Pensées diverses I – Fragment n° 19 / 37 – Papier original : RO 137-2
Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 96 p. 337 v° / C2 : p. 289 v°
Éditions de Port-Royal : Chap. XVIII - Dessein de Dieu de se cacher aux uns, et de se découvrir aux autres : 1669 et janvier 1670 p. 140 / 1678 n° 10 p. 139
Éditions savantes : Faugère II, 205, XXVIII / Havet XX.6 / Brunschvicg 575 / Tourneur p. 79-1 / Le Guern 486 / Lafuma 566 (série XXIII) / Sellier 472
Tout tourne en bien pour les élus. Jusqu’aux obscurités de l’Écriture, car ils les honorent à cause des clartés divines. Et tout tourne en mal pour les autres jusqu’aux clartés, car ils les blasphèment à cause des obscurités qu’ils n’entendent pas.
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L’usage que font les hommes de l’Écriture est fonction directe de la qualité de leur cœur. Double paradoxe : les obscurités de l’Écriture servent aux bons, et ses clartés nuisent aux mauvais. C’est de cette manière que Dieu s’y prend pour aveugler les uns et éclaircir les autres (Fondement 9 - Laf. 232, Sel. 264). Cependant, ni cette clarté ni cette obscurité ne sont complètes, et Philippe Sellier parle plutôt à propos de la condition humaine, de clair-obscur.
Fragments connexes
Fondement 9 (Laf. 232, Sel. 264). On n’entend rien aux ouvrages de Dieu si on ne prend pour principe qu’il a voulu aveugler les uns et éclaircir les autres.
Fondement 13 (Laf. 236, Sel. 268). Il y a assez de clarté pour éclairer les élus et assez d’obscurité pour les humilier. Il y a assez d’obscurité pour aveugler les réprouvés et assez de clarté pour les condamner et les rendre inexcusables.
Preuves par discours III (Laf. 444, Sel. 690). Il est donc vrai que tout instruit l’homme de sa condition, mais il le faut bien entendre : car il n’est pas vrai que tout découvre Dieu, et il n’est pas vrai que tout cache Dieu. Mais il est vrai tout ensemble qu’il se cache à ceux qui le tentent, et qu’il se découvre à ceux qui le cherchent, parce que les hommes sont tout ensemble indignes de Dieu et capables de Dieu : indignes par leur corruption, capables par leur première nature.
[...]
S’il n’y avait point d’obscurité, l’homme ne sentirait pas sa corruption ; s’il n’y avait point de lumière, l’homme n’espérerait point de remède. Ainsi il est non seulement juste, mais utile pour nous que Dieu soit caché en partie, et découvert en partie, puisqu’il est également dangereux à l’homme de connaître Dieu sans connaître sa misère, et de connaître sa misère sans connaître Dieu.
Preuves par discours III (Laf. 449, Sel. 690). Ils blasphèment ce qu’ils ignorent. La religion chrétienne consiste en deux points ; il importe également aux hommes de les connaître et il est également dangereux de les ignorer.
Et il est également de la miséricorde de Dieu d’avoir donné des marques des deux.
Et cependant ils prennent sujet de conclure qu’un de ces points n’est pas, de ce qui leur devrait faire conclure l’autre.
[...] Et sur ce fondement, ils prennent lieu de blasphémer la religion chrétienne, parce qu’ils la connaissent mal. Ils s’imaginent qu’elle consiste simplement en l’adoration d’un Dieu considéré comme grand et puissant et éternel ; ce qui est proprement le déisme, presque aussi éloigné de la religion chrétienne que l’athéisme, qui y est tout à fait contraire. Et de là ils concluent que cette religion n’est pas véritable, parce qu’ils ne voient pas que toutes choses concourent à l’établissement de ce point, que Dieu ne se manifeste pas aux hommes avec toute l’évidence qu’il pourrait faire.
Mais qu’ils en concluent ce qu’ils voudront contre le déisme, ils n’en concluront rien contre la religion chrétienne, qui consiste proprement au mystère du Rédempteur, qui unissant en lui les deux natures, humaine et divine, a retiré les hommes de la corruption et du péché pour les réconcilier à Dieu en sa personne divine.
Mots-clés : Bien – Blasphème – Clarté – Écriture – Élu – Obscurité.