Règle de la créance  – Fragment n° 5 / 8 – Papier original : RO 295-3

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 81 p. 313 v°  / C2 : p. 407

Éditions savantes : Faugère II, 404 / Brunschvicg 364 / Tourneur p. 61-2 / Le Guern 461 / Lafuma 508 (série XX) / Sellier 676

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Bibliographie

 

 

CROQUETTE Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, Genève, Droz, 1974, p. 50.

 

 

Éclaircissements

 

Rarum est enim ut satis se quisque vereatur. Sen.

 

Croquette Bernard, Pascal et Montaigne. Étude des réminiscences des Essais dans l’œuvre de Pascal, p. 50.

Rarum est enim ut satis se quisque vereatur : « Il est rare, en effet, qu’on se respecte assez soi-même », Quintilien, Institution oratoire, X, 7. Citation littérale.

Texte pris à Montaigne, Essais, I, 38, De la solitude, éd. de 1658, p. 160, éd. Balsamo, p. 246. « Il est temps de nous dénouer de la société, puisque nous n’y pouvons rien apporter. Et qui ne peut prêter, qu’il se défende d’emprunter. Nos forces nous faillent : retirons-les, et resserrons en nous. Qui peut renverser et confondre en soi les offices de tant d’amitiés, et de la compagnie, qu’il le fasse. En cette chute, qui le rend inutile, pesant, et importun aux autres, qu’il se garde d’être importun à soi-même, et pesant et inutile. Qu’il se flatte et caresse, et sur tout se régente, respectant et craignant sa raison et sa conscience : si qu’il ne puisse sans honte, broncher en leur présence. Rarum est enim, ut satis se quisque vereatur. » La citation se trouve intégrée dans un contexte qui n’a pas grand chose de commun avec celui de Quintilien, qui traite de la méthode d’improvisation chez l’orateur, qui doit s’exercer à parler devant des personnes qu’il estime.

Le mot barré est Sen, pour Sénèque. C’est, comme dans le fragment précédent, une référence fausse qui a été supprimée, mais non remplacée par la référence exacte. L’erreur est imputable à l’édition de 1652, qui donne en marge : « C’est chose rare, que chacun se respecte soi-même suffisamment. Seneca. » Comme dans les cas précédents, Pascal n’est sans doute pas remonté à l’original.

Ce fragment peut être interprété comme un contrepoids à ce que Pascal a écrit ailleurs sur le moi. S’il est mauvais de laisser libre cours à la tyrannie du moi, il ne faut pas en revanche tomber dans le mépris et la haine de soi.

Laf. 597, Sel.494. Le moi est haïssable. Vous Miton le couvrez, vous ne l’ôtez point pour cela. Vous êtes donc toujours haïssable. Point, car en agissant comme nous faisons obligeamment pour tout le monde on n’a plus sujet de nous haïr. Cela est vrai, si on ne haïssait dans le moi que le déplaisir qui nous en revient. Mais si je le hais parce qu’il est injuste qu’il se fait centre de tout, je le haïrai toujours. En un mot le moi a deux qualités. Il est injuste en soi en ce qu’il se fait centre de tout. Il est incommode aux autres en ce qu’il les veut asservir, car chaque moi est l’ennemi et voudrait être le tyran de tous les autres. Vous en ôtez l’incommodité, mais non pas l’injustice. Et ainsi vous ne le rendez pas aimable à ceux qui en haïssent l’injustice. Vous ne le rendez aimable qu’aux injustes qui n’y trouvent plus leur ennemi. Et ainsi vous demeurez injuste, et ne pouvez plaire qu’aux injustes.

C’est en ce sens que le scepticisme conduit à la conscience excessive de la misère, au mépris et à la haine de soi et au désespoir. Le discours que Pascal prête à l’incrédule dans le fragment Preuves par discours II (Laf. 427, Sel. 681), trahit une indifférence à soi-même qui est un premier pas en ce sens.

Contrariétés 6 (Laf. 123, Sel. 156). Contradiction, mépris de notre être, mourir pour rien, haine de notre être.

La liasse Morale chrétienne montre comment le moi peut tenir dans le corps mystique une place qui répond au respect que l’on se doit à soi-même.