Miracles II  – Fragment n° 1 / 15 – Papier original : RO 235-3 et 237-1 (feuille découpée post mortem)

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 192 p. 439 à 441 / C2 : p. 235 à 237

Éditions de Port-Royal : Chap. XXVII - Pensées sur les miracles : 1669 et janv. 1670 p. 219-221 et 229-231 / 1678 n° 1 à 4 p. 213-215 et n° 15, 12, 13, 11 p. 222-224

Éditions savantes : Faugère II, 213, I ; II, 159, XXXIV ; II, 228-229, XX et XXI  / Havet XXIII.1, 4, 22, 18 / Brunschvicg 803, 487, 826 / Tourneur p. 141 / Le Guern 680-681 / Lafuma 832 à 834 (série XXXIII, notée XXXII par erreur) / Sellier 421 et 422

 

 

 

Commencement.

 

Les miracles discernent la doctrine, et la doctrine discerne les miracles.

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Il y a de faux et de vrais. Il faut une marque pour les connaître, autrement ils seraient inutiles.

Or ils ne sont pas inutiles et sont au contraire fondement. Or il faut que la règle qu’il nous donne soit telle qu’elle ne détruise la preuve que les vrais miracles donnent de la vérité, qui est la fin principale des miracles.

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Moïse en a donné deux, que la prédiction n’arrive pas (Deutér.,18) et qu’ils ne mènent point à l’idolâtrie (Deut., 13), et Jésus-Christ une.

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Si la doctrine règle les miracles, les miracles sont inutiles pour la doctrine.

Si les miracles règlent...

 

Objection à la règle.

 

Le discernement des temps, autre règle durant Moïse, autre règle à présent.

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Toute religion est fausse qui, dans sa foi, n’adore pas un Dieu comme principe de toutes choses et qui, dans sa morale, n’aime pas un seul Dieu comme objet de toutes choses.

 

Raison pourquoi on ne croit point.

Joh. 12. 37 :

Cum autem tanta signa fecisset non credebant in eum.

Ut sermo Isaiae impleretur : Excaecavit,etc.

Haec dixit Isaias quando vidit gloriam ejus et locutus est de eo.

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Judaei signa petunt et Graeci sapientiam quaerunt.

Nos autem Jesum crucifixum.

Sed plenum signis, sed plenum sapientia.

Vos autem Christum, non crucifixum, et religionem sine miraculis et sine sapientia.

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Ce qui fait qu’on ne croit pas les vrais miracles est le manque de charité.

Joh. Sed vos non creditis quia non estis ex ovibus.

 

Ce qui fait croire les faux est le manque de charité.

2. Thess., 2.

 

Fondement de la religion.

 

C’est les miracles. Quoi donc ! Dieu parle‑t‑il contre les miracles, contre les fondements de la foi qu’on a en lui ?

 

Moïse a prédit Jésus-Christ et ordonné de le suivre.

Jésus-Christ a prédit l’Antéchrist et défendu de le suivre.

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S’il y a un Dieu, il fallait que la foi de Dieu fût sur la terre. Or les miracles de Jésus-Christ ne sont pas prédits par l’Antéchrist, mais les miracles de l’Antéchrist sont prédits par Jésus-Christ. Et ainsi, si Jésus-Christ n’était pas le Messie, il aurait bien induit en erreur, mais l’Antéchrist ne peut bien induire en erreur.

Quand Jésus-Christ a prédit les miracles de l’Antéchrist, a‑t‑il cru détruire la foi de ses propres miracles ?

 

Il était impossible qu’au temps de Moïse on réservât sa créance à l’Antéchrist qui leur était inconnu, mais il est bien aisé, au temps de l’Antéchrist, de croire en Jésus-Christ déjà connu.

 

Il n’y a nulle raison de croire en l’Antéchrist qui ne soit à croire en Jésus-Christ, mais il y en a en Jésus-Christ qui ne sont pas en l’autre.

 

 

Notes elliptiques sur la foi que l’on doit aux miracles.

 

Cum autem tanta signa fecisset non credebant in eum : Mais quoiqu’il eût fait tant de miracles devant eux ils ne croyaient point en lui.

Ut sermo Isaiae impleretur : Excaecavit : Afin que cette parole du prophète Isaïe fût accomplie : [...] Il a aveuglé leurs yeux.

Haec dixit Isaias quando vidit gloriam ejus et locutus est de eo : Isaïe a dit ces choses, lorsqu’il a vu sa gloire et qu’il a parlé de lui.

Judaei signa petunt et graeci sapientiam quaerunt : Les Juifs demandent des miracles, et les Grecs cherchent la sagesse.

Nos autem Jesum crucifixum : Tandis que vous, [vous prêchez] un Christ non crucifié.

Sed plenum signis, sed plenum sapientia : Mais plein de signes, mais plein de sagesse.

Vos autem Christum, non crucifixum, et religionem sine miraculis et sine sapientia : Mais vous vous voulez un Christ non crucifié, et une religion sans miracles et sans sagesse.

Sed vos non creditis quia non estis ex ovibus : Mais pour vous, vous ne croyez pas, parce que vous n’êtes pas mes brebis.

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182)Il faut que pour rendre l’homme heureux elle lui montre qu’il y a un Dieu, qu’on est obligé de l’aimer, que notre vraie félicité est d’être en lui, et notre unique mal d’être séparé de lui, qu’elle reconnaisse que nous sommes pleins de ténèbres qui nous empêchent de le connaître et de l’aimer, et qu’ainsi nos devoirs nous obligeant d’aimer Dieu et nos concupiscences nous en détournant nous sommes pleins d’injustice. Il faut qu’elle nous rende raison de ces oppositions que nous avons à Dieu et à notre propre bien. Il faut qu’elle nous enseigne les remèdes à ces impuissances et les moyens d’obtenir ces remèdes.

Loi figurative 25 (Laf. 270, Sel. 301). Figures.

Prophéties VIII (Laf. 502, Sel. 738). Or la dernière fin est ce qui donne le nom aux choses ; tout ce qui nous empêche d’y arriver est appelé ennemi. Ainsi les créatures, quoique bonnes, seront ennemies des justes quand elles les détournent de Dieu, et Dieu même est l’ennemi de ceux dont il trouble la convoitise.

Pensées diverses (Laf. 734, Sel. 615). Ayant considéré d’où vient qu’on ajoute tant de foi à tant d’imposteurs qui disent qu’ils ont des remèdes jusques à mettre souvent sa vie entre leurs mains, il m’a paru que la véritable cause est qu’il y en a de vrais. Car il ne serait pas possible qu’il y en eût tant de faux et qu’on y donnât tant de créance s’il n’y en avait de véritables. Si jamais il n’y eût eu remède à aucun mal et que tous les maux eussent été incurables, il est impossible que les hommes se fussent imaginé qu’ils en pourraient donner, et encore plus que tant d’autres eussent donné créance à ceux qui se fussent vantés d’en avoir. De même que si un homme se vantait d’empêcher de mourir, personne ne le croirait parce qu’il n’y a aucun exemple de cela. Mais comme il y [a] eu quantité de remèdes qui se sont trouvés véritables par la connaissance même des plus grands hommes, la créance des hommes s’est pliée par là. Et cela s’étant connu possible, on a conclu de là que cela était, car le peuple raisonne ordinairement ainsi : une chose est possible, donc elle est. Parce que la chose ne pouvant être niée en général puisqu’il y a des effets particuliers qui sont véritables, le peuple, qui ne peut pas discerner quels d’entre ces effets particuliers sont les véritables, les croit tous. De même ce qui fait qu’on croit tant de faux effets de la lune c’est qu’il y en a de vrais comme le flux de la mer. Il en est de même des prophéties, des miracles, des divinations par les songes, des sortilèges, etc. Car si de tout cela il n’y avait jamais eu rien de véritable, on n’en aurait jamais rien cru et ainsi, au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles parce qu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a certainement de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’y en a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais. Il faut raisonner de la même sorte pour la religion car il ne serait pas possible que les hommes se fussent imaginé tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. L’objection à cela c’est que les sauvages ont une religion, mais on répond à cela que c’est qu’ils en ont ouï parler comme il paraît par le déluge, la circoncision, la croix de saint André, etc.

Pensées diverses (Laf. 735, Sel. 616). Ayant considéré d’où vient qu’il y a tant de faux miracles, de fausses révélations, sortilèges, etc., il m’a paru que la véritable cause est qu’il [y] en a de vrais. Car il ne serait pas possible qu’il y eût tant de faux miracles s’il n’y en avait de vrais, ni tant de fausses révélations s’il n’y en avait de vraies, ni tant de fausses religions s’il n’y en avait une véritable. Car s’il n’y avait jamais eu de tout cela, il est comme impossible que les hommes se le fussent imaginé, et encore plus impossible que tant d’autres l’eussent cru. Mais comme il y a eu de très grandes choses véritables et qu’ainsi elles ont été crues par de grands hommes, cette impression a été cause que presque tout le monde s’est rendu capable de croire aussi les fausses. Et ainsi, au lieu de conclure qu’il n’y a point de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, il faut dire au contraire qu’il y a de vrais miracles puisqu’il y en a tant de faux, et qu’il n’y en a de faux que par cette raison qu’il y en a de vrais, et qu’il n’y a de même de fausses religions que parce qu’il y en a une vraie. L’objection à cela : que les sauvages ont une religion. Mais c’est qu’ils ont ouï parler de la véritable, comme il paraît par la croix de saint André, le Déluge, la circoncision, etc.

Miracles I (Laf. 830, Sel. 419). Questionnaire adressé à Barcos.

Miracles II (Laf. 835, Sel. 423). Les prophéties, les miracles mêmes et les preuves de notre religion ne sont pas de telle nature qu’on puisse dire qu’ils sont absolument convaincants, mais ils le sont aussi de telle sorte qu’on ne peut dire que ce soit être sans raison que de les croire. Ainsi il y a de l’évidence et de l’obscurité pour éclairer les uns et obscurcir les autres, mais l’évidence est telle qu’elle surpasse ou égale pour le moins l’évidence du contraire, de sorte que ce n’est pas la raison qui puisse déterminer à ne la pas suivre, et ainsi ce ne peut être que la concupiscence et la malice du cœur. Et par ce moyen il y a assez d’évidence pour condamner, et non assez pour convaincre, afin qu’il paraisse qu’en ceux qui la suivent c’est la grâce et non la raison qui fait suivre, et qu’en ceux qui la fuient c’est la concupiscence et non la raison qui fait fuir.

Miracles II (Laf. 837, Sel. 424). S’il n’y avait point de faux miracles il y aurait certitude.

S’il n’y avait point de règle pour les discerner les miracles seraient inutiles et il n’y aurait point de raison de croire.

Or il n’y a pas humainement de certitude humaine, mais raison.

Miracles II (Laf. 840, Sel. 428). Les miracles sont pour la doctrine et non pas la doctrine pour les miracles.

[...]

Règle.

Il faut juger de la doctrine par les miracles, il faut juger des miracles par la doctrine. Tout cela est vrai mais cela ne se contredit pas. Car il faut distinguer les temps.

Miracles II (Laf. 846, Sel. 429). Jésus-Christ a vérifié qu’il était le Messie, jamais en vérifiant sa doctrine sur l’Écriture ou les prophéties, et toujours par ses miracles. Il prouve qu’il remet les péchés par un miracle.

[...]

Nicodème reconnaît par ses miracles que sa doctrine est de Dieu. Scimus quia venisti a Deo magister, nemo enim potest facere quae tu facis nisi Deus fuerit cum illo. Il ne juge pas des miracles par la doctrine, mais la doctrine par les miracles.

Miracles II (Laf. 854, Sel. 434). Si vous ne croyez en moi croyez au moins aux miracles. Il les renvoie comme au plus fort.

 

Copie d’un fragment joint au Recueil RC2 (Laf. 974, Sel. 771). Comme la paix dans les États n’a pour objet que de conserver les biens des peuples en assurance, de même la paix dans l’Église n’a pour objet que de conserver en assurance la vérité qui est son bien, et le trésor où est son cœur. Et comme ce serait aller contre la fin de la paix que de laisser entrer les étrangers dans un État pour le piller, sans s’y opposer, de crainte d’en troubler le repos (parce que la paix n’étant juste et utile que pour la sûreté du bien elle devient injuste et pernicieuse, quand elle le laisse perdre, et la guerre qui le peut défendre devient et juste et nécessaire) ; de même, dans l’Église, quand la vérité est offensée par les ennemis de la foi, quand on veut l’arracher du cœur des fidèles pour y faire régner l’erreur, de demeurer en paix alors, serait-ce servir l’Église, ou la trahir ? serait-ce la défendre ou la ruiner ? Et n’est-il pas visible que, comme c’est un crime de troubler la paix où la vérité règne, c’est aussi un crime de demeurer en paix quand on détruit la vérité ? Il y a donc un temps où la paix est juste et un autre où elle est injuste. Et il est écrit qu’il y a temps de paix et temps de guerre, et c’est l’intérêt de la vérité qui les discerne. Mais il n’y a pas temps de vérité, et temps d’erreur, et il est écrit, au contraire, que la vérité de Dieu demeure éternellement ; et c’est pourquoi Jésus-Christ, qui dit qu’il est venu apporter la paix, dit aussi qu’il est venu apporter la guerre ; mais il ne dit pas qu’il est venu apporter et la vérité et le mensonge. La vérité est donc la première règle et la dernière fin des choses.

 

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