainte n’est en aucune manière libre. Quant au terme de nécessité, les augustiniens catholiques comme Arnauld et Pascal l’ont soigneusement évité, contrairement à Luther : ils privilégient l’adverbe infailliblement pour désigner la régularité des comportements de fait : si à un homme passionné par les voluptés charnelles s’offre une femme capiteuse, infailliblement il ira sur la pente de ses penchants, bien que la chasteté demeure pour lui une possibilité et qu’il sente en lui-même le pouvoir inaliénable de sa liberté. Pascal écrit dans la XVIIIe Provinciale : « Dieu dispose de la volonté libre de l’homme sans lui imposer de nécessité, et que le libre arbitre, qui peut toujours résister à la grâce, mais qui ne le veut pas toujours, se porte aussi librement qu’infailliblement à Dieu, lorsqu’il veut l’attirer par la douceur de ses inspirations efficaces ». Et « le libre arbitre qui peut toujours résister à la grâce, mais qui ne le veut pas toujours, se porte aussi librement qu’infailliblement à Dieu, lorsqu’il veut l’attirer par la douceur de ses inspirations efficaces ».

Sellier Philippe, Pascal et saint Augustin, p. 344-348. Le mot infailliblement. Les théologiens de Louvain déclarent que « la pensée d’Augustin n’est pas que les élus perdent tout pouvoir de s’écarter de la voie droite, mais que la grâce qu’ils reçoivent est si puissante qu’en fait ils ne s’en écartent pas » : p. 344. En fait, le libre arbitre touché par la grâce ne résiste jamais, en fait l’homme livré à lui-même ne résiste jamais au torrent des concupiscences : p. 344. Pascal est conscient de la nécessité d’employer un vocabulaire rigoureux pour se tenir dans la théologie augustinienne. La notion d’infaillibilité souligne que la grâce ne manque jamais son effet, bien qu’elle n’impose aucune contrainte : p. 344.

Voir dans les Écrits sur la grâce, comment Pascal précise les idées : Traité de la prédestination, 3, § 14, OC III, éd. J. Mesnard, p. 795 : « le libre arbitre, charmé par les douceurs et par les plaisirs que le Saint-Esprit lui inspire, plus que par les attraits du péché, choisit infailliblement lui-même la loi de Dieu par cette seule raison qu’il y trouve plus de satisfaction et qu’il y sent sa béatitude et sa félicité ». Pour Pascal, infaillibilité et liberté ne s’excluent pas : il faut distinguer le domaine du volontaire, où s’exercent spontanément les tendances, de celui de la contrainte, qui forcerait un libre arbitre mort ou rétif à effectuer tel ou tel choix. Le terme contrainte n’est pas le seul à être rejeté, celui de nécessité doit aussi être évité. Il n’est employé à bon escient que pour désigner l’obéissance de la volonté aux premiers principes qui la régissent : désir du bonheur, etc. Le libre arbitre n’a aucun pouvoir de ne pas se porter vers le bonheur ou le bien infini pour lequel il a été créé : p. 345. Cependant le mot nécessité a souvent été utilisé par les théologiens pour marquer ce qu’il vaut mieux appeler infaillibilité (c’est le cas de saint Augustin) : p. 345.

Pascal cite Alvarez, De auxiliis divinae gratiae, Rome, 1610, Disp. 72, n. 4, texte qu’il emprunte à la Disquisitio tertia de Nicole, § VIII : « Quand la grâce efficace meut le libre arbitre, il consent infailliblement, parce que l’effet de la grâce est de faire qu’encore qu’il puisse ne pas consentir, il consente néanmoins en effet » : voir XVIIIe Provinciale, éd. Cognet, p. 362.

Alvarez cite à l’appui saint Thomas, qui a bien dit, comme Pascal l’indique au même endroit de la XVIIIe Provinciale, éd. Cognet, p. 362 : « Que la volonté de Dieu ne peut manquer d’être accomplie ; et qu’ainsi, quand il veut qu’un homme consente à la grâce, il consent infailliblement, et même nécessairement, non pas d’une nécessité absolue, mais d’une nécessité d’infaillibilité ». Jansénius même n’est pas d’un autre avis : voir p. 346.

La XVIIIe Provinciale, éd. Cognet, p. 359-360, rejette explicitement la troisième proposition : « C’est ainsi que Dieu dispose de la volonté libre de l’homme sans lui imposer de nécessité, et que le libre arbitre, qui peut toujours résister à la grâce, mais qui ne le veut pas toujours, se porte aussi librement qu’infailliblement à Dieu, lorsqu’il veut l’attirer par la douceur de ses inspirations efficaces. »

La distinction entre nécessaire et infaillible est bien la clé de la manière dont Dieu tente l’homme.

 

Tenter Dieu

 

La manière propre à l’homme de tenter Dieu est moins connue.                                

Fries H. (dir.), Encyclopédie de la foi, IV, art. Tentation, Paris, Cerf, 1967, p. 305-306. Cette tentation de Dieu est le fait des hommes. Comment le peuple juif a tenté Dieu en lui lançant des défis.

L’expression tenter Dieu remonte au Pentateuque.

Deutéronome VI, 16 : « Non tentabis Dominum Deum tuum, sicut tentasti in loco tentationis ». Tr. de Port-Royal : « Vous ne tenterez point le Seigneur votre Dieu, comme vous l’avez fait au lieu de la Tentation ». Formule reprise par le Christ dans Matt. IV, 7, lors de la tentation au désert : « Jésus lui répondit : il est écrit aussi : Vous ne tenterez point le seigneur votre Dieu ».

L’Évangile de saint Matthieu et le Deutéronome, dans l’édition de Port-Royal, consacrent une explication de ce que signifie l’expression tenter Dieu. Voir le commentaire de Sacy :

« C’est tenter Dieu, dit un ancien Père [Theod. Ib. Quaest. 5], que de s’exposer à quelque péril sans nécessité et sans raison ; comme Jésus-Christ le fit connaître au tentateur, en lui opposant ce passage même dont nous parlons. Mais il semble que le vrai sens de ces paroles, selon le rapport qu’elle sont à la manière dont le peuple d’Israël avait tenté Dieu dans le désert, et comme il est dit ici dans le lieu de la tentation, est qu’on tente Dieu lorsqu’on n’agit pas avec un cœur simple et droit dans l’obéissance qu’on lui rend, et qu’on témoigne par le peu de fidélité qu’on fait paraître dans l’observation de ses préceptes, qu’on n’ajoute pas une entière foi à ses paroles. Ce fut de la sorte que les Israélites tentèrent Dieu dans le désert [Ps. 94. 9.], ainsi qu’il s’en plaint lui-même, en l’irritant tous les jours par leurs défiances, et par leurs murmures ; et surtout en refusant de le croire, lorsqu’il leur avait promis de les faire entrer dans la terre promise, et croyant plutôt des hommes timides qui leur représentèrent cette terre comme étant capable de dévorer ceux qui s’en voudraient approcher. Ce fut ainsi qu’Adam le premier des hommes tenta Dieu, lorsque contre la certitude de sa parole, il mangea du fruit défendu, et voulut voir s’il serait vrai qu’il mourrait après en avoir mangé, comme le Seigneur le lui avait dit ; ou si au contraire il ne pourrait point devenir semblable à Dieu même, selon la parole du serpent. Rien n’est plus capable d’irriter Dieu que cette hardiesse qu’a l’homme de douter de la vérité de ses paroles, en même temps qu’il ajoute foi à celles de son ennemi. Et c’est néanmoins ce que l’on fait tous les jours, lorsque sans se mettre en peine de la malédiction que Jésus-Christ a prononcée contre les richesses, les plaisirs, et les consolations de cette vie, on recherche avec ardeur à être grand, riche et heureux dans le siècle. Car c’est comme si l’on disait à Dieu dans son cœur, quoiqu’on n’ose pas le dire de bouche : Je sais que vous avez interdit l’amour de ces choses à ceux qui veulent être vos disciples ; mais je suis bien aise d’éprouver si je serai véritablement malheureux en ne suivant pas si exactement les règles de votre Évangile ».

Alors que la recherche se définit par la sincérité, la tentation comporte une part de mauvaise foi : tenter Dieu, en termes plus actuels, serait équivalent de le provoquer : cela consiste à agir de telle manière que l’on mette pour ainsi dire Dieu en demeure de faire, pour notre avantage, ce que nous devrions faire par des moyens naturels. Cette attitude comporte une part de dissimulation qui exclut la véritable sincérité.

La manière dont l’homme tente Dieu est analysée par Pierre Nicole dans son Essai de morale intitulé Des diverses manières dont on tente Dieu, in Essais de morale, éd. L. Thirouin, Paris, P. U. F., 1999, p. 417-440, sans doute un de ses meilleurs ouvrages. Tenter Dieu consiste « à se retirer de l’ordre de Dieu, en prétendant le faire agir à notre fantaisie, et en négligeant la suite des moyens auxquels il attache ordinairement les effets de sa puissance divine » : p. 419. Cela répond à l’orgueil qui consiste à prétendre forcer Dieu à agir de manière extraordinaire, comme le diable l’a fait en proposant au Christ de se jeter du haut du temps, pour permettre aux anges de le soutenir, alors que Dieu seul est juge des moyens, ordinaires ou extraordinaires, qu’il peut vouloir mettre en œuvre à notre égard. Nicole soutient, après saint Augustin, qu’il n’est pas permis de négliger les moyens ordinaires pour attendre des miracles : p. 420. Ces idées remontent à la septième Visionnaire, 10 avril 1666 (voir Nicole Pierre, Visionnaires, Lettre VII, éd. de Cologne, P. Marteau, 1683, p. 405 sq.).

Boulenger abbé, La doctrine catholique, Seconde partie, La morale, Paris, Vitte, 1941, § 185, p. 53-54. Tenter Dieu, c’est mettre Dieu à l’épreuve, c’est dire ou faire une chose qui le provoque à manifester l’un de ses attributs, puissance, bonté, sagesse, justice. La tentation de Dieu est expresse ou implicite. Expresse ou formelle, quand, par impiété, on doute d’un attribut divin et qu’on en requiert explicitement la manifestation. Implicite quand, sans intention expresse de tenter Dieu, on agit comme si on le tentait. Par exemple un malade qui attend de Dieu sa guérison sans user des remèdes de l’art ; s’exposer au péril sans nécessité en escomptant la protection divine ; le prédicateur qui, pour frapper son auditoire, annonce un miracle ; vouloir juger de l’innocence ou de la culpabilité par l’épreuve du feu, etc. Ces différentes tentations sont plus ou moins répréhensibles selon l’intention de celui qui s’en rend coupable. Il est clair que la tentation qui a pour cause l’incrédulité est autrement grave que celles qui viennent de la curiosité ou de la présomption, ou d’une mauvaise conception de la providence divine.

Mais il s’agit toujours de chercher à forcer la main de Dieu, ou de lui adresser une sorte de défi, au lieu de se soumettre à sa volonté, et d’opérer par soi-même, dans la mesure de ses moyens, les actions salutaires qu’il commande.

Pascal mentionne dans la Pensée n° 8H-19T recto (Laf. 919, Sel. 751), une manière de tenter Dieu qui subsiste au sein même de la prière : C’est me tenter plus que t’éprouver que de penser si tu ferais bien telle et telle chose absente, je la ferai en toi si elle arrive. Laisse-toi conduire à mes règles, vois comme j’ai bien conduit la Vierge et les saints qui m’ont laissé agir en eux.

On trouve dans la Somme théologique de saint Thomas d’Aquin des explications et une discussion détaillées. Voir Somme théologique, IIa IIae, q. XCVII, De tentatione Dei. « Deinde considerandum est de vitiis religioni oppositis per religionis defectum, quae manifestam contrarietatem ad religionem habent, unde sub irreligiositate continentur. Hujusmodi autem sunt ea quae pertinent ad contemptum sive irreverentiam Dei et rerum sacrarum. Primo ergo considerandum est de vitiis quae pertinent directe ad irreverentiam Dei ; secundo, de his quae pertinent ad irreverentiam rerum sacrarum.

Circa primum, considerandum occurrit et de tentatione qua Deus tentatur, et de perjurio, quo nomen Dei irreverenter assumitur.

Circa primum quaeruntur quatuor : 1°, in quo consistit Dei tentatio ; 2°, utrum sit peccatum. 3°, cui virtuti opponatur. 4°, de comparatione ejus ad alia vitia. »

On peut en retenir ces lignes : « Conclusio [...] Respondeo dicendum, quod tentare proprie est experimentum sumere de eo qui tentatur. Sumimus autem experimentum de aliquo, et verbis et factis : verbis quidem, ut experiamur an sciat quod quaerimus, vel an possit aut velit illud implere ; factis autem, cum per ea quae facimus, exploramus alterius prudentiam, vel voluntatem, vel potestatem. Utrumque autem horum contingit dupliciter : uno quidem modo aperte, sicut cum quis tentatorem se profitetur, sicut Samson, Judic. XIV, proposuit Philisthaeis problema ad eos tentandum ; alio vero modo, insidiose et occulte, sicut Pharisaei tentaverunt Christum, ut legitur Matth. XXII. Rursus quandoque quidem expresse, puta cum quis dicto vel facto intendit experimentum sumere de aliquo ; quandoque vero interpretative, quando scilicet etsi hoc non intendat ut experimentum sumat, id tamen agit vel dicit quod ad nihil aliud videtur ordinabile, nisi ad experimentum sumendum. Sic ergo homo tentat Deum quandoque verbis, quandoque factis : verbis quidem Deo colloquimur orando ; unde in sua petitione expresse aliquis Deum tentât, quando ea intentione aliquid a Deo postulat, ut exploret Dei scientiam, potestatem vel voluntatem ; factis autem expresse aliquis Deum tentât, quando per ea quae facit, intendit experimentum sumere divinae potestatis, sive pietatis aut sapientiae ; sed quasi interpretative Deum tentat, qui etsi non intendat experimentum de Deo sumere, aliquid tamen vel petit vel facit ad nihil aliud utile, nisi ad probandam Dei potestatem vel bonitatem, seu cognitionem. »

L’article II explique Utrum tentare Deum sit peccatum ; l’article III, Utrum tentatio Dei opponatur virtuti religionis ; le quatrième Utrum tentatio Dei sit gravius peccatum quam superstitio.

Les pharisiens ont tenté Jésus-Christ : voir Miracles II (Laf. 851, Sel. 432). Volumus signum videre de caelo tentantes eum. Luc. XI, 16. Luc, XI, 16 : « Et d’autres, le voulant tenter, lui demandaient qu’il leur fît voir un prodige dans l’air ».

Le plus audacieux des personnages qui a voulu tenter Dieu est évidemment le démon, lorsqu’il a défié Jésus-Christ de faire des miracles. Voir Marc, I, 12. « Aussitôt après, l’Esprit le poussa dans le désert, 13. Où il demeura quarante jours et quarante nuits. Il y était tenté par Satan ».

Thirouin Laurent, “Tenter ou chercher Dieu ? Une alternative au cœur des Pensées de Pascal”, Revue de langue et littérature françaises, 49, Université de Tokyo, octobre 2016, p. 613-639. Voir p. 620, sur les deux manières symétriques de pratiquer la tentation, la tentation de l’homme par Dieu, et la tentation de Dieu par l’homme. Dieu tente les hommes pour les mettre à l’épreuve, mais il ne l’induit pas en erreur. Quand l’homme tente Dieu, il marque un doute, en refusant d’accorder foi sans disposer d’une garantie supplémentaire : p. 621. L’antonyme de tenter, dans les Pensées, est le verbe chercher : p. 625.

Bremond Henri, Histoire littéraire du sentiment religieux en France, IV, p. 329 sq., a remarqué dans ce passage la « confiance » de Pascal, qui lui paraît d’un esprit autre que le jansénisme.