Fragment Commencement n° 7 / 16 – Papier original : RO 61-9

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : Commencement n° 220 p. 77 v° / C2 : p. 104

Éditions savantes : Faugère I, 221, CXL / Havet XXIV.101 / Brunschvicg 225 / Tourneur p. 226-2 / Le Guern 146 / Lafuma 157 / Sellier 189

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Bibliographie

 

FLOTTES Abbé J.-B.-M., Études sur Pascal, Montpellier, 1846, p. 114 sq.

GEF XIII, p. 135-136. Sur Desmolets, Mémoires de littérature et d’histoire, V.

MESNARD Jean, Les Pensées de Pascal, 2e éd., Paris, SEDES-CDU, 1993.

 

Éclaircissements

 

Athéisme marque de force d’esprit, mais jusqu’à un certain degré seulement.

 

Flottes Abbé, Études sur Pascal, p. 114 sq. Remarque sur la faute de lecture de Desmolets. Il interprète le fragment autrement. « Pascal dit ailleurs : « Il faut une grandeur extraordinaire d’âme pour y arriver (à un certain genre de mal), aussi bien qu’au bien ». Pascal pouvait donc appliquer cette pensée au mal de l’athéisme, et le proclamer « une marque de force d’esprit, mais jusqu’à un certain point seulement ». L’idée de Dieu a de fortes et profondes racines dans notre esprit. Le penchant qui nous porte à y adhérer est presque invincible. La vue de cette idée n’est pas moins puissante que tous les raisonnements. L’athée donne donc une marque de force d’esprit jusqu’à un certain degré, lorsqu’il se fait violence pour résister à ce penchant, lorsqu’il ferme les yeux à cette vive lumière ». Cette interprétation est difficilement conciliable avec la doctrine du Dieu qui se cache, puisqu’elle repose sur l’hypothèse que l’idée de Dieu s’impose de façon presque invincible à l’esprit de l’homme. Du reste, l’abbé Flottes montre que la lecture manque fournit aussi un sens compatible avec les idées de Pascal.

Charron Pierre, Les trois vérités, Ie vérité, ch. 3. « Cette espèce d’athéisme, première, insigne, formée et universelle, ne peut loger qu’en une âme extrêmement forte et hardie. Illi robur (aes et triplex circa pectus erat) - forcenée et maniacle. Certes il semble bien qu’il faut autant et peut-être plus de force et de roideur d’âme à rebuter et résolument se dépouiller de l’appréhension et créance de Dieu comme à bien et constamment se retenir ferme à lui » ; voir GEF XIII, p. 136.

Le degré que Pascal a en vue est donné par le fragment Soumission 4 (Laf. 170, Sel. 201). Soumission. Il faut savoir douter où il faut, assurer où il faut, en se soumettant où il faut. Qui ne fait ainsi n’entend pas la force de la raison. Il y [en] a qui faillent contre ces trois principes, ou en assurant tout comme démonstratif, manque de se connaître en démonstration, ou en doutant de tout, manque de savoir où il faut se soumettre, ou en se soumettant en tout, manque de savoir où il faut juger.

On peut aussi renvoyer aux fragments

Soumission 16 (Laf. 182, Sel. 213). Il n’y a rien de si conforme à la raison que ce désaveu de la raison.

Soumission 23 (Laf. 188, Sel. 220). La dernière démarche de la raison est de reconnaître qu’il y a une infinité de choses qui la surpassent, elle n’est que faible si elle ne va jusqu’à connaître cela. Que si les choses naturelles la surpassent, que dira-t-on des surnaturelles ?

 

 Thème inverse  : crédulité et sottise des chrétiens

 

Ce fragment répond, d’une certaine manière, à un argument ordinaire dans les milieux des « libertins », contre la crédulité des chrétiens et la sottise du peuple en général. Pascal concède aux libertins qu’ils font en effet preuve d’une certaine force d’esprit, puisqu’ils évitent de tomber dans la superstition (qui sera dénoncée dans Soumission et usge de la raison), mais il impose à cette force une borne qui leur interdit de dépasser le stade de la demi-habileté.

Adam Antoine, Les libertins, p. 35. Une certaine bigarrure d’esprit, selon Garasse, porte les libertins au mépris de toute chose. Voir les Quatrains du déiste, n° 51, p. 98. La sottise du peuple tient en ce qu’il croit aveuglément ce que tout le monde dit, et qui provient des inventions des devanciers. Voir p. 124 : sur La Mothe Le Vayer, De la divinité, l’exemple du l’écartement d’esprit, “façon de philosopher indépendante”, contre le torrent de la multitude.

Adam Antoine, Les libertins au XVIIe siècle, Paris, Buchet-Chastel, 1964, p. 123, sur La Mothe le Vayer, De la divinité ; et p. 145, sur Naudé  : si les impostures des législateurs réussissent, c’est que le peuple est stupide : il est inconstant et variable ; il n’approuve que des folies et croit n’importe quoi ; il ne profite pas de l’expérience  : p. 146. Julien Eymard d’Angers, Pascal et ses précurseurs. L’apologétique en France de 1580 à 1670, Nouvelles Éditions Latines, Paris, 1954, p. 23. Ninon de Lenclos, sur la religion, marque d’un esprit borné.

Mersenne Marin, L’Impiété des déistes, athées et libertins de ce temps, combattue et renversée de point en point par raisons tirées de la philosophie, et de la théologie, ensemble la réfutation du Poème des Déistes, 2 tomes, Paris, Billaine, 1624.

Charles-Daubert Françoise, Les libertins érudits en France au XVIIe siècle, p. 56. Selon La Mothe le Vayer, la religion est mors pour « emboucher le sot peuple », utilisé par des prêtres imposteurs. Il oppose les esprits forts au troupeau. Argumentum mihi pessimi turba est : p. 44. Idée de Charron sur la sottise du peuple  : p. 45. Opposition des déniaisés aux esprits populaires selon Naudé  : p. 46.

Foucault Didier, Un philosophe libertin dans l’Europe baroque, Giulio Cesare Vanini (1585-1619), Paris, Champion, 2003, p. 623 sq. La plèbe crédule et abusée. Sur la religion  : p. 623.

Pintard René, Le libertinage érudit dans la première moitié du XVIIe siècle, Boivin, Paris, 1943, p. 449. Naudé contre les esprits moutoniques.

Adam Antoine, Théophile de Viau et la libre-pensée française en 1620, Droz, Paris, 1935 ; Genève, Slatkine reprints, 1965, p. 305. Sorel et Francion : dédain combatif et presque hargneux pour ce que pense le grand nombre et la « sagesse du monde ».

Giocanti Sylvia, “La perte du sens commun dans l’œuvre de La Mothe Le Vayer”, in Libertinage et philosophie au XVIIe siècle, p. 29. Abomination de La Mothe Le Vayer pour la multitude infectée par l’opinion et l’opiniâtreté  : p. 29.

 

 Après Pascal

 

La Bruyère, Caractères, 2 (VI). « Le docile et le faible sont susceptibles d’impressions : l’un en reçoit de bonnes, l’autre de mauvaises ; c’est-à-dire que le premier est persuadé et fidèle, et que le second est entêté et corrompu. Ainsi l’esprit docile admet la vraie religion ; et l’esprit faible, ou n’en admet aucune, ou en admet une fausse. Or l’esprit fort ou n’a point de religion, ou se fait une religion ; donc l’esprit fort, c’est l’esprit faible. »