Miracles II – Fragment n° 3 / 15 – Papier original : RO 119-1
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 441-441 v° / C2 : p. 238-239
Éditions de Port-Royal :
Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 219-220 et 227 / 1678 n° 3 p. 213-214 et n° 8 p. 220-221
Chap. XXVIII - Pensées chrestiennes : 1669 et janv. 1670 p. 271 / 1678 n° 70 p. 263-264
Éditions savantes : Faugère II, 227, XIX / Havet XXIII.3 et 15 ; XXIV.44 ; XXV.149 / Brunschvicg 823, 671, 827 / Tourneur p. 145 / Le Guern 683 / Lafuma 837 à 839 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 424
______________________________________________________________________________________
Bibliographie ✍
Voir la bibliographie générale sur les Miracles. SHIOKAWA Tetsuya, Pascal et les miracles, Paris, Nizet, 1977. |
✧ Éclaircissements
S’il n’y avait point de faux miracles, il y aurait certitude.
S’il n’y avait point de règle pour les discerner, les miracles seraient inutiles et il n’y aurait point de raison de croire.
Or il n’y a pas humainement de certitude humaine, mais raison.
S'il n'y avait point de faux miracles il y aurait certitude : Pascal applique ici la méthode d’autorité. L’argument repose sur le principe implicite que la foi exclut la certitude rationnelle, puisqu’elle est engendrée par la grâce dans le cœur. Une thèse qui implique qu’il « y ait certitude » doit donc être exclue. Or s’il était sûr qu’il n’existe pas de faux miracle, et s’il n’y avait que de vrais, on en conclurait avec certitude la vérité des miracles, et par suite il n’y aurait pas de place pour l’hésitation, ce qui supprimerait la croyance de foi. Par conséquent l’existence des faux miracles est paradoxalement nécessaire et ne constitue pas une objection à la foi chrétienne.
Voir Shiokawa Tetsuya, Pascal et les miracles, p. 152 sq., sur le problème du discernement des miracles, et p. 171, sur l’ambiguïté inhérente à l’état de foi. Renvoi à la Provinciale XVI sur l'eucharistie.
Miracles II (Laf. 835, Sel. 423). Les prophéties, les miracles mêmes et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu'on puisse dire qu'ils sont absolument convaincants, mais ils le sont aussi de telle sorte qu'on ne peut dire que ce soit être sans raison que de les croire. Ainsi il y a de l'évidence et de l'obscurité pour éclairer les uns et obscurcir les autres, mais l'évidence est telle qu'elle surpasse ou égale pour le moins l'évidence du contraire, de sorte que ce n'est pas la raison qui puisse déterminer à ne la pas suivre, et ainsi ce ne peut être que la concupiscence et la malice du cœur. Et par ce moyen il y a assez d'évidence pour condamner, et non assez pour convaincre, afin qu'il paraisse qu'en ceux qui la suivent c'est la grâce et non la raison qui fait suivre, et qu'en ceux qui la fuient c'est la concupiscence et non la raison qui fait fuir.
Mais les miracles servent à discerner la vérité. Voir le fragment Miracles II (Laf. 832, Sel. 421) et son commentaire : Commencement. Les miracles discernent la doctrine et la doctrine discerne les miracles. Il y a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connaître, autrement ils seraient inutiles. Or ils ne sont pas inutiles, et sont au contraire fondement. Or il faut que la règle qu’il nous donne soit telle qu’elle ne détruise la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité qui est la fin principale des miracles.
L’autorité intervient à ce point du raisonnement.
Les miracles sont fondement : si l’on ne dispose pas d’un critère de discernement qui permette de reconnaître les vrais miracles, ceux-ci ne peuvent servir de preuve à la religion chrétienne. Mais il ne peut en aller ainsi, car l’Écriture et la tradition font des miracles des preuves fondamentales de la vérité de la religion chrétienne. Elle dit clairement que les miracles servent à reconnaître la vérité. Voir le fragment Miracles II (Laf. 854, Sel. 434). Si vous ne croyez en moi croyez au moins aux miracles. Il les renvoie comme au plus fort.
Par conséquent ils ne sont pas inutiles. Bien plus, l’Écriture et la tradition font des miracles sont un fondement de la religion chrétienne, c’est-à-dire des preuves fondamentales de la vérité de la religion chrétienne.
Mais pour que les miracles ne soient pas inutiles, il faut qu’il existe des règles pour sortir du doute et distinguer les vrais miracles des faux.
Selon le fragment Miracles II (Laf. 832, Sel. 421), Moïse en a donné deux, que la prédiction n’arrive pas (Deutér.,18) et qu’ils ne mènent point à l’idolâtrie (Deut., 13), et Jésus-Christ une.
Mais selon le même fragment, il faut que la règle qu’il nous donne soit telle qu’elle ne détruise la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin principale des miracles.
-------
Les Juifs, qui ont été appelés à dompter les nations et les rois, ont été esclaves du péché, et les chrétiens, dont la vocation a été à servir et à être sujets, sont les enfants libres.
Les Juifs qui ont été appelés à dompter les nations et les rois ont été esclaves du péché et les chrétiens dont la vocation a été à servir et à être sujets sont les enfants libres : voir Saint Paul, Ep. Rom., VII, 4, « Car nous savons que la loi est spirituelle, et moi je suis charnel, vendu comme esclave au péché ».
-------
Jug., 13, 23. Si le Seigneur nous eût voulu faire mourir il ne nous eût pas montré toutes ces choses.
Juges, XIII, 23 : « Cui respondit mulier si Dominus nos vellet occidere de manibus nostris holocaustum et libamenta non suscepisset nec ostendisset nobis haec omnia neque ea quae sunt ventura dixisset. »
Tr. de Port-Royal : « 23. Sa femme lui répondit : Si l'Éternel eût voulu nous faire mourir, il n'aurait pas pris de nos mains l'holocauste et l'offrande, il ne nous aurait pas fait voir tout cela, et il ne nous aurait pas maintenant fait entendre pareilles choses. »
-------
Ézéchias, Sennachérib.
Ézéchias, roi de Juda, fils et successeur d’Achaz. Il monte sur le trône en 725 avant Jésus-Christ et meurt en 696. Son histoire est contée dans le quatrième Livre des rois et au second des Paralipomènes (XXIX-XXXII). Sage et pieux, il suivit les conseils des prophètes Isaïe et Michée, fit prospérer le commerce et l’agriculture, fortifia Jérusalem, remplit le trésor royal et fit orner le temple. Après avoir renversé les idoles auxquelles avait sacrifié son père, il célébra la fête de Pâques avec une grande magnificence, et rendit son ancienne dignité au culte du vrai Dieu. Par son ordre, des hommes instruits recueillirent les différents monuments de la littérature nationale. Ayant tenté une première fois de secouer le joug de l’Assyrie, il dut céder au nombre et livrer à l’ennemi les trésors du temple. L’intervention miraculeuse du prophète Isaïe le sauva d’une maladie mortelle, et il célébra sa délivrance dans un cantique écrit de sa main, Isaïe XXXVIII, 9-21. À la mort du roi d’Assyrie, Sargon, il se révolta contre son successeur Sennachérib, avec le secours du roi d’Égypte. Ézéchias mourut après un règne de 29 ans.
Sennachérib : IVe Livre des Rois (IIe livre des Rois dans les éditions modernes), XIX, 35. Isaïe prédit à Ézéchias, roi de Juda, que Dieu sauverait Jérusalem de l’orgueilleuse puissance du roi des Assyriens Sennachérib, et « cette même nuit l’ange du Seigneur vint dans le camp des Assyriens, y tua cent-quatre-vingt-cinq mille hommes ; et Sennachérib, roi des Assyriens, s’étant levé au point du jour, vit tous ces corps morts et il s’en retourna aussitôt ».
La signification de cet épisode est commentée par Sacy dans la note du verset 34 du chapitre XIX, dans Les deux derniers livres des rois, Paris, 1714, p. 758-759.
-------
Jérémie. Hananias, faux prophète meurt le septième mois.
Hananias (ou Ananias) est un prophète de Gabaon, qui fit une prophétie fallacieuse sur la fin proche de Nabuchodonosor, à laquelle Jérémie répondit, conformément à ce que Yahvé lui ordonna de dire (XXVII, 4 sq.) : « Vous avez brisé des chaînes de bois ; mais j’ai dit à Jérémie : Vous en ferez d’autres qui seront de fer. 14. Car voici ce que dit le Seigneur des armées, le Dieu d’Israël : J’ai mis un joug de fer sur le cou de tous ces peuples, afin qu’ils soient assujettis à Nabuchodonosor, roi de Babylone, et ils lui seront assujettis, et je lui ai abandonné encore les bêtes de la campagne. 15. Et le prophète Jérémie dit au prophète Hananias, Hananias, écoutez-moi : Le Seigneur ne vous a point envoyé, et cependant vous avez fait que ce peuple a mis sa confiance dans le mensonge. 16. C’est pourquoi voici ce que dit le Seigneur : Je vous exterminerai de dessus la terre, et vous mourrez cette année même, parce que vous avez parlé contre le Seigneur. 187. Et le prophète Hananias mourut cette année-là au septième mois ».
Voir Miracles II (Laf. 856, Sel. 436). Contestation. [...] Jérémie, Ananias. [...]. Toujours le vrai prévaut en miracles.
Voir le commentaire de la Bible de Port-Royal sur cet épisode, qui le met en rapport avec l’annonce par saint Paul de la cécité qui s’abattit sur le faux prophète Élymas, Actes des Apôtres, XIII, 9-11.
-------
2, Mach., 3. le temple prêt à piller, secouru miraculeusement.
Prêt à piller : entendre l’infinitif comme un substantif, au sens de prêt au pillage. Voir l’analyse des manuscrits.
Macchabées : sur II Macchabées, III, 7 sq.
Héliodore, envoyé par le roi pour saisir les trésors qui sont dans le Temple, y entre malgré l’opposition du grand prêtre Onias. Il va les emporter de force, lorsqu’il est arrêté par trois apparitions qui le frappent et le renversent inanimé. Versets 24 et suivants : « L’Esprit de Dieu tout-puissant se fit voir alors par des marques bien sensibles, en sorte que tous ceux qui avaient osé obéir à Héliodore étant renversés par une vertu divine, furent frappés tout d’un coup d’une frayeur qui les mis tout hors d’eux-mêmes. 25. Car ils virent paraître un cheval, sur lequel était monté un homme terrible, habillé magnifiquement ; et qui fondant avec impétuosité sur Héliodore, le frappa en lui donnant plusieurs coups des deux pieds de devant : or celui qui était monté dessus semblait avoir des armes d’or. 26. Deux autres jeunes hommes parurent en même temps, pleins de force et de beauté, brillants de gloire, et richement vêtus, qui se tenant aux deux côtés d’Héliodore, le fouettaient chacun de leur côté, et le frappaient sans relâche. 27. Héliodore tomba donc tout d’un coup par terre, étant tout enveloppé d’obscurité et de ténèbres ; et ayant été mis dans une chaise, on l’emporta de là, et on le chassa hors du temple. 28. Ainsi celui qui était entré dans le trésor avec un grand nombre d’archers et de gardes, était emporté sans que personne le pût secourir, la vertu de Dieu s’étant fait connaître manifestement ».
2, Mach., 15.
Sur II Macchabées, XV : Dieu secourt Judas Macchabée et lui donne la victoire contre le blasphémateur Nicanor malgré la disproportion des forces. Au même chapitre XV du deuxième livre des Macchabées, v. 22, est rappelée la défaite de Sennachérib au temps du roi Ézéchias.
Deuxième livre des Macchabées, XV, 25-29. « Cependant Nicanor marchait avec son armée au son des trompettes, et au bruit des voix qui s’animaient au combat. 26. Mais Judas et ceux qui étaient avec lui ayant invoqué Dieu, combattirent par leurs oraisons. 27. Ainsi priant le Seigneur au fond de leur cœur, en même temps qu’ils chargeaient les ennemis l’épée à la main, ils tuèrent trente-cinq mille hommes, se sentant comblés de joie par le présence de Dieu. 28. Le combat étant fini, lorsqu’ils retournaient pleins d’allégresse, ils reconnurent que Nicanor était tombé mort, couvert de ses armes. 29. Et aussitôt ayant jeté un grand cri, et un bruit de voix confuses s’étant élevé, ils bénirent le Seigneur tout-puissant avec des paroles dignes de leurs pères. »
-------
3, Rois, 17. La veuve à Élie qui avait ressuscité l’enfant. Par là je connais que tes paroles sont vraies.
3. Rois. XVII. La veuve à Élie : voir le verset 24, « La femme répondit à Élie : je reconnais maintenant après cette action que vous êtes un homme de Dieu, et que la parole du Seigneur est véritable dans votre bouche ».
-------
3, Rois, 18. Élie avec les prophètes de Baal.
3. Rois. XVIII. Élie avec les prophètes de Baal : dans la confrontation qui, devant Achab, oppose Élie, unique prophète du Dieu d’Israël, et les 450 prophètes de Baal, c’est un miracle qui tranche : le feu du ciel tombe sur le bûcher préparé par Élie pour le sacrifice, tandis que rien n’a enflammé celui des sectateurs de l’idole. Voir la lutte entre Élie et les 450 prêtres de Baal dans les versets 20-40.
Miracles II (Laf. 856, Sel. 436). Contestation. [...] Élie, faux prophètes. [...]. Toujours le vrai prévaut en miracles.
-------
Jamais en la contention du vrai Dieu, de la vérité de la religion, il n’est arrivé de miracle du côté de l’erreur et non de la vérité.
Miracles II (Laf. 840, Sel. 425). Jamais en une dispute publique où les deux partis se disent à Dieu, à Jésus-Christ, à l’Église, les miracles ne sont du côté des faux chrétiens, et l’autre côté sans miracle.
Pascal approche ici de trouver un critère solide de distinction et d’interprétation des miracles. Dans une situation où le doute est inévitable, faute de pouvoir discerner entre les partis, Dieu évite de donner des signes qui favoriseraient l’erreur.
Il reste encore à Pascal à justifier ce principe qui pourrait autrement passer pour une affirmation gratuite. C’est ce qu’il fera dans le fragment Miracles II (Laf. 840, Sel. 428) : Il y a un devoir réciproque entre Dieu et les hommes. Il faut pardonner ce mot, quod debui ; Accusez-moi, dit Dieu dans Isaïe. [...] Dieu doit accomplir ses promesses, etc. Les hommes doivent à Dieu de recevoir la religion qu’il leur envoie. Dieu doit aux hommes de ne les point induire en erreur. Or ils seraient induits en erreur si les faiseurs [de] miracles annonçaient une doctrine qui ne paraît pas visiblement fausse aux lumières du sens commun, et si un plus grand faiseur de miracles n’avait déjà averti de ne les pas croire. Ainsi s’il y avait division dans l’Église et que les ariens par exemple, qui se disaient fondés en l’Écriture comme les catholiques, eussent fait des miracles, et non les catholiques on eût été induit en erreur.