Dossier de travail - Fragment n° 24 / 35  – Papier original : RO 489-2

Copies manuscrites du XVIIe s. : C1 : n° 21 p. 195 v° / C2 : p. 7

Éditions de Port-Royal : Chap. XXI - Contrarietez estonnantes : 1669 et janvier 1670 p. 168  / 1678 n° 2 p. 165

Éditions savantes : Faugère II, 99, XXII / Havet VIII.9 / Brunschvicg 395 / Tourneur p. 304-4 / Le Guern 385 / Lafuma 406 / Sellier 25

 

 

 

Instinct, raison.

 

Nous avons une impuissance de prouver invincible à tout le dogmatisme.

Nous avons une idée de la vérité invincible à tout le pyrrhonisme.

 

 

Pascal revient ici sur la situation de l’homme dans l’ordre de la connaissance, telle qu’elle a été décrite dans le fragment Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Les pyrrhoniens soutiennent que nous n’avons aucune certitude de la vérité de ces principes, hors la foi et la révélation, sinon en ce que nous les sentons naturellement en nous, mais ce sentiment naturel n’est pas une preuve convaincante de leur vérité. Les dogmatistes répondent qu’en parlant de bonne foi et sincèrement on ne peut douter des principes naturels, et qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. Le présent fragment constate que, dans ce dialogue de sourds, tout le monde a raison en un sens, mais aussi a tort, en ce que l’un nie la supposition de l’autre sans en voir le bien-fondé (Contrariétés 10 - Laf. 127, Sel. 160). La philosophie conduit donc à une impasse. Pascal ne dit pas encore comment la véritable religion [...] nous [rendra] raison de ces étonnantes contrariétés  (A P. R. 1 - Laf. 149, Sel. 182).

 

Analyse détaillée...

 

Fragments connexes

 

Grandeur 6 (Laf. 110, Sel 142). Nous connaissons la vérité non seulement par la raison mais encore par le cœur. C’est de cette dernière sorte que nous connaissons les premiers principes et c’est en vain que le raisonnement, qui n’y a point de part essaie de les combattre. Les pyrrhoniens, qui n’ont que cela pour objet, y travaillent inutilement. Nous savons que nous ne rêvons point, quelque impuissance où nous soyons de le prouver par raison, cette impuissance ne conclut autre chose que la faiblesse de notre raison, mais non pas l’incertitude de toutes nos connaissances, comme ils le prétendent. Car la connaissance des premiers principes : comme qu’il y aespace, temps, mouvement, nombres, aussi ferme qu’aucune de celles que nos raisonnements nous donnent et c’est sur ces connaissances du cœur et de l’instinct qu’il faut que la raison s’appuie et qu’elle y fonde tout son discours. Le cœur sent qu’il y a trois dimensions dans l’espace et que les nombres sont infinis et la raison démontre ensuite qu’il n’y a point deux nombres carrés dont l’un soit double de l’autre. Les principes se sentent, les propositions se concluent, et le tout avec certitude quoique par différentes voies – et il est aussi inutile et aussi ridicule que la raison demande au cœur des preuves de ses premiers principes. Pour vouloir y consentir qu’il serait ridicule que le cœur demandât à la raison un sentiment de toutes les propositions qu’elle démontre pour vouloir les recevoir. Cette impuissance ne doit donc servir qu’à humilier la raison - qui voudrait juger de tout - mais non pas à combattre notre certitude.

Grandeur 8 (Laf. 112, Sel. 144). Instinct et raison, marques de deux natures.

Contrariétés 14 (Laf. 131, Sel. 164). Les principales forces des pyrrhoniens, je laisse les moindres, sont que nous n’avons aucune certitude de la vérité de ces principes, hors la foi et la révélation, sinon en (ce) que nous les sentons naturellement en nous. Or ce sentiment naturel n’est pas une preuve convaincante de leur vérité, puisque n’y ayant point de certitude hors la foi, si l’homme est créé par un dieu bon, par un démon méchant ou à l’aventure il est en doute si ces principes nous sont donnés ou véritables, ou faux, ou incertains selon notre origine. [...] Voilà les principales forces de part et d’autre, je laisse les moindres comme les discours qu’ont faits les pyrrhoniens contre les impressions de la coutume de l’éducation, des mœurs des pays, et les autres choses semblables qui quoiqu’elles entraînent la plus grande partie des hommes communs qui ne dogmatisent que sur ces vains fondements sont renversés par le moindre souffle des pyrrhoniens. On n’a qu’à voir leurs livres ; si l’on n’en est pas assez persuadé on le deviendra bien vite, et peut-être trop. Je m’arrête à l’unique fort des dogmatistes, qui est qu’en parlant de bonne foi et sincèrement on ne peut douter des principes naturels. Contre quoi les pyrrhoniens opposent, en un mot, l’incertitude de notre origine qui enferme celle de notre nature. A quoi les dogmatistes sont encore à répondre depuis que le monde dure. [...] Que fera donc l’homme en cet état ? doutera-t-il de tout, doutera-t-il s’il veille, si on le pince, si on le brûle, Doutera-t-il s’il doute, doutera-t-il s’il est. On n’en peut venir là, et je mets en fait qu’il n’y a jamais eu de pyrrhonien effectif parfait. La nature soutient la raison impuissante et l’empêche d’extravaguer jusqu’à ce point. Dira-t-il donc au contraire qu’il possède certainement la vérité lui qui, si peu qu’on le pousse, ne peut en montrer aucun titre et est forcé de lâcher prise ?

A P. R. 1 (Laf. 149, Sel. 182). Voilà l’état où les hommes sont aujourd’hui. Il leur reste quelque instinct impuissant du bonheur de leur première nature, et ils sont plongés dans les misères de leur aveuglement et de leur concupiscence qui est devenue leur seconde nature.

Dossier de travail (Laf. 401, Sel. 20). Nous souhaitons la vérité et ne trouvons en nous qu’incertitude.

Nous recherchons le bonheur et ne trouvons que misère et mort.

Nous sommes incapables de ne pas souhaiter la vérité et le bonheur et sommes incapables ni de certitude ni de bonheur.

Ce désir nous est laissé tant pour nous punir que pour nous faire sentir d’où nous sommes tombés.

 

Mots-clés : DogmatismeImpuissanceInstinctPreuvePyrrhonismeRaisonVérité.